disposé à reserrer la vie multiforme de la pensée humaine dans un système scientifique trop rigide. C'est donc un grand bonheur qu'avec l'exposé savant de cette oeuvre, les citations abondantes fassent un contraste favorable comme, dans les introductions scientifiques à l'histoire de l'art, le font presque toujours, les reproductions des oeuvres artistiques elles-mêmes.
Mais puisque c'est l'auteur aussi qui a choisi avec un soin infini et un goût impeccable les spécimens différents du penser et qui les a placés dans un ordre remarquable, ces objections ne sont que quelques grains de beauté de notre louange qui, d'ailleurs, sans cela, serait trop absolue pour être vraie.
II. Comme je l'ai démoutré dans cette revue, l'année passée, et comme Der Weg in die Philosophie de M. Misch l'affirme, nous vivons une période d'interpénétration de toutes les civilisations, favorisée d'une manière inouie par l'interdépendance économique croissante de tous les peuples. Il commence à s'effacer des frontières séculaires: entre l'Asie et l'Europe, entre la France et l'Allemagne même. C'est une évolution longue et pénible, avec des crises dangereuses et des régressions inquiétantes. Mais il continue malgré tout!
Sur le terrain philosophique c'est le Dr. I. Benrubi qui fait tout son possible pour un rapprochement scientifique et moral des deux peuples séparés et reliés par le Rhin. Après avoir étudié à Yéna, Paris et Berlin et avoir publié en Allemagne sa thèse sur l'idéal éthique de Rousseau, il vécut à Paris et écrivit entre autres plusieurs essais concernant l'influence de Rousseau sur Schiller, Goethe, Kant, Nietzsche, Tolstoi etc. Ami personnel de son maître Rudolf Eucken et de Henri Bergson, il se choisit la belle tâche de devenir un médiateur entre le penser français et allemand.
Dans ‘Vragen van den Dag’ Septembre 1928, j'ai démontré comment le Dr. Benrubi a été, déjà avant la guerre mondiale, le prophète de ce rapprochement moral et intellectuel qui aujourd'hui ne commence qu'à se réaliser et comment il s'est dévoué de tout son coeur à ce noble travail. Même la grande guerre ne fut pas en état de briser son zèle. Vivant en Suisse, il donna à l'université de Genève plusieurs conférences sur la philisophie de ses deux pays élus. En 1926 il fut publié de sa main, traduit en anglais par M. Ernest B. Dicker, un résumé intéressant de la philosophie française: Contemporary Thought of France.
Tout cela ne fut pourtant qu'un prélude à la grande symphonie intellectuelle qu'il vient de publier: Philosophische Strömungen der Gegenwart in Frankreich, Leipzig 1928, vrai chef-d'oeuvre de science et d'amour, dans laquelle une solidité vraiment allemande se marie avec une clarté typiquement française. Ce livre non plus, n'est pas une chose du moment, l'auteur l'ayant préparé pendant presqu'un quart de siècle.
L'oeuvre de M. Benrubi est d'une triple importance:
1o. comme nous l'avons vu, elle est symptomatique pour le procès civilisateur en général qui commence à se faire jour,
2o. c'est une histoire quasi complète de la philosophie française moderne et, en même temps,
3o. c'est, dans la forme d'une histoire d'une philosophie nationale, non moins qu'une introduction à la philosophie comme telle.
M. Benrubi ne distingue pas, d'une manière tout à fait formelle, des écoles, des théories etc. mais, dans le sens de son maître Eucken, des Lebenssysteme, des ‘syntagmes’; des différentes conceptions générales de l'univers en relations réciproques, des réalités historiques, des courants spirituels qui évoluent et s'interfluencent continuellement. Ainsi l'histoire de la philosophie n'est plus une reproduction statique, mais plutôt une recréation dynamique des différents mouvements de la vie intellectuelle.
Déjà on reconnait en Allemagne la grande importance, même la nécessité de ce livre puissant. En effet, ‘du point de vue philosophique, la France a quelque chose à dire dans le monde’ (p. 523)! Que de finesses, que d'originalité, que de richesses, que de diversions et, malgré cela, quelle unité sans pareille.
M. Benrubi distingue en France trois courants principaux de penser qui prennent leur origine chez (1) Comte, (2) Kant, (3) Maine de Biran:
1. | le positivisme scientifique empiriste, qui se subdivise en
a) | un courant psychologique, |
b) | un courant sociologique, |
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2. | l'idéalisme critique, qui se distingue en
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