Publications de la Société Historique et Archéologique dans le duché de Limbourg. Deel 5
(1868)– [tijdschrift] Jaarboek van Limburgs Geschied- en Oudheidkundig Genootschap– Auteursrechtvrij
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Tilly dans la guerre de trente ans,
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C'est là un des avantages du temps où nous vivons, que l'historien acquiert de plus en plus la liberté de se prononcer avec une pleine et entière vérité sur les hommes et les faits, et n'a plus besoin de cacher ses pensées sur certains personnages en réputation, sous une forme mensongère et servile. Non seulement la science historique y gagne journellement, mais c'est avant tout le Christianisme qui en recueille les fruits. Les taches, qui souillent les caractères des grands hommes de l'histoire, ne ternissent en rien la blancheur du vêtement de l'épouse du Christ: nous pouvons hardiment les mettre au jour. Ne nous laissons plus aveugler par un faux patriotisme pour excuser, pour défendre même les erreurs de nos pères. Cela n'a été fait en histoire qu'au détriment de sentiments et d'intérêts beaucoup plus élevés. Regrettons, si l'on veut, avec M. Nesselrode, de voir disparaitre l'auréole dont une tête nous semblait à jamais couronnée: la vérité seule sera la glorification la plus belle du Christianisme; laissons l'exaltation mensongère à ses adversaires. Séparons de plus en plus l'histoire de la poésie, le fait de la tradition, et avec de la bonne foi nous parviendrons là où nos ancêtres aveuglés par l'esprit de parti et les ambitions politiques n'ont pu arriver. Toutes les histoires de la guerre de trente ans offrent des exemples frappants à l'appui de ce que nous venons d'avancer. La gloire de Gustave Adolphe, le soi-disant ‘missionnaire de la vérité Evangélique’, et aussi celle du grand maréchal de l'armée impériale, Wallenstein, son adversaire ‘catholique’, ont pàli après l'examen plus approfondi de leurs oeuvres; au contraire celle de Tilly, le général en chef de la ligue catholique, le héros véritablement chretien, rayonne de jour en jour d'un | |
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plus vif éclat. De notre temps seulement les hommes ont commencé à être placés dans leur véritable jour. Ce fut l'historien Gfrörer, qui, en 1837, prit l'initiative dans cette matière, en révélant le véritable caractère du roi de Suède. Armé du fer tranchant de sa critique, fort de sa probité d'historien, il commença à déraciner, comme des troncs vermoulus, les préjugés vivaces qui s'étaient accumulés autour du nom du vaillant et rusé Gustave Adolphe. Il avait alors à braver l'indignation de ses coreligionnaires protestants, pour qui Gustave Adolphe était encore une idoleGa naar voetnoot(1). L'étude des archives allemandes, commencée seulement vers le milieu de notre siècle, lui avait procuré les matériaux pour son histoireGa naar voetnoot(2). Maintenant, depuis que le passage est frayéGa naar voetnoot(3) à travers des obstacles multipliés provenant, soit des passions, soit des animosités religieuses, un noble courage a passé dans les rangs des savants allemands, hommes de coeur et de probitéGa naar voetnoot(4), pour célébrer les héros de leur patrie, qui ont combattu dans la guerre de trente | |
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ans le ‘missionnaire’ suédois, et pour flétrir ceux qui, trahissant leur pays, ont sacrifié à un roi étranger leurs armes et le bonheur de leurs sujets. En Belgique, M. de Villermont publia, en 1859, une biographie de Tilly, dans laquelle il avait rassemblé toutes les découvertes déjà faites sur la vie de ce grand homme, en y ajoutant les résultats d'une étude spéciale faite dans les archives de Bruxelles. Avant M. de Villermont aucun historien n'avait donné un tableau aussi vrai et aussi complet de la vie de ce héros catholique. Il appartient spécialement à M. de Villermont d'avoir mis au jour la correspondance de l'empereur Rodolphe avec l'archiduc Ernest, gouverneur-général des Pays-Bas, concernant ‘l'officier Tilly’, dont le mérite était mieux connu à Prague qu'à BruxellesGa naar voetnoot(1). En Allemagne, l'auteur a trouvé généralement toute l'approbation que son ouvrage méritait: une traduction a suivi presque immédiatement l'édition française. La Revue belge et étrangère a publié suffisamment des détails sur la vie et les travaux de M. Klopp en général, pour nous dispenser d'en donner un aperçu à nos lecteursGa naar voetnoot(2). Nous passons donc immédiatement à l'ouvrage même, qui a un intérêt plus particulier pour les Pays-Bas. Il est écrit en deux volumes, comme nous l'indiquions plus haut, de plus de 500 pages chacun, d'une impression très serrée à petit caractèreGa naar voetnoot(3); de sorte qu'en étendue il dépasse de la moitié l'ouvrage de M. de Villermont. Rendant toute justice à celui-ci et faisant un | |
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usage reconnaissant de ses études d'archives, M. Klopp enrichit ces données en suivant de près toutes les actions et les traces des hommes, qui ont influencé sur la carrière de notre héros. Gfrörer, de Villermont et Klopp se complètent remarquablement dans cette matière. Ce qui caractérise l'oeuvre de Gfrörer, par rapport à Tilly, ce sont les preuves qu'il donne pour mettre au jour comment le général a été souvent la dupe des jalousies des cours d'Autriche et de Bavière. Ce qui est surtout propre à M. de Villermont, hormis la correspondance nommée ci-dessus, c'est qu'il a mis au jour comment le généreux héros a été mal secondé par l'infante Isabelle, quoiqu'il lui fit entrevoir les dangers qui résulteraient, pour les provinces, de sa conduite indécise. A M. Klopp revient l'honneur d'avoir prouvé à l'évidence, que Tilly est devenu la victime du fanatisme, qui inspirait la politique du roi de Suède. Puis M. Klopp nous démontre plus en détail le rôle important que l'argent et les troupes des Etats-Généraux de la Hollande ont joué dans les troubles de l'Allemagne; comment ils ont contribué à faire continuer la guerre, étant respectés ou plutôt craints à tel point, que Tilly dùt arrêter son armée, lors de la poursuite de Mansfeld, à la frontière hollandaise, parce que la Ligue appréhendait une guerre ouverte avec les Hollandais. Cette pensée excite l'indignation de M. Klopp jusqu'à lui faire dire: ‘Ce sont eux, les Hollandais, eux principalement, qui n'ont cessé d'exciter et de faire sans interruption la guerre sur le territoire allemand.’ C'est trop fort, beaucoup trop absolu, quoiqu'il y ait du vrai là dedans. Il est exact que les Hollandais ont commencé à promettre à l'ambassadeur du duc de Wurtemberg, Benninghausen de Walmerode, la somme mensuelle de | |
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50,000 florins pour une levée de troupes contre l'EmpereurGa naar voetnoot(1), qu'ils ont instigué le roi de Danemarck, Chrétien IV, à la guerre et qu'ils ont fait ensuite une convention avec lui à cette finGa naar voetnoot(2), qu'ils ont continué à donner du secours en argent au roi Frédéric V de BohèmeGa naar voetnoot(3), et qu'ils ont aidé et défendu l'indigne Mansfeldt, pour autant qu'il était en leur pouvoirGa naar voetnoot(4). Cependant malgré tout cela ils économisaient sur toutes les sommes à payer, et ne risquaient pas légèrement leurs troupes, se contentant plutôt d'éloigner l'ennemi de leurs frontières que de s'inquiéter du succès de la cause de ‘l'Evangile’Ga naar voetnoot(5). Les Etats-Généraux étaient persuadés que le roi de Suède ne faisait pas une guerre religieuse en Allemagne, mais tendait à un but politique au détriment de l'Autriche. Ils l'écrivent distinctement à Louis XIIIGa naar voetnoot(6), quoique peu de temps avant cette lettre des émissaires hollandais eûssent prêché en Allemagne la guerre religieuse pour servir la sédition de la Bohème contre l'Empereur. Voilà ce que fit aussi Gustave Adolphe, mais plus en grand. Devant le conseil de guerre en Suède, pour persuader à l'assemblée de lui concéder la levée d'une armée en vue de faire une invasion en Allemagne, il prouvait que l'intérêt de l'humanité et de la cause ‘évangélique’ étaient en jeu, parce que en Allemagne, dit-il, les catholiques et les réformés se détruisent les uns les | |
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autres. Il veut aller mettre fin aux dangers dans lesquels se trouvent ses frères dans la foi. C'était là son programme à sa descente sur les côtes de l'Allemagne. Mais tout en se posant comme le défenseur de sa foi, il s'efforça de convaincre la cour de Rome, Richelieu et les Etats-Généraux, qu'il ne s'agissait que d'une guerre politique, de sorte que, lorsque les cardinaux espagnols voulaient engager Urbain VIII à former une alliance générale des Etats catholiques contre le conquérant suédois, le Pape répondit: qu'il était prêt à conclure tout traité dans l'intérêt de la religion catholique, mais qu'ici il ne s'agissait pas de cela. ‘Seuls les intérêts de la maison d'Autriche sont en jeu, dit-il, de laquelle j'ai à me plaindre bien gravementGa naar voetnoot(1). Mais il ne fut pas fort facile à Gustave de faire croire aux Allemands qu'il venait se mêler de leurs affaires par pur intérêt religieux. Aucun des princes protestants ne s'allia immédiatement avec lui, à son entrée en Allemagne. ‘Les protestants allemands, dit M. Klopp, ne voyaient aucun danger, menaçant leur religion, du côté de l'Empereur ou de la Ligue, de Wallenstein, ou de Tilly, avant l'arrivée des Suédois sur le continent. Les officiers et les soldats de Wallenstein, quoiqu'on se plaignit de leurs pillages, ne furent accusés d'aucune oppression religieuse. Et, quant à l'armée de Tilly, où il y avait une caisse mieux garnie, et plus de discipline que dans celle de Wallenstein, toute oppression de ce genre lui était encore plus étrangère. Tilly désigna mème un ministre protestant pour prêcher à ses soldats réformés. En un mot, M. Klopp le prouve par des citations de tous les partis, pend[ant] les dix premières années de la guerre, | |
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les princes, les Chambres, aussi bien que les villes protestantes ont déclaré ouvertement qu'ils n'avaient rien à craindre pour leur religion ni de la Ligue ni de l'Empereur. Cette disposition n'échappa pas à la perspicacité de Gustave, à son entrée en Allemagne. Il n'avait rencontré dans la Poméranie aucune sympathie pour sa personne, comme soi-disant défenseur de la ‘liberté de conscience.’ La méfiance au sujet de la droiture de ses intentions remplissait tous les coeurs. Ses troupes, mal reçues par toutes les villes, vivaient de pillage. Les Allemands ne croyaient pas à la sincérité de sa mission. Pour atteindre son but, il lui fallait éveiller le fanatisme des deux partis d'une manière ou de l'autre: il ne put mieux y parvenir qu'en compromettant les chefs du parti catholique et en rendant Tilly, le plus irréprochable d'entre eux, et son armée bien disciplinée, aussi odieux que possible aux yeux des non-catholiques. Il joua son jeu avec une malice exemplaire. C'est le plus grand mérite du livre de M. Klopp, d'avoir mis au jour, pour la première fois, avec les preuves les plus éclatantes, cette tendance des machinations du conquerant suédois. Depuis l'arrivée de Gustave en Allemagne, Tilly ne désirait pas mieux que de lui livrer bataille, tant il avait de la confiance dans la supériorité, la vaillance, l'ardeur de ses troupes, et l'avantage de sa position, vis-à-vis de l'étranger. Gustave, au contraire, connaissant les talents militaires de son adversaire, évitait partout le combat en pleine campagne. Et ce n'était pas à tort: car, il en faisait journellement l'expérience, une seule bataille gagnée par Tilly, qu'il craignaitGa naar voetnoot(1), pourrait éveiller le | |
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patriotisme des Allemands, de manière à les faire se lever en masse contre l'envahisseur, et le chasser d'un seul coup du pays. Tilly résolut enfin de se concentrer sur Magdebourg. Cette ville, quoique protestante, n'avait encore pris aucune part à la guerre contre l'Empereur; elle avait au contraire secondé les plans de guerre de TillyGa naar voetnoot(1). Mais peu à peu s'était formé dans la ville un parti démocratique hostile à l'Empire. Ce mouvement était secondé par l'administrateur de Magdebourg, le margrave Chrétien Wilhem de Brandebourg, qui ne fit qu'exécuter les ordres de Gustave. Tilly voulut en punir les auteurs, et attendre à cette forteresse l'arrivée du roi, comptant que celui-ci, désirant profiter de la disposition, avantageuse pour sa cause, qui commençait à se faire jour parmi les bourgeois, ne tarderait pas - en généreux défenseur des opprimés - à venir délivrer les Magdebourgeois, quoiqu'ils étaient encore loin de suivre les conseils du Suédois tendant à une sédition générale contre l'EmpereurGa naar voetnoot(2). Tilly pensait aller à sa rencontre alors, et lui livrer bataille dans les plaines de Magdebourg. Le roi a su profiter de ces circonstances avec une perfidie dont Tilly lui-même ne le croyait pas capable. Premièrement il mit la presse à l'oeuvre pour seconder ses desseins, et rassurer de plus en plus, et avant tout la cour de Rome, sur ses intentions. Spanheim, un savant de naissance allemande, né dans le Palatinat, alors professeur de théologie à Genève (plus tard à Leyde), fut engagé par le roi à écrire en français un récit de sa campagne en Allemagne, sous le titre de ‘Le soldat sué- | |
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[d]ois’, dont la première partie parut déjà en 1632, l'année après le sac de Magdebourg. Ce livre avait spécialement pour but de donner satisfaction au Souverain-Pontife et aux pays catholiques, sur les intentions de Gustave, qui n'étaient, disait-il, que purement politiques et dirigées contre la maison d'Autriche. ‘Les amis de l'Empereur ont grandement tort, continue-t-il, de prétendre qu'il s'agit ici de la religion, et que Gustave-Adolphe veuille la changerGa naar voetnoot(1). La France a une toute autre conviction, et elle ne se serait jamaîs mêlée des affaires du roi, si elle ne connût de près ses intentionsGa naar voetnoot(2).’ C'est comme cela que Gustave-Adolphe faisait parler son Laguerronière, comme dit M.A.F. de BuolGa naar voetnoot(3). De l'autre côté, Gustave fit répandre des milliers de brochures pour prouver au peuple et aux princes allemands que la guerre qu'il avait entreprise était une guerre purement religieuse, que les protestants n'avaient qu'à prendre son parti en braves; car, le roi, ennemi de toute tiédeur et irrésolution, se dirait avec l'Evangile: ‘Qui n'est pas pour moi, est contre moi.’ De cette manière il agissait sur les consciences; il tâchait d'intimider les princes protestants, qui hésitaient à s'allier avec lui. Puis Magdebourg devait être entraînée dans une révolte générale; Tilly l'assiégerait alors; il fallait qu'il lui donnât l'assaut; Magdebourg devait être sacrifiée et détruite; l'opinion publique imputerait infailliblement à Tilly cette barbarie. Tel était le dessein de Gustave-Adolphe, dont les conséquences serviraient sa politique. Le parti catholique devait devenir par là l'objet de | |
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l'exécration publique: les flammes s'élevant de la ville incendiée, seraient un gigantesque flambeau de discorde, lancé au milieu des partis religieux, et Gustave élèverait son épée soi-disant libératrice entre les partis belligérants. Cette combinaison, que M. Klopp regarde comme la seule qui ait pu précéder les circonstances suivantes, dont ses adversaires ne peuvent nier la vérité, eut le succès désiré. Ecoutons l'auteur jusqu'au bout. Lorsque Tilly résolut sa retraite vers Magdebourg, la ville avait déjà reçu l'ambassadeur du roi de Suède, nommé Falkenberg, jadis ambassadeur suédois à La Haye, qui, ‘mieux que toute une armée’ sut préparer les Magdebourgeois à l'arrivée du ‘soldat suédois’. - En arrivant aux portes de la ville, Tilly exige du margrave Chrétien une entière soumission aux ordres de l'Empereur. Chrétien refuse et le conseil de la ville hésite également à se soumettre. Alors Tilly commence le siége, pendant que le parti de Falkenberg gagne de plus en plus des adhérents, grâce surtout à la promesse que sous peu les troupes de Gustave Adolphe seront aux portes pour délivrer la ville. A différentes reprises, tandis que l'inquiétude croit de jour en jour chez les citoyens indécis sur le parti qu'ils ont à prendre, Gustave leur réitère par son fidèle Falkenberg la promesse de voler à leur secours. En attendant, Tilly s'avance de plus en plus et concentre ses troupes à l'entour de la ville. Falkenberg conseille de bâtir deux nouveaux forts, sous sa direction; mais il les fait construire de manière à ne pouvoir longtemps résister à l'ennemi. Quelques coups de canon de Tilly les détruisent. Pendant que Tilly hésite à avancer encore, une lettre de Gustave Adolphe lui tombe sous la main, dans laquelle le roi fait de nouvelles promesses de délivrance aux citoyens de Magdebourg. Comme | |
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si elle avait été écrite pour être lue par Tilly, et l'exciter à l'assaut, - dit M. Klopp, - Gustave promet dans cette lettre de venir délivrer les Magdebourgeois ‘aussi vrai qu'il était roi et homme d'honneur.’ Sur cela Tilly fait encore avancer son armée et offrir à la ville le pardon, dans le cas où elle se soumettrait à l'Empereur. Il écrivit aussi au traître Falkenberg: ‘La perte de la ville est devant vos yeux. Comme nous ne sentirions aucune satisfaction d'un tel malheur, nous aimerions beaucoup à le détourner et à voir la ville céder à nos exigences. Il n'est ni chrétien, ni juste, ni pardonnable devant le Tout-Puissant que tant d'hommes innocents perdent la vie, ou bien tous leurs biens matériels et soient plongés dans la plus grande misère, tandis qu'en même temps un si grand nombre de soldats de l'Empereur sera inutilement sacrifié. Nous avertissons pour la dernière fois les chefs de la ville, et conseillons une entière soumission à l'Empire. Je ne crois pas que le roi de Suède vous donnerait un autre conseil dans votre position, ou qu'il en ait donné. Il est trop tard pour qu'il vous vienne encore en aide’Ga naar voetnoot(1). Le Conseil de la ville hésitait; mais Falkenberg s'obstinait pertinemment à ne pas céderGa naar voetnoot(2). En attendant, les officiers de la garnison, les soldats de Gustave, ne prirent aucune précaution pour une défense bien décisive; ils ne concentraient pas leurs troupes sur les points les plus exposés, les plus menacés par l'ennemi. D'un côté de la ville régnait une entière tranquillité, seulement les soldats y maniaient la cruche, au lieu des mousquets, pendant toute la journée. | |
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Le roi avait promis du secours tout au plus tard ve[r]s la fin du mois d'avril (1631). Le mois d'avril se passa, mais les troupes suédoises n'apparurent point. Le six du mois de mai, Tilly renouvela encore ses propositions de pardon. C'était en vain; car Falkenberg déconseilla toujours la soumission. D'heure en heure les habitants de Magdebourg attendaient leur délivrance: Gustave ne se trouvait plus qu'à deux journées de marche de la ville; mais il n'avançait pas pour tenir sa ‘parole d'honneur.’ Tilly et ses généraux connaissaient la position du roi. Il espérait jusqu'à la dernière heure de lui livrer bataille en pleine campagneGa naar voetnoot(1). Puis il écrivit encore au conseil de la ville. Celui-ci persista dans la résolution prise; mais Falkenberg seul en fut la causeGa naar voetnoot(2). Cet homme perfide ne voulut pas que la ville fût sauvée de la destructionGa naar voetnoot(3). Enfin Tilly fit commencer le bombardement. Le bruit des canons vint frapper les oreilles du Suédois. C'était en vain; il ne bougea pas; il restait imperturbablement à Saarmunde. Le bombardement dura quatre jours. Les trois premiers jours, l'artillerie de la ville avait répondu vigoureusement au bruit des canons de Tilly; mais le quatrième jour venu, voilà que tout d'un coup le bruit du canon de la ville cesse. La poudre dont il y avait encore de grands magasins remplis, il y a peu de jours, manquait tout d'un coup.Ga naar voetnoot(4). C'est que, sur un ordre secret de Falkenberg, des milliers de livres de poudre étaient descendus dans les caves sous la ville, destinés à éclater et à répandre l'incendie et la destruction au moment où | |
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l'armée de Tilly, allant à l'assaut, descendrait dans les ruesGa naar voetnoot(1). Pour la dernière fois, au troisième jour, Tilly fit offrir une capitulation, mais le fanatisme des ministres protestants au service du Suédois excitait le peuple à une résistance opiniàtre, tâchant de lui inspirer une entière confiance dans les paroles de Falkenberg, qui continua à faire négliger plusieurs points importants des fortifications. Tilly attendait en vain une réponse décisive; il hésitait encore à donner l'assaut, surtout parce que le droit de guerre exigeait dans ces temps, et que son devoir lui prescrivait, de livrer la ville au pillage de ses soldats, pendant au moins trois heures. Le trompette de Tilly qui dut pour la dernière fois offrir la capitulation ne revint pas. Les troupes du général s'impatientent enfin; elles aspirent à ce grand fait d'armes, et au butin qui les attend. Tilly a fixé l'heure de l'assaut: le lendemain, le 10 du mois de mai, à 7 heures du matin. Le moment venu il hésite encore à donner le signal convenu. Voilà qu'un de ses généraux, Pappenheim, un des chevaliers les plus nobles et les plus hardis de ce temps, donne l'ordre de monter à l'assaut, malgré que le signal n'en soit pas donné. A présent la voix de l'humanité va se taire devant celle des dangers imminents. Tilly doit enfin céder. Son armée s'élance d'un autre côté dans la ville, triomphant aisément des troupes de Falkenberg irrégulièrement commandées. Au même instant l'incendie s'étend de tous les côtés. Les mines de poudre éclatent, des rues entières tombent en ruines, des milliers d'hom- | |
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mes trouvent la mort sous les décombres. Aucun moyen de résister à la force des flammes. Il ne reste à Tilly que de voler vers la cathédrale, où s'étaient enfuis des centaines de personnes, afin de sauver au moins celleci de l'incendie général. Par la plus grande présence d'esprit, et retenant en même temps une partie de ses troupes des plus horribles excès du pillage, il parvient à sauver l'église de la destruction générale. Puis se jetant de nouveau au milieu des siens, qui se livrent avec d'autant plus d'ardeur au sac de la ville qu'ils ont été vexés plus longtemps par l'opiniâtreté des Magdebourgeois, et voyant tomber une mère, morte son jeune enfant dans les bras, il descend de cheval, soulève le petit garçon des bras qui l'entouraient encore, et crie triomphalement à ses troupes: ‘Voilà mon butin.’Ga naar voetnoot(1) Voilà, en quelques lignes, un résumé bien sec de la description pittoresque et détaillée de la prise de Magdebourg, par M. Klopp. C'est le point lumineux de l'ouvrage, Il lui devra une grande partie de son succès. Par sa nouvelle étude des sources imprimées, joiate à des investigations assidues dans les archives de Hanovre et d'Osnabrück, un jour tout nouveau s'est répandu sur les circonstances de ce grand événement. Quelques jours après, lorsque Tilly avait fait son entrée solennelle dans la ville, il organisa une commission d'enquête pour punir les instigateurs de la rébellion, et quarante drapeaux, pris sur l'ennemi, lui furent offerts par ses officiers, dans cette cathédrale qu'il avait sauvée en personne de l'incendie et de la destruction générale. ‘La cathédrale de Magdebourg, dit M. Klopp, | |
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proclame le nom de Tilly et son honneur. C'est son monument en pierre sur le sol allemand.’ La destruction de Magdebourg servait pour quelque temps au succès du roi de Suède; la cathédrale conservée par Tilly parlera, après des siècles encore, de la noblesse et de la générosité du grand général. M. Klopp y aura contribué de son côtê: surtout parce que le sac de Magdebourg est devenu dans sa main la pierre fondamentale, sur laquelle repose tout le plan des expéditions suivantes de Gustave Adolphe. Depuis la destruction de cette ville les animosités religieuses entre les catholiques et les protestants se manifestaient davantage de jour en jour; c'était là l'eau trouble dans laquelle le ‘soldat suédois’ croyait faire une bonne pêche. Immédiatement ses écrivains se mirent à l'oeuvre pour dépeindre toute la cruauté exercée par Tilly au siége de Magdebourg. Spanheim ne manqua pas d'en donner le tableau détaillé dans son ouvrage, mais il avait encore assez de conscience ou de malice pour ne pas flétrir Tilly sans quelque réserve. ‘Abstraction faite de quelques taches dans la vie de Tilly, comme le sac de Magdebourg’, dit-il, après en avoir fait le récit mensonger, ‘sa renommée fut intègre. Sa vaillance, son talent militaire, son expérience, la confiance qu'avaient en lui ses soldats, la pureté de sa vie, les services éminents qu'il rendit à son parti, peuvent lui faire aspirer de droit au nom d'un des plus grands généraux de son temps’Ga naar voetnoot(1). Puis Chemnitz, l'auteur officiel de la cour suédoise, dans les oeuvres duquel tous les auteurs allemands postérieurs ont puisé les mensonges sur cette période de | |
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leur histoire, Chemnitz ne trouve assez de paroles pour louer l'intrépidité, l'expérience militaire et l'esprit perspicace de Tilly, la prudence de ses commandements, la gloire de ses faits d'armes, ‘par lesquels, dil-il, il s'est placé parmi les plus grands généraux de notre temps, bien que nous devons déplorer sa cruauté à la prise de Magdebourg, et l'incendie de cette ville, dont les nuées ont un peu obscurci sa gloire.’ Les auteurs hollandais van Meteren, Aitzema, etc., n'ont pour Tilly que des louanges. Dans la détresse générale de l'époque, dit M. Klopp, et au cliquetis des armes suédoises, les mensonges sur Tilly prenaient racine. Déjà en 1633, et sur le sol allemand même, parut la première brochure, accusant Tilly d'une infàme cruauté et de la destruction préméditée de Magdebourg. La victoire que Gustave Adolphe remportait au mois de septembre de la même année, à Breitenfeld, près de Leipzig, achevait en Allemagne son succès, dont la perfidie de Magdebourg avait été le commencement. Le triomphe de Breitenfeld l'entourait d'une auréole que l'opinion publique, si injuste parfois, accorde à tous les hommes de talent dont les entreprises sont couronnées de succès, quelle que soit la cause à laquelle ils se sont voués. La victoire suivait désormais les pas du Suédois en Allemagne, en répandant partout l'incendie et la discorde parmi les hommes; système dont Magdebourg avait servi de prototype. Il sut se procurer la palme triomphale, cela suffit à l'exaltation frénétique des anti-catholiques pour lui tendre le laurier du génie, et glorifier même sa ‘toute-puissance à laquelle les vents et les flots obéissent’Ga naar voetnoot(1). | |
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Nous pourrions finir ici notre compte-rendu, s'il ne nous restait encore un seul détail à relever dans l'oeuvre de M. Klopp. Tandis que la gloire de la guerre de trente ans se concentre de plus en plus sur Tilly, le général de la Ligue, à la tête de laquelle se trouve la Bavière, insensiblement son grand compétiteur, dont nous parlions plus haut, Wallenstein, général en chef de l'armée autrichienne, descend de la place élevée qu'il occupait encore toujours dans l'histoire, malgré les graves défauts de son caractère. Aujourd'hui il n'y a plus de doute sur les intentions égoïstes et parfois trop peu patriotiques de ce grand général. Il est assez naturel que les biographes de Tilly relèvent avec ardeur les fautes dans la conduite de l'homme, qui enviait la gloire de leur héros. M. de Villermont a le caractère de Wallenstein en aversion. M. Klopp le déteste à son tour. Il le flétrit avec toute la véhémence d'un accusateur offensé. C'est une grande satisfaction pour l'un et pour l'autre, que Fr. de Huster vient de donner des preuves, qu'on dirait évidentes, que Wallenstein a effectivement trahi son EmpereurGa naar voetnoot(1). Huster nous expose toute la vanité, la jalousie, le désir de vengeance de cette âme militaire, qui aurait pu faire un bien immense à la cause allemande, mais qui, se laissant aller à des passions personnelles, a secondé malgré lui les desseins de ses adversairesGa naar voetnoot(2). Mais voilà que M. von JankoGa naar voetnoot(3), après avoir comparé | |
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tout ce que la nouvelle littérature historique a publié à ce sujet, vient de disculper Wallenstein de ce crime. Il revient à l'opinion de Gfrörer, que Wallenstein a mis le masque de la trahison, entrainé par des idées machiavéliques, mais que sa mort, bien loin d'être l'oeuvre de l'empereur pour le punir, n'a été que la suite d'une conspiration de ses collègues d'armes. En tout cas, le mépris dont M. Klopp accable le général autrichien, est justifié par l'autorité d'un historien justement célèbre. Et même si, par de nouvelles recherches, on parviendrait à ‘démolir tout-à-fait une renommée’ qui d'un autre côté a paru très longtemps fondée sur des titres légitimes, cependant nous ne regretterions jamais ces progrès de la science, dussent-ils conduire à des découvertes plus contraires encore à nos voeux, plus pénibles â notre imagination. Et en effet, au bout du compte, tous les événements de l'histoire, surtout les plus désastreux, démontrent clairement les grandes aberrations de l'esprit humain, la faiblesse de notre nature, et la nécessité de l'existence d'une garde infaillible des âmes, d'une boussole fidèle des doctrines et de la morale - et cette garde, cette boussole, c'est - l'Eglise catholique. C'est là l'aiguille qui ne dévie point, car l'aimant dont elle emprunte sa force est Dieu-même. A.M. |
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