En étudiant la langue des auteurs, on n'obtient qu'une idéé très imparfaite du latin parlé, malgré les incorrections grammaticales, phonétiques et morphologiques. Grégoire le Grand, Grégoire de Tours, font mille infractions aux règles classiques, mais ils gardent la tendance de faire de la littérature. Saint Fortunat, Fulgence de Ruspe ne sont guère des auteurs populaires. Par Saint Avit, de familie sénatoriale comme tant d'autres, on n'apprend rien non plus de la langue du peuple. Quant aux Sermons de Saint Augustin, quoiqu' ils contiennent bien des tournures familières, Mgr. J. Schrijnen juge la langue: Il (Augustin) parlait comme le peuple, mais le peuple eût eu de la peine à parler comme lui, non comme il le faisait dans la vie quotidienne, mais dans les sermons (Charakt. des Altchr. Lat., 36).
On ne pourrait pas non plus se fier au livre de Medicamentis de Marcellus Empiricus, ni à la Mulomedicina Chironis, ni encore à la Peregrinatio Aetheriae, pour voir le vrai visage du sermo cotidianus. Ceux qui écrivent s'observent. On ne constate que les connaissances grammaticales plus ou moins solides de l'auteur, les confusions dans l'emploi des voyelles, les altérations dans le système consonantique, la perte de la quantité et la naissance de l'accent d'intensité - assimilations, dissimilations, métathèses, recompositions, apocopes, syncopes, aphérèses, épenthèses, prosthèses....
Le latin concis, synthétique, s'achemine vers un latin analytique, dont sortiront les branches diverses des langues romanes.
On ne trouve guère de texte suivi qui montre comment on parle dans tel ou tel siècle. Des documents intéressants à eet égard, contenant des phrases parlées, recueillies par les greffiers au cours de procès en Afrique, se trouvent publiés à la suite de l'oeuvre d'Optat: Acta purgationis Felicis episcopi Autumnitani et Gesta apud Zenophilum (C. scr. eccl. lat. Vind. XXVI, 185-204). Ces documents appartiennent à la littérature donatiste, datant du temps des premières querelles (314-320).
Dans les Acta de 314 il s'agit de l'évêque Félix, accusé de tradition, défendu par Apronianus qui se prononce en termes violents contre l'auteur d'une lettre compromettante, falsifiée par Ingentius, scribe public.
Voici quelques exemples de style populaire: (Ingentius:) et dixi illi ego econtra: nec tibi nee illi quia traditor es. Une déposition du témoin Cécilien: domi ad me venit (sc. Ingentius), prandebam cum operarios, venit illuc, stetit in ianua. Caecilianus ubi est? dixit. respondi: hic. ego dico ei: quid est? omnia recte? omnia, dicit. Puis: si non fastidis prandere, veni, prande. Enfin: tu homo inmissus es, laxa hinc te a me (fiche-moi le camp).
Les Gesta datent de 320. Il s'agit d'un procès conduit par le consulaire Zénophile. Silvain de Constantine est jugé coupable de tradition, de vol et de vénalité. Plusieurs témoins défilent: le professeur Victor: si mentior, peream. Sublati sunt codices mei. cum ego venissem, inveni codices sublatos. Les fossoyeurs Silvanus et Carosus: quod hic fuit, totum hoe eiecimus. Les sous-diacres Catullinus et Marcuclius: plus non habemus, quia subdiacones sumus. Le fossoyeur Saturnin: scio lucernam tradidisse argenteam. Aliud nescio, nisi quia depost orcam eam eiecit. Puis il y a encore le fossoyeur Victor Samsurici, le diacre Nundinarius.