Mededelingen van het Cyriel Buysse Genootschap 13
(1997)– [tijdschrift] Mededelingen van het Cyriel Buysse Genootschap– Auteursrechtelijk beschermd-33-(58) St Hubert, le 29 oct. 86.
Mademoiselle,
Je vous prie de m'excuser d'avoir tant tardé à vous expédier les chapitres traduits. Je les ai soumis à l'appréciation de deux personnes dont le bon goût en matière littéraire m'avait maintes fois été démontré. Ils ont été d'accord sur les remarques générales que mon travail a provoquées, et m'ont parfaitement convaincu que je suivais une fausse voie. Tout d'abord ils se sont aperçus que c'était une traduction flamande et rien autre qu'une traduction trop fidéle. ‘Comment voulez-vous mener l'oeuvre à bien de cette façon?’ m'ont-ils demandé, ‘et ne vous faites-vous pas illusion sur les devoirs d'un traducteur? Pour être bien traduite, - à notre sens - l'oeuvre doit produire sur les lecteurs français la même impression que sur le lec- | |
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teur néerlandais. Or le caractère des deux peuples offre des différences essentielles, dont votre travail devra tenir compte. Comment voulez-vous que nous nous intéressions à un ouvrage où nous ne retrouvons ni la phrase sautillante, vive, alerte de nos conteurs, ni ces sous-entendus charmants qui forcent l'esprit à une gymnastique à laquelle, de par sa nature toute française, il est éminemment propre? Les plus belles oeuvres germaniques nous semblent lourdes, alanguies, tout bonnement à cause de l'esprit de terroir qui les a créées, tout bonnement parce que nous différons radicalement d'un peuple auquel il faut trois tragédies pour mettre en scène la conspiration de WallensteinGa naar eind(1). Il faut, - ce serait là l'idéal - que la traduction égalât en beauté l'original. Or on ne peut égaler qu'en différant. MussetGa naar eind(2) ne vaut LamartineGa naar eind(3), et GauthierGa naar eind(4) ne peut égaler BanvilleGa naar eind(5) que grâce au genre spécial dans lequel ils brillent. Si patient, si méticuleux, si inexorablement fidèle que soit votre travail, il ne sera jamais qu'un décalque pâle et imparfait de l'oeuvre primitive, tout en ne portant aucune marque bien française. Conservez bien fidèlement les idées de l'auteur mais métamorphosez la forme, rendez la concise, doucement chantante, languissante jamais; présentez le fond à des lecteurs français, et n'oubliez pas que telle forme, tel développement qui pour un flamand est une beauté ou une nécessité devient un défaut grave chez nous. La meilleure traduction des poëtes latins est celle de BurnoufGa naar eind(6) qui précisement s'écarte le plus de la forme primitive tout en respectant toujours l'idée de l'écrivain. Résumez en dix mots, tel passage qui dans le texte comporte une page, que le livre sans jamais en altérer le fond n'ait que quatre cents pages au lieu de 500, si les exigences de l'esprit français vous y poussent. Et si l'on vous objecte que les oeuvres de Conscience ont pourtant été traduites ainsi, répondez que les traductions du grand écrivainGa naar eind(7) n'ont aucune valeur littéraire, et que les enfants et les adolescents en furent les principaux lecteurs, et que du reste pas un flamand ne déplore le peu de coloration de ces publications françaises qui, popularisant Conscience comme conteur, l'ont peut-être fait déprécier comme écrivain. (Car il faut bien l'avouer mais j'ai entendu maintes fois juger du style de Goethe ou de Byron, par des amis ne les ayant lus qu'en traduction). | |
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Enfin pour prendre un exemple plus récent, Adam et Eve, la superbe nouvelle du célèbre conteur allemand AuerbachGa naar eind(8), perd tout son charme d[an]s la traduction de MM. Guillaume-Chantraimé (bibl.Gilm) ‘qui’ disaient-ils d[an]s la préface ‘avaient voulu rendre de nouveau et avec plus de fidélité la nouvelle allemande, et n'ont écrit que de l'allemand toujours. Ce n'est pas cela du français. (Cette nouvelle qui me parait fade, à moi, ne fut vraiment appréciée que dans l'édition allemande.)’ Voilà ce que mes deux correcteurs me dirent, Made[moiselle], et je dois vous avouer qu'ils m'ont converti. Je vous envoie cependant le cahier, tel qu'ils ont pu le juger, si vous trouvez, qu'il est préférable de changer de méthode, donnez m'en avis je vous prie; si l'oeuvre, titrée à la française ne vous plaisait pas, il vous est toujours libre de m'en aviser quand je vous la soummettrai; si vous préférez une traduction plus littérale, comme celle que je vous soumets, je continuerai à m'en occuper, quoique fermement convaincu que c'est aller au-devant d'un échec.
Respectueusement à Vous. Aug. Vierset. |
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