De Gulden Passer. Jaargang 73
(1995)– [tijdschrift] Gulden Passer, De– Auteursrechtelijk beschermd
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Jacques Grévin et sa traduction française des Emblemata d'Hadrianus Junius
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son Theatre (Grévin travaillait à des révisions au moment de sa mort et le manuscrit est conservé au Musée Plantin).Ga naar voetnoot4
Nous savons que Jacques Grévin n'a traduit que 57 des 58 emblèmes de Junius,Ga naar voetnoot5 mais en fait une étude bibliographique minutieuse démontre que cette lacune révèle une situation assez compliquée qui illumine l'histoire bibliographique de Junius lui-même. Voet a remarqué deux états de la première édition, l'un comprenant 57 emblèmes, l'autre 58, avec le cahier D complètement recomposé. Mais la raison n'est pas, comme il le suppose, simplement le désir d'insérer l'emblème no. 58, car dans cette édition en général très soignée, Plantin a laissé entrer une erreur sérieuse. L'emblème no. 46 porte tout d'abord le titre ‘Irae maligna philosophia’, au lieu de ‘Irae malagma philosophia’. Grévin aurait reconnu tout de suite ce contresens, et, étant donné que, dans la première édition de la version française, l'emblème en question apparaît sans titre, ou plus précisément avec le premier vers à la place du motto, on peut conclure que Grévin se serait servi d'un tel exemplaire pour préparer sa traduction. Il n'est donc pas étonnant que le dernier emblème manque. Dans la deuxième édition française, par contre, Grévin semble avoir connu le véritable titre de l'emblème 46 qu'il a traduit: ‘La philosophie est la guerison de la cholere’.Ga naar voetnoot6
Le texte, c'est-à-dire la subscriptio, de chacun des 58 emblèmes de Hadrianus Junius constitue un quatrain, bien qu'ils utilisent des formes métriques variées. Mais le texte français est encore plus varié, offrant des versions de deux jusqu'à douze vers. La première édition française omet entièrement les Explications qui suivent les emblèmes, et Grévin semble en effet souvent ignorer ou du moins laisser de côté ce commentaire quand il interprète les emblèmes. | |||||||||||||
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Même quand il les ‘traduit’ pour la deuxième édition, il n'en donne qu'une version très sommaire, même superficielle. Il est logique qu'il néglige la partie où Junius décrivait le bois qu'il fallait créer, mais il raccourcit aussi les parties les plus savantes où Junius découvre pour nous les sources souvent multiples des emblèmes. En effet il passe sous silence plusieurs emblèmes, les jugeant ‘facille’. Le choix de ce mot nous révèle les priorités de Grévin: il ne veut plus, comme il convenait à l'auteur érudit et latiniste qu'était Junius, donner preuve de la largeur de ses connaissances, ni même conduire son lecteur à une appréciation étendue d'auteurs pour la plupart anciens. Il veut simplement que les emblèmes soient compris et qu'ils impressionnent le lecteur. Il en découle que ses propres commentaires visent surtout à expliquer et à simplifier, et non à ouvrir des horizons.
Ce même critère semble être l'essence de sa traduction des emblèmes eux-mêmes. Le latin étant une langue beaucoup plus succincte que le français, il n'est pas étonnant que la plupart des traductions de Grévin soient plus longues que l'original. Il favorise surtout des poèmes de six vers (30 sur 57 dans la première édition); six sont encore plus longs (un de huit vers, deux de dix, et trois de douze). On remarquera que les poèmes les plus longs sont composés de vers plus courts (6 ou 7 syllabes, tandis que dans la plupart des autres poèmes ce sont des alexandrins). Dix-sept poèmes sont composés de quatre vers, comme l'original, trois ont cinq vers, et un poème se réduit à un seul couplet. Étant donné la différence entre les deux langues, on s'attendrait peut-être à ce que six vers au moins soient nécessaires pour donner une impression plus ou moins équivalente du latin. Prenons comme premier exemple l'emblème no. 8, ‘Calumnia dira pestis’: Hic radio laetifero tacta, velut sidere, Pastinacae,
Exuitur celsa pirus deciduam luxuriem comarum.
Haud aliter vipereo vaniloquus dente calumniator
Attalicas vertere opes, conditionemque potest superbam.Ga naar voetnoot7
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Grévin traduit ce texte, si ‘traduit’ est le mot juste, par un poème de six vers, intitulé ‘La Calomnie est vne peste cruelle’: Vous voyez le poirier esleué dessus terre
Despouillé pouurement ainsi que d'vn tonnerre,
Lors que la Pastenaque y fiche son poinçon:
Ainsi le médisant d'vne langue animée
Peut tollir la richesse auec la renommee,
Depuis que de sa gorge il vomit le poison.
Les trois premiers vers consacrés à l'image représentée dans le bois, qui correspondent aux deux premiers du latin, me semblaient à première vue un peu fades. Le mot ‘laetifero’ (= ‘letifero’, qui apporte la mort) manque totalement, et l'expression ‘esleué dessus terre’ est beaucoup plus lourde que le noble ‘celsa’. L'impression d'un feuillage riche, donnée par l'image ‘deciduam luxuriem comarum’, est absente, et tout ce qui reste pour souligner la grande perte soufferte par le poirier, c'est l'adverbe ‘pouurement’. D'autre part, les vers suivants impressionnent tout de suite: Grévin laisse tomber l'allusion à Attalus, qui échapperait peut-être au lecteur francophone, y substituant l'expression allitérative de ‘la richesse auec la renommee’ qui, en même temps, remplace l'allitération en latin de ‘vipereo vaniloquus...’; puis pour l'image ‘vipereo... dente’ (signifiant l'esprit du calumniateur), il crée une nouvelle image dans le dernier vers, image non seulement valable en elle-même, mais constituant de plus un jeu de mot (poinçon/poison) qui souligne les rapports entre les deux parties du poème. Dans ce contexte, on peut peut-être revenir sur notre jugement sur ‘despouillé pouurement’ pour signaler, là aussi, une tentative d'allitération, moins bien réussie, mais qui sied à la façon dont Grévin semble envisager son poème. Nous nous trouvons donc en face, non d'une traduction mot à mot, mais d'une adaptation libre où il se sert d'une variété d'effets stylistiques pour recréer, en quelque sorte, l'impression totale de l'original.
On voit le même processus se reproduire dans l'emblème no. 31, ‘Idem salutis & exitij fons’: Nos necat elleborus, capris adipem auget, auíque:
Idem ignis fomes, & populator opum est.
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Insontem & sontem facundia praestat eundem:
Nunc est exitium, nunc medicina salus.
Grévin traduit le titre de façon très précise, ‘Mesme fontaine de salut & de mort’, mais il n'en est pas de même pour la subscriptio: Le Bouc vit d'Helebore a l'homme domageable:
Le feu nous enrichist, & les biens il rauit:
La parolle rend l'homme innocent & coulpable:
Par vn mesme remede on meurt, & si lon vit.
Le premier vers du texte latin est marqué par l'allitération: ‘Nos necat elleborus...’, et suivi par le répétition des sons ‘o’ et ‘p’ dans le deuxième: ‘populator opum’. Dans la version française, cette ouverture dramatique manque. La notion de ‘tuer’ est remplacée par la phrase ‘à l'homme domageable’, où la répétition du son [ɔm] n'a guère la même valeur que l'allitération latine, mais d'autre part l'expression verbale du deuxième vers est peut-être à préférer à l'expression nominale du latin. Inévitablement, le parallèle ‘sontem’: ‘insontem’ est perdu. Dans le latin, le paradoxe est renforcé par le ‘nunc’ répété du dernier vers qui rappelle le titre. La version française n'exploite pas le titre, mais d'autre part le contraste ‘on meurt’: ‘on vit’, ainsi que le renforcement fourni par le mot ‘mesme’, produit un effet final d'une certaine force.
On s'attendrait peut-être à ce que les textes où Grévin s'efforce de raccourcir l'original réussissent moins bien que ceux où, comme dans les emblèmes déjà discutés, il se permet de rallonger un peu. Sa version de l'emblème no. 28, ‘Principis calamitas, priuatorum dissimilis’, comprend, comme le latin, quatre vers, mais étant donné la différence entre les deux langues, ceci devrait entraîner une diminution des détails (Voir planche no. 1). Peut-être pour compenser, le titre est plus long, et, par conséquent, assez maladroit, bien qu'il maintienne l'allitération: ‘La calamité des princes est dissemblable à celle des hommes priuez’. Les vers latins soulignent la nobilité du prince que l'on ne peut pas détruire: Stat vidua quercus laeto honore frondium,
Quas rapido Boreas decussit asper turbine.
Princeps auitum, saeva cui refixerit
Imperium Nemesis, tuetur is gentis decus.
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Planche no.1: Emblème 28: ‘Principis calamitas, priuatorum dissimilis’. a) Hadrianus Junius, Emblemata, Anvers: C. Plantin, 1565; b) Hadrianus Junius, Les emblesmes, Anvers: C. Plantin, 1567 (enlarged). (Exemplaires de la ‘Stirling Maxwell Collection’, Glasgow University Library, Department of Special Collections)
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Dans ce contexte, il est essentiel que l'adversaire du prince, et ainsi l'adversaire du chêne aussi, soit digne de lui: alors Boreas est qualifié de l'adjectif ‘asper’, et agit ‘rapido turbine’, et c'est Nemesis (saeva... Nemesis) elle-même qui provoque la chute du prince. La version française diminue cette impression de grandeur: Le chesne se tient droit despouillé de branchage
Que l'Aquillon sifflant en bas luy a iecté.
Le Prince qu'vn desastre a mis a pauureté
Retient tousiours l'honneur de son premier lignage.
Pour Nemesis il ne reste que le faible ‘desastre’, et même l'Aquilon a perdu un peu de sa force (sifflant).
Le poème qui a subi la plus grande réduction (à deux vers) est pourtant très bien réussi. C'est l'emblème no. 52, ‘Venter, pluma, Venus laudem fugienda sequenti’: Quo fugitiua ruis, quemue auersata relinquis
Gloria clara virum?
Desero suffultum pluma, Venerisque ministrum,
Mancipiumque gulae.
Grévin commence par traduire le motto littéralement: ‘Qui suit la louange doibt fuir le ventre, la plume & Venus’, c'est-à-dire les attributs de l'homme qu'on voit couché dans le bois. Notons que chacun des trois éléments à rejeter est représenté par deux mots, et que pour les deux derniers Junius établit un parallèle évident, renforcé par le chiasmus (Venerisque ministrum,/ Mancipiumque gulae). Le français est beaucoup plus bref: Belle gloire ou fuis-tu? qui laisse tu derriere?
Cupidon & Bacchus & Venus escumiere.
Les trois noms employés ici ne sont pas exacts, non seulement parce qu'il s'agit maintenant de trois personnages distincts, au lieu des attributs d'un seul personnage, mais parce qu'ils ne correspondent pas aux faiblesses humaines que Junius nous encourage à fuir et dont Grévin parle dans le titre. Néanmoins, nous nous trouvons ici en face d'un poème qui, par sa brièveté même, a sa propre force. La rime met l'accent sur ‘escumiere’, épithète traditionnel et évocatif pour Vénus. Dans la deuxième édition, Grévin modifie le titre: ‘Qui suit la louange, doibt fuir le ventre, la pares- | |||||||||||||
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se, & la luxure’. Cette nouvelle formulation interprète les images de l'original (la paresse, c'est la plume; et la luxure, bien entendu, c'est Vénus). Grévin veut peut-être renforcer le sens de la morale que lui-même il a changé par cette traduction des plus libres.
Si une version française brève ne signifie rien quant à sa valeur, il en est de même pour une version beaucoup plus longue que l'original. Les versions françaises des emblèmes no. 38 et no. 23 ont toutes les deux douze vers, mais leurs qualités sont bien différentes. ‘Femina improba’ (38) est un poème violent où Junius associe la sexualité de la femme avec une véritable violence (Voir planche no. 2): Cùm ruit in venerem, blanditur Echidna marito,
Mox satura insertum praescidit ore caput.
Improba palpatur, tentigine feruida coniunx;
Continuò letum poscit anhela viri.
‘Echidna’ non seulement signifie un serpent, mais suggère aussi le monstre, mi-femme, mi-serpent, qui était la mère de Cerbère. L'acte sexuel est dénoté par ‘ruit in venerem’ et ‘tentigine feruida’ souligne sa violence. L'épithète ‘improba’ a un sens assez fort. Grévin réduit la violence du latin de tous points de vue:
Le poème français ressemble presque à une chanson, avec ses vers courts, et cette impresson est renforcée par les rimes ‘amoureuse’ et ‘gracieuse’ des deux premiers vers. Malgré les vers courts, il s'agit évidemment d'un développement de l'original, mais qui a tendance à en diluer le sens: l'absence du côté sexuel est frappante. Tout ce qui reste de ‘ruit in venerem’ est ‘Se monstre gracieuse’, et ‘tentigine feruida’ devient ‘Par sa langue allechante’. Dans la subscriptio originale, Junius semble souligner moins la perfidie de la femme, que son inconstance qu'il lie à son excitation sexuelle, comme si c'était cette excitation elle-même qui en était la | |||||||||||||
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Planche no.2: Emblème 38: ‘Femina improba’. a) Hadrianus Junius, Emblemata, Anvers: C. Plantin, 1565; b) Hadrianus Junius, Les emblesmes, Anvers: C. Plantin, 1567 (enlarged). (Exemplaires de la ‘Stirling Maxwell Collection’, Glasgow University Library, Department of Special Collections)
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racine.Ga naar voetnoot8 Dans le français, Grévin nous donne l'impression que la femme feint son excitation pour couvrir sa colère et son dessin meurtrier, interprétation favorisée par l'Explication aussi: ‘se monstre’ implique la déception, comme ‘couure son coeur marri’. La répétition du son ‘s’ dans le deuxième vers du latin évoque le serpent, et la répétition du ‘p’ dans le troisième vers renforce le fait qu'il faut désapprouver l'action de la femme. Rien dans le français ne semble donner une équivalence à la force du latin: au contraire les vers courts, et surtout le jeu de mots ‘marri’: ‘mary’ à la rime donne une impression de légèreté qui convient mal au sujet de cet emblème.
Par contre, l'emblème no. 23, ‘Diuina scrutari, temerarium’, nous fournit une version française où la forme et le sens se complémentent ‘C'est vne chose temeraire de recercher de trop pres les choses diuines’. La version latine, dédiée à Cornelius Musius, prêtre et humaniste, originaire de Delft, emploie deux images pour exprimer les mystères divins: Immatura sitim Pharia arcet Palma, eadem
Sensus praepedit, & linguam matura ligat.
Scrutans celsa Dei mysteria, lingua, animo
Haeret; at ille sapit qui vestibulum haud superat.
L'image principale est, bien sûr, la palme égyptienne qui, après avoir servi à étancher la soif, en devenant plus grande, allourdit les sens de celui qui y touche. Junius en tire la morale qu'il faut éviter de donner expression aux mystères divins, qu'il compare, implicitement, à un temple dans lequel il vaut mieux ne pas entrer (‘vestibulum’ = le vestibule, l'anti-chambre). Grévin modifie l'équilibre de ce poème, en consacrant cinq vers à l'image de la palme, et sept à la morale, et ceci sans aborder la deuxième image: La palme qui n'est pas mure
Chasse la soif qu'on endure:
Mais ayant maturité
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Le sens en est tourmenté,
La Langue en est entachee.
Celluy qui cerche de prez
De Dieu les profondz segretz
Trouue sa langue attachee
Contre l'esprit aresté:
Mais celluy est bien plus sage,
Qui plein d'vn humble courage
Simplement s'est contenté.
Le sens de la première partie reste plus ou moins pareil, la cheville ‘qu'on endure’ étant la seule chose qui ne correspond pas au latin. La structure en parallèle des quatrième et cinquième vers soulignent le grand danger représenté par la palme et donne une impression de finalité, créée peut-être dans le deuxième vers de la version latine par l'allitération: ‘linguam matura ligat’. Mais dans la deuxième partie, Grévin ne se contente pas de l'avertissement donné par Junius; il rajoute un sentiment plus positif dans les trois derniers vers: à l'expression assez neutre ‘sapit’, il substitue quelque chose de beaucoup plus émotif, ‘est bien plus sage’, tout en introduisant l'idée de l'humilité (vertu chrétienne par excellence). La forme du poème entier, les vers courts qui suggèrent une certaine légèreté, correspondent de façon satisfaisante à l'impression finale donnée par le dernier vers avec son insistance sur la valeur de la simplicité.Ga naar voetnoot9
Si les conclusions que j'ai tirées jusqu'ici des traductions de Grévin semblent exagérées ou trop subjectives, il suffit de regarder les changements nombreux que Grévin introduit dans la deuxième édition de la version française. Ces modifications nous permettent d'entrer de façon sûre dans l'esprit de Grévin, de partager sa motivation. En effet, à peu près la moitié des emblèmes dans leur forme française ont subi une modification qu'on peut | |||||||||||||
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qualifier de significative, c'est-à-dire qui dépasse la simple correction d'erreurs typographiques (les accents, la pour le etc.) dont je ne parlerai pas.Ga naar voetnoot10 D'ailleurs aucun changement ne correspond à un changement dans le texte latin, à part, bien sûr, le motto de l'emblème no. 46, mais en réalité il s'agit là aussi d'une correction. Correction encore la substitution d'Apollon pour Diane (traduction de Latoides, dans l'emblème no. 11): voilà la preuve la plus convaincante que Grévin n'a pas tenu compte du commentaire lorsqu'il préparait sa traduction, car Junius y avait détaillé les allusions peu précises du texte latin.
Le tout premier emblème, ‘Reprehendere procliue: & animum apertum esse debere’, ‘Estre enclin à reprendre & auoir l'esprit ouuert’, nous fournit un exemple tant soit extrême de la façon dont Grévin semble agir (Voir planche no. 3). Cet emblème demande une connaissance profonde de la culture ancienne, car il faut y reconnaître l'histoire selon laquelle Neptune, Pallas et Vulcan ont demandé à Momus, dieu de la repréhension (censure), de juger lequel des objets qu'ils avaient choisis serait la chose la plus utile au monde. Neptune aurait suggéré un cheval, Pallas une maison, et Vulcan l'homme. Momus aurait répondu que l'homme devrait porter une fenêtre dans la poitrine pour révéler ce qu'il y cachait. Mais dans le texte latin, aucune mention explicite des trois rivaux, bien qu'ils soient représentés dans le bois, ni de la qualité critique signifiée par Momus: Nocte satus, genitore orbus, sum nomine Momus,
Dente Theonino singula rodo lubens:
Fingi hominem caussor clathrato pectore; apertis
Sensibus occultum ut nil specus ille tegat.
La seule référence que Junius y fait, c'est ‘Dente Theonino’, pour souligner son esprit critique (cette phrase, tirée d'Horace, fait référence au poète satirique Theon). Junius dévoue quatre pages érudites à expliquer son texte. En essayant de produire une version facile à comprendre, tout en se passant de commentaire, | |||||||||||||
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Grévin entreprend, peut-être, une tâche au dessus de ses forces! La première version n'est certainement pas très réussie: Ie suis nommé Momus qui ay pris naissance
De la Nuict qui me feist sans aucune semence:
Ie veux mordre chasqu'vn d'vne dent Theonine,
Marry que l'homme porte vne close poictrine,
Pour autant qu'il ne faut que ce creux soit couuert:
Mais plustost à chasqu'vn parfaictement ouuert.
Qu'on lise cette version sans avoir le latin sous les yeux, le deuxième vers pourrait signifier quelque chose de tout à fait différent du ‘genitore orbus’ de l'original: ce serait Momus lui-même, qui n'aurait pas de ‘semence’. Grévin corrige ce malentendu éventuel dans sa deuxième version. La ‘dent Theonine’ ne signifierait certainement pas grand-chose à un lecteur francophone, et ceci aussi est modifié. Le quatrième vers, qui ne correspond à rien dans le latin, aide également à transmettre le sens général, en expliquant la faiblesse humaine visée par Momus, mais cela n'évite pourtant pas que le premier texte français reste peu intelligible. Le deuxième, auquel Grévin ajoute un commentaire bref mais clair quant aux différents personnages qui figurent dans l'histoire et dans le bois, écarte du moins les pires obscurités: Ie suis le Dieu Momus qui eus la Nuict pour mere,
Laquelle m'engendra sans semence de pere,
I'ay pour mordre chascun la dent enuenimee,
Marry que l'homme tient sa poictrine fermee,
D'autant qu'il n'est pas bon que lon porte couuert
Le coeur qui doibt tousiours estre à chascun ouuert.
L'ambiguité du deuxième vers a disparu, ainsi que l'obscure allusion à Theon. Et en même temps, Grévin a réussi à reproduire le parallèle entre ‘Nocte satus’ et ‘genitore orbus’ sous la guise de la rime mere/pere. La modification du quatrième vers souligne la volonté de l'homme qui lui ferme le coeur, et ainsi la morale qu'il faut en tirer; et le changement de l'expression ‘creux’, traduction assez littérale de ‘specus’ (grotte), en ‘coeur’ nous encourage à appliquer l'emblème à nous-même au lieu de nous concentrer sur l'histoire ancienne. Il faut admettre que le rythme du cinquième vers en souffre un peu. | |||||||||||||
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Ce premier emblème manifeste de la façon la plus évidente beaucoup des problèmes que doit affronter le traducteur. D'abord, en s'adressant au public francophone, Grévin sait qu'il ne peut bien sûr pas se fier au même niveau de connaissances de la culture ancienne que Junius; mais plus intéressants peut-être sont les problèmes d'ordre littéraire qu'il aborde. Dans une langue caractérisée par la brièveté d'expression, une grande partie de l'effet dérive de l'ordre des mots, presque infiniment variable, et souvent, dans le cas de Junius, cet effet est renforcé par un système de sons répétés, comme l'allitération, ou une construction en parallèle, comme ici dans ‘Nocte satus, genitore orbus’. Le français, évidemment, n'opère pas de la même façon, et il est rare qu'on puisse traduire mot à mot. Dans ce contexte, il faut tâcher de trouver un effet équivalent en français, mais souvent par un autre moyen, comme Grévin le fait ici avec la rime, peu originale d'ailleurs, de pere avec mere.
Dans sa deuxième édition, Grévin nous donne également une version complètement nouvelle de l'emblème no. 13, ‘Prudentia cum robore coniuncta’: en effet il passe d'un poème de quatre vers à un poème de six vers, ce qui lui permet de faire ressortir la morale d'une façon beaucoup plus impressionnante (Voir planche no. 4). Le texte latin se divise en deux: les deux premiers vers sont consacrés à une description de la statue de Cyllenius (c'est-à-dire Mercure), représentée dans le bois; les deux derniers, très brièvement, expriment la morale qu'il faut en tirer. Dans les deux versions de ‘La prudence ioincte auecque la force’, on s'y attendait déjà, Grévin donne à Mercure son nom habituel, mais la brièveté d'expression semble lui poser des problèmes. Dans la première version, Grévin change l'équilibre, ce qui est rare dans ses traductions, en consacrant un seul vers à la statue, et trois à la morale: Mercure se tient droit ioinct auecq la vielesse.
La force est indomptable auecque la sagesse:
Mais sans elle, elle va tousiours se consumant,
Et ne peut demourer iamais asurement.
Évidemment, on y perd quelque chose: l'expression de la jeunesse de Mercure (Viribus integris). Mais d'autre part le troisième | |||||||||||||
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vers est original et développe les dangers que nous pouvons encourir sans la ‘sagesse’. La deuxième version est pourtant nettement supérieure: Vous voyez en ces deux la ieunesse & vieillesse,
La force est indomptable auecque la sagesse:
Mais sans elle, elle va tousiours se consumant,
Et ne peut demourer ferme & stable vn moment.
Ainsi lon vit iadis en vne pourtraicture
Attachés doz-à-doz l'vn & l'autre Mercure.
L'équilibre est rétabli (le premier et les deux derniers vers consacrés à la statue, et les vers deux à quatre à la morale), ainsi que l'idée de la jeunesse. La logique de l'emblème est renforcée par les phrases ‘Vous voyez’ et ‘Ainsi’. D'ailleurs les dangers se trouvent exprimés d'une façon plus émotive avec la substitution de la phrase ‘Et ne peut demourer ferme & stable vn moment’ pour ‘Et ne peut demourer iamais asurement’.
Ces deux poèmes profondément révisés nous fournissent la clef de l'attitude de Grévin vis-à-vis de Junius: il témoigne du désir d' offrir à son public une traduction facile à comprendre, mais sans négliger les effets stylistiques qu'il exploite pour essayer de créer une force émotive.
La tendance à renforcer la morale et à simplifier les allusions savantes se manifeste parfois progressivement: dans la version latine de l'emblème ‘Principum opes, plebis adminicula’ (14), l'image de la première partie du texte, et du bois, se situe explicitement dans le domaine égyptien (Pyramides Pharium), et le lien entre la morale et cette image se reflète dans la répétition ‘perennia... perenniter’. Le français de la première version, ‘Les richesses des Princes sont le soustien du peuple’, emploie un autre lien, le motif de ‘verdure’ suggéré par le mot ‘viret’ dans le latin, utilisé au sens figuré: Le lyerre entresuiuy de branchages tout vertz
Poussez de ça de la, la pyramide embrasse,
Dont les Rois Phariens furent iadis couuertz.
Par les biens des seigneurs le pauure populace
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Souuent est soulagee, & la grand' fermeté
Verdoye a tout iamais en l'esprit aresté.
Grévin précise les ‘branchages... vertz’, pour nous préparer au mot ‘verdoye’ à la fin. Dans sa deuxième version, Grévin omet la référence aux rois égyptiens, peut-être pour élargir le domaine dans lequel la morale peut s'appliquer: Le lyerre tortillé heureusement embrasse
La haulte Pyramide, auec ses plis diuers,
Ses tiges sont par tout de feuilles recouuerts:
Ainsi voit on souuent la pauure populace
Par les Grands soulagee: ainsi la fermeté
Verdoye à tout iamais en l'esprit arresté.
Le lien peut-être simpliste entre ‘vert’ et ‘verdoye’ a disparu (‘ainsi’ répété deux fois joue peut-être le même rôle), mais la morale, c'est-à-dire le soutien réciproque, est exprimée de façon encore plus claire, d'une part par le nouveau titre, ‘Les richesses des Princes sont le soustien du peuple, qui leur faict honneur’, d'autre part par le mot ‘heureusement’.
Il est d'autres emblèmes (cf. aussi l'emblème no. 52 ci-dessus) où Grévin modifie le titre pour que la morale soit plus évidente et s'applique plus facilement au présent. La première version représente toujours une traduction exacte du latin. ‘Seipsum vincere, palmarium’ (15) devient d'abord ‘Se vaincre soymesme est triumpher’, puis ‘Se chastier soymesme est triumpher’ qui change un peu le sens de l'original, mais en le faisant correspondre à la substitution de ‘sçauoir diuin’, lecture christianisée, au latin ‘Sophia’. Le titre de l'emblème suivant (16), ‘Cuncta complecti velle, stultum’ devient d'abord, équivalent exact du latin, ‘C'est folie de vouloir tout embrasser’, puis ‘C'est folie de chasser apres les honneurs, & de vouloir tout embrasser’ qui oriente le lecteur tout de suite. Le changement dans l'emblème no. 55 est encore plus clair: ‘Vn maintien gracieus’ ne donne au lecteur aucune idée du sens qu'il faut chercher. A cette traduction mot à mot Grévin substitue ‘Estre candide & ne s'amuser aux choses mauuaises’. | |||||||||||||
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Les modifications introduites pour rendre un texte plus clair peuvent être minimes; parfois un seul mot est changé. Ainsi dans l'emblème no. 33, Grévin commence par traduire ‘scutum’ par ‘targe’, comme on s'y attendrait, mais par la suite il renonce à cette expression figurative et substitue ‘deffense’. L'emblème no. 44 traite du conflit entre le vice et la vertu, ‘Biuium virtutis & vitij’; tout d'abord, Grévin met ‘fourchee’, mais par la suite il y préfère l'expression plus courante ‘la double voye’ qui prépare le lecteur aux oppositions que le texte va lui offrir. Dans la deuxième version, il souligne la morale en substituant ‘l'onde allechante’ pour ‘l'eau delicieuse’ qui n'exprimait peut-être pas assez clairement la désapprobation nécessaire dans la description du Vice qui nous tente. La substitution de ‘menaçante’ pour ‘toute hideuse’ développe pourtant peut-être trop le paradoxe de la Vertu dont l'aspect peu attrayant peut décourager le voyageur.
La traduction française de Grévin montre jusqu'ici, nous avons vu, une réduction des allusions mythologiques qui amène à une généralisation du sens, de façon à s'appliquer mieux à la situation dans laquelle le lecteur se trouve. Quelquefois, mais c'est l'exception, l'inverse est vrai et la signification s'en trouve limitée. Dans l'emblème no. 9 ‘Inuidia integritatis assecla’, ‘L'enuie est compagne de l'integrité’, on parle de la façon dont les envieux se rassemblent autour de l'homme vertueux. Grévin introduit la notion de la maison du vertueux qu'il décrit d'abord par la phrase ‘En laquelle lon vit selon dieu & raison’. ‘Dieu’ ne figurait pas dans l'original, mais Grévin renforce son rôle actif dans la deuxième édition où il écrit: ‘Ou Dieu faict habiter la iustice & raison’. Dans l'emblème no. 22, ‘Adulator saluti reipublicae grauis’, ‘Le flateur est insuportable en la republique’, Grévin dit que le Roi doit bannir de sa cour le flatteur ‘Qui des bons plus-souuent se rend accusateur’. Cette formulation généralisée change, et l'on trouvera ‘Qui des hommes de bien s'est fait l'accusateur’ qui semble, à cause du passé composé, se référer à un fait historique. En effet, ces | |||||||||||||
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deux emblèmes, sous leur forme française, pourraient bien refléter des actualités de l'époque.Ga naar voetnoot11
Inévitablement, les révisions qui cherchent à éclaircir le sens arrivent en même temps à renforcer l'effet émotif. Mais il y en a d'autres, où Grévin se limite à travailler sur des techniques stylistiques, où, paradoxalement, son influence sur la réaction émotive du lecteur est encore plus manifeste. Par example, dans le deuxième emblème de la collection, ‘Rabularum odium’, ‘La hayne des chicaneurs & pledereaus’, qui vise les avocats qui entreprennent des litigations fausses, Grévin s'exprime d'abord de façon assez modérée à travers la métaphore de l'éléphant et du porc: L'Elephant Indien prend fort à contrecoeur
Le grongnement du porc...
En 1570, cette expression se trouve renforcée par le superlatif hyperbolique: ... n'a point plus grand hayneur
Que le pourceau...
Il peut s'agir, dans ce contexte, de changements apparemment insignifiants, parfois un seul mot, qui arrivent tout de même à produire un effet très important: dans le troisième emblème, ‘Gloria immortalis labore parta’, ‘L'immortelle gloire acquise par labeur’, la modification la plus réussie est le changement de ‘labeurs continus’ (latin ‘continuos’) en ‘labeurs assidus’ qui constitue, sans aucun doute, une expression beaucoup plus émotive. Je trouve que ‘Le sçavant florira’ donne également une meilleure impression que la phrase ‘il verdoyra tousiours’, où ‘tousiours’ est presque superflu. Dans l'emblème no. 41, ‘Linguam compescito’, ‘Retiens la langue’, le mot ‘follement’ conduit le lecteur à la réac- | |||||||||||||
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tion voulue d'une façon bien plus claire que ‘librement’ dans l'original: ‘Retiens la langue aussi qui follement offence’.
Dans l'emblème no. 20, ‘Exiguo contentus, potiora sperans’, ‘Estre content de peu, esperer dauantage’, un changement à première vue minime arrive à articuler l'aspect moral: dans les vers 4-6, Grévin constate d'abord: L'homme bienheureux se contente
De tout cella qui se presente,
Et s'appreste à mieus recepvoir.
Mais dans la deuxième version, il écrit: L'homme est heureux qui se contente...
Le relatif souligne le fait que c'est en se contentant de la réalité qu'on peut être heureux, la cause et l'effet. Dans l'emblème no. 38 (voir ci-dessus), un changement tout aussi anodin produit un effet dramatique rehaussé. Grévin substitue ‘Puis soudain...’ pour ‘Et apres’, en racontant comment une femme méchante arrive à décevoir son mari, puis, par contraste, souhaite sa mort.
Plus important que le nouveau titre donné à l'emblème no. 10, ‘Vaine esperance’ au lieu de ‘Desir sans esperance’ (= ‘Desiderium spe vacuum’) est le petit changement au deuxième vers qui sert à souligner des éléments contradictoires. Un contraste a déjà été établi entre le lion qui tient sa proie et le chien qui n'arrive qu'à regarder de loin. La première version de Grévin était ‘Et le chien en iouist par espoir seullement’, où le mot ‘iouist’ donne presque l'impression contraire de la réalité, car il semble signifier que le chien aussi a sa part de la proie. Dans sa deuxième version, Grévin contraste explicitement les verbes associés aux deux animaux: ‘Le lyon tient... le chien l'espere seulement’.
Certains des changements textuels qu'on trouve dans la deuxième version française de 1570 semblent servir non seulement à renforcer le sens mais aussi à produire de meilleurs effets rythmiques. Ainsi, dans la version modifiée du troisième emblème, l'appui tombe sur les mots les plus importants (‘Le sçavant florira’), tandis que dans l'original (‘il verdoyra tousiours’) ‘tousiours’ | |||||||||||||
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n'est qu'une cheville. ‘Et apres’ dans l'emblème no. 38 donne un hiatus un peu maladroit que Grévin peut éviter par ‘Puis soudain’. Il serait peut-être téméraire d'exagérer cet aspect de mon analyse qui pourrait facilement devenir subjectif. D'autre part, on n'a qu'à regarder les corrections que Grévin voulait apporter à son Theatre dans le manuscrit du Musée Plantin) pour apprécier l'importance qu'il prêtait au rythme.Ga naar voetnoot12 Dans quelques modifications qu'il apporte aux Emblèmes, c'est le rythme seul, et surtout le désir d'éviter un hiatus, qui semble avoir dicté son choix: dans l'emblème no. 19, ‘ainsi il nous exhorte’ devient ‘ainsi donc il exhorte’, ce qui élimine en même temps une répétition maladroite du mot ‘nous’. Ceci peut se comparer à la modification apportée à l'emblème no. 28 (voir ci-dessus): Grévin avait parlé des branches ‘Que l'Aquillon sifflant en bas luy a iecté’; mais en 1570 il y substitue ‘Que l'Aquilon sifflant a par terre iecté’ en évitant encore une fois le hiatus.
Comme dernier exemple de l'attitude adoptée par Grévin en révisant sa traduction, regardons l'emblème no. 42, ‘Deum & ama & time’, ‘Aime Dieu & le crains’, où Junius emploie le Sphinx pour symboliser Dieu qu'il faut en même temps aimer et craindre. Dans les troisième et quatrième vers du latin on trouve: Amato numen ceu piis mite, ac placabile:
Rursus time, vt vindex inexorabile impiis.
En 1567, Grévin les traduit de la façon suivante: Comme douce & amiable
Aime la diuinité
A qui suit la pieté:
Crains la comme inexorable,
Et vindicatiue aussi
A qui n'en a le soucy.
Non seulement le chiasmus du latin a disparu (piis... impiis), mais le passage est difficile à comprendre, puisque le vers ‘A qui suit la pieté’ se trouve séparé des adjectifs (douce/amiable) dont il dépend. Ceci crée une incertitude quant au sens des mots ‘Aime la | |||||||||||||
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diuinité’: le mot ‘diuinité’, est-il grammaticalement le sujet d'une constatation (La divinité aime d'une façon douce et aimable) ou, au contraire, l'objet d'un verbe à l'impératif? Quand on regarde le latin, on voit qu'il s'agit de la traduction du mot ‘Amato’, qui est une forme peu commune de l'impératif. J'hésiterais quand même à croire que Grévin aurait eu du mal à reconnaître ce mot, bien qu'il y ait, dans les exemplaires que j'ai consultés de la première édition, un petit blanc entre ‘Amat’ et ‘o’, qui peut désorienter le lecteur.Ga naar voetnoot13 Si l'on accepte que Grévin lui-même ne comprenait pas tout à fait l'original, il aurait pu créer exprès ce vers ambigu... ou bien il peut s'agir en fait d'une simple erreur typographique, c'est-à-dire une transposition faite par l'imprimeur! Ce qui est certain, c'est que la correction fournit non seulement une version où le sens ressort clairement, mais aussi un chiasmus adroit (ne reproduisant pas celui du latin) qui, en soulignant la morale, finit par impressionner le lecteur: Comme douce & amiable
A qui suit la pieté
Aime la diuinité:
Crains-la comme inexorable
Et vindicatiue aussi
A qui n'en a le soucy.
Kathryn Evans, dans sa thèse doctorale sur Grévin, caractérise sa traduction (du latin, non du grec original) des Préceptes de Plutarque de la façon suivante: Throughout the text, the translation remains very close to the Latin: often, indeed, the text is translated word for word, using the same constructions, and, as far as possible, the same word order. Mais sa traduction de Plutarque était une oeuvre de jeunesse; on la croit complétée en 1556, quand Grévin n'avait que 18 ans, et la traduction de Junius, même sous la forme de la première édition, fait preuve d'une attitude bien différente. Grévin tâche d'influencer son lecteur: il veut que la morale soit non seulement claire mais aussi capable d'émouvoir. Cette intention ressort des modifi- | |||||||||||||
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cations qu'il apporte à la deuxième édition, et c'est dans ce contexte qu'il faut juger tout son travail.
Grévin, comme d'autres traducteurs d'emblèmes d'ailleurs (Lefèvre pour Alciat, même Aneau dans la version française de son propre livre d'emblèmes, Picta Poesis), adapte tout d'abord son texte aux besoins de lecteurs moins savants. Ainsi, il diminue ou généralise les allusions aux anciens: ceci est encore plus vrai dans la version très sommaire qu'il donne des Explications. Il est également vrai que les autres traducteurs de livres d'emblèmes ont tendance à essayer de souligner le didacticisme de l'original. Dans cet égard, Lefèvre et Hunger, traducteur allemand d'Alciat, semblent plutôt restreindre la portée de l'original, l'appliquant à certains groupements de gens. Par contre Grévin, qui, en Junius, a affaire à un original qui tend à viser un public plus limité, semble le plus souvent généraliser - exception faite des emblèmes où il semble vouloir refléter des événements historiques. Du point de vue littéraire, il est, bien sûr, fort difficile de recréer dans une autre langue les effets stylistiques d'un poème, surtout quand il s'agit de langues qui opèrent d'une façon aussi différente que le latin et le français. Souvent, il est complètement impossible d'adopter en français l'arrangement affectif des mots auquel tend Junius. Néanmoins, les techniques d'allitération et de chiasmus caractérisent les deux auteurs, et parfois Grévin arrive à produire un effet qu'on peut dire analogue au latin, bien que, inévitablement, il emploie l'allitération ou le chiasmus dans un contexte tout différent de l'original. Certainement, Grévin nous donne parfois des poèmes franchement faibles, nous l'avons déjà constaté, mais aussi des poèmes très réussis qui ne peuvent qu'impressionner le lecteur. Ceci mis à part, il est intéressant de pouvoir, à travers ses révisions, participer à la façon de penser de ce grand humaniste et polymathe.
Department of French University of Glasgow | |||||||||||||
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Planche no.3: Emblème 1: ‘Reprehendere procliue: & animum apertum esse debere’. a) Hadrianus Junius, Emblemata, Anvers: C. Plantin, 1565; b) Hadrianus Junius, Les emblesmes, Anvers: C. Plantin, 1567; c) Hadrianus Junius, Les emblesmes, Anvers: C. Plantin, 1570. (Exemplaires de la ‘Stirling Maxwell Collection’, Glasgow University Library, Department of Special Collections; enlarged)
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Planche no.4: Emblème 13: ‘Prudentia cum robore coniuncta’. a) Hadrianus Junius, Emblemata, Anvers: C. Plantin, 1565; b) Hadrianus Junius, Les emblesmes, Anvers: C. Plantin, 1567; c) Hadrianus Junius, Les emblesmes, Anvers: C. Plantin, 1570. (Exemplaires de la ‘Stirling Maxwell Collection’, Glasgow University Library, Department of Special Collections; enlarged)
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