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Cinq reliquaires de l'église de St.-Servais à Maestricht.
M. l'avocat Ch. Thys, d'Anvers, si favorablement connu aux amateurs de l'art chrétien par sa belle description du trésor de N. Dame de Tongres, a bien voulu nous adresser les notes suivantes concernant quatre chefs-d'oeuvre de ciselure du moyen-àge, dûs selon toute probabilité à un artiste de Maestricht, et qui par un abus des plus détestables ont été vendus à un étranger.
Ce fut au nom du prince russe de Soltykoff que le beau retable de Venray, dont nous avons parlé dans nos Publications de l'année 1866, a quitté la province; c'est grâce à la bourse bien fournie de ce même antiquaire, que la ville de Maestricht a perdu quelques-uns de ses plus remarquables trésors.
Voici ce que M. Thys nous apprend sur les Reliquaires de Maestricht. ‘Je viens de lire dans un ouvrage intitulé: Histoire des arts industriels au moyen âge et à l'époque de la renaissance, par Jules Labarte, Paris 1864, tome 2, p. 224 la description de quatre Reliquaires du XIIe siècle, qui, après avoir, pendant six siècles, décoré l'autel de St-Servais, à Maestricht, ont été vendus au prince Soltykoff et sont passés, en 1861, dans la collection de M. Sellière de Paris. Ces remarquables objets qui figuraient dans le catalogue de la collection de ce prince, sous les nos 31bis, 32, 33 et 34, ont été adjugés, lors de la vente de la collection Soltykoff, moyennant 6250 francs: Je serais heureux si cette petite communication pouvait inspirer à MM. les membres du conseil de fabrique de St. Servais l'idée de racheter ces beaux spécimens de
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l'art Romano-byzantin. Voici la description qu'en donne M. Labarte: ‘L'église cathédrale de Maestricht, dédiée sous le vocable de Saint Servais, possédait un grand nombre de reliquaires du commencement du douzième siècle; ils ont été vendus, et plusieurs existaient dans la riche collection du prince Soltykoff. Nous signalerons d'abord quatre reliquaires qui servaient de décoration à l'autel de Saint Servais. Ils renfermaient les reliques de Saint Candide, de Saint Valentin, de Saint Monulfe et de Saint Gondulfe. La partie visible de ces reliquaires qui étaient encastrés dans l'autel, reproduit la forme d'un carré surmonté d'un pignon aigu, décoré de crêtes découpées à jour. C'est la reproduction de l'un des petits côtés d'un sarcophage rectangulaire à couvercle prismatique. L'imagination féconde des orfèvres de cette époque leur faisait déployer une variété étonnante dans leurs oeuvres; aussi ces reliquaires, semblables par la forme, comme l'exigeait leur position sur l'autel, diffèrent quant à l'ornementation. Dans celui de Saint Candide, la figure assise s'élève jusque dans le pignon; elle est entourée d'une riche bordure d'émail, et l'archivolte sous laquelle elle est placée, est décorée d'un ornement qui se détache en or sur un fond de vernis brun, sorte de peinture sur métal, particulière à l'orfèvrerie allemande de la fin du XIe siècle et du XIIe. Dans celui de Saint-Gondulfe, la demi-figure du Saint-Evêque occupe le pignon, et la partie quadrangulaire est remplie par le bel émail en cinq parties que nous avons reproduit dans la planche CVII de notre Album. Deux anges
gravés avec finesse sur le fond doré complètent la décoration de cette partie. Dans les deux autres, la figure des Saints Evêques sortant de leur tombeau occupe le bas de la
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partie carrée, et, dans le haut, des anges sont prêts à les recevoir pour les conduire dans la demeure des bienheureux; dans le pignon, c'est la main de Dieu qui tient une couronne. Si dans les deux premiers reliquaires l'idée est la même, les poses et les ornements diffèrent essentiellement. Ces reliquaires ont du être exécutés dans les premières années du XIIe siècle.’
Voici ce que dit le même auteur, de ces Reliquaires à la page 458 du tome 4me et dans la note explicative qui accompagne la planche CVII.
‘6o Le médaillon central du reliquaire de Saint Gondulfe, qui provient de l'église Saint-Servais de Maestricht. On remarquera que les carnations seules sont gravées sur le cuivre et niellées d'émail, que tout le surplus des figures est en émail, et qu'au [m]oyen de la juxtaposition de nuances plus ou moins foncées, l'émailleur est arrivé à obtenir un modèle assez satisfaisant.’
Explication de la planche CVII.
‘Emaillerie. Médaillon central d'un reliquaire. Travail allemand.
Les reliques de Saint Candide, de Saint Valentin, de Saint Monulfe et de Saint Gondulfe étaient conservées dans le maître-autel de l'église Saint Servais à Maestricht. Elles étaient renfermées dans des coffres carrés en forme de tombe, surmontés d'un couvercle à deux versants. Les coffres étaient encastrés dans l'autel et n'avaient de visible que l'un des petits côtés. Cette partie des reliquaires présente la forme d'un carré surmonté d'un pignon; elle est enrichie de plaques de cuivre dorées et émaillées sur lesquelles se détachent des figures de très haut relief et est bordée de crètes découpées à jour d'un très bon goût. A l'époque où les
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émaux cessèrent d'être de mode, on vendit probablement à vil prix, les faces sculptées et émaillées des reliquaires qui tombèrent ainsi dans le commerce. (Eug. Gens, les monuments de Maestricht, 1843, p. 44).....
Nous reproduisons dans cette planche comme spécimen de l'émaillerie champ levée de l'école rhénane à la fin du XIe et au commencement du XIIe, la plaque qui décore la partie carrée du reliquaire de Saint Gondulfe. Au centre d'un quadrilobe, on voit la vérité personnifiée sous la figure d'un ange ailé et armé de toutes pièces; dans les lobes, les figures des trois vertus théologales, la Foi, l'Espérance et la Charité, et celle de la Justice.’
La partie carrée du reliquaire est encadrée par une bordure composée de bandes d'émail.
Voici ce que M. Didron, dans les Annales archéologiques, tome XX, p. 150, dit de cette belle plaque, considérée au point de vue de l'iconographie des vertus qu'elle représente:
‘La foi, l'espérance et la charité sont nées, toutes trois de la sagesse, la sagesse divine, la sainte Sophie, adorée à Constantinople. Une preuve assez curieuse de cette généalogie est fournie par un émail de la collection du prince P. Soltykoff, dont nous donnons la gravure. C'est une espèce d'agrafe de chape ou de plaque à clouer sur un reliquaire. Agrafe, sa destination était une noble pensée; porter contre la poitrine et près du coeur les trois vertus principales qui procèdent de la divinité, c'est une des plus belles idées du moyen-âge. Plaque d'ornement pour une chàsse renfermant les reliques d'un Saint, qui avait pratiqué pendant sa vie, les plus hautes vertus, c'est l'application d'un symbolisme élevé.
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Comme cet émail a la forme d'un quatre-feuille et non d'un trèfle, il a fallu trouver, pour les lobes de la circonférence, une compagne aux trois vertus théologales; on a choisi la reine des cardinales, la justice, la plus digne des trois soeurs, leur plus proche parente, si l'on peut parler ainsi. Au centre, d'où rayonnent les quatre lobes, c'est la vérité. Le Dieu-Homme a dit qu'il était la voie, la vérité et la vie. La vérité, cet attribut de Dieu, n'est donc pas autre que Dieu luimême, en sorte que la Divinité, la Sainte Sagesse ou la Sainte Sophie, c'est la même et unique mère de ces vertus, et nous retombons dans la légende receuillie par le Métaphraste et traduite par Des Guerrois. Ainsi disposée, cette plaque n'est pas sans analogie avec les représentations du Sauveur, entouré des quatre attributs de ses évangélistes. Laissez la vérité, ou le Christ au centre, comme il est ici, et vous aurez l'aigle de St-Jean au sommet à la place de l'Espérance; l'ange de St-Mathieu à droite, au lieu de la Justice; le lion de St-Marc à gauche, où est la Charité; le boeuf de St-Luc au bas, d'où s'élance la foi. J'avoue que la justice, qui n'est pas théologale, toute grande qu'elle soit, aurait du se placer en bas, au lieu de la Foi.
Nous reviendrons ultérieurement sur les attributs des théologales, sur leur iconographie proprement dite; mais puisque nous publions cette planche, un des plus anciens monuments où soient figurées les Vertus, il importe de nous y arrêter un instant.
Toutes quatre, même la Vérité, leur mère, sont ailées, pour montrer qu'elles sont de nature angélique et qu'elles descendent du ciel. Saintes, elles ont le nimbe autour de la tête. La Vérité porte épée, bouclier, casque et cuirasse, parcequ'elle combat con- | |
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stamment et défend sans cesse le monde moral; mais les trois autres jeunes femmes ont le costume civil ordinaire, la robe et le manteau.
La Justice cherche à équilibrer la balance son unique attribut. Des longs doigts ouverts de sa main droite, la Foi montre probablement le ciel, d'où elle arrive, où elle conduit. Sa main gauche saisit le bord d'un objet qui ressemble à un boisseau, mais ce boisseau est percé de trous sur ses parois et doit être un crible profond et non superficiel comme ceux d'aujourd'hui. Ce crible nous le reverrons ailleurs entre les mains de la Foi.....
L'Espérance tient à la droite une branche remplie de bourgeons, parcequ'elle est certaine que ces bourgeons deviendront des fleurs, et, au moment voulu, à la récompense finale, se changeront en fruits. A la gauche, le sceau divin, timbré de la croix, parceque Dieu a scellé sa promesse de récompense éternelle à ses élus. Dans l'iconographie byzantine, en en effet, ce disque, pris souvent à tort pour la boule du monde, s'appelle le sceau divin.
La Charité tient à la main droite un pain en forme de boule et à la main gauche un vase plein de liquide. Elle donne à boire et à manger à ceux qui ont soif et faim. Ce sont deux des six oeuvres de miséricorde corporelle qu'elle est chargée d'exercer.
Cet émail qui doit appartenir à la fin du XIe siècle ou au commencement du XIIe est opaque et champlevé sur plaque de cuivre. Il est un peu pale pour venir de Limoges et il doit sortir de l'école de la Meuse ou du Rhin. Le dessin n'en est pas, il s'en faut, d'une bien grande perfection; mais, fort ancien de date, c'est un des monuments les plus curieux pour l'iconographie des Vertus.’
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Je me permets de vous envoyer ces notes, un peu longues il est vrai, mais elles se sont allongées presque sans m'en douter; l'ouvrage de Labarte se compose de 4 volumes et de deux volumes de planches, et quoique ne formant que 6 volumes en tout, cet ouvrage coûte 450 fr.; cette considération m'a engagé à en extraire les quelques notes qui précèdent, persuadé que j'étais que le prix de cet ouvrage était un obstacle à sa diffusion. Quant à l'ouvrage de Didron il est volumineux et ne se trouve que dans quelques bibliothèques. Du reste veuillez faire de ces notes tel usage qui bon vous semblera; je vous les abandonne entièrement.
Veuillez, agréer etc.’
Nous nous permettons d'ajouter à ces notes de notre aimable correspondant, que les reliquaires vendus au prince de Soltykoff n'ont pas été au nombre de quatre mais de cinq; le cinquième, dont M. Jules Labarte ne donne pas la description, était destiné à conserver une parcelle de la vraie croix. Les reliquaires de Maestricht après avoir fait le voyage de cette ville à Paris, ont été achetés par le gouvernement belge, vers l'année 1863. Le catalogue du musée royal d'Antiquités à Bruxelles, (édition de 1864 page 242, no 23) fait à son tour de ces objets la description suivante: ‘Cinq tables ou tableaux, en cuivre doré et émaillé, pour mettre sur l'autel. Ces oeuvres remarquables ont appartenu à l'église de St. Servais à Maestricht, et datent de la première moitié du XIIIe siècle. La première est ornée au centre d'une croix de Lorraine et pierreries. La seconde représente deux anges soutenant une couronne et au bas le buste d'un abbé avec l'inscription suivante:
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hec.
nostris. manibus. dat
vobis. premia. xps.
‘La troisième représente deux anges montrant une couronne que tend une main; au bas un buste d'abbé entouré de l'inscription suivante:
† svrgie. xps. adest. voca. t.
vos. ipse. coron.
ehit. ao. fasti. rervm.
La partie centrale de la quatrième est un quadrilobe émaillé représentant les Vertus. Enfin la cinquième est ornée d'une figure assise représentant sainte Cécile.’
Nous avons pu examiner au Musée de Bruxelles ces cinq monuments de la dévotion et du génie de nos pères et nous avons pu constater, que non seulement ils sont de la même époque, mais semblent provenir du même artiste que la magnifique chàsse de St-Servais et les deux Séraphins qui se trouvent dans le trésor de l'église de ce nom. On sait qu'au moyen-âge, d'après le dire du ménétrier Wolfram d'Esschenbach, les arts et les artistes étaient fort en honneur à Maestricht.
Nous associons nos voeux à ceux de M. Thys; à savoir que nous puissions revoir ces Reliquaires, vendus autrefois par l'ignorance, dans le choeur restauré de l'église de St-Servais, à laquelle la fabrique actuelle tâche, avec tant de zèle, de rendre son ancienne splendeur. C'est là leur place; là seulement ils auront leur pleine valeur.
J.H.
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