Dans ce dernier roman, ainsi que dans Destins, auquel s'ajouterait si bien l'épithète tragique, et dans Thérèse Desqueyroux, où l'orgueil de la vie, ‘Superbia Vitae’, remplace l'amour absent, l'auteur donne libre cours à son incurable pessimisme. Ce qui était perdu trouve son point culminant dans la confession pathétique de la fin où une mère malheureuse s'accuse de n'avoir pas voulu voir en son fils l'homme bas et lâche qu'il était et d'avoir été ainsi la cause indirecte qu'Irenè de Blénauge s'est précipitée dans la mort lorsque son mari lui a manqué une derniére fois d'égards. Il faut l'avouer, on n'est pas plus sombre.
Après nous avoir fait toucher ainsi le fond de la misère humaine, l'auteur va nous faire remonter à la surface et nous ramener dans un monde plus honnête, c'est à dire, plus vrai, car, on l'oublie trop facilement, le bien c'est l'ordre comme le mal est le désordre. Le noeud de Vipères et le Mystère Frontenac nous transportent dans un monde meilleur; un monde, où les gens ne se contentent pas de se laisser vivre, mais où nous voyons s'opérer peu à peu la synthèse de la religion, de la conscience et des actes. Il n'y a pas solution de continuité cependant eutre ces romans et les précédents. Les personnages du Noeud de Vipères s'ignorent eux-mêmes, comme ils ignorent les autres. La familie est un centre d'égoïsmes, mais dans le mystère Frontenac ces égoïsmes ne s'affrontent plus; ils s'aident au contraire et se teignent d'altruïsme. Dans la Fin de la Nuit, Thérèse Desqueyroux est toujours une orgueilleuse, mais une orgueilleuse désabusée, toute pétrie d'indulgence pour l'égoïsme et la sottise d'autrui.
Conme l'on voit, si Mauriac a affiné son art, aiguisé son trait, approfondi son sujet, son procédé n'a point varié, pas plus que ses idées générales, ni sa facon de camper sur pied ses personnages. N'en concluons pas qu'il manque d'invention et que ses romans se ressemblent. Ses personnages d'abord, des dépravés et des abattus, à moins que ce ne soients de rudes lutteurs, âpres au gain, sont finement nuancés, complexes et confus comne la vie. Ils sont de leur époque et de leur pays; ils sont même de l'heure qui passé et c'est surtout ce trait là qui les fait reconnaître de loin. La désolation d'un paysage, l'accablement d'une canicule torride, une pluie s'abattant eu d'interminables averses, une maison qui tremble au passage des trains provoqueront ou précipiteront des actes gros de conséquences et qui pèseront de tout leur poids sur toute une existence.
Mais Mauriac se garde d'insister: il ne décrit jamais pour décrire et pour lui l'intérieur seul importe. Ses paysans et ses bourgeois ont beau être matérialistes et rivés de tous côtés à la terre; ils ont beau être pétris de vanité et d'égoïsme; ils ont cependant aussi leur vie inférieure, une petite vie bien incomplète et peu fastueuse, faite surtout d'un sourd besoin de croire effectivement, car s'ils continuent à se dire catholiques, ils ne le sont que, d'une façon intermittente et combien superficielle.
A ce propos on pourrait peut-être se demander comment on a pu appeler les oeuvres de Mauriac antérieurs au Noeud de Vipère des romans à tendances et lui en faire un grief. D'abord tous les genres ne sont-ils pas bons, hormis le genre ennuyeux? Or ennuyeux, Mauriac ne l'est jamais. Il n'a jamais garde non plus de moraliser et le désir de nous faire partager ses convictions