De Nieuwe Gids. Jaargang 33

[p. 653]

Trois chansons d'Iseult par Victor E. van Vriesland.

Une nuit d'été, la reine Iseult descendit seule les terrasses du palais.

Sur la dernière marche, elle leva d'un grand geste la blancheur de ses deux bras vers le pare étendu devant elle, chaud et parfumé.

Et la reine Iseult doucement parla dans la nuit:

‘Tristan, Tristan, toi qui m'as oubliée, écoute, je te célèbrerai dans ma solitude.

Que m'importe que tu sois loin, puisque je t'aime encore.

Tristan lointain, infidèle Tristan, écoute mes chansons.

C'est pour toi que je chante, ô mon roi.’

Et la reine Iseult chantait -

I.

‘Tigre Tristan! La beauté gracieuse
De ton corps las et jeune et tout en fièvre,
Doucement froid comme un vase de Sèvres
D'une forme trés svelte et trés nerveuse....

O la beauté perverse et généreuse
De tes yeux lourds et de tes pâles lèvres,
Mon mince prince, de tes fines lèvres
Fanées et de tes chairs lumineuses....

Du moment où j'ai vu ton âpre rire
Cruel, j'ai bien compris, mon souverain,
Ta tristesse.... Tristan! Vois, je m'y mire;

Vois, je suis à genoux et ne désire
Que prenant dans mes mains tes nobles mains
Presser mes lèvres sur tes pieds de cire.’

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II.

‘Encore toi! Et c'est de toutes mes pensées
Le refrain. Dans les nuits ta souple beauté vient
Tourmenter mon sommeil jusqu'à ce qu'à la fin
Le matin me verse ses lumières fanées.

Encore toi! Tristan, hélas, et c'est en vain
Que je cherche, l'âme par toi paralysée,
A te fuir; et je sens que tes mains effilées
Se lèvent lentement, - pour m'égorger enfin.

Oh que ne puis-je de tes grands yeux attristés
Eviter le regard, - le frêle trémolo
Fatigué de ton rire, et ta voix énervée!

Es-tu le Christ; es-tu le Satan raffiné?
Prince Tristan, n'adorerais-je donc qu'un beau
Rêve? Qu'importe! Me voici! Je suis damnée.’

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III.

‘Et puis? - car dans les soirs où le soleil versait
Goutte à goutte son sang dans la mer phosphorique
J'ai senti le frisson de ton âme mystique,
J'ai écouté pleurer ton coeur qui me pleurait -

Et puis? - car dans les soirs pâles et languissants
Tu m'as souri, mon doux Tristan mélancolique,
Et depuis, comme une exquise vieille relique
J'en garde le ressouvenir étincelant -

Me voici ton esclave. Oh pardonne, seigneur,
Ma voix trop faible pour chanter en ton honneur.

Je te donne ma vie, et tout ce que je pense,
Et tous mes rêves, et toutes mes espérances,

Tout ce que j'ai aimé, mes joies et mes regrets....
Oh donne-moi la mort; oh donne-moi la paix.’

Juillet 1911.