Publications de la Société Historique et Archéologique dans le duché de Limbourg. Deel 7
(1870)– [tijdschrift] Jaarboek van Limburgs Geschied- en Oudheidkundig Genootschap– Auteursrechtvrij
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CACHET D'OCULISTE ROMAIN TROUVÉ À HEERLEN.
Fig. I. AUTEL ROMAIN TROUVÉ À KESSEL.
Fig. II. Fig. I grandeur naturelle; Fig. II au 15me. | |
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Notice archéologique sur un cachet d'oculiste romain trouvé a Heerlen.Nous avons publié il y a trois ans sur le cachet de Heerlen un petit travail qui a vu le jour dans le Bulletin des commissions royales d'archéologie de BelgiqueGa naar voetnoot(1). Des notices sur le même objet ont paru depuis dans la Revue archéologique de ParisGa naar voetnoot(2), dans les Annales d'oculistique de BruxellesGa naar voetnoot(3), dans les Annales archéologiques de BonnGa naar voetnoot(4), et dans le Bulletino dell instituto di correspondenza archeologica de RomeGa naar voetnoot(5). Si nous reprenons aujourd'hui notre article de 1867, c'est que nous voulons profiter de quelques unes des observations émises par ces savantes revues et en même temps faire connaître plus amplement à nos confrères du Limbourg une des découvertes archéologiques les plus curieuses de notre province. | |
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Disons d'abord un mot du lieu de la découverte; notre petit monument aura de cette manière son certificat d'origine et gagnera en valeur aux yeux des savants. Ayant fait au mois de septembre 1866 une excursion dans le village de Heerlen, pour y reconnaître le tracé de la chaussée romaine de Tongres à Juliers par Coriovallum, un de nos amis nous signala dans la partie du village qui se trouve du côté de Maestricht et que l'on nomme het Dodelager, des restes nombreux de substructions belgoromaines. Les fragments de tuiles et de poterie, les tronçons de murs construits avec la pierre calcaire de Kunrade et reliés avec du ciment, se rencontrent à profusion dans les prairies, les jardins et derrière les maisons qui longent, vers l'est, la chaussée de Maestricht jusqu'au point où cette chaussée fait sa jonction avec celle d'Aix-la-Chapelle à Sittard. Les ruelles de Ulengats, Crutzergats et Rossergats, qui traversent et entourent ce terrain en partie, ont l'air d'avoir été des fossés de circonvallation. Ce sont des excavations du sol qui autrefois ont contenu de l'eau et dont l'un des bords est muni de maçonneries. Nous trouvâmes dans le Crutsergatz les vestiges d'un mur de structure romaine, que nous avons pu suivre sur la longueur de cent-trente-cinq mêtres; il était composé de pierres de Kunrade, liées avec du mortier. Vers l'année 1846, M. Rosen construisit sur ce terrain un moulin à vapeur et mit à découvert entre autres curiosités, des monnaies de Hadrien, Faustine la mère, Constantin et Constant-Chlore, un style à écrire et deux plats en terre de Samos, l'un avec le sigle cres, qui a été également trouvé à Limoges et à Poitiers en France, et l'autre avec la marque Xanthi, qu'on à également trouvée en FranceGa naar voetnoot(1) | |
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Nous entrâmes ensuite dans le jardin de M. Lammeritz, situé dans le même enclos vis-à-vis du moulin à vapeur de M. Jaegers, où le propriétaire eut l'obligeance de nous indiquer l'emplacement d'autres bâtiments belgo-romains, et nous affirma qu'il y a quelques années (1860), en nivelant le sol du jardin, il avait trouvé tout le terrain sillonné de substructions antiques; qu'il avait enlevé plus de deux cents charretées de pierres à bâtir; que les murs des fondations étaient, en quelques endroits, entourés de gravier et de terre glaise, et qu'il y avait exhumé une grande quantité de tessons, de vases rouges et blancs. Il nous montra ensuite quelques objets ramassés dans le déblai et qu'il avait conservés. Nous y remarquâmes des vases en terre samienne, deux lagènes, les fragments d'un très-grand dolium et vingt-sept monnaies romaines que M. le notaire Dumoulin, numismate à Maastricht, a déterminées comme suit: ‘dix-neuf tout à fait indéchiffrables, sept appartenant aux règnes de Néron, Trajan et Vespasien, dans un état très-fruste; une seule, un petit bronze de Constant II (335-350), est d'une conservation médiocre. Leur état usé constate une longue circulation et un enfouissement séculaire.’ Ce qui attira surtout notre attention fut un petit objet en pierre que nous allons décrire et que son possesseur, d'après d'autres visiteurs, avait pris pour une amulette, probablement à cause de sa ressemblance avec ces instruments de la superstition romaine. Il est d'un schiste ardoisier, bleu foncé, du genre des pierres à repasser les outils, connues dans le pays sous le nom de slypsteen, schiste qui provient des environs de Trèves. A l'un des angles, qui est cassé, ou distingue les feuilles parallèles de ses couches. La pierre est plate et carrée, ayant une largeur de 45 millimètres sur une épaisseur de 9 millimètres sur ses | |
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tranches. A en juger par sa surface, devenue lisse par le frottement, on voit qu'elle a été fréquemment employée. Son poids est de 42 grammes, et d'un côté, vers le milieu, elle est pourvue d'une fossette. Ses faces verticales sont revêtues d'inscriptions en creux. Quand on tient la pierre entre les doigts de la main gauche et qu'on la fait tourner de droite à gauche, on remarque que les inscriptions se contrarient, en ce sens que les caractères en sont droits sur la première tranche et la troisième, et renversés sur la seconde et la quatrième. Elles sont donc disposées dans le même sens sur les côtés qui se font face respectivement. La fig. No 1 de la planche ci-jointe nous fera connaître exactement la forme et la grandeur du cachet ainsi que la forme et la disposition des caractères qui le décorent. Un éclat de la pierre qui, lors de la découverte, s'est détaché sous un coup de bêche, a enlevé une partie du haut des lettres LIVNIMAC (rétr.) sur une des faces et le bas des lettres DIAZ (rétr.) sur une autre. Nous les avons restituées d'après les autres inscriptions et à l'aide de ce qui en reste. Ces quatre inscriptions sont assez difficiles à lire dans l'état où nous les présentons ici; mais, les ayant imprimées dans de la cire à cacheter, nous remerquâmes que nous avions affaire, non pas à une amulette, mais à un sceau destiné à produire des empreintes directes à l'aide de caractères renversés comme ceux de nos types d'imprimerie et de nos cachets. En plaçant le pouce de la main droite dans la fossette décrite plus haut, nous imprimâmes en lettres onciales, très-élégantes et dans leur position droite et naturelle, les quatre inscriptions suivantes qui se rapportent à l'oculistique comme d'autres pierres sigillaires trouvées ailleurs: | |
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L. IVNIMACRIN Les cachets d'oculistes étaient peu connus dans le siècle passé. Quand on trouva à Nimègue celui de Marcus Ulpius Heracles, le savant Cuperus en envoya des empreintes au linguiste Nicolas Heinsius, en remarquant que l'explication des inscriptions était au-dessus de sa capacité. Heinsius, de son côté, fut forcé de déclarer qu'il y perdait son latin, mais il crut utile de demander du temps pour réfléchirGa naar voetnoot(1). De même, l'estimable archéologue Smetius déclarait ne rien connaître, ni de l'usage, ni de l'inscription de ces pierresGa naar voetnoot(2). Enfin un Français, Jacques SponGa naar voetnoot(3), médecin à Lyon, fit un premier pas en avant en émettant l'avis que ces objets avaient pu servir à imprimer des étiquettes sur les pots dans lesquels les médecins romains et grecs conservaient leurs baumes et leurs onguents, ce qui lui apparaissait assez clairement par le nom des médecins et les indications des médicaments inscrits sur les tranches des cachets. | |
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Depuis cette époque, la découverte d'autres pierres sigillaires a facilité la lecture de ces petits monuments de l'antiquité. Les savants qui ont le mieux traité ce genre de littérature sont: Anne-Claude-Philippe de Tubières, comte de CaylusGa naar voetnoot(1), Jean-Ern. Imm. Walchius de IënaGa naar voetnoot(2), le professeur Christophe SaxiusGa naar voetnoot(3) et, de nos jours, le savant docteur J. Sichel, de Paris, qui, dans une publication récente, affirme qu'il est parvenu à connaître cent deux cachets d'oculistesGa naar voetnoot(4). Voici comment, d'apès le dernier travail de M. Sichel, un archéologue belge, caractérise les pierres sigillaires en généralGa naar voetnoot(5). ‘Ces pierres, découvertes au milieu des débris | |
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d'origine romaine, tant en France qu'en Angleterre, indiquent le plus souvent le nom de l'oculiste et la nature du collyre qu'il employait dans certaines maladies des yeux et qu'il débitait lui-même. Leurs tranches portent des inscriptions en lettres gravées à rebours qui leur donnent le caractère de cachets ou d'estampilles. Ces pierres semblent avoir quelquefois changé de propriétaire, soit par héritage ou succession, soit par transaction ou cession de clientèle, comme nous le dirions aujourd'hui, soit enfin par l'association entre plusieurs oculistes. ‘La forme des légendes subit plus ou moins l'influence du caprice, du savoir-faire et même du charlatanisme des oculistes; quant à leur orthographe, elle se ressent de l'ignorance des graveurs, rarement romains et généralement peu familiarisés avec la langue latine, quelquefois peut-être aussi du peu d'instruction des oculistes eux-mêmes. D'après ces pierres, on voit que les médecins oculistes romains étaient le plus souvent des affranchis. Ils suivaient d'ordinaire les stations militaires romaines de la Germanie, de la Gaule, de la Belgique et de la Bretagne, stations près desquelles ont été rencontrés les cachets d'oculistes jusqu'ici connus, dont pas un n'a été trouvé d'une manière certaíne en ItalieGa naar voetnoot(1). Ces pierres sigillaires ne semblent pas remonter au delà du iie siècle de l'ère chrétienne, ni descendre en deçà du iiie, à en juger d'après la forme des caractères de leurs inscriptions et la nature des médailles trouvées | |
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simultanément avec ces pierres dans les mêmes localités et dans les mêmes fouillesGa naar voetnoot(1). ‘Les collyres des anciens étaient des pommades ou des onguents qui, à l'état frais, avaient la consistance d'une pâte molle, qu'on façonnait en bàtonnets ou petits pains, comme nos savons et nos pâtes pectorales d'aujourd'hui. C'est sur l'une des faces de ces bâtonnets en pâte encore molle que les inscriptions des pierres sigillaires étaient imprimées pour leur servir d'étiquette ou d'estampille. On a découvert, il y a quelques années à Reims, des fragments de collyres secs avec un cachet d'oculiste et une collection de dix-huit instruments de chirurgie en bronze et de formes semblables aux mêmes instruments de nos jours. Ces collyres secs ont été analysés chimiquement et l'on a remarqué dans leur composition la présence de plomb en quantité très forte, celle du fer et du cuivre, en un mot, des astringents qu'aujourd'hui on emploie très-fréquemment dans les traitements des maladies des yeux.’ Ajoutons à ces détails que les cachets de médecins oculistes sont au nombre des objets les plus précieux pour l'étude des moeurs antiques; la philologie, l'archéologie, la science médicale et les beaux-arts s'y rencontrent souvent dans le même objet. Ils ne forment pas seulement des curiosités de cabinet, mais sont en même temps des documents historiques d'une importance réelle. En les étudiant de près, dit M. Tôchon d'Anneci, on a vraiment lieu de s'étonner que ces empreintes n'aient pas révélé aux anciens l'art typographiqueGa naar voetnoot(2). C'est une observation que suggère aussi à Comarmond l'étude des cachets à l'aide desquels les potiers imprimaient leurs noms sur leurs produitsGa naar voetnoot(3). | |
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Comme nous venons de le voir, les pierres sigillaires fourmillent ordinairement de fautes commises, soit par l'ignorance ou l'incurie du graveur, soit par l'oculiste luimême; celle de Heerlen fait donc exception à la règle; elle est d'une orthographe assez correcte et d'une exécution parfaite; la forme des lettres bien soignée et d'égale gran deur nous rappelle les inscriptions de la bonne époque du Haut-Empire. La seule observation que nous ayons à faire est que le graveur écrit dialepido pour dialepidos; mais le champ était trop chargé pour contenir encore la lettre s; ensuite diazmyrnes pour diazmyrnes, ce qui ce rencontre, du reste, assez souvent. Le possesseur de la pierre de Heerlen s'appelait Lucius Junius Macrinus. Comme la plupart des oculistes romains, il était probablement un affranchi (libertus). On sait que les Romains aimaient à donner aux esclaves des noms puisés dans leurs qualités, leurs talents, leur profession, leur patrie, leur âge, ou même dans un simple caprice du maître; en les affranchissant on leur laissait ce nom (nomen servile), comme surnom (cognomen), on y ajoutait le nom de la famille de leur maître (nomen gentis), et son propre prénom (praenomen). C'est ainsi que Lucius Junius Macrinus, qui portait le prénom de Lucius, a été probablement un affranchi de la famille romaine Junia et s'était acquis pendant le servage le nom de Macrin (macer, le maigre) à cause de sa frêle statureGa naar voetnoot(1). A l'appui de l'idée plusieurs fois émise par M. Sichel, que les oculistes romains étaient en général des affranchis, cet auteur cite | |
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plusieurs inscriptions tumulaires, où les oculistes sont appelés libertiGa naar voetnoot(1). Nous lisons donc l'inscription de la première tranche de notre cachet comme suit: 1. L(vcii) IVNI(i) MACRIN(i) (collyrivm) LENE Collyre doux de Lucius Junius Macrinus. La pierre sigillaire de Selongey donne à sa troisième face: m. mes. orgili len. hygia ad imp. lippGa naar voetnoot(2), médecine douce contre l'irruption de la chassie; on peut donc considérer lene dans ce collyre comme un équivalent de lene medicamentum. On a même cru voir l'abréviation de medicamentum dans la lettre m du mot lenem, qui sans cela se trouverait incorrectement sur les deux sceaux suivants: pierre de Paris (decimi) flaviani ...m lenem ad (asprit) udinem oculo(rum)Ga naar voetnoot(3); autre pierre de Paris, lenem ad impe(tum lippitudinis)Ga naar voetnoot(4); c'est au moins l'interprétation de Tôchon d'AnneciGa naar voetnoot(5). La pierre du Ravensbosch près de Maestricht porte c(aii) luccii alexandri lene ad omnem lippitudine (m)Ga naar voetnoot(6). La pierre de Honfleur présente même plusieurs leneGa naar voetnoot(7): t. ivli. victoris || lene somnvs... Il y a des cachets qui recommandent le lene penicillum. C'est ainsi que le cachet de l'oculiste Phronimus, trouvé à | |
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JenaGa naar voetnoot(1), a: phronimi penicil ad omnem lippit., et celui de Nais, ivni tavri penicillem ad omnem lippit.Ga naar voetnoot(2); un cachet publié par M. Sichel a: M.I. Satyri penicil. lene ex ovo. Le penecillum, dit M. SichelGa naar voetnoot(3), était un plumasseau ou pinceau de charpie, dont on se servait pour laver les yeux, les essuyer et y introduire des liquides adoucissants ou même des collyres. Quant à notre oculiste de Heerlen, il n'indique pas un qualificatif déterminant son lene de plus près; celui-ci était un collyre doux ou calmant quelconque. 2. L (vcii) IVNI (i) MACRIN (i) (collyrivm) DELACRIMATOR (ivm) Collyre de Lucius Junius Macrinus, propre à faire couler les larmes ou excitant le larmoiement. Ayant observé, dit M. Sichel, qu'un abondant flux de larmes, dans certaines affections oculaires, soulageait beaucoup les malades et éclaircissait la vue, les anciens employaient beaucoup les collyres qui excitent le larmoiement et qu'ils appelaient pour cela delacrymatoriaGa naar voetnoot(4). Marcel l'Empirique (cap. viii), qui donne la formule d'un collyrium delacrymatorium, ajoute: ‘Oculos (collyrio) superlines ut modicum ingrediatur eos, et delacryment... Medicamentum suffricatur in oculo ad delacrymationemGa naar voetnoot(5).’ Pline affirme à son tour: ‘Capnos fruticosa claritatem fecit inunctis oculis delacrymationemque ceu fumus, unde nomenGa naar voetnoot(6).’ Nous lisons notre collyre sur les cachets suivants: pierre de Besançon, l. sacci menandri melinvm delac(rymatorivm) | |
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et l. sacci menandri thalasseros delac (rymatorivm)Ga naar voetnoot(1); pierre de Nais, q. ivn(ii) tavri stactvm delacrim(atorivm)Ga naar voetnoot(2). Le collyre delacrimatorium de la pierre de Heerlen était donc destiné à favoriser le flux des larmes, afin de porter par là un soulagement à l'oeil malade. 3. L(vcii) IVNI(i) MACRIN(i) (collyrivm) DIAZMYRNES. Collyre de Lucius Junius Macrinus, composé avec de la myrrhe. Ce collyre s'appelle indifféremment diasmyrnes, diazmyrnes, diasmyrnon ou diasmyrnum. Remarquons en passant que sur notre pierre se trouve le Z pour le S et que la lettre E est accolée à la lettre N. La myrrhe, qui forme le principal ingrédient de ce collyre, est une gommerésine qui croit sur les frontières de l'Arabie et de la Nubie Comme l'antique ville de Smyrne faisait un commerce actif de la myrrhe, les Grecs ont appelé ce baume Smyrne du nom de cette ville. La myrrhe se vend en larmes sousdiaphanes, lisses et rougeâtres, extérieurement vitreuses et comme huileuses dans leur cassure; l'odeur en est forte et peu agréable, la saveur acre. Sous le rapport historique, la myrrhe est célèbre. Elle a été employée par tous les médecins marquants de l'antiquité; c'est un excitant tonique peu usité aujourd'hui. Le mot myrrhe vient de muron c'est-à-dire parfum par excellence. Elle a été offerte avec l'or et l'encens au Sauveur des hommes par les mages de l'Orient. Le collyre diasmyrnes, ainsi que tous les baumes de l'Arabie et de la Judée, étaient des remèdes réputés fort précieux par les anciens à cause de leur rareté et de leur prix élevéGa naar voetnoot(3). Tous les écrivains anciens qui ont traité de l'art médical: Scribonius Largus, Aétius, Paul d'Egine, Galien, ont parlé | |
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du collyre diasmyrnes. Voici ce qu'en dit le dernierGa naar voetnoot(1): ‘Quando pus quod in oculis est digerere placet, collyriis quae myrrham habent maxime utemur: quae utique et diasmyrna graece proprie vocant.’ Nombreux sont les collyres de cette espèce sur les pierres sigillaires. La pierre de LyonGa naar voetnoot(2), c. cintvs blandi diasmyrnae; la pierre de St.-MarcoulfGa naar voetnoot(3), q. caer quintiliani diasmyrn; la deuxième pierre de ReimsGa naar voetnoot(4) c(aii) rv(brii) pletini diasmyrn(es) post (i)mpet(vm); la troisième pierre de ReimsGa naar voetnoot(5), g(aii) firm(ii) sever(i) diasmy(rnes); la pierre de MetzGa naar voetnoot(6), l.p. villani diasmyrn(es) post i(m) p(etvm) l(ippitvdinis); la pierre de CesseyGa naar voetnoot(7), c cl primi. diasmyrnes post impet lippitvd; la pierre de NaisGa naar voetnoot(8), q icvn.tavri diasmyrn post. impet. lippit; l'autre pierre de NaisGa naar voetnoot(9), ivni tavri diasmyrnes post impetvm lippitv; la pierre de JenaGa naar voetnoot(10), phronimi diasmyrn. post impe. lip ex ov(o); la pierre d'AmiensGa naar voetnoot(11), marcellini diasmyrnes post (impetvm); la pierre de VienneGa naar voetnoot(12), pheli facilis diasmvrnes post impetvm drom. Le post impetum des pierres sigillaires correspond parfaitement à la définition de Galien que nous venons de citer; le collyre diasmyrnes servait donc après que la première violence de l'ophthalmie était passée, qu'elle était déjà sur son déclin, ou accompagnée de sécrétions muqueuses. 4. L (vcii) IVNI (i) MACRIN (i) | |
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CROC (odes) DIALEPIDO (s). Collyre de Lucius Junius Macrinus, préparé avec du safran et de la squamme de cuivre Le safran est une plante tubéreuse originaire de l'Orient, mais qui croit aussi en Europe. La vertu de cette plante était connue des anciens; Homère en parle dans l'Iliade sous le nom de Krokos. Dès cette époque, elle était employée comme remède, comme parfum et comme teinture. Notre mot safran vient de Asfur, mot arabe qui signifie jaune et crocus du mot grec Kroké filament. En Italie, le safran était en honneur dans les jardins; c'est Virgile qui nous l'apprend dans ces vers: Invitent croceis halantes floribus horti. Le mot crocodes est employé par GalienGa naar voetnoot(1) et figure comme collyre spécial sur les cachets suivants: Pierre de Ravensbosch (Maestricht)Ga naar voetnoot(2), c(aii) lvcci alexandri crocodes at aspritvdines; la pierre de St.-MarcoulfGa naar voetnoot(3), quintiliani crocod.; la pierre de NaisGa naar voetnoot(4), ivni tavri crocod(es) paccian(vm) ad cicat(rices), et ivni tavri crocod. damisus ad diathesis et re; la pierre de Vienne en DauphinéGa naar voetnoot(5), pheli facilis crocodes. ad aspritudinem; la cinquième pierre de BavayGa naar voetnoot(6), romani crocodes ad asp(ritudinem); la troisième pierre de NimesGa naar voetnoot(7) munati.taciti.cro(codes); la pierre de Besançon, i. docilae crocodes diamyseos ad (cicatrices). Différents passages de Celse, Paul d'Egine, Aétius, Pline, etc., parlent formellement de collyres extraits de crocus | |
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et propres à combattre le commencement de la chassie et les granulations de la conjonctivite palpébrale. L'emploi du mot dialepidos pour distinguer un collyre spécial se trouve sur la pierre de LillebonneGa naar voetnoot(1), tib. ivl. clari dialepid. ad asprit; sur la pierre de NaisGa naar voetnoot(2), l. ivni phileni dialepidos ad asp. et cicat.; sur la pierre de St.-MarcoulfGa naar voetnoot(3), quintiliani dialepid.; sur la pierre de MetzGa naar voetnoot(4), l.p. villani.dialepid(os) ad as(pritudinem), et sur celle du Ravensbosch (Maestricht)Ga naar voetnoot(5), c lucci alexandri dialepidos ad aspritvdine(m). Enfin le dialepidos a été décrit comme collyre spécial par Marcellus EmpiricusGa naar voetnoot(6). M. Sichel croit qu'il avait pour ingrédient principal la squamme lepis, qui était constituée par les paillettes ou battitures de cuivre formées en partie par de l'oxyde, en partie par du cuivre métallique qui peut s'oxyder par son contact avec les autres ingrédients du collyreGa naar voetnoot(7). La réunion bien formelle du crocodes et du dialepidos se trouve dans deux formules analogues à la nôtre. La pierre de NaisGa naar voetnoot(8) porte, d'après la restitution que propose Tôchon par analogie des autres tranches: iuni tauri croco dialep ad cicatric et scabrit; la première pierre de MandeureGa naar voetnoot(9) hypni crocod(es) dialepid(os) ad aspri(tudines). Il est à remarquer que si la pierre de St.-Marcoulf donne séparément le dialepidos et le crocodes, il en est de même du cachet dit du Ravensbosch (Maestricht). Celui-ci indique pour la même maladie (ad aspritudinem) les deux remèdes; il était donc naturel, comme pour la pierre de | |
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Mandeure, de combiner les deux collyres sur la même recette, d'où nous inférons que le crocodes dialepidos de la quatrième tranche de la pierre de Heerlen est probablement lui-même un remède ad aspritudinem. L'aspritudo est la sécheresse ou la rudesse de l'intérieur des paupières causée par l'obstruction des glandes qui le tapissent et qui doivent fournir l'humeur destinée à lubrifier le globe de l'oeil et en faciliter le mouvement. Cependant ce n'était pas le seul effet du dialepidos safrané, il servait aussi, d'après la pierre de Nais, ad cicatrices, ce qui était une affection de l'iris: ‘cicatrix, dit GalienGa naar voetnoot(1), affectus iridis oculorum.’ Somme toute, nous pensons que le remède indiqué sur la quatrième tranche du cachet de Heerlen contient un collyre composé de safran mêlé de battiture de cuivre, qui, parmi d'autres fins, était destiné à guérir la sécheresse des paupières. Après avoir décrit la pierre de Heerlen M. Warlomont se pose la question, si ces quatre légendes sont destinées à désigner quatre collyres différents ou deux seulement. ‘Dans la dernière hypothèse - dit-il - le mot delacrimatorium caractériserait le collyrium crocodes dialepidos inscrit sur le coté opposé et dans le même sens que lui. Un collyre où entre la squamme de cuivre dialepidos est bien propre à faire pleurer, delacrimatorium. Le mot lene s'appliquerait de même au collyrium diazmyrnes qui lui fait face de la même manière, Les collyres qui s'emploient comme on le faisait du diazmyrnes “ad impetum lippitudinis” pour combattre la première attaque de l'ophtalmie avant qu'il soit survenu de sécrétion muqueuse, | |
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étant en général plus doux (lene) qu'irritants, cette hypothèse pourrait se soutenir.’ Toutefois nous croyons avec M. Sichel, l'homme de notre époque le plus expérimenté dans cette matière, que cette explication n'est pas plausible. Dans le courant de ces remarques, on a pu constater que nous avons cité une autre pierre d'oculiste trouvée dans les environs de MaestrichtGa naar voetnoot(1). Comme entre tous les cachets que nous connaissons, celui-ci présente le plus d'analogie avec le nôtre, nous en dirons un mot. Le cachet dit du Ravensbosch fut trouvé vers l'année 1770 dans le bois domanial des anciens sires de Fauquemont, près de la petite ville de ce nom, sur un terrain aliéné par les États-Généraux de la Hollande, et mis en friche par MM. Adrien-Louis Pélerin, échevin de Maestricht, et Jean Van Dyck, ministre calviniste à Fauquemont. C'était un malachite de forme carrée, de couleur cendrée, orné de petits points verts; il mesurait soixante-trois millimètres sur une épaisseur de huit millimètres. Les deux faces planes de cette table étaient lisses, et sur les quatre tranches étaient gravées en creux les étiquettes suivantes: CLVCCI ALEXANDRI.DIAL | |
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Voici comment nous lisons ces inscriptions: 1.) Caii Lucii Alexandri dialepidos ad aspritudinem (emendandam.) Collyre à squamme de cuivre contre la sécheresse des yeux, par Cajus Lucius Alexandre. 2.) Caii Lucii Alexandri lene ad omnem lippitudinem (sanandum). Collyre doux contre toute sorte d'ophtalmie, par Cajus Lucius Alexandre, 3.) Caii Lucii Alexandri ad caligines et scabritias omnes (dispellendas). Collyre général contre la diminution de la lumière, les granulations et les inégalités des paupières, par Cajus Lucius Alexandre. Remarquons en passant que dans cette troisième légende le premier I de scabritias est accolé à la lettre T en forme de croix. 4.) Caii Lucii Alexandri crocodes ad aspritudines (sanandas). Collyre safrané contre la sécheresse des yeux, par Cajus Lucius Alexandre. Le professeur Saxius qui le premier a édité la pierre du Ravensbosch, suppose, mais sans en fournir de preuves, que notre esculape Alexandre a pu être chirurgien dans une des cohortes de Labeo, qui furent battues dans les environs de Maestricht, par Claudius CivilisGa naar voetnoot(1). Il place ainsi l'époque où florissait son oculiste vers la fin du premier siècle. En établissant un rapprochement entre le cachet découvert au bois de Ravensbosch et le nôtre, récemment trouvé dans le bourg de Heerlen, on remarquera que le médecin Cajus Lucius Alexandre, comme son confrère de Heerlen, a été un de ces nombreux affranchis qui ont cherché leurs moyens d'existence dans la profession médicale; ils ont résidé à deux lieues l'un de l'autre, près de la même route de Tongres à Cologne; les lieux où ils habitaient ont peut-être péri dans la même catastrophe. C'étaient des collègues | |
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ayant le même système médical: tous les deux vendaient le crocodes, le dialepidos et le lene. Le nôtre débitait en outre le diasmyrnes et le delacrymatorium. Ces collyres étaient probablement les remèdes le plus en vogue dans cette partie de la Belgique. Outre les cachets de Ravensbosch et de Heerlen deux autres pièrres ont été découvertes sur le sol actuel de la Neerlande; ce sont les deux cachets de l'oculiste Marcus Ulpius Heracles, qui furent trouvés dans le champ de Winsseling près de Nymègue. Voici leurs légendes. Premier cachet: MARCI VLPI HERA Second cachet: MVLPI HERACLETIS | |
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Les deux cachets de Nymègue, étant amplement connus et décrits, nous nous sommes bornés à citer leurs légendesGa naar voetnoot(1). Nous remarquons seulement que le Limbourg et la Gueldre, les deux provinces où nos cachets ont été trouvés, sont aussi les contrées où les traces de la domination romaine sont les plus nombreuses et les plus intéressantes. Après avoir décrit et expliqué suffisamment notre cachet, il nous reste à dire un dernier mot du village de Heerlen et de quelques autres de ses antiquités. Là où il y a eu des habitations, il faut qu'il y ait des cimetières. Or dans les environs des substructions du Dodelager on nous a fait connaître trois lieux de sépulture. C'est d'abord celui du Heersberg, à dix minutes vers l'est de l'église, près de l'ancienne route d'Aix-la-Chapelle. C'était autrefois un lieu de supplice. M. le docteur Jaegers nous montra les objets suivants qu'on y avait déterrés: un fragment de flacon carré en verre vert, une olla en terre grise, une patère en terre sigillée avec le sigle cassé de.) nivim, une coupe de la même matière pourvue d'ornements en reliefs, lobes et guirlandes, un pot à écailles de poisson, ainsi qu'une quantité de tessons moins remarquables. Le deuxième cimetière se trouve vers le nord du Dodelager le long du chemin dit Kempkesweg, l'un des six chemins qui se croisent au sortir du hameau de Geer. Ce lieu de sépulture fut découvert le 8 juin 1867, en élargissant la route près d'une pièce de terre de Mme VijgenGa naar voetnoot(2). | |
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Le propriétaire nous fit voir les objets suivants: une cruche en terre blanche, une petite assiette en terre samienne ornée de feuilles de lotus, une lampe, une petite fiole bursiforme en verre vert, des clous et un grand nombre de tessons. Le troisème cimetière fut découvert en 1856 près de la chaussée de Maestricht, au lieu nommé Het Welterhuiske. Un habitant du voisinage nous certifia qu'environ quarante objets furent mis au jour, et parmi ceux-ci des fioles carrées, des plats et des coupes en terre rouge. Le tout fut acheté par un antiquaire d'Aix-la-Chapelle. Le cimetière de Welterhuiske n'est éloigné qu'environ 500 pas de Dodelager. Les détails que nous venons de citer prouvent évidemment que le bourg actuel de Heerlen a été un poste important à l'époque romaine. Situé dans un endroit où l'ancienne route d'Aix-la Chapelle à Tudderen traverse la chaussée romaine de Tongres à Cologne, ce village servait probablement de station militaire à la chaussée consulaire. M. Ernst, le savant historien du Limbourg, y place même la mansion de CoriovallumGa naar voetnoot(1). Or la plus grande partie des stations romaines et des postes militaires n'ont pas disparu avec la chute lente et insensible de l'empire romain, mais ont été peu à peu transformés en villages et en chateaux-forts du moyen âgeGa naar voetnoot(2). Et même quand le poste ou la station étaient consumés par les flammes, le Franc aimait à placer sa demeure à côté, à cause des bois dérodés, des routes praticables, des | |
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champs cultivés et des nombreux débris romains dont il utilisait les matériaux pour construire son chateau, son église et les huttes de ses leudes. Une transformation pareille n'est pas impossible à Heerlen. Ce village, un des plus importants de la province, sous le rapport de sa population et de son étendue, est connu diplomatiquement dans l'histoire depuis le XIIme siècle. L'église paroissiale est dédiée à Saint Pancrace, un des Saints de la fin du troisième siècle, dont la fête est célébrée le 12 Mai. Ce jeune martyr de quatorze ans eut la tête tranchée à Rome, sous le règne de l'empereur Dioclétien. L'étendue territoriale de Heerlen ainsi que le patronage d'un Saint de la primitive église nous font supposer à bon droit, que la paroisse est fort ancienne, des plus anciennes peut-être du diocèse de Ruremonde. Au moyen âge l'église, le cimetière et l'ancien chateau du village se trouvaient dans un enclos fortifié et entouré de fosses à eau qui existent encore. En temps de guerre, chaque propriétaire du bourg avait son logement dans ce lieu cloturé. Il y avait des chambres pour les habitants, audessus de l'église, dans le clocher et au chateau. Ce droit de refuge passait de père en fils. Il est donc a présumer qu'avant le chateau-fort il y avait à Heerlen un praesidium romain, un poste militaire fortifié. Le nom lui-même de Heerlen suppose une origine militaire, car Herloe ou Herle, comme ce village est nommé dans les chartes et les chroniques du moyen âgeGa naar voetnoot(1), signifie, d'après les interprétations les plus probables, forêt dérodée par l'armée, comme le nom des communes limbourgeoises de Tongerloo et Tessenderloo, signifient défrichement forestier opéré par les Tongres et les Toxandres. Le | |
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lieu de la trouvaille de notre sceau, qui est à peine éloigné de deux cents pas de l'église, s'appelle Het Dodelager, corruption de Het Oudeleger, le vieux camp, ou simplement Dodelager, camp des tués, champ des morts. Mais qui plus est, le centre du bourg de Heerlen est le lieu où l'on rencontre le plus de monnaies romaines de tout le Limbourg et peut-être de toute la Hollande. M. le professeur Quix raconte, dans son Histoire de l'abbaye de BorcetteGa naar voetnoot(1), qu'à Heerlen les monnaies romaines étaient de son temps si nombreuses, qu'elles servaient aux enfants qui jouaient dans les rues. M. Lammeritz, pour sa part, en trouva plus de cinquante dans le déblai de son jardin et M. le docteur Jaegers en conserve une grande quantité dans sa collection. Presque toutes ces monnaies sont fort-usées et portent les traces d'une longue circulation. Ce fait nous semble appuyer l'hypothèse d'un établissement militaire. C'étaient les soldats surtout qui apportaient la petite monnaie dans le pays et l'y perdaient de même. Le soldat romain avait pour salaire quotidien, sous J. César, 51 centimes de notre argent; 49 sous Auguste; 48 sous Tibère; 45 sous Néron; 44 sous Galba; 43 sous Othon; 44 sous Vitellius, Vespasien et Titus; et 57 sous Domitien. Cela expliquerait pourquoi le sol de Heerlen, qui semble avoir été occupé par les Romains jusqu'au temps de Constant II (335-350), recèle tant de monnaies romaines, surtout en cuivre. Si maintenant le vieux bourg de Heerlen a été un poste militaire comme nous venons de l'insinuer, nous soupçonnons avec quelque vraisemblance que Lucius Junius Macrinus a été un chirurgien militaire qui suivait les légions romaines dans les stations de la Gaule belgique et qui | |
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s'occupait spécialement de l'ophthalmie parmi les soldats de l'armée et les habitants des localités voisines, en se servant tantôt d'un collyre, tantôt d'un autre. Il aura perdu son cachet médical pendant qu'il était en garnison à Heerlen, peut-être dans une attaque. Quoi qu'il en soit, une chose est démontrée et cela suffit; son cachet a été perdu à Heerlen durant la domination romaine; il a été trouvé à plus d'un mètre sous le sol, au milieu des substructions d'une habitation de ce peuple, dans un terrain entremêlé de terre végétale et de débris antiques. Disons en finissant que le cachet de l'oculiste Macrin fut acquis par le gouvernement belge, et qu'il se trouve actuellement au musée royal d'antiquités à Bruxelles.
Jos. Habets. |
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