De l'épigramme.
Suite et fin.
Voici une épigramme en forme de conte; la pointe en est neuve et piquante, et fort peu de personnes la connaissent, bien qu'elle soit historique:
Certain banqueroutier, se faisant astronome,
Avec un érudit, un parfait honnête homme,
Disputait, l'autre jour, sur l'étude des cieux.
Un témoin, écoutant leurs discours ténébreux,
Dit au savant: ‘Dussé-je exciter ta rancune,
Tu n'es qu'un apprenti, mon cher, et rien de plus:
Monsieur doit en savoir plus que toi là-dessus,
Puisqu'il a, l'an passé, fait un trou dans la lune.’
Le savant, confondu, comme de raison, ne s'avisa pas de lutter plus longtemps avec un pareil adversaire, qui, au besoin, eût été capable de prendre la lune avec les dents.
Le mensonge est certes une des plus hideuses plaies de la société; mais il a moins de pouvoir qu'autrefois; parce qu'on ne se prend plus aujourd'hui si facilement à ses piéges connus. Les menteurs ne vont plus longtemps tête levée; nos modernes institutions et les progrès de la civilisation, ont, en quelque sorte, détrôné l'audace du mensonge; le mensonge est passé à l'état d'erreur; il lui fallait cette nuance pour régner de nouveau sur les hommes C'est donc aujourd'hui l'erreur qui nous attache le bandeau noir, le bandeau bleu, le bandeau jaune, le bandeau doré, etc., etc., etc.: il y en a de toutes les couleurs. - Mais revenons à notre texte, et transcrivons une épigramme qui fut faite, il y a cinquante ans au moins, contre un célèbre menteur:
Un menteur, à son auditoire,
Criait: Oui, c'est la vérité!
- Quelqu'un lui dit: je ne puis croire
Le fait que tu m'as raconté.
- Ce récit est pourtant fidèle;
Monsieur, vous m'avez insulté.
- Eh bien, si c'est la vérité,
De ta bouche pourquoi sort-elle?
La chronique des temps dit que ce dialogue eut lieu entre deux gascons, qui se donnèrent rendez-vous...... au champ d'honneur, comme on dit, et que le lendemain on rendit ainsi compte de l'aventure:
Pour terminer cette querelle,
Chacun deux coups ils ont tiré;
Mais, visant après la cervelle,
Les balles n'ont rien rencontré.
Notre carquois n'est point encore épuisé; nous pourrions encore décocher des traits; mais
Loin d'épuiser une matière,
Il n'en faut prendre que la fleur,
a dit le grand fabuliste, qui, avec son air de bonhomie, savait aussi lancer une épigramme sous le voile de la fable: témoin le rat retiré du monde dans un fromage. Cependant, avant de finir, encore quelques lignes sur ce sujet: de tout temps la gloire a coûté cher à ses amants; c'est pourquoi l'on a dit:
La triste chose que la gloire
Pour un pauvre auteur sans argent!
Afin de vivre en la mémoire,
Il ne vit pas de son vivant.
C'est bien vrai! Jadis l'argent était le nerf de la guerre; cette pensée était même passée à l'état de proverbe. Maintenant, l'argent, ce vil et adoré métal, est le mobile de toutes les actions, le nerf de la guerre et de la paix, l'idole de tout ce qui respire dans le domaine des animaux raisonnables, ou plutôt raisonnants, que l'on appelle hommes. Il est bien triste pour un amant des neuf Muses, le lendemain d'une chute, de lire une épigramme comme celle-ci: