De Gulden Passer. Jaargang 73
(1995)– [tijdschrift] Gulden Passer, De– Auteursrechtelijk beschermd
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L'hommage d'Antoine Sanderus (1586-1664) a la ville de Gand
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leurs courante à l'époque. Notre auteur laisse une oeuvre abondante: des poèmes et ouvrages religieux qui sont vite tombés dans l'oubli; son oeuvre historique en revanche, même si elle repose sur la compilation se révèlera d'un intérêt certain, car elle rassemble bon nombre de données éparses qui se seraient perdues sans son intervention. Sanderus s'inscrit d'ailleurs dans un courant, bien représenté au Pays-Bas, de monographies locales et régionales.Ga naar voetnoot3 Une partie de cette oeuvre concerne Gand et témoigne de son attachement à une ville qui était le berceau de sa famille et le séjour de sa jeunesse.
C'est à ces différents ouvrages ‘gantois’ qu'on s'attachera ici en les considérant suivant l'ordre chronologique de leur publication. Chacun d'eux fera l'objet d'une brève analyse. On essaiera aussi de dégager la méthode de travail de l'auteur et de préciser sa contribution à la vie culturelle de Gand.Ga naar voetnoot4. Le premier de ces ouvrages, GandavumGa naar voetnoot5 a été publié en deux fois. Les livres I et II ont paru en 1624 à Anvers. Ils ont été réédités en 1627 à Bruxelles, où sortent également, l'année suivante, les livres III à VI. Les deux parties (livres I-II; III-VI) sont dédiées à Charles de Bourgogne, seigneur de Wakken, Magnus praetor ou hoogbaljuw (grand bailli) de la vil- | |
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D'après J.F. Foppens, Bibliotheca Belgica, Bruxelles, t. I, 1739, p. 87.
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leGa naar voetnoot6, ainsi qu'à treize consules et senatores, c'est-à-dire aux treize schepenen van de Keure (échevins de la Keure). Deux d'entre eux étant les consules, voorschepenen ou premier échevins. L'ouvrage commence par un tableau de la Flandre, du pays, de son climat, de ses habitants qui allient la vivacité des Gaulois au caractère sérieux et grave des Germains; les institutions laïques et religieuses font l'objet d'un certain développement (I, 1). Viennent ensuite une série de citations à la gloire de Gand, fort diverses quant à leur contenu; on en trouve de Pétrarque, de Froissart et d'Erasme, mais surtout d'auteurs contemporains, entre autres, Pierre Bert, Jean-Baptiste Gramaye, Jean Leernout (I, 2). Gand, ‘Métropole considérable de Flandre’, est pour notre auteur ‘une sorte de prodige parmi les villes du monde entier’. Son site est décrit en détails: au confluent d'un fleuve illustre dès l'Antiquité et de la Lys, rivière pleine de charme, aux eaux transparentes, rendue navigable par le travail des hommes. D'autres canaux constituent un réseau de transport extrêmement actif. La population est nombreuse: les chiffres donnés par différents auteurs sont considérables. Froissart et Jacques De Meyer parlent en effet de 80.000 habitants en état de porter les armes. Gand compte aussi beaucoup d'hommes célèbres dans les domaines les plus divers: qualités morales, sagesse, science, courage militaire. Pour ce qui est des savants et des érudits, Sanderus compte leur consacrer tout un ouvrage. Ce sera le De Gandavensibus eruditionis fama claris dont il sera question plus loin. Plusieurs princes dont Charles Quint sont nés à Gand, d'autres ont été les hôtes de la ville: entre autres, Charlemagne, saint Louis, Edouard III. La noblesse y est ancienne, opulente, et s'est toujours illustrée au service de la patrie. Quant aux citoyens en général, ce sont des gens sérieux, actifs, amis de la justice, dévoués au bien commun, aimant dans la vie publique le faste qu'ils méprisent dans leur vie privée (I, 3). | |
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Quoique porté à croire que la ville est antérieure à la conquête romaine, Sanderus rejette ce qu'on raconte de cette époque lointaine. Pour lui, l'histoire de Gand commence à l'arrivée de César. Le nom de la ville aurait d'abord été Wandt, pour Wandelaers Casteel, d'après un établissement militaire des Vandales. Jacques Marchant le rattachait au nom flamand du jars, parce que la colline de Saint-Pierre au Mont-Blandin se dresse comme un jars au milieu des eaux. Sanderus, soulignons-le, est sceptique quant à cette étymologie. Notre auteur énumère ensuite, en les commentant, les armoiries de la cité; il note que les initiales S.P.Q.G. qu'arborent les Gantois sur leur bannière les apparentent aux Romains (I, 4). Le livre II est consacré à l'évolution du gouvernement urbain. Comme on l'a vu, la ville est dirigée par un magnus praetor aidé de consules et senatores. Sans s'attarder à décrire leurs fonctions, Sanderus retrace la manière dont, au cours des siècles, ont été désignés les échevins, pour s'arrêter au système en vigueur, imposé par Charles Quint en 1539 (II, 1). Suivent les listes, année par année, des magni praetores (II, 2) et des consules (II, 3). L'Hôtel de Ville fait l'objet d'éloges très vifs, mais d'une description peu précise. Les étapes de la construction sont retracées: de 1481 à 1580 pour le bâtiment et de 1600 à 1620 pour la Maison des ParchonsGa naar voetnoot7, où une salle était réservée à la future bibliothèque (II, 4, p. 114). Le beffroi, les halles, la grande et la petite boucherie font l'objet de l'admiration de Sanderus qui localise les bâtiments sans les décrire (II, 5). Le livre II se termine sur une liste des familles nobles de Gand.
La seconde partie de Gandavum, parue quatre ans plus tard, commence par une préface où l'auteur se plaint, en termes vagues, de certaines marques d'hostilité à son égard; elle se termine par un nouvel éloge dithyrambique de sa patrie. Notre chanoine insère aussi, après la préface, un poème que lui dédie Erycius Puteanus. | |
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Le livre III se préoccupe surtout de l'identification des différents châteaux de Gand: la citadelle Ottonienne (III, 1), le château des Comtes (III, 2) et l'Oudenbourg (III, 4). Cet exposé est coupé par les listes des comtes, des châtelains et des baillis de la ville, ainsi que des comtes d'Alost et de Ghisnes qui sont de souche gantoise (III, 3). Sanderus rappelle ensuite que le Conseil de Flandre, installé à Lille en 1385 par Philippe le Hardi, dut changer plusieurs fois de siège, mais finit par rester à Gand en 1584. Il nous en donne également la liste des Présidents (III, 5). Les livres IV à VI sont consacrés à l'énumération et à l'historique des établissements de Gand, surtout religieux. On trouve d'abord les plus importants: Saint-Pierre au Mont-Blandin, Saint-Bavon avec leurs privilèges et la liste de leurs abbés (IV, 1 à 4). Les cisterciens de Baudeloo et les prémontrés de Tronchiennes (IV, 6) font l'objet d'une notice plus brève. A propos de l'abbaye de Saint-Bavon, Sanderus explique, sans porter de jugement, qu'elle fut sécularisée en 1537 à l'initiative de Charles Quint. Les moines furent transférés à l'église Saint-Jean, où avait été baptisé l'Empereur. Ils en constituèrent le chapitre. La nouvelle collégiale reprit le nom de Saint-Bavon et devint cathédrale dans le nouvel évêché instauré par Philippe II. C'est la cathédrale qui ouvre, au livre V, la série des sept églises paroissiales. Viennent ensuite le collège des jésuites, la chartreuse, les couvents des ordres mendiants et les couvents de femmes. Le VIe et dernier livre est consacré en partie aux institutions charitables: les hôpitaux, les orphelinats, le séminaire, les béguinages, les chapelles, et en partie à des monuments séculiers: les locaux des gildes, la Cour du Prince où naquit Charles Quint (aujourd'hui disparue), le nouveau château-fort construit par cet empereur sur l'emplacement de l'abbaye de Saint-Bavon, les ponts, le Mont-de-piété et quelques hôtels particuliers. Un lecteur curieux de détails descriptifs précis permettant de se faire une idée de l'aspect extérieur ou de l'agencement intérieur de tel ou tel bâtiment restera sur sa faim. Ces détails sont en effet fort rares. A la place de ceux-ci, Sanderus fournira des épithètes admiratives: splendide, grandiose, magnifique. Il n'entre pas dans notre intention de dresser le bilan des renseignements historiques fournis par notre auteur, c'est à ses sour- | |
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ces en effet que l'historien s'adressera de préférence (cette remarque s'applique d'ailleurs à tous les ouvrages dont il sera question dans la suite); ces sources sont signalées en tête de l'ouvrage: quatre chroniques d'abbayes, des Diplomata varia et quarante-deux auteurs, desquels on peut retirer Erasme et Pétrarque qui ne sont là que pour la forme. Les autres, qui sont du XVIe, voire du XVIIe s., représentent divers domaines du savoir: Abraham Ortelius, Gérard Mercator, Juste Lipse, mais les plus utilisés sont, bien entendu, les historiographes de la Belgique comme Adrien Barland, Pierre Oudegherst, Pontus Heuterus, Ferry de Locre, Jean Leernout, Jacques Marchant, François Sweerts, Jean Molanus et surtout Jean-Baptiste Gramaye et Jacques De Meyer. Apparaissent assez souvent aussi les compilateurs Marc Van Vaernewyck et Aubert Le Mire, des spécialistes de l'hagiographie savante, Héribert Rosweyde et Laurent Surius ainsi que la Bibliotheca Belgica de Valère André. Pour la méthode de notre auteur, un exemple parmi d'autres suffira: ce que dit J.-B. GramayeGa naar voetnoot8 à propos du Steen se retrouve tel quel chez Sanderus (III, 2) dont la contribution personnelle, on le constate souvent, consiste surtout à rédiger quelques notes de liaison entre les diverses opinions qu'il emprunte à ses sources. Ses sentiments personnels apparaissent rarement et on le sent pris entre deux attitudes: exalter le passé médiéval de Gand, les privilèges de la ville, et, en même temps, admirer l'oeuvre des ducs de Bourgogne et de Charles Quint, qui ont mis fin à ces libertés.
Le De Gandavensibus eruditionis fama clarisGa naar voetnoot9 est adressé en 1624 au Sénat de Gand. Nous apprenons par la préface que cet ouvrage est la troisième partie d'une trilogie consacrée à Gand: Gandavum, que nous venons de voir, en constitue la première partie et l'Hagiologium Flandriae, la seconde, du moins dans le projet initial, car | |
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en fait, elle ne sera publiée qu'en dernier lieu, en 1625, et ne se rapportera que partiellement à Gand. La préface se termine par deux poèmes dédiés aux Gantois érudits, l'un de notre auteur, l'autre de Josse De Rycke et par une citation d'Erasme en l'honneur de la métropole de Flandres: ‘Nulle autre ville n'a produit d'esprits plus féconds, ni d'exemples plus manifestes de l'ancienne vertu’Ga naar voetnoot10. Deux cent vingt-neuf personnages sont offerts à notre admiration. A vrai dire, à regarder les noms d'un peu plus près, on constate qu'Aegidius Houcanus, Eligius Eucharius et Eligius Houcarius ne sont que les diverses formes latinisées d'Eloi van Houcke, philologue et poète bien connu de la première moitié du XVIe s. De même, sous Livinus Algotius et Livinus Panagathus se cache l'humaniste Livinus Algoet. Les biographies fournies sous les différents noms de la même personne sont vagues et pourraient s'appliquer à plusieurs personnages. A supposer qu'il n'y ait pas eu d'autres duplications de noms qui nous auraient échappé, il reste donc 226 Gantois célèbres par leur savoir. Cent d'entre eux environ le sont grâce à leur apport aux lettres profanes, ce sont pour la plupart des philologues, des poètes, des juristes. Une centaine également se sont distingués dans le domaine religieux. Quelques-uns encore dans les autres branches du savoir: les arts, la médecine, les mathématiques et les sciences. Toutefois, les frontières ne sont pas parfaitement délimitées: un ecclésiastique peut être un éminent professeur de grammaire ou de rhétorique et un médecin s'intéresser à la philosophie et même à la poésie. Le critère de sélection de ces célébrités est expliqué en tête de l'ouvrage. Seront repris tous ceux qui, nés à Gand, se sont fait connaître par leur valeur morale ou par leur savoir. S'ajouteront des ‘étrangers’ qui, pourvus des mêmes qualités, auront fait leurs études à Gand ou bien y auront séjourné longtemps. C'est ainsi qu'on trouve saint Amand, Viglius d'Aytta, Josse Bade et d'autres encore. Pour cer- | |
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tains, rien dans ce que nous dit Sanderus ne nous permet de conclure à une quelconque influence exercée à Gand. Quels critères de notoriété ont présidé à la sélection et sont-ils pertinents? Tout ce que nous pouvons faire quelque 380 ans après la parution de l'ouvrage, c'est d'appliquer, assez arbitrairement, les nôtres. Si un Gantois considéré comme illustre en 1624 figure dans l'une de nos deux Biographies Nationales, c'est que sa notoriété a résisté à l'épreuve du temps et que nous pouvons ratifier le verdict du XVIIe siècle. La comparaison systématique du De Gandavensibus et de ces deux répertoires fournit un bilan satisfaisant: sur les 226 personnages figurant au palmarès de 1624, 156 sont encore connus aujourd'huiGa naar voetnoot11. Si Sanderus a conçu seul ce vaste projet, il l'a réalisé sur base de sources dont il nous fait part au fil des notices: Valère André, Aubert Le Mire, Charles van Mander (Vermanderius), Jacques De Meyer, Jacques Marchant, Jean-Baptiste Gramaye, Denys Harduin, Ferry de Locre, Guillaume Gazaeus, auxquels on peut adjoindre, Louis Guichardin, souvent cité. En outre, quelques étrangers: Giorgio Vasari, Israël Spachius, Josias Simler, Erasme, Sixte de Sienne, John Pitheus, Georges Fabritius, Jean Trithemius, Antoine Du Verdier, André Thevet. Quant à la forme des biographies, elle est invariablement admirative: tous apparaissent comme des modèles de savoir, de courage et de sagesse. Tous, ou du moins presque tous, semblent aussi orthodoxes au point de vue religieux. Pour trois d'entre eux seulement, Sanderus signale des attaches calvinistes: Adrien Damant, Daniel Heynsius et les deux Jean Utenhove, l'oncle et le neveuGa naar voetnoot12. Sans prétendre être exhaustif, on peut affirmer que sept autres personnages pouvaient être qualifiés comme tels: Jan De Gruytere, Livinus Hulst, Piet van Berghe, Cornelius Martin, Cornelius De Rekenare, Piet De Rycke, Boudewijn Ronsse. Tous, à l'exception d'Adrien Damant et de Jean | |
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Utenhove le neveu, ont une notice dans l'une ou l'autre de nos biographies nationales. Doit-on croire que notre chanoine, pour qui il s'agit de personnages notoires, ait ignoré leurs attaches avec la Réforme? Figure également suspecte, géographe et astrologue, Jean Portant, accusé de magie à Anvers où il vivait, fut par deux fois soumis à la question. Sanderus, comme Guichardin, lui est favorable, il relate le fait, admire la fermeté du personnage sous la torture et en attribue le mérite à sa robuste constitution et peut-être à sa bonne conscience. Quatre-vingt-dix ans environ après sa mort ErasmeGa naar voetnoot13 semble exercer une grande influence sur Sanderus qui cite à plusieurs reprises sa lettre à Charles Utenhove. Sa célébrité valorise même une série de personnages ayant gravité dans son orbite: Josse Bade, Livinus Algoet, Livinus Ammonius, Viglius d'Aytta, Hilaire Bertulphe, Charles Utenhove le père, Antoine Clave, Omer d'Enghien, Guillaume De Waele. Les cinq premiers sont relevés dans la Biographie Nationale, Utenhove indirectement par l'intermédiaire de son fils, comme c'est du reste le cas dans le De Gandavensibus. En dépit de la faveur exprimée constamment par Sanderus pour la Compagnie de Jésus, cinq jésuites seulement auraient fait honneur à leur ville. La Biographie Nationale en reprend trois, tous professeurs de rhétorique au collège de Gand; ils se sont illustrés dans les lettres: André Gillis, Englebert d'Hollander, Philippe De Swevezele. La notice du De Gandavensibus consacrée à ce dernier est particulièrement longue: en fait, elle est constituée dans sa quasi-totalité par une lettre adressée par ce personnage à Sanderus, qui a été son élève. Un quatrième, Liévin Sanderus, est le propre frère de l'auteur. Notre chanoine n'est pas un misogyne radical. Il fait place à quatre femmes: Claide De Keysere et Suzanne Horebout, miniaturistes du XVIe siècle, ainsi qu'à Jeanne Otho, poète latin des XVIe et XVIIe s., satisfont à notre critère de notoriété. | |
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Les familles importantes de la ville sont entourées de beaucoup de sollicitude: les Triest, les Torrentius ou Van den Beke et enfin, la propre famille de l'auteur qui révèle trois célébrités outre lui-même. On trouve son grand-père Jean, médecin-consultant de Charles-Quint; son père Liévin, médecin également, tous deux ont une courte notice dans la Biographie Nationale. Son frère, appelé également Liévin, est le jésuite dont il a été question. Sa propre célébrité, Sanderus la mesure à la longueur de la notice qu'il s'adjuge; il énumère les opuscules qu'il a publiés à l'époque, sans oublier le nom des personnages influents à qui ils sont dédiés. Il signale aussi des travaux encore inédits et des projets, par exemple un traité sur la décadence des lettres dont une partie était une brève instruction pour la création d'une bibliothèque. L'ouvrage est perdu ou n'a pas vu le jour, mais le thème sera repris par l'auteur dans un autre opuscule qui concerne directement Gand. La grande majorité de ces personnes illustres sont des hommes des XVIe et XVIIe siècles. Il ne cite toutefois pas son illustre contemporain Antoine Triest, évêque depuis 1622, mais il lui consacrera plus tard une notice dans la Flandria Illustrata. D'une manière générale, les notices biographiques sont sommaires et ne constituent pas des narrations suivies. Pour des célébrités de second ordre, on n'a souvent comme repères chronologiques que d'autres noms ou des faits mentionnés, car les dates sont rares. Il est cependant étonnant de constater que Sanderus ignore purement et simplement deux figures parmi les plus marquantes de la ville: les protagonistes de ses libertés, Jacques et Philippe Van Artevelde.
L'HagiologueGa naar voetnoot14, publié en 1625, deuxième partie de la trilogie sur Gand, est dédié à Joachim Arsène Schayck, abbé du Mont-Blandin, qui, d'après Sanderus, a rendu au monastère son ancienne splendeur. Le but de l'auteur est de montrer que la Flandre, | |
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comblée des bienfaits de la nature, a également reçu des dons du ciel. La préface explique comment l'ouvrage est conçu. Les saints et les personnages pieux de la Flandre, tant hommes que femmes, feront l'objet d'une brève notice comprenant trois éléments: leur lieu d'origine, leurs actions, leur mort. Leurs noms ont été rassemblés, poursuit l'auteur, d'après les historiens locaux et ceux des pays voisins. Après la préface: deux courts poèmes en l'honneur des saints de Flandre, l'un d'Etienne Bellocasius, l'autre de notre auteur. L'Hagiologue reprend 145 personnages: 51 d'entre eux, soit un peu plus d'un tiers, ont honoré la ville de Gand. C'est à ceux-ci que nous nous intéressons. Une première question se pose: qui est effectivement repris dans l'Hagiologue? On y trouve quatre catégories de personnages: les premiers évangélisateurs de la région, des religieux gantois, des saints illustres qui ont fait un bref passage dans la ville et enfin quinze autres qui n'ont avec Gand qu'un rapport posthume, ils n'y figurent en effet qu'à titre de reliques. Parmi celles-ci, certaines ont été mises en sûreté à Gand lors des invasions normandes; les autres, provenant de martyrs de l'Eglise ancienne, ont été ramenées expressément de Rome. Evaluer le travail de Sanderus nous amène à établir un critère qui justifie encore au XXe s. l'insertion de ces personnages dans un hagiologue. Ce critère de ‘sainteté’ que nous estimons être objectif est basé sur la présence des personnages dans la Bibliotheca Hagiographica LatinaGa naar voetnoot15. Il est évident que nous ne les retrouverons pas tous, Sanderus ayant précisé dès le départ qu'il nous présentait non seulement des saints mais également des personnages de vie exemplaire. Néanmoins, il a paru utile de relever que vingt-quatre d'entre eux figurent sous leur nom dans la Bibliotheca Hagiographica Latina; à ce nombre, il faut ajouter huit personnages associés à un saint connu (Landoald et ses compagnons, Marcellin et Pierre l'Exorciste). Nous constatons ainsi que la sainteté ou la piété de 63% des personnages cités a été consacrée par l'Eglise. | |
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Quant aux autres, ils sont néanmoins identifiables en tant qu'abbés ou prédicateurs. Les femmes ne sont pas oubliées, elles représentent 23% de l'ensemble (douze sur cinquante-et-un). La plupart font l'objet d'un culte de reliques. Frappante est la répartition de ces cinquante-et-unes vies: les martyrs romains et les saints du Moyen Age occupent la place la plus importante. Pour la suite on trouve quelques Frères Prêcheurs. Les plus récents, sainte Colette, Gertrude de Pottelis, abbesse de la Biloque et Jean l'Ermite sont morts au XVe s. Comme il l'annonce dans sa préface, Sanderus, ici comme ailleurs a puisé chez les historiens locaux et chez ceux des pays voisins. On retrouve les noms qu'il a déjà utilisés dans le De Gandavensibus. D'autres sources sont plus spécifiques: Pierre Lintren, Georges Colveneer, Hyacinthe Choquet, Henri Fitzsimon, Nicolat Camusat, César Baronius, Laurent Surius, Leandro Alberti, Michael Pius, Matthaeus Galenus. Les renseignements recueillis sont parfois contradictoires. Sanderus voit ces divergences, mais nous les présente sans trancher: par exemple, sainte Odile pourrait être la soeur de saint Bavon, mais peut-être aussi Odile d'Orp-le-Grand, dans le diocèse de Namur. A propos de deux abbés du Mont-Blandin, Jean et Atta, notre auteur renvoie au catalogue des abbés de ce monastère, qu'il a publié dans Gandavum livre IV, chapitre II. Un oeil critique s'étonnera sans doute qu'Atta soit tantôt le quatrième tantôt le cinquième abbé du Mont-Blandin selon qu'on se réfère à l'un ou l'autre de ses deux ouvrages. En présentant à sa ville natale des modèles de vie qui le touchent de près, Sanderus l'a sans doute à nouveau honorée. Mais ce n'est pas là le seul mérite de l'Hagiologue. On y trouve l'édition de cinq vitae: Baudouin de Bocla, fondateur de Baudeloo, Basin, roi et martyr, Gérulphe, martyr à Tronchiennes, Gérard de Celles, réformateur du Mont-Blandin et Gertrude, l'abbesse de la Biloque. La vie de l'abbé de Baudeloo a été extraite d'un manuscrit du monastère et notre ouvrage reste la seule édition citée par la Bibliotheca Hagiographica Latina. Pour Basin et Gérulphe, les vitae sont reproduites à partir d'un manuscrit de Tronchiennes; dans chacun des cas, il s'agit d'une première édition. Mais Sanderus n'indique pas toujours sa source: la vie de Gérard de Celles qu'il reproduit | |
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n'est pas celle que donnent les Bollandistes, sans doute est-elle le témoin d'une vita perdue. Quant à la treizième abbesse de la Biloque, qui n'est pas canonisée, l'édition de sa vie est fournie sans indication de source. L'édition de ces quelques vitae, dont la plupart seraient perdues sans l'intervention de Sanderus, confèrent tout naturellement de la valeur à l'Hagiologue.
Parmi les projets sortis de l'imagination féconde de Sanderus, épinglons celui qu'il développe en 1633 dans sa DissertatioGa naar voetnoot16 en vue de susciter la création d'une bibliothèque publique à Gand. L'opuscule est adressé aux Consules et aux Senatores de la villeGa naar voetnoot17. En fait, le projet n'était pas neuf, notre auteur l'avait déjà présenté au Conseil et, en particulier, à Charles de BourgogneGa naar voetnoot18, mais l'exécution avait dû être reportée à des temps meilleurs. A présent, dit-il, la Providence ayant ramené le calme et la guerre ne menaçant plus du côté du nord, il convient de mener à bonne fin ce projet qui répondra au voeu du public désireux par ce moyen de servir la gloire de Dieu, l'intérêt de la République des lettres et le prestige de la ville de Gand. La bibliothèque sera logée dans un emplacement digne d'elle; un bâtiment récemment terminé et destiné aux échevins des ParchonsGa naar voetnoot19. Pour faire pencher les hésitants du bon côté, Sanderus fait vibrer la corde patriotique: Gand qui jadis a surpassé et surpasse encore partiellement toutes les villes des Pays-Bas en dignité, en splendeur, en puissance, occupera à nouveau grâce à cette bibliothèque, une place de choix. Seuls les ignares critiqueront ce projet, mais les gens de biens, les gens instruits, attachés aux arts libéraux et à l'étude, en feront un éloge digne de ceux qu'on décerne aux grands hommes de l'histoire et aux Etats les plus florissants. | |
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Notre auteur fait alors un bref historique des bibliothèques de l'Antiquité: Alexandrie, Athènes, Carthage, Rhodes, Pergame et enfin Rome. Il indique généralement les noms des fondateurs, le nombre d'ouvrages et fournit en outre quelques détails techniques sur le mobilier, le décor et le classement des dépôts de livres. Quelques références sont fournies en marge: Aulu Gelle, Strabon, Pline, Sénèque, Plutarque, Boèce, Isidore entre autresGa naar voetnoot20. Mais cette érudition est de seconde main et une seule référence eût suffi: son texte reproduit, en l'abrégeant, une brève histoire des bibliothèques que Juste Lipse a dédiée en 1602 au due d'AarschotGa naar voetnoot21. La contribution de Sanderus a consisté à insérer quelques informations empruntées à la Bible (Dissertatio... p. 2 et 11). On y apprend que le premier bibliothécaire serait Moïse (comme détenteur des Tables de la Loi?). Le grands hommes de l'Antiquité, poursuit notre chanoine, se sont acquis des mérites en préservant les livres de la destruction, mais des princes chrétiens, à leur tour se sont imposés ce devoir. Certains d'entre eux ont manifesté aux livres un attachement tout particulier: Charlemagne se délectait de la lecture de la Cité de Dieu et Alphonse d'Aragon ne partait jamais en campagne dans les Commentaires de César. Sanderus invoque alors le témoignage d'Erasme dans une longue citation à la gloire des princes protecteurs des lettresGa naar voetnoot22. Poursuivant son discours, Sanderus fait un in- | |
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ventaire des grandes bibliothèques de la Chrétienté, en s'attardant particulièrement aux Pays-Bas du sud. Rappelons que celles qui possèdent des manuscrits sont reprises dans l'enquête particulière qui aboutira dix ans plus tard à la publication d'un autre ouvrage de Sanderus: la Bibliotheca Belgica ManuscriptaGa naar voetnoot23. Enfin notre chanoine revient à son projet gantois. Suivant l'exemple des Anciens - ou plutôt suivant l'exposé qu'en fournit Juste Lipse - on ornera les locaux des portraits de ceux qui, par leurs écrits ou par leurs actes, ont illustré la ville. A vrai dire, les personnages cités sont soit des saints locaux soit des saints qui ont à Gand un certain rayonnement. Ainsi les figures d'Armand Bavon, Liévin, Macaire, Florbert seront pour la jeunesse gantoise un exemple permanent. On passe ensuite à des aspects plus pratiques. En premier lieu, le choix du bibliothécaire. Celui-ci sera savant et s'entourera de collaborateurs peu nombreux, mais compétents dans les différents domaines. En second lieu, celui des ouvrages: ici la première préoccupation du chanoine est d'éliminer les ouvrages obscènes, hétérodoxes ou hérétiques. Sur ce point, le bibliothécaire aura recours aux excellents préceptes de deux jésuites, les pères Jacques Gretser et François SacchiniGa naar voetnoot24. A leurs précieuses recommandations s'ajouteront les prescriptions de l'Index du Concile de Trente, 1564Ga naar voetnoot25, de l'Index expurgatoire d'Anvers, 1571, et les censures transmises aux évêques par l'Inquisition romaine. Les Gantois se trouvant désormais à l'abri des mauvaises lectures, notre chanoine envisage les moyens de choisir les bonnes. La bibliothèque sera dotée d'une série de bibliographies couvrant dif- | |
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férents domaines; elles seront pour le bibliothécaire un guide précieux dans le choix des ouvrages. Pour des raisons de clarté regroupons-les ici d'après nos conceptions modernes. Viennent d'abord les bibliographies générales. La Dissertatio en nomme six, rédigées par différents auteurs; Possevin est le plus utilisé. Outre son Apparatus sacer, on trouve sa Bibliotheca selecta, reprise à la fois comme référence générale, puis, livre par livre, suivant la matière traitée. Viennnent ensuite Conrad Gesner et ses continuateurs, Conrad Lycosthène, Josias Simler et Georges Draud. Les trois premiers ont été condamnés par l'Index de Pie IV (1564). Un autre excerpteur de Gesner, le calviniste Robert Constantin, a également échappé à la vigilance de Sanderus; il est vrai que la condamnation prononcée par la Faculté de Théologie de Louvain en 1558, n'est pas reprise à l'Index romain. Ainsi, parmi les six auteurs de bibliographies générales, un seul, Possevin, représente la pure orthodoxieGa naar voetnoot26. A côté des répertoires généraux, on trouve également dix catalogues, tant de grandes bibliothèques que d'éditeurs, sans oublier les relevés semestriels des foires de Francfort qui font ici l'objet d'une critique d'ordre technique: ils ne contiennent que des titres et ceux-ci ne correspondent pas toujours au contenu de l'ouvrage. A vrai dire, ce jugement peut se retourner contre Sanderus lui-même. Ne propose-t-il pas en effet au bibliothécaire de puiser des renseignements dans Photius, Diodore de Sicile et Apollodore, précisément abusé par le titre de Bibliotheca? Rappelons que Gabriel Naudé, bibliothécaire de Mazarin, en utilisant le premier le terme Bibliographia, évitera désormais la confusionGa naar voetnoot27. En ce qui concerne les catalogues d'éditeurs, à vrai dire peu nombreux puisqu'on ne relève que trois officines, Plantin à Anvers, Beller et Bo- | |
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gard à Douai et Oporin à Bâle, notre chanoine semble ignorer que cette dernière est mise à l'Index par Paul IV. Retenons aussi deux catalogues consacrés aux manuscrits, l'un est celui de la bibliothèque d'Alonso Chacon (Alfonsus Ciaconius)Ga naar voetnoot28, l'autre, oeuvre de Johannes Bunderius, concerne les manuscrits conservés dans les bibliothèques des Pays-BasGa naar voetnoot29. Pour les bibliographies spécialisées, le chanoine a certainement l'idée d'un classement rationnel par matières. Mais, en fait, seules les disciplines représentées par peu d'ouvrages constituent des ensembles relativement homogènes: la médecine (quatre), la philosophie (deux), le droit (deux), l'histoire (un). Ajoutons le De auctoribus scientiarum de Jérémie de Padoue et le recueil d'opuscules agronomiques de Joachim Camerarius qui n'est pas une bibliographie. Tout naturellement chez un ecclésiastique, la plus grande partie des bibliographies spécialisées relève de la théologie (dixhuit). Toutefois, les usuels appartenant à ce domaine sont dispersés sans principe apparent de classement. Il faut encore y adjoindre bon nombre d'ouvrages consacrés aux ordres religieux (dix-sept). Outre les bibliographies générales et spécialisées, on trouve des bio-bibliographies générales par pays. Cette catégorie forme un ensemble assez cohérent où le classement par nationalité n'est pas toujours respecté. Les Pays-Bas du sud sont les mieux représentés (cinq), puis viennent l'Allemagne, la France et l'Italie (trois dans chaque cas), l'Angleterre et les Pays-Bas du nord (deux), l'Espagne (un). Parmi ses compatriotes figurent un auteur du XVIe s., Jean Molanus, trois contemporains Valère André, Aubert Le Mire et François Sweerts. Enfin, Sanderus lui-même, propose son De scriptoribus Flandriae paru à Anvers en 1624 avec les compléments | |
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consacrés l'un aux Gantois, on vient de le voir, l'autre aux Brugeois, célèbres par leur savoir. Déjà à propos des répertoires généraux, on a signalé le présence d'ouvrages protestants. Il en va de même pour les bibliographies spécialisées: pour la médecine, Otto Brunfels, pour la philosophie, Jean-Jacques Frisius, tous deux interdits par l'Index de Pie IV et enfin, Joachim Camerarius, dont l'interdiction porte, il est vrai, sur une oeuvre qui ne nous concerne pas. Le caractère hérétique de ces trois auteurs a vraisemblablement échappé à Sanderus qui, d'un autre côté, ne manque pas de qualifier d'impie et d'apostat, l'Anglais John Bale, auteur d'une bibliographie nationale et condamné par Sixte Quint en 1590. A la décharge de notre chanoine, notons que les ouvrages d'auteurs protestants ne se rapportant pas à des matières religieuses restent autoriséesGa naar voetnoot30. Fort étonnante cependant est la présence de bibliographies religieuses fournies par des auteurs suspects, voire interdits pour lesquels Sanderus se contente de la mension eget censura: Valentin Pace, Paulus Bolduanus, Pierre Besodner et Jean Crespin. Toutefois, seul ce dernier figure à l'Index, comme imprimeur genevois et auteur d'ouvrages calvinistes combatifs. Les références bibliographiques de Sanderus, à quelque domaine qu'elles appartiennent ne sont pas très précises, il est vrai que c'est encore courant à l'époque; deux fois seulement la date d'édition est signalée. Quant au titre, il nous est souvent fourni d'une manière approximative. On a déjà relevé la méprise du chanoine à propos d'Apollodore, de Diodore de Sicile et de Photius et on est aussi en droit de se demander quel intérêt spécifique présentent pour le bibliothécaire les écrivains ecclésiastiques tels que Jérôme, Gennade, Ildephonse de Tolède, Isidore de Séville, Sigebert de Gembloux, Honorius d'Autun, Henri de Gand. Signalons que ces auteurs figureront dans le corpus bio-bibliographique d'histoire ecclésiastique qui sera publié six ans plus tard par Aubert le Mire sous le titre Bibliotheca Ecclesiastica.
L'intérêt porté aux bibliothèques fait partie des préoccupations du moment. En 1627, peu de temps avant la publication du pro- | |
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jet gantois, un bibliographe de talent, Gabriel Naudé, proposait au Président de Mesme, son Advis pour dresser une bibliothèqueGa naar voetnoot31. Il est hors de notre propos de nous engager dans une comparaison avec la Dissertatio de notre auteur. Signalons simplement que ce que nous offre Sanderus, en grande partie à travers l'oeuvre de Juste Lipse, reste sur le plan des idées générales. Le bibliothécaire Naudé, en revanche, témoigne de préoccupations bibliothéconomiques: il aide le lecteur au moyen de deux catalogues (Advis..., p. 157-158), l'un par matière, l'autre alphabétique par noms d'auteurs; en outre, grâce à la tenue d'un registre de prêt (Advis..., p. 161), il est toujours au courant des mouvements de livres. Mais Naudé insiste surtout sur la vocation de la bibliothèque: celle-ci est destinée à l'usage de tous (Advis..., p. 152), chaque lecteur doit y trouver ce qu'il cherche (Advis..., p. 34). On voit donc ici l'opposition fondamentale entre le libertin français et le chanoine gantois, préoccupé par la protection morale de ses concitoyens. Enfin, Sanderus ne précise pas la portée du terme bibliothèque publique. Malgré les restrictions que nous venons de formuler, l'oeuvre de Sanderus a eu plus qu'un retentissement local. En 1644, le P. Louys Jacob, consacre un chapitre au Comté de Flandre dans son Traité des Bibliothèques. Il y mentionne deux oeuvres de notre chanoine: le répertoire de catalogues de manuscrits ou Bibliotheca Belgica Manuscripta et la Dissertatio, dont il cite un extrait. Le P. Jacob semble avoir été fasciné par le projet de bibliothèque publique. C'est pour lui l'attrait principal de Gand. Onze ans après la publication de l'opuscule, il croit que c'est chose faite. EcoutonsleGa naar voetnoot32: ‘La ville de Gand est la principale de ce Comté: laquelle ne tire pas seulement sa gloire d'avoir produit l'Empereur Charles V mais aussi pour avoir donné plusieurs grands personnages en toute sorte de sciences; qui ont esté curieux à dresser de bonne bibliothèques. Les choses publiques, doivent toujours estre préférées aux particulières. C'est pourquoy, je donneray le premier lieu en ce chapitre à la Bibliothèque publique nouvellement érigée | |
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par les Magistrats de cette ville; lesquels estans portez d'une vraye et sincère passion pour l'augmentation des bonnes lettres, ont voulu consacrer à Minerve, Deesse des sciences, un lieu public, pour y entretenir les esprits dans ce vertueux exercice. Ce qui a oblige Antoine Sander, natif de cette ville, de procurer ce bien à sa patrie, comme vray nourrission des Muses, lequel ne cesse journellement de donner au public des doctes et curieux ouvrages, entre lesquels il a fait un discours latin... intitulé Dissertatio...’. La renommée de Gand, par l'intermédaire de Sanderus et de son projet de bibliothèque, s'est donc étendue bien au-delà des frontières. Les critiques négatives que l'on peut formuler aujourd'hui à l'égard de l'auteur et de son oeuvre ne doivent pas nous faire oublier le retentissement de ce projet audacieux, hommage de l'auteur à sa ville natale. L'illusion suscitée chez le P. Jacob montre en tout cas, que le projet de Sanderus, s'il n'était pas parfait, passait du moins, aux yeux de spécialistes pour réalisable.
Si ce projet est resté lettre morte Sanderus n'abandonna pas pour autant les bibliothèques. Quelques années plus tard, il publie la Bibliotheca Belgica ManuscriptaGa naar voetnoot33 qui rassemble en deux volumes les catalogues de manuscrits conservés dans cinquante - huit bibliothèques différentes situées pour la plupart dans les Pays-Bas espagnols et, plus particulièrement, dans la partie occidentale de ceux-ciGa naar voetnoot34. Sa méthode de travail a consisté à démander aux différents bibliothécaires de lui envoyer le catalogue de leurs fonds respectifsGa naar voetnoot35. Ceux-ci se sont acquittés de leur tâche avec plus ou moins de zèle, avec plus ou moins de bonheur. | |
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Gand intervient pour trois catalogues, celui du monastère du Mont-Blandin, de l'église cathédrale Saint-Bavon, et celle d'un particulier, Corneille Dielman, ermite de Saint-Augustin (Gand, 1586-1656), historiographe de la province belge de son ordre. En 1640, quand ont été rédigés ces catalogues, les deux bibliothèques religieuses avaient été dévastées lors des troubles du XVIe siècle et n'offraient plus qu'une partie de leurs richesses manuscrites. Celui du Mont-Blandin contient vingt-et-un codices, dont un en flamand et trois en français. Quatre volumes se rapportent exclusivement à l'abbaye: une chronique, un rituel, l'office du propre des saints issus de l'abbaye et les privilèges de la communauté avec la liste des abbés. On y trouve aussi de l'histoire, de la généalogie, quelques homélies, les Epîtres de saint Bernard, le Décret de Gratiën, et la Consolation de la Philosophie faussement attribuée à Gerson. Le seul exemplaire de la Bible est en fait une Bible moralisée en français. La bibliothèque de l'église cathédrale Saint-Bavon recèle encore vingt-trois codices, apparemment tous en latin à l'exception de sermons en flamand. On y trouve beaucoup de vies de saints, de martyrologes, de commentaires à la Bible. Quand au De Scriptoribus ecclesiasticis de Trithème, on est en droit de se demander s'il s'agit bien d'un manuscrit. La bibliothèque privée de Corneille Dielman semble bien ordonnée. Les manuscrits, en fait surtout des opuscules, tous en latin, sont réunis en deux codices. C'est une bibliothèque composée d'ouvrages spirituels où dominent les écrits d'ermites de Saint-Augustin et de Frères de la Vie Commune.
Un vaste ouvrage en deux volumes a suivi immédiatement la publication des catalogues de manuscrits. C'est la Flandria IllustrataGa naar voetnoot36 publiée avec l'adresse fictive Coloniae Agrippinae. En fait, elle fut imprimée à Amsterdam par Jean et Corneille Blaeu, mais Sanderus ne tenait probablement pas à faire étalage de ses impri- | |
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meurs calvinistes. Abondamment illustré, l'ouvrage fut une grosse entreprise à la fois technique et financière à laquelle le chanoine s'attela dès 1632. Sur ses difficultés, ses déboires avec l'imprimeur et avec les artistes, on se reportera à l'étude de Carlos de VleesschauwerGa naar voetnoot37. Rééditée en trois volumes au XVIIIe s., la Flandria Illustrata connut même deux émissions, l'une en 1732, l'autre en 1735. Les renseignements d'ordre historique y ont été mis à jour par J.-F. Foppens qui a en outre inséré les deux études consacrées l'une aux Gantois, l'autre aux Brugeois célèbres par leur érudition, ainsi que l'Hagiologium Flandriae dans l'édition abrégée parue à Lille en 1639Ga naar voetnoot38. Nous nous attacherons à l'édition originale, celle qu'a personnellement dirigée Sanderus. Le premier volume contient des généralités sur la Flandre et ses princes ainsi que la Flandria quadrimembris: Gand, Bruges, le Franc de Bruges et Ypres.
Une comparaison méthodique de Gandavum, que nous avons vu, et de la Flandria Illustrata pour la partie qui concerne Gand, révèle l'identité fondamentale du texte. Toutefois, les six livres de Gandavum, groupés ici en quatre, offrent à première vue une présentation plus rationnelle de la matière: les livres I et II de la Flandria Illustrata concernent la vie civile (= I, II, III de Gandavum); les livres III et IV groupent toute la vie religieuse (= IV, V, VI de Gandavum). Mais Sanderus a simplement réduit le nombre de livres sans se préoccuper de l'ordonnance intérieure des chapitres et de la justification de leur place sous la rubrique civile ou religieuse. A la fin du Liber quartus, il insère un élément nouveau: l'institution des évêches, rédigée spécialement pour la Flandria Illustrata. Sanderus y retrace l'historique de cette création partant du projet de Philippe le Bon jusqu'à la réalisation par Philippe II | |
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en 1559; il reproduit même le texte intégral de la Bulle de Paul IV et consacre une notice aux sept évêques qui se sont succédé à Gand jusqu'à son contemporain Antoine Triest, sous l'épiscopat duquel la ville connut une période brillante. Le livre IV se termine (p. 162-164) par le De Gandavensibus. Il ne s'agit toutefois pas de l'ouvrage publié en 1624, mais de l'énumération, avec une brève caractéristique, d'une partie des noms contenus dans cette étude. Au siècle suivant, rappelons-le, Foppens y substituera le texte intégral. Autre changement par rapport à Gandavum: le chapitre concernant la châtellerie d'Oudenbourg est considérablement augmenté et placé après les livres I à IV. Les noms des pagi, simple énumération dans Gandavum (III, 4), sont ici classés par ordre alphabétique et font l'objet d'un certain développement. A la fin du volume II, un Auctarium ad tomum primum contient de la p. 24 à la p. 61, diverses additions qui concernent Gand, en particulier, des compléments se rapportant tant à la vie civile qu'à la vie religieuse de la ville. On se souviendra que, dans Gandavum (II, 4), Sanderus signale qu'une place est réservée dans l'Hôtel de ville à la future bibliothèque. En 1633, lors de la publication de sa Dissertatio, il mentionne encore le fait. Comme on le sait, son idée ne sera pas réalisée. Mais la phrase figure toujours dans la première édition de la Flandria Illustrata (vol. I, livre I, p. 96), ainsi que dans la réédition du XVIIIe s. (vol. I, livre III, p. 200). La partie gantoise de la Flandria Illustrata n'apporte que peu d'éléments neufs par rapport à Gandavum paru en deux fois respectivement dix-sept et treize ans plus tôt. Il faut cependant tenir compte de la finalité de l'ouvrage dont l'essentiel tient dans son illustration qui fait sa valeur aujourd'hui et dans sa présentation fastueuse.
Au terme de cette étude, nous pouvons dire que l'oeuvre de Sanderus, quoique reposant sur la compilation, a la grand mérite de nous avoir transmis des renseignements dont la source originale a souvent disparu et de nous offrir en même temps un témoignage du renouveau intellectuel de Gand à l'époque de l'évêque Antoine Triest. Mettons donc à son actif, l'audace d'avoir, malgré de nombreuses difficultés, réalisé divers ouvrages en l'honneur de | |
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sa ville natale et, en particulier, le plus spectaculaire, la Flandria Illustrata. Si nous nous sommes attardée surtout à la Dissertatio... pro instituto Bibliothecae Publicae... pourtant restée sur papier, ce n'était pas, pensons-nous, être infidèle à la mémoire de Sanderus pour qui la bibliothèque proposée devait être le plus beau fleuron de Gand.
Université de Mons-Hainaut 20 Place du Parc B-7000 Mons |
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