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Brieven van Emile Zola aan J. van Santen Kolff
(Vervolg van blz. 189).
Médan, 22 janvier '88.
Je commence encore par vous remercier, mon cher confrère, car je viens de lire avec bien d'intérêt les articles que vous avez pris la peine de traduire. Ils sont consciencieux, mais ils n'apportent rien de bien nouveau. J'ai la sensation que je lis toujours le même article sur moi. Non, ne prenez pas la peine de traduire l'article sur les romanciers naturalistes allemands, car je ne pourrais m'en servir, je suis forcé de traduire à quelques pages la préface pour George Moore, que j'avais rêvée très développée. Le temps a marché, je me suis refroidi, je ne me bats plus que pour moi.
Si vous cherchez, dans l'arbre généalogique, l'héroine de mon nouveau roman: ‘le Rêve’, vous ne l'y trouverez pas, car c'est un sujet nouveau que j'y ai entré. Vous savez que, dans le dernier volume de la série, réservé au docteur Pascal, celui-ci développera l'arbre et l'établira définitivement. C'est pourquoi je n'ai aucun scrupule à modifier légèrement l'indication hâtive que j'en ai donnée, en tête d' ‘Une page d'amour’. Donc il s'agira d'un sujet sauvage des Rougon-Macquart transplanté dans un milieu mystique, et soumis à une culture spéciale qui le modifiera. Là est l'expérience scientifique, mais ce qui fera la curiosité de l'oeuvre, ce sera qu'elle pourra être mise entre toutes les mains, mêmes entre celles des jeunes filles. Il s'agit d'un poème de passion, mais d'une chasteté absolue, à l'ombre d'une vieille cathédrale romane. J'espère que ce roman, très court, pourra paraître en juillet, dans quelque revue.
Je rentre à Paris à la fin du mois. J'y recevrai très volontiers votre ami. Merci encore, et cordialement,
ÉMILE ZOLA.
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Paris, 5 mars '88.
Cher monsieur,
Combien je vous remercie de la traduction si intéressante que vous m'envoyez! M. Alberdingk Thym m'écrit dernièrement, en m'envoyant son étude, tirée à part, en une plaquette. Je l'en ai remercié. Mais, dans mon ignorance du hollandais, je ne me doutais guère des éloges hyperboliques que contenait eet article. Vous vous doutez bien que je ne les accepte pas tout. J'en suis pourtant profondément touché, car je sens cette exaltation sincère. Vous ne pouviez me causer une plus grande joie qu'en me traduisant ces pages si débondantes de sympathie. Merci, merci encore!
Voici des nouvelles sur ‘le Rêve’. Le roman va commencer à paraître dans la Revue illustrée, qui en donnera le premier chapitre le premier avril. Chaque fois, elle publiera un chapitre entier. Comme elle est bi-mensuelle et que le roman a quatorze chapitres, le dernier y paraîtra dons le 15 octobre, - en tout sept mois de publication. J'ajoute que chaque chapitre sera illustré de deux gravures et de petits dessins dans le texte. Depuis longtemps je veux tenter ce mode de publication, car le dépeçage en feuilletons, dans les journaux quoditiens, fait le plus grand tort à mes livres. Que vous dirai-je sur l'oeuvre elle-même? J'y travaille, je la soigne, et elle me donne du mal, pour tous les documents qu'elle exige. Je la crains un peu, un peu banale; mais j'ai voulu cette banalité du sujet, tout le mérite doit être l'exécution, surtout dans la philosophie cachée. On m'a souvent reproché de ne pas tenir compte de l'au delà, et c'est pourquoi j'ai voulu faire la part du rêve dans ma série des Rougon-Macquart. Ne m'en demandez pas davantage. J'en suis à cette minute où je n'aime pas moi-même à m'interroger. Du reste, l'oeuvre va paraître.
Vous me demandez, à quelle époque exacte j'ai eu l'idée de ‘la Terre’. Je ne puis guère vous répondre. Mais il me semble bien que j'avais fait la place du paysan dans la série, dès le premier jour. Et Jeanne a toujours été désigné pour être le personnage central Peu à peu la série s'est élargie, car elle ne devait avoir d'abord que douze volumes. Dans le principe, si ma mémoire est fidele, la terre et la guerre devaient être contenues dans le même épisode. Même hésitation de mes souvenirs, au sujet de votre
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question sur ‘Nana’. C'est peut-être aider un peu trop au symbole en disant que le corps pourri de Nana est la France agonisante du seconde empire. Mais, évidemment, j'ai dû vouloir quelque chose d'approchant.
Vives amitiés.
ÉMILE ZOLA.
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Mon cher confrère,
Chaque année le Comité de la Société des gens de lettres publie un volume de nouvelles, et le texte français des ‘Trois guerres’ paraîtra proohainement en titre du volume de cette année, intitulé: ‘Bagatelle’,
Vous avez dû recevoir ‘La Débacle’. N'oubliez pas votre promesse de me mettre de côte tous les articles importants qui paraîtront en Allemagne et en Autriche.
Cordialement,
ÉMILE ZOLA.
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[Cher monsieur]
Cher monsieur, il est vrai que M. Louis Gallet tire du Rêve un poème lyrique, dont la musique sera fait par Alfred Bruneau, un élève de Massenet. Il est peu à croire que le héros de mon prochain roman, dans le cadre d'une grande ligne ferrée, soit Etienne Lantier. Je vais sans doute être obligé de créer un personnage que j'ajouterai plus tard à l'arbre généalogique.
Amitiés.
ÉMILE ZOLA.
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Mon cher Ceard,
Je vous adresse M. Van Santen Kolff, un de mes plus vieux amis littéraires de l'étranger. Vous serez bien aimable en vous mettant à sa disposition, pour quelques questions q'il désire vous adresser.
Affectueusement,
ÉMILE ZOLA.
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Médan, 25 mai '88.
Mon cher confrère,
Excusez-moi de ne pas vous avoir répondu plus tôt. Depuis que je suis rentré à la campagne, très en retard dans tous mes traveaux. je n'ai pas une minute à moi. Et pardon de vous écrire en hâte, sans pouvoir donner à ma lettre le développement, que je voudrais.
Merci de la caricature que vous m'avez envoyée. Vous serez très aimable de m'adresser toutes celles qui paraîtront en Allemagne, car un de mes bons amis. M. Henry Céard, en fait pour moi une collection qui compte déà plusieurs centaines de numéros et qui promet d'être très curieuse.
Je connais l'article de M. Louis de Hessun, qui me rend quelques fois visite.
J'arrive aux détails que vous me demandez sur ‘le Rêve’. Comme mon roman, cette fois, se déroule en pleine imagination, j'ai créé le milieu de toutes pièces. Beaumont l'Eglise est de pure fantaisie, fabriqué avec des moreeaux de Goucy-le-Château, mais haussé au rang de ville épiscopale. Les ruines du Château de Goucy m'ont également servi pour les ruines de mon château d'Haute coeur. Quant à ma cathédrale, elle est bâtie pour les besoins de mon histoire, sur le modèle de nos cathédrales de France. Il serait très long de vous expliquer comment j'en suis venu à arrêter tel qu'il est le milieu où j'ai placé mes personnages. Tout cela est très étudié, très volontaire, et l'on ne saurai jamais les peines que j'ai eues, aidé d'un de mes amis, architecte, pour bâtir simplement la maison des Hubert, cette maison de XVe siècle, conservé presque intacte. En un mot, le milieu est à la fois tout d'invention et très vrai. Pour les détails sur l'art du brodeur: J'ai eu également beaucoup de mal. Heureusement, j'ai trouvé un livre, ‘l'Art du brodeur’, de Saint-Aubin, publié au siècle dernier, qui m'a été d'un précieux secours. J'ai également passé de longues journées sur la Légende dorée. Jamais on ne saura, je le répète, les études que j'ai été obligées de faire pour ce livre si simple.
Je ne puis encore vous dire où je serai en septembre. Veuillez me poser cette question en août, et sans doute j'aurai réglé alors mon été.
Bien cordialement à vous.
ÉMILE ZOLA.
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Médan, 25 juin '88.
Merci, mon cher confrère, de votre très curieuse et très intéressante collection de documents authentique sur ‘la Terre’. Ainsi réunis, ils prennent une valeur singulière, qui m'a frappé moi-même.
Vous ne savez que faire pour m'être agréable, et je vous en suis très reconnaissant.
Votre bien dévoué,
ÉMILE ZOLA.
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Paris, 16 novembre '88.
Mon cher confrère,
Brèves réponses, en hâte, à vos questions. Je suis fort occupé, et un peu énervé.
Je cherche mon prochain roman, et je ne sais pas encore assez certain de ce que je ferai, pour vous en parler nettement. Je vais sans doute mettre quelque drame terrible dans le cadre des chemins de fer, une étude du crime, avec une échappée sur la magistrature, mais je le répète, tout cela reste bien confus.
Il est peu croyable que je fasse maintenant la campagne projetée au Figaro. Cela ne s'emmanche pas. Ce sera pour plus tard.
J'avais trouvé depuis plusieurs années le titre: la Terre, et je le tenais en réserve. Il me venait très naturellement, par l'idée de la passion du paysan pour la Terre. J'ai dit et je repète qu'il y a un très beau drame, simple et grand, à tirer de la Terre. Mais c'est un projet, renvoyé a plus tard, que je ne réaliserai peut-être jamais.
Depuis des années, j'avais le projet de donner un pendant à la Faute de l'abbé Mouret, pour que ce livre ne se trouvât pas isolé dans la série. Une cause était réservée pour une étude de l'audelà. Tout cela marche de front, dans ma tête, et il m'est difficile de préciser des époques. Les idées restent vagues, jusqu'à la minute de l'exécution. Mais soyez certain que rien n'est imprévu. Le Rêve est arrivé à son heure, comme les autres épisodes. Non, je n'ai pas même pris la peine d'aller, en Picardie, visiter Goucy-lechâteau. Étant doué d'invention pure, je n'ai pas senti le besoin d'une réalité immédiate. Tout cela est fait sur des documents et surtout à toute volée de l'imagination.
Merci pour les journaux que vous m'envoyez, et surtout merci
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pour vos articles. Cette histoire de mes oeuvres est un chose dont je suis très touché et dont je vous reste très reconnaissant.
Cordialement,
ÉMILE ZOLA.
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Paris, 6 mars '89.
Mon cher confrère,
Ne vous ai-je déjà dit de ne point vous inquiéter, lorsque je ne vous répondrai point? Je ne suis l'homme le plus paresseux du monde, lorsque je n'en suis pas le plus travailleur. Il est bien vrai que je traverse une crise, la crise de la cinquantaine sans doute; mais je tâcherai qu'elle tourne au profit et à l'honneur de la littérature. Pardonnez-moi donc mon long silence. Il est des semaines, des mois, où il y a tempête dans mon être, tempête de désirs et de regrets. Le mieux alors serait de dormir.
Merci mille fois pour les documents si intéressants que vous m'avez envoyés. Je veux parler des articles allemands sur ‘le Rêve’, dont vous m'avez donné la traduction. Je vous suis très reconnaissant de toute la peine que cela a du vous coùter. ‘Le Rêve’ a été en général très accueilli partout quoique peu compris. Tout cela est loin d'ailleurs. Il faut se remettre au travail.
Vous me posez au sujet de la Joie de vivre, quelques questions, auxquelles je vais tâcher de répondre. La Joie de vivre n'a pas été commencé après Nana, je veux dire que pas une page n'en était écrite. J'avais simplement réuni des documents, et je songeais à eet épisode de ma série, lorsque la mort de ma mère me le fit reculer.
Non, je n'ai aucun souvenir précis sur la façon dont j'ai trouvé le titre. Je sais seulement que je voulais d'abord un titre direct comme le mal de vivre, et que l'ironie de la Joie de vivre me fit préférer ce dernier. Si j'ai choisi le hameau de pêcheurs comme cadre, avec la vaste mer en face, cela doit être poussé par la logique qui me fait toujours discuter et arrêter le milieu. Lorsque mon choix est tombé sur un point de la côte normande, je n'ai eu qu'à chercher dans ma mémoire, car je connais toute cette côte, pour l'avoir parcouru, en plusieurs fois, de 1875 à 1882. Ce doit être en 1882 que j'ai vu la petite plage de Vierville, en allant en voiture
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de Grandcamp à Port-en-Bessin. J'ai longtemps eu l'idée d'écrire un poème en prose sur la Douleur. Ce sont les débris de ce poème qui se trouvent dans la Joie de Vivre notamment dans la symphonie de Lazare. Je crois qu'en élargissant le sujet un grand musicien trouverait là un motif admirable. Les deux chapitres écrits à Bénodet sont le chapitre de la mort de la mère et celui qui suit. Tous les autres ont été écrits à Médan.
Voilà brièvement mes réponses. Ne m'en veuillez pas, si elles sont si courtes. Et ne m'interrogez pas sur mon prochain roman avant quelques semaines.
Toujours croyez-moi votre bien reconnaissant et bien dévoué
ÉMILE ZOLA.
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Médan, 22 juin '89.
Mon cher confrère,
Je n'ai plus que quatre volumes à écrire pour terminer la ‘Rougon Macquart’ et la place me manquant, je vais être obligé de basser un peu les autres mondes qu'il me reste à étudier. C'est pourquoi, dans le cadre d'une étude sur les chemins de fer, je viens de réunir et le monde judiciaire et le monde de crime. Naturellement tout cela sera réduit; par exemple, j'abandonne le tableau d'une excécution capitale, et bien d'autres. Mon idée d'une étude sur les chemins de fer date de très loin, du plan général de la série. Seulement, j'ai déjà un peu abusé des machines, dans ‘Germinal’, et c'est pourquoi, ne voulant pas me répéter, j'ai réduit le chemin de fer à n'être plus qu'un cadre, dans lequel j'étudierai la dégénérescence criminelle, chez un de mes Rougon-Macquart. J'ai trouvé là une opposition philosophique qui est l'idée centrale de mon nouveau roman, et qui m'a décidé. Le chemin de fer tout seul ne m'aurait donné qu'une monographie, et, je le répète, ‘Germinal’ suffisait.
Il m'est difficile de vous expliquer le choix des lieux où se passe mon roman, sans entrer en de trop longues explications. D'abord il se passe surtout au Havre, puis à Paris, puis à Rouen, et enfin dans un poste de cantonnement en sortir du tunnel de Malannay, avant la station de Barentin. Le choix de ce poste m'a été imposé par l'intrigue même de l'oeuvre. Il faut que certaines scènes se
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passent là, parce quelles ne peuvent pas se passer ailleurs. Après avoir arrêté le point, j'ai fait le voyage pour connaître bien le pays; j'ai poussé jusqu'au Havre; enfin j'ai recueillie les notes nécessaires, comme d'habitude.
Je lirai avec plaisir la traduction de l'article d'Amsterdam, et je vous remercie à l'avance.
Bien cordialement à vous.
ÉMILE ZOLA.
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Médan, 6 juillet '89.
Mon cher confrère,
J'ai bien tardé à vous donner signe de vie. Il ne faut pas m'en vouloir, j'ai eu la haine de l'encre, tous ces derniers mois. Mais me voici revenu à Médan, et depuis un mois. Je me suis remis au travail. J'ai commencé mon nouveau roman, ‘la Bête humaine’ le 5 mai et en voilà pour sept à huit mois à me devorer.
Vous me posez des questions aux-quelles je vais tâcher de répondre. D'abord, je ne me souviens pas de l'article de l'Événement ne vous étonnez point si je me répète.
Si je n'ai pas pris Etienne Lantier, c'est que ses précédents dans ‘Germinal’ me gênaient pas trop. J'ai donc préféré créer un nouveau fils de Gervaise, Jacques Lantier, qui sera un frère d'Etienne et de Claude: elle aura eu trois fils, voilà tout, et je complètrai l'arbre généalogique à la fin. Déjà, j'ai dû créer ainsi Angélique. J'espère qu'on me pardonnera ces retouches, d'autant plus que, sur tous les autres points, mon plan primitif a été suivi avec une extrème rigueur.
Quant au titre, ‘la Bête humaine’ il m'a donné beaucoup de mal, je l'ai cherché longtemps. Je voulais exprimer cette idée: l'homme des cavernes resté dans l'homme de notre dix-neuvième siècle, ce qu'il y a en nous de l'ancêtre lointain. D'abord, j'avais choisi: ‘Retour atavique’. Mais cela était trop abstrait et ne m'allait guère. J'ai préfére: ‘La Bête humaine’, un peu plus obscur, mais plus large; et le titre s'imposera, lorsqu'on aura lu le livre.
Je ne puis guère vous dire tout au long le sujet, qui est assez compliqué, et donc les rouages nombreux mordent profondément les uns dans les autres. C'est en somme l'histoire de plusieurs
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crimes dont l'un central. Je suis très content du construction du plan, qui est peut-être les plus ouvragé que j'ai fait, je veux dire celui dont les diverses parties se commandent avec le plus de complication et de logique. L'originalité est que l'histoire se passé d'un bout à l'autre sur la ligne du chemin de fer de l'Ouest, de Paris au Havre. On y entend un continuel grondement de trains: c'est le progrès qui passe, allant au vingtième siècle, et cela au milieu d'un abominable drame, mystérieux, ignoré de tous. La bête humaine sous la civilisation.
Le roman passera dans la Vie populaire, un journal qui jusqu'à présent n'a donné que des reproductions. Je préfére ces journaux hebdomadaires aux journaux quotidiens.
Rien n'a été plus simple, mais rien n'a été plus long que l'étude du milieu et que la recherche des documents. Pendant tout l'hiver j'ai fréquenté la Saint-Lazare, j'ai parcouru la ligne de l'Ouest regardant, faisant causer, revenant mes poches pleines de notes.
Et voilà pour cette fois, mon cher confrère. Merci des deux bonnes traductions que vous m'envoyez encore, et veuillez me croire votre bien dévoué et bien reconnaissant
ÉMILE ZOLA.
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Médan, 5 septembre '89.
Cher monsieur,
J'ai bien tardé à vous remercier de votre article sur ‘La Bête humaine’. Mais ne m'en veuillez pas et ne vous étonnez jamais; il est des heures où écrire des lettres est pour moi une torture.
Je ne verrais, je crois, Charpentier qu'à la fin de ce mois, car il est à la mer. Il faut que je vous confesse ma gêne à lui parler de votre ouvrage sur moi: ne vais je pas avoir un peu l'air de me pousser moi-même? Pourtant, je lui en dirai un mot. Puis ne vaudrait-il pas mieux attendre que la série fût finie? Je suis résolu à m'en débarasser au plus tôt. En '92, dans les premiers mois, j'espère les vingt volumes des Rougon-Macquart seront terminées. Je suis certain que Charpentier va tout de suite me dire qu'il serait logique d'attendre. Enfin, je vous communiquerai la réponse. Si vous êtes pressé adressez-vous donc à un autre éditeur de Paris,
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qui se hâtera certainement de faire l'affaire. Enfin, tenez-moi au courant de vos résolutions.
C'est sans doute vers le 20 octobre que ‘La Bête humaine’ commencera à paraître dans La Vie populaire.
Merci encore et bien cordialement à vous.
ÉMILE ZOLA.
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Paris, 6 octobre '89.
Mon cher confrère,
Je réponds en hâte à vos deux questions, craignant de ne pouvoir le faire de longtemps, si je ne le fais pas aujourd'hui.
J'ai toujours, dans la série des Rougon-Macquart, gardé une large place à l'étude du peuple de l'ouvrier, et cela dès l'idée première de l'oeuvre. Mais ce n'est qu'au moment de ‘l'Asommoir’ que ne pouvant mettre dans ce livre, l'étude de rôle politique et surtout social de l'ouvrier, je pris la résolution de réserver cette matière, pour en faire un autre roman. Et, plus tard, cet objet s'est précisé, lorsque je me suis rendu compte du vaste mouvement socialiste qui travaille la vieille Europe d'une façon si redoutable. Le cadre d'une grève c'est imposé naturellement à moi comme le seul dramatique, le seul qui devait donner aux faits le relief nécessaire. ‘Germinal’ est donc le complément de l'assommoir, les deux faces de l'ouvrier.
Quant à ce titre de ‘Germinal’ je ne l'ai adopté qu'après bien des hésitations. Je cherchais un titre exprimant la poussée d'homme nouveau, l'effort que les travailleurs font, même inconsciemment pour se dégager des ténèbres si durement laborieuses où ils s'agitent encore. Et c'est un jour, par hasard, que le mot germinal m'est venu aux lèvres. Je n'en voulais pas d'abord, le trouvant trop symbolique; mais il réprésentait ce que je cherchais, un avril révolutionnaire, une envolée de la société comme dans le printemps. Et, peu à peu, je m'y suis habitué, si bien que je n'ai pu en trouver un autre. S'il reste obscur pour certains lecteurs, il est devenu pour moi comme un coup de soleil qui éclaire toute l'oeuvre.
Oui, je crois qu'il vaudra mieux attendre la fin de la série pour publier en français votre livre sur moi; ce qui ne vous empêchera pas d'en donner d'abord des éditions en hollandais. Puis,
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pourquoi, parler de votre mort: est ce qu'on meurt, quand on a quelque chose à faire?
Il est bien certain que je ne veux pas donner ‘Madeleine’ au Théâtre-Libre de Berlin. Cet essai de jeunesse était possible à Paris, où la critique se trouvait prévénue. Mais pas en allemand n'y comprendrait quelque chose. Qu'on j'oue Thérèse ou Renée.
Je crois bien que ce sera vers le 15 novembre que la Vie populaire commencera la publication de ‘la Bête humaine’.
Bien à vous.
ÉMILE ZOLA.
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Médan, 9 juillet '90.
Mon cher confrère,
Pardonnez-moi mon long silence. Pour vous l'expliquer, il faudrait entrer dans de trop longs détails. Et, je vous en prie, ne vous étonnez jamais.
Je vais répondre brièvement à vos nombreuses questions. Mais je crois bien que j'ai perdu une de vos lettres, celle de janvier.
D'abord vous pouvez refuser nettement en mon nom toute collaboration qui se présentera, même sans me consulten Je ne veux donner d'article à aucune publication. Il m'en vas pas de même pour votre livre sur moi. Dites-moi s'il est temps encore, expliquezmoi bien de nouveau ce que vous désirez, et je vous enverrai le plus tôt possible la courte lettre que vous me demandez.
Pour la trouvaille des titres, voici. Celui de ‘la Curée’ s'imposait, après, ‘la Fortune des Rougons’: le premier était la conséquence du second. Pourtant j'ai hésité un moment, à cause de la célèbre pièce de vers de Barbier. Quant au ‘Ventre de Paris’, il devait d'abord s'appeler simplement ‘le Ventre’, ce que je trouvais beaucoup plus large et énergique. J'ai cédé à un désir de mon éditeur. Enfin, par ‘Une page d'amour’ j'ai voulu indiquer, après ‘l'Asommoir’, comme un entracte sentimental. Le titre a été cherché et trouvé dans ce sens. Je ne sais quel manuscrit de moi on a pu vendre à la vente Ulbach, sous le titre: ‘Une histoire d'amour’. Mais ce manuscrit n'a certainement aucun rapport avec ‘Une page d'amour’. Ce doit être simplement une courte nouvelle, un article. Beaucoup de Chroniques anciennes de moi sont ainsi
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restées enterrées dans les journaux, où j'ai écrit pendant près de vingt ans. Le plan des Rougon-Macquart est beaucoup plus curieux. Ce doit-être un premier jet que j'ai soumis à un éditeur à Albert Lacroix, qui l'aura donné à Ulbach dont il était l'ami. L'orthographe ‘Machart’ est sans doute celle que j'avais adopté d'abord. Je crois bien que ce plan est celui qu'à donné, comme pièce curieuse un dictionnnaire de faits contemporains, paru récemment en livraisons.
Je vous ferai copier et je vous enverrai la préface des, Nouveaux contes à. Ninon, édition complète.
Et j'arrive à vos questions sur ‘l'Argent’, celles qui révoltent un peu ma paresse. J'ai fini, ces jours-ci, le premier chapitre. Le roman en aura douze, et j'espère, l'avoir terminé dans les derniers jours de décembre. Il commencera à paraître, dans le Gil Blas vers la fin de novemibre, et Charpentier mettra le volume en vente dans la seconde quinzaine de mars. Ce sera certainement le plus compliqué, le plus bourré de tous mes livres. Pour vous en résumer les matières, il me faudrait entrer dans des détails infinis. Non seulement j'ai voulu étudier le rôle actuel de l'argent, mais j'ai désiré indiquer ce qu'il a été jadis la fortune, ce qu'elle sera demain, de la toute une petite partie historique et toute une partie socialiste. En somrae au centre, se trouve l'histoire d'une grande maison de crédit le brusque lançage d'une banque toute une royauté de l'or suivie d'un écroulement dans la boue et dans le sang. J'ai recréé mon Saccard de ‘la Curée’. Ce dont je suis assez satisfait c'est de la création du type de femme qui dominera l'action; car il m'a été très difficile d'introduire une femme là dedans. Je vous répète qu'il m'est presque impossible d'être plus explicité, tellement tout cela se tient et se mêle. C'est construit dans le genre de ‘Pot Bouille’: beaucoup d'épisodes, beaucoup de personnages; mais moins d'ironie, plus de passion, et un ensemble plus solide, je crois. Je n'attaque ni ne défends l'argent, je le montre comme une force nécessaire jusqu'à ce jour, comme un facteur de la civilisation et du progrès.
Le titre du premier roman que j'ai écrit, en 1854, sur les bancs de ma cinquième, était: ‘Une épisode sous les Croisades’.
Cordialement à vous.
ÉMILE ZOLA.
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Médan, 15 juillet '90.
Mon cher confrère,
Voici le renseignement que vous me demandez.
Le ‘Dictionnaire universelle illustré biographique et bibliographique de la France contemporaine’ par Jules Lermina, a été publié chez Boulanger, éditeur rue de Rennes 83; et la livraison où a été donné le plan primitief des ‘Rougon-Macquart’, est la livraison 157. Mais je ne crois pas que vous trouviez cette livraison séparée. Il vous faudra sans doute acheter l'ouvrage entier. Je n'ai d'ailleurs pas ce dictionnaire dans ma bibliothèque.
ÉMILE ZOLA.
(Wordt vervolgd.)
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