Publications de la Société Historique et Archéologique dans le duché de Limbourg. Deel 7
(1870)– [tijdschrift] Jaarboek van Limburgs Geschied- en Oudheidkundig Genootschap– Auteursrechtvrij
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Découverte d'un autel romain à Kessel près de Ruremonde.Non sibi res sed se submittere rebus. En démolissant, vers le mois de Décembre 1869, l'église paroissiale de Kessel pour en construire une nouvelle à sa place, on découvrit sous l'autel principal du choeur un ancien autel payen. L'église de Kessel dédiée au mystère de la Nativité de la Ste. Vierge était une construction gothique faite en pierres de tuf (mergelsteen) des environs de Maestricht; la situation du village sur le bord de la Meuse a sans doute beaucoup facilité le transport de ces matériaux. Elle datait de l'an 1460Ga naar voetnoot(1). Cependant les fondements élevés en pierres brutes semblaient indiquer des constructions ayant précédé l'église gothique. Malheureusement, à l'époque de notre visite à Kessel, le tout était démoli et enlevé; il nous a été donc impossible d'avoir un indice certain sur la forme de ces substructions primitives. Seulement nous avons pu constater dans les gros blocs sortis de la terre, des fragments de tuiles romaines | |
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qui bouchaient les ouvertures laissées par l'irrégularité des cailloux de l'opus incertum. L'autel romain lui-même avait été transporté dans le jardin de la cure et portait des marques nombreuses de ce déplacement mal exécuté. Avant de décrire ce curieux monument disons un mot des autels payens en général. Les autels du paganisme (ara, altare) adoptaient différentes formes; il y en avait de carrés, de carrés longs, d'autres ronds, quelques-uns à plusieurs angles. Ils étaient de pierre, de marbre ou plus rarement de bronze. Au temple de Babylone il y avait un autel, dont parle Hérodote, fabriqué d'or sur lequel on n'immolait que des bêtes à lait. Selon Pausanias il y avait aussi des autels de bois et d'autres bâtis de briques ou de gazons. Il n'y avait pas de mesure fixe pour la hauteur des autels. On en trouve qui ne vont pas même à la hauteur du genou, d'autres vont jusqu'à la ceinture des personnes, qui sacrifient. Il y en a cependant de bien plus élevés, surtout parmi les ronds, en sorte qu'on a quelquefois peine à distinguer un autel d'une simple colonne. Ces différences d'élévation s'observaient d'après Vitruve dans les sacrifices; les autels les plus hauts étaient pour Jupiter et les dieux célestes, et les plus bas pour Vesta, la Terre et la Mer. Mais cette distinction n'était pas d'un usage général. Aux jours solennels, on ornait ces autels de guirlandes, donnant à chaque dieu les feuilles et les rameaux de l'arbre favori qui lui était consacré. A l'autel de Jupiter on employait les feuilles de hêtre, à celui d'Apollon, le laurier, à celui de Minerve l'olivier, à l'autel de Vénus le myrthe, à celui d'Hercule le peuplier, à celui de Bachus le lierre, à celui de Pan des feuilles de pin. Ces guirlandes de feuilles s'appellaient verbenae; on les distingue en général sur les autels qui ornent les médailles, les monnaies et les | |
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marbres antiques. Virgile appelle dans le vers suivant ces couronnes, des colliers: Saepe deûm nexis ornatoe torquibus arae. De même on ornait de fleurs et de branches les temples et les victimes pour le sacrifice. C'était devant les autels que se faisaient les traités et les serments, pour les rendre plus inviolables. On touchait les autels en jurant, dit Cicéron, pour rendre les jurements plus solennels. C'était devant les autels que se célébraient les noces et que se liaient les amitiés les plus étroites. Les exemples en sont fréquents dans les auteurs. Les autels enfin ont été des lieux d'azyle dans le paganisme comme dans le Christianisme. Ils étaient généralement placés dans les temples, devant les statues des divinités en l'honneur desquelles ils étaient érigés. Cela se pratiquait, dit Vitruve, afin que ceux qui priaient et sacrifiaient eussent toujours les divinités devant les yeux. Les autels se trouvaient au milieu du temple, ou contre les murs. Il y avait aussi des autels hors des temples. A Rome il s'en trouvait beaucoup dans les rues et sur les places publiques. C'était sur une place publique d'Athènes que S. Paul rencontrait l'autel dédié au Dieu inconnuGa naar voetnoot(1). Des autels étaient encore élevés dans les lucus ou bois sacrés devant la statue de la divinité à laquelle le bois était dédié, près de la porte des temples et dans l'impluvium ou cour intérieure des maisons particulières. C'est sur les autels de cette dernière classe que la famille sacrifiait aux Pénates. Le sommet des autels était régulièrement pourvu d'une cavité pour allumer le feu, ou pour placer les fruits, les offrandes ou les victimes. Dans les autels pour les sacrifices et les libations on remarque en outre un orifice pour la | |
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décharge des liquides. Plusieurs comme celui de Kessel étaient ornés de sculptures représentant les dieux en l'honneur desquels, ou dans les temples desquels ils étaient érigés. L'ara de Kessel est un monument mutilé vers le sommet et dont la cavité a disparu. Mais à en juger par ses proportions restreintes et le manque d'orifice pour la décharge des liquides il nous semble avoir servi à recevoir des offrandes de fruits, ou à brûler des encens; la table est trop petite pour y faire la moindre immolation sanglante. L'autel en question forme une colonne carrée haute de 0,90 et large de 0,55 centimètres. Il a été construit en gré blanc et fin et est orné d'une base, d'un fût et de trois bas-reliefs. Le monument a été érigé dans l'intention de se rendre propices trois puissantes divinités de l'Olympe: Minerve, Junon et Hercule. L'exécution artistique de l'autel est si soignée que nous n'hésitons aucunement à en placer la confection vers le haut empire, dans le premier ou le second siècle de l'ère chrétienne. Cette belle exécution ainsi que le gré exotique dont il a été fabriqué font supposer qu'il n'a pas été sculpté dans le pays. Peut-être est-il venu du sud, par la Meuse ou la route consulaire de Paris à Tongres et Nymègue. Les sculptures qui le décorent se partagent dans l'ordre suivant. Dans le cadre de la face gauche se trouve représentée Minerve, armée d'une lance dont le haut bout ne se voit plus; de la main gauche elle appuie son bouclier sur une colonne. La déesse est ornée d'une robe longue jusqu'aux pieds et recouverte d'un manteau. La draperie est fort soignée; malheureusement la tête manque à cette statue comme aux deux autres qui décorent l'autel. Notre bas-relief représente la déesse sortant toute armée du cerveau malade de Jupiter: | |
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De capitis fertur sine matre paterni
Vertice cum clypeo prosiliisse suo.
Ovid. Fast. 3, 841. Elle doit à cette origine extraordinaire d'avoir été honorée à la fois comme déesse de la guerre et de la sagesse. César et Tacite ont placé Pallas ou Minerve, au nombre des divinités adorées par les Gaulois et les Germains. (Voyez fig. 2 litt. A.) Sur la deuxième face se trouve représentée la reine de l'Olympe, Junon. C'est une matrone qui a de la majesté. Elle tient de la main-droite une patère pleine-pour sacrifier sur un autel à côté, où flambe une offrande. L'oiseau symbolique de Junon, le paon, se trouve à côté de la tête. Son costume quoique trainant et ample est plus modeste que celui de la virginale Minerve. Junon était la soeur et la femme de Jupiter, comme elle l'affirme elle-même dans ce vers de Virgile:
Ast ego, quae divum incedo regina, Jovisque
Et soror et conjux.
Aeneid. I, 50. Elle était en outre mère de Mars et de Vulcain. On la représente comme reine du ciel, le sceptre à la main. Son culte était fort répandu dans les Gaules. (Voyez fig. 2. litt. B.) La figure la plus mutilée est celle d'Hercule, qui orne la face de devant. Le fils de Jupiter et d'Alcmène n'est reconnaissable qu'à la belle et forte taille de ses membres nus et à la dépouille du lion Néméen qu'il tient dans le bras gauche. On sait que cette peau rendit Hercule invulnérable. L'auteur de l'autel de Kessel a représenté dans son oeuvre le repos du dieu après le combat. Les Germains se vantaient, dit TaciteGa naar voetnoot(1), qu'Hercule vint en leur pays au temps de leurs pères. Ils chantaient ses | |
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louanges en s'acheminant au combat, comme du plus vaillant guerrier qui ait jamais été sur la terre. A Mars et à Hercule ils sacrifiaient de préférence des animaux choisisGa naar voetnoot(1). (Voyez fig. 2 litt. C.) La quatrième face de l'autel est sans ornements et sans inscription; elle était probablement destinée à être placée contre les parois du temple ou contre un mur quelconque. L'idée de la personne qui a érigé ce monument est assez bizarre. On y voit la jalouse Junon à côté de Minerve, son émule au banquet de Paris, avec Hercule à qui la même Junon avait juré une haine immortelle. L'auteur du monument a-t-il voulu peut-être menager la chèvre et le chou en plaçant sur le même autel des divinités contraires? En tout cas il a voulu honorer le principe de la force physique; ce qui nous fait supposer que le dédicant était un légionnaire. Cependant il n'est pas rare de trouver la figure de ces divinités représentée côte à côte sur le même monument et leurs noms formulés dans la même dédicace. Sans quitter les bords charmants du Rhin et de la Meuse, nous citons à l'appui de notre thèse les autels et les pierres votives suivants. A Voorburg en Hollande on trouva une dédicace à Junon la reine, à Minerve et au Génie du lieu; à Clèves une à Jupiter, Junon et Minerve; près de Cologne à Junon, Hercule et Silvain; à Andernach, à Junon, Mars et Hercule; à Kreutznach à Jupiter, Junon, Mercure, Hercule et Minerve, et une autre à Hercule, Junon et la Fortune; à Mayence une à Junon la reine, la Fortune et MinerveGa naar voetnoot(2). On voit même sur une de ces dédicaces représentées à la fois les trois divinités de Kessel; c'est la première de Kreutznach, près de Bonn. | |
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Dans les substructions d'une forteresse romaine située dans la proximité de la même ville, on découvrit en 1863 un autel romain haut de 0,34 centim. et large de 0,15 centim., dont les quatres faces étaient ornées de la manière suivante: première face, Junon debout, tenant de la main gauche le sceptre et de la droite une patère, à ses pieds le paon. Deuxième face, Minerve tournée un peu de côté était ornée du casque et d'une tunique longue et trainante, de la main gauche elle tenait la lance et de la droite le bouclier. Troisième face, Mercure orné du chlamis, (le petasus n'était plus reconnaissable), tenait sur le bras gauche le caducée et dans la main droite la bourse. Quatrième face, Hercule regardant vers la gauche tenait de la main droite la massue dont le gros bout reposait à terre devant son pied droit, de la gauche il soutenait la dépouille du lionGa naar voetnoot(1). On le voit, les exemples et les analogies ne manquent pas pour prouver que le culte réuni de Junon, Minerve et Hercule était assez en vogue dans nos contrées. Une autre observation que nous avons à faire sur l'autel de Kessel, concerne le lieu de la trouvaille. En Allemagne, en France et en Belgique on trouve fréquemment cachés, soit sous les fondements, soit dans le mur, soit dans l'église même, surtout sous les autels, des statues mutilées, des arae, des cippes, des pierres votives ou d'autres objets du culte payen de nos pères. Le même phénomène se voit dans nos environs. C'est ainsi qu'on découvrit il y a une dixaine d'années, le torse d'un dieu Mars sous les fondements de l'ancienne église de St.-Martin à Wyck, et trois pierres votives dans les murs de celle de Horne près de Ruremonde. On remarque encore aujourd'hui dans la façade orientale de l'église | |
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de St-Servais à Maestricht le fragment d'un bas relief payen, et à Guichoven, dans la tour, une tête de divinité. Dans le grand autel de l'église de Goyer (Jeuck) près de St.-Trond, existaient autrefois quatre inscriptions sur pierre de marbre relatant des ex voto en l'honneur d'HerculeGa naar voetnoot(1). Enfin à Nieukerk près de Venlo, eut lieu en 1865 une découverte pareille à celle de Kessel. On trouva muré dans l'autel principal de l'église un ancien autel romain contenant deux inscriptions superposées, l'une payenne, l'autre chrétienneGa naar voetnoot(2). Voici ce que nous pensons de ce phénomène. Nos pères dans la foi auront conservé ces objets dans leurs églises même après que l'ancien culte fut aboli; s'ils les cachaient sous l'autel, c'était pour marquer le triomphe du Christianisme sur le paganisme; s'ils les laissaient sous les yeux des fidèles, ils avaient soin de mutiler les peintures et les statues afin que personne, trompé par l'apparence, ne rendit un hommage religieux à un objet profane. Le village de Kessel situé sur le parcours de la Meuse et de la route militaire de Tongres à Nymègue, a été évidemment connu et habité par les Romains; son nom indique une origine latine. Nous supposons même qu'il a été un des nombreux passages fortifiés de la Meuse dont parlent les historiens de l'antiquité. Kessel quoique situé dans une contrée entièrement plate et exempte de collines, forme lui-même une éminence qui est à l'abri des inondations de la Meuse. A côté de l'église se trouve l'antique chateau de ce nom placé sur une espèce de montagne conique ayant une hauteur d'environ trente mètres; c'est une motte de terre qui a toutes les apparences d'être artificielle. On y trouve en creusant le sol | |
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des murs en forme de terrasses de quatre à cinq pieds de hauteur et dont le seul but est de soutenir la terre légère et friable dont le cône est composé. Le chateau lui-même est un échantillon précieux de fortification militaire du moyen âge. Tel qu'il existait primitivement il était rond; il le serait encore si l'on supprimait deux ailes ou tours carrées, situées à l'est et qui ont tout le caractère d'une architecture moins ancienne. Kessel fut dans le moyen àge une seigneurie importante comprenant dix-huit villages et s'étendant entre le pays de Cuyck, la Meuse, le pays de Horne et le grand marais de Peel. Les seigneurs portaient le titre de comte; le premier comte de Kessel dont l'histoire fasse mention est Henri qui, avec l'archevêque de Cologne, le duc de Limbourg, Henri comte de Zutphen et autres seigneurs, se ligua contre l'empereur Henri V, en 1114, et qui dans la bataille d'Andernach, fut écrasé par les chevaux de sa propre troupe. Nous remarquons que les chef-lieux des duchés, comtés ou seigneuries ont succédé souvent à des établissements militaires du haut et du bas empire. Dans le village de Kessel on a, à plusieurs reprises, rencontré des antiquités romaines. Nous avons ailleurs signalé ces découvertesGa naar voetnoot(1). Ajoutons ici qu'on trouve fréquemment des médailles romaines dans un champ carré entouré de fossés, nommé De Keeskamer, et qu'on a découvert des poteries dans une espèce de tumulus appelé le KonynsberghGa naar voetnoot(2). Plusieurs auteurs modernes pensent que Ptolomée et Ammien Marcellin ont fait mention de Kessel dans leurs livres. En effet le géographe Ptolomée, qui fleurit à Alexandrie vers le second siècle de l'ère chrétienne, après avoir parlé | |
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des Morini et des Ambiani de la Belgique, mentionne les Menapii et leur cité, castellum, qu'il place près de la Meuse. Si ce passage s'applique effectivement à Kessel, le mot polis, (ville) employé par l'auteur, doit s'entendre dans un sens assez large, car le chateau de Kessel n'a pu être entouré à l'époque romaine que de quelques rares maisonsGa naar voetnoot(1). Les anciens vestiges y sont trop peu nombreux pour penser à l'emplacement d'une véritable ville. Le centre actuel de la commune qui entoure l'église et le chateau, ne compte que 370 habitants. Passons à la seconde mention L'historien romain, Ammien Marcellin, raconte, sous le règne de Julien l'apostat, vers l'année 357, le siége mémorable d'une place forte située sur les bords de la Meuse, et que plusieurs historiens modernes, comme Knippenbergh, Slichtenhorst, d'Anville, Wolters etc. croient être le bourg de Kessel sur la Meuse. Mais nous pensons qu'ils ont tort et qu'ils se sont fait induire en erreur par le mot Castellum qui se trouve dans quelques éditions peu exactes d'Ammien et qui peut se prendre également comme nom propre et comme nom générique. Du texte de l'auteur il résulte clairement qu'il s'agit ici de deux forteresses et que la route suivie pour le général Sévérus n'était pas celle de Kessel, mais bien celle de Juliers et Tongres vers Reims. Or sur cette route nous rencontrons la double forteresse de Maestricht, bâtie sur les deux bouts du pont de la Meuse. C'était un point stratégique capital, où se vérifie à la lettre le recit jusqu'ici un peu obscur d'Ammien MarcellinGa naar voetnoot(2). Au reste nous parlerons plus au long de ce siège dans nos notes sur les découvertes d'antiquités faites à Maestricht. | |
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Si donc le témoignage des auteurs anciens concernant Kessel reste douteux, si son antique château ne présente plus aucun caractère romain, les antiquités qu'on y découvre, et surtout l'autel que nous venons de décrire lui attribuent suffisamment une existence seize fois séculaire. Notre ara est un souvenir monumental qui nous fait supposer à bon droit, que ce village a eu son temple payen avant d'avoir eu son église catholique, son autel à Junon, Minerve et Hercule avant d'avoir eu son autel au vrai Dieu du ciel. L'un peut avoir succédé à l'autre sur le même coin de terre. Il serait donc bien regrettable que l'autel de Kessel, soigneusement conservé par nos aïeux, allât se perdre dans une collection particulière ou dans un musée. Ces monuments n'ont de valeur réelle que sur le lieu même où ils ont été érigés primitivement. Eloignez-les de là et vous n'aurez qu'un objet de curiosité archéologique. Nous exprimons donc le voeu, que M. Cuypers, l'architecte habile de la nouvelle église de Kessel, fasse encadrer ce curieux souvenir du paganisme dans le mur extérieur de l'église, dans un contre-fort par exemple, en y ajoutant une inscription commémorative, rappelant le lieu et la date de la trouvaille. C'est la coutume adoptée pour ces sortes de choses en France, par la Commission impériale des monuments.
Jos. Habets. |
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