De Gulden Passer. Jaargang 47
(1969)– [tijdschrift] Gulden Passer, De– Auteursrechtelijk beschermd
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Érasme et Gand
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toutes les qualités de l'âme; Omer d'Enghien, homme aux moeurs pures; Liévin Ammonius, ce mortel également remarquable par son érudition et par sa piété; Nicolas van Uutenhove, jeune homme qui offre les meilleures promesses; il y en a d'autres par surcroît, et tous ont conçu de toi les espoirs les plus brillants. C'est pourquoi, mon cher Charles, tu portes en toi l'attente que tu vas répondre non seulement au nom des Uutenhove et aux vertus de tes pères, mais aussi à la renommée de cette cité célèbre qui est ta parente et ta nourrice, et enfin aux voeux d'hommes de cette trempeGa naar voetnoot1’. Ce texte nous invite à étudier les relations qu'Érasme a entretenues avec Gand, la première ville de Flandre, dont nous trouvons ici réunis les hommes qui avaient son estime et sa confiance en 1529, les Gantois qui étaient des erasmici, non seulement parce qu'amis d'Érasme mais aussi parce qu'amateurs des bonae literae à l'exemple d'Érasme et dans son esprit. Pour étudier ces relations il nous reste les quelques éditions gantoises d'ouvrages d'Érasme, certaines lettres disséminées dans sa vaste correspondance et l'un ou l'autre écho qu'on entend dans ses ouvrages et jusque dans ses carmina.
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La bibliothèque de l'Université de Gand est riche en éditions anciennes des oeuvres d'Érasme, grâce surtout, nous semble-t-il, à un de ses bibliothécaires en chef, Ferdinand Van der Haeghen, le savant éditeur de la Bibliographie gantoise, le fondateur de la Bibliotheca Belgica, l'érudit chercheur auquel nous devons la Bibliotheca ErasmianaGa naar voetnoot2. Les trésors gantois sont précisément étalés dans l'exposition qui s'ouvre aujourd'hui-même et dont nous garderons un souvenir grâce au catalogue qui lui est consacré. Cependant on ne connaît que trois éditions gantoises d'Érasme, parues en 1510 (ou 1511), en 1512 (ou 1513) et en 1536, et ces trois | |
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livres ne sont pas de première importance dans l'ensemble de l'oeuvre d'Érasme. Le premier volume, paru le 1er septembre 1510 (selon Mlle M.E. Kronenberg) ou 1511 (d'après C. Reedijk), ne compte que 12 feuillets in-4o; c'est la Concio de puero Iesu, un petit recueil de carmina scholastica, destiné à l'école latine de John Colet à Londres, mais c'est une édition princepsGa naar voetnoot3. L'ouvrage ne porte ni millésime ni nom d'imprimeur au titre; l'impression en est toutefois attribuée à Robert de Keysere. Le deuxième volume est un peu plus gros: il compte 24 ff. in-4o Son titre: De ratione studii ac legendi interpretandique aucthores opusculum; son contenu: le traité De ratione studii, quelques poésies d'Érasme et d'André AmmoniusGa naar voetnoot4. Édition non datée et anonyme de R. de Keysere, parue en 1512 ou 1513. Le dernier volume est le plus petit des trois: une publication d'à peine 12 ff. in-8o, au fond un in memoriam d'Érasme, comprenant une de ses lettres, des chants funèbres composés par Georges Cassandre, Jacques de Meyere, de Bailleul, et Eligius Eucharius ou Houckaert, maître d'école à Gand. Le titre: Epistola quaedam D. Erasmi Rot. nunquam antehac aedita, rationem ferè totius vitae eius continens. Epitaphia nonnulla in eundem, quorum censurant tibi o Lector relinquimusGa naar voetnoot5. L'imprimeur se nomme Josse Lambrecht (dit Lettersteker). La date: 1536, dans la seconde moitié de l'année, puisque l'impression s'est faite après la mort d'Érasme. C'est encore au cercle de Robert de Keysere qu'il faut penser: Houckaert et l'historiographe Jacques de Meyere étaient des anciens de son école et Cassandre était un ami de De Meyere. Somme toute, sur les 63 livres imprimés à Gand entre 1500 et | |
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1540Ga naar voetnoot6 il n'y a que trois ouvrages d'Érasme; c'est très peu, mais Gand n'était pas un centre typographique comme Anvers à ce moment.
Parmi les Gantois qu'Érasme a rencontrés sur les chemins sinueux de sa vie, il faut compter en premier lieu ses collaborateurs intimes, ceux qui ont vécu pour lui et avec lui. S'il avait une certaine préférence pour des famuli - copistes, secrétaires, collationneurs, correcteurs d'épreuves, messagers, interprètes et commissionnaires - originaires des Pays-BasGa naar voetnoot7, il appréciait fort les services rendus par certains Gantois. Un des familiers les plus sûrs fut le Gantois Liévin Algoet, devenu famulus en 1519, lors du séjour d'Érasme à Louvain. Le nom de famille de Liévin Alsberghe dit Algoet se cache parfois sous les formes Algotius, Panagathus, Omnibonus. Ce jeune homme fut souvent chargé de missions importantes en Brabant, en Flandre et en Angleterre, et il resta au service d'Érasme pendant environ sept ansGa naar voetnoot8. On connaît les bons conseils qu'Érasme lui a prodigués d'Anvers, le 13 avril 1520, pour qu'il s'applique à de fortes étudesGa naar voetnoot9. Érasme eut pour lui des attentions spéciales: il voulut, à un moment donné, lui léguer sa pension de CourtraiGa naar voetnoot10 et lui payer ses études à LouvainGa naar voetnoot11. Mais Algoet n'était pas fait pour les bonae literae et l'érudition comme l'entendait son maître. Entré, grâce à la recommandation d'Érasme encore, au service de Marie de Hongrie et nommé secrétaire de Nicolas Olah, il se prit d'amour pour la petitefille d'Antoine Clava, la toute jeune Catherine AnnootGa naar voetnoot12. Et cela | |
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contre l'attente d'Érasme qui avait rêvé pour son ‘fils adoptif’Ga naar voetnoot13 la célébrité dans les lettres humanistes pour lesquelles il lui semblait bien douéGa naar voetnoot14 et même quelque opulent bénéfice ecclésiastique ou une femme richement dotéeGa naar voetnoot15. Le choix de Liévin a été peu heureux, dicté par la passion plutôt que par la raison, soupira le maître désappointéGa naar voetnoot16. Malgré tout, la vie d'Algoet semble avoir été une réussite à sa façon; pour tout remerciement il composa un eteostichon ou chronogramme latin de deux lignes en l'honneur de son maître défuntGa naar voetnoot17. Autre Gantois au service d'Érasme, Félix Rex, qui s'appelait sans doute Conincx ou De Coninck, nommé Polyphemus à cause de sa polyglottie (il parlait le grec, le latin, le français, l'italien, le néerlandais et probablement l'allemand aussi), désigné comme Cyclope parce que grand buveur comme le Cyclope d'HomèreGa naar voetnoot18. De Bâle, Érasme le chargea de remettre un paquet de lettres à des amis aux Pays-Bas en octobre 1528Ga naar voetnoot19, il lui confia aussi d'autres missions, mais quoique ses amis l'aimaient bien, Érasme lui-même n'eut qu'à se plaindre de ce garçon et il s'en débarrassa en 1532Ga naar voetnoot20. Il ne nous reste qu'une seule et longue lettre de Félix Rex, adressée à Érasme, de Spire, 23 mars 1529Ga naar voetnoot21. Érasme l'a rendu immortel dans le colloque Cyclops sive EvangeliophorusGa naar voetnoot22. Tout en n'étant pas Gantois de naissance, Hilaire Bertholf ou Berthulphus, est parfois nommé ou se nomme lui-même Gandavus | |
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ou Ledius Gandavus. On a cru qu'il était originaire de Lede, entre Alost et Gand, mais il semble bien qu'il naquit à Ledeberg, lez GandGa naar voetnoot23. Il est au service d'Érasme de l'été 1521 à la fin de 1524; il accomplit plusieurs missions pour son maître dans les Pays-Bas et en France, dont il reviendra totus Gallus, totus aulicus, comme le dira un des correspondants d'ÉrasmeGa naar voetnoot24; il est partout le bienvenu, grâce à son caractère souple et à sa bonne humeur: Ubicunque erit, Hilarius eritGa naar voetnoot25. On possède deux lettres d'Érasme à Bertholf après leur séparation, une de 1526 et une de 1531Ga naar voetnoot26; le nom de Berthulphus apparaît comme un des interlocuteurs dans deux colloques: Diversoria et Synodus grammaticorumGa naar voetnoot27. Devenu le familier de François Rabelais, il mourut à Lyon en 1533, foudroyé par la pesteGa naar voetnoot28. Personne ne dira du Gantois Charles van Uutenhove ou Utenhovius que nous avons rencontré dans le premier texte cité, qu'il a été famulus d'Érasme, mais il a vécu comme familiaris ou convictor dans l'intimité d'Érasme à Bâle en 1528 et 1529 et puis encore au printemps de 1531 à FribourgGa naar voetnoot29. Fait assez curieux, il ne nous reste que les six lettres d'Érasme à Charles van Uutenhove, écrites entre 1529 et 1533Ga naar voetnoot30. | |
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Sur lui aussi, Érasme avait fondé de grands espoirs: il était de bonne famille, modeste et amical, il aimait les belles-lettres et s'appliquait à l'étudeGa naar voetnoot31, mais une fois de plus - comme dans le cas de Liévin Algoet - le maître sera déçu. Après un séjour d'études de Charles à Padoue, de février 1529 jusqu'en avril 1531Ga naar voetnoot32, Érasme devra avouer: ‘c'est un jeune homme issu d'une honnête et illustre famille, mais il n'est guère riche en connaissances littéraires ni désireux d'en acquérir’Ga naar voetnoot33. Et cependant Érasme ne cessa de lui écrire; ce jeune homme appartenait en effet au groupe des amis de Gand. L'impression qu'on a, quand on lit la lettre-préface de l'édition déjà citée de l'anthologie de St Jean Chrysostome: Aliquot opuscula diui Chrysostomi Graeca, lectu dignissima, cum praefatione... Erasmi Roterodami, c'est qu'Érasme a bien dédicacé l'ouvrage au jeune Charles mais qu'il voulut surtout honorer la mémoire du père, Nicolas van Uutenhove, seigneur de Marckeghem et président du Conseil de Flandre, qu'il semble avoir connu personnellementGa naar voetnoot34. À la fin de cette préface, Érasme ajoute deux épithapes, une en latin et une en grec, pour célébrer le souvenir du pèreGa naar voetnoot35. Comment expliquer qu'il ne nous reste aucune des lettres de Charles à Érasme? Il doit y en avoir eu plus d'une: en 1535, Érasme se plaint de ce que Charles n'écrit plus, ‘lui qui avait l'habitude de m'écrire fréquemment’Ga naar voetnoot36.
Les amis, correspondants et sympathisants d'Érasme, natifs de Gand ou y résidant, ont été assez nombreux. C'est ce que nous voudrions montrer. | |
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Avant son départ de Louvain, fin octobre 1521, Érasme comptait bien des disciples et sympathisants à Gand. Jérôme Aléandre, très perspicace en cette matière, le savait fort bien, comme il le déclare dans une lettre du 26 juillet 1521, adressée aux autorités romainesGa naar voetnoot37. Puisque luthéranisme et érasmisme se trouvaient alors très apparentés, il n'est pas étonnant qu'on ait pu brûler plus de 300 livres de Luther à la Grand-Place de Gand, lors du bûcher du 25 juillet 1521Ga naar voetnoot38. Mais cette sympathie des érasmiens s'était formée au fil des années et les premiers contacts d'Érasme avec Gand et les Gantois dataient sûrement des débuts de sa carrière.
Pendant la période de sa formation, si l'on peut appeler ainsi les années avant 1499, Érasme a rencontré Gand pour la première fois, à ce qu'il paraît, dans la personne du carme Arnold de Bost, ou Van Vaernewyck, appelé Bostius ou Boschius (env. 1450-1499). On lit le nom du ‘Boschius carmelita’ dans une lettre d'Érasme à Jean Mauburnus, du 4 février (probablement) 1497Ga naar voetnoot39. Peu après, Érasme répond, de Paris, au printemps 1497, en quatre lignes à des lettres de BostGa naar voetnoot40. Un an plus tard, vers avril 1498, Érasme fait des confidences au père carme: je ne demande rien si ce n'est le loisir de vivre tranquillement pour Dieu, de pleurer mes péchés d'autrefois, d'étudier les Écritures Saintes, de lire ou d'écrire, mais de grâce pas dans un collège. Érasme a toutefois un plan bien arrêté: il veut conquérir le grade de docteur en théologie, partir pour Bologne précisément en vue de l'étude et du doctorat, puis visiter Rome pendant l'année du jubilé en 1500; par malheur, dit-il cela coûte de l'argent, même beaucoup, et je n'en ai pas et mon protecteur, l'évêque de Cambrai (Henri de Berghes) est parcimonieux; donc, on verra plus tardGa naar voetnoot41. Deux mentions encore du carme Bostius dans des lettres écrites à des amis hollandais, fin 1498Ga naar voetnoot42. | |
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Est-ce l'amour des lettres classiques qui a réuni Bost et Érasme? On ne le pense pas. C'est plutôt l'humanisme chrétien, c'est la poésie sacrée. En effet, le théologien BostiusGa naar voetnoot43 était le promoteur de ce genre de poésie et organisait parmi les amis qu'il comptait non seulement en Flandre, mais aussi en Hollande, en France et en Allemagne, une espèce de certamen poeticum sur l'un ou l'autre sujet religieux. Le cercle de Bostius, allié au cercle parisien de Robert GaguinGa naar voetnoot44, comprenait les amis présents et futurs d'Érasme, tels que Sébastien Brant, Égide de Delft, Josse Clichthove, Corneille Grapheus d'Alost, etc.Ga naar voetnoot45. Mais bientôt Bostius disparaît de la correspondance érasmienne; il mourut dans la force de l'âge, à Gand, le 4 avril 1499.
En admettant que la date proposée par Allen soit exacte, Érasme se serait fait des amis à Gand, lors de son premier séjour à Louvain; de 1502 à 1504. Dans la lettre non datée, écrite de Louvain, publiée par Robert de Keysere (env. 1470-1532) dans l'édition princeps mentionnée ci-dessus de la Concio de puero Iesu, il donne à De Keysere le conseil de persévérer dans son enseignement humaniste à Gand et de ne pas désarmer devant les cris de quelques envieux: son enseignement est excellent et les compositions de ses élèves qu' Érasme a montrés à des connaisseurs en font preuveGa naar voetnoot46. On s'amuse en lisant les allusions que se permettent Érasme et ses amis au nom de famille de Robert de Keysere quand ils le | |
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traduisent en latin: CaesarGa naar voetnoot47. Bien plus amusant: le maître d'école, devenu imprimeur, fait paraître sur les deux impressions érasmiennes qu'il produit, une xylographie représentant la pucelle gantoise, avec un distique latin, rappelant que la ville de Gand se glorifie d'avoir été fondée par Jules César: Caius me extruxit Cesar dominator in orbe: Hic virgo Caiana vocor; Blandunum helicon est; en plus il y a une allusion bien nette au Mont-Blandin à Gand, où se trouvait l'abbaye bénédictine de Saint-PierreGa naar voetnoot48. Plus curieux encore, la légende de la fondation de Gand par César se lit déjà dans une lettre du père de l'Humanisme, François Pétrarque, datée d'Aix-la-Chapelle, 21 juin 1333, dans laquelle il parle de la visite qu'il a rendue à Gand en cette annéeGa naar voetnoot49. Érasme avait-il lu Pétrarque? On n'en doutera pas, mais on ne saurait dire si cette lettre lui était connue. Il semble bien que Robert de Keysere ait été l'un des premiers Gantois qu'Érasme ait connu personnellementGa naar voetnoot50. En tant qu'imprimeur il a été considéré comme un concurrent de cet autre éditeur érasmien, le Brabançon Josse Badius d'Assche qui éditait pour lui à ParisGa naar voetnoot51; rappelons que c'est à Badius qu'Érasme a confié l'édition des Annotationes de Laurent Valla au Nouveau Testament, en 1504. Dans la même lettre à Robert de Keysere, imprimée au verso du titre de la Concio de puero Iesu, on lit le nom d'un certain Antonius, auquel Érasme avait voulu écrire; il n'en avait pas le temps, tout occupé qu'il était à la composition du Panegyricus qu'il devait prononcer en l'honneur du Duc Philippe à Bruxelles, le 6 janvier 1504Ga naar voetnoot52. | |
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Le personnage en question se nomme Antoine Clava, latinisation de Colve (env. 1459 - 31 mai 1529); Gantois, ami de Robert de Keysere, il est devenu membre du Conseil de Flandre en 1514Ga naar voetnoot53. Quoique s'étant mis sur le tard à l'étude du grecGa naar voetnoot54, il est reconnu par les humanistes de Flandre et de Brabant comme un des leurs. Eloi Houckaert, maître d'école au Zandberg, ancien élève de Robert de Keysere, dédia à Clava une vie en vers de Saint Liévin, un des patrons de GandGa naar voetnoot55; le greffier anversois Pierre Gilles ou Aegidius lui adressa, d'Anvers, 5 mars 1517, la lettre-préface, d'un choix de lettres érasmiennes: Epistole elegantesGa naar voetnoot56. Si l'on peut douter d'une visite personnelle d'Érasme à Gand à la fin du xve siècle et entre 1502 et 1504, le doute n'est plus permis pour l'année 1514: ici les textes sont clairs. Écrivant de Bâle, 30 août 1514, à Lord Mountjoy, Érasme raconte en quelques mots ce qui lui est arrivé dans les Flandres vers le milieu de juillet. Sur le chemin du retour, venant de St-Omer et chevauchant entre Roulers et Gand, à six lieues de cette ville, son cheval se cabre et tombe par terre; le cavalier Érasme qui n'était plus novice dans l'art de l'équitation, s'est fait tellement mal au dos qu'il ne sait plus bouger; dans son angoisse, il fait un voeu à saint Paul: s'il obtient sa guérison, il achèvera son commentaire de l'Épître aux Romains. Érasme parvient effectivement mais avec beaucoup de peine à Gand, où il descend à l'auberge; le lendemain, il peut de nouveau se lever; restant quelques jours dans la ville, sur les instances de ses amis (amicis retinentibus), il a l'occasion de rencontrer le Président du Conseil de Flandre, Jean le Sauvage (1455-1518), et deux ‘conseillers’, nommément Antoine Clava et Guillaume de Waele; Robert de Keysere et quelques autres, ajoute | |
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Érasme, je les connaissais déjà auparavantGa naar voetnoot57. Un peu étonnant tout de même que Clava est cité parmi les nouveaux amis et que Robert de Keysere se voit entouré ici de quelques autres dont Érasme a déjà fait la connaissance. Doit-on donc admettre une première visite gantoise d'Érasme avant 1514? Dans la suite on rencontrera à quelques reprises les noms de Clava et de Wala ou Vala, comme le nomme Érasme, dans des lettres ultérieuresGa naar voetnoot58. L'année suivante, Érasme quitte Bâle, en mars 1515, et se rend en Angleterre, par Anvers, Gand, Tournai et St-Omer. Une nouvelle occasion de saluer les amis gantois: il reste trois jours dans la ville de Gand et y rencontre Jean le Sauvage, devenu chancelier de BourgogneGa naar voetnoot59. Les relations d'Érasme avec Antoine Clava ont été poursuivies pendant des années encore. Il nous reste une lettre de Clava, écrite de Gand, 6 février 1517, en réponse à une lettre perdue d'Érasme: quelques nouvelles, entre autres à propos de Robert de Keysere qui s'est mis à l'étude du droit, et une prière de recommander Clava auprès du ChancelierGa naar voetnoot60. Par ailleurs, dans une lettre sans date mais sans doute expédiée par le même courrier, De Keysere lui-même s'adresse à Érasme pour lui rappeler un envoi de poésies et se plaindre de sa solitude et de sa pauvretéGa naar voetnoot61. Huit jours plus tard, d'Anvers, où il loge chez Pierre Gilles, Érasme répond à Clava: je ne vous oublie pas, vous, l'ami des lettres, mon patron très lettré, et je n'oublie pas non plus le cher De Keysere qui exagère dans ses louanges à mon égardGa naar voetnoot62; allusion, on peut le croire, au thème de ses vers. Comme le Roi Charles est à Gand, dès avant le 25 mai 1517Ga naar voetnoot63, Antoine Clava se permet d'inviter Érasme chez lui: vous trouverez ici un hôte heureux et vous tout dévouéGa naar voetnoot64. Mais Clava n'est pas le seul à attendre Érasme. Le lendemain, Guy Morillon insiste, dans une lettre, pour que l'arrivée | |
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d'Érasme à Gand ne tarde guère, en sorte qu'il puisse rencontrer Le Sauvage avant que celui-ci ne parte pour l'EspagneGa naar voetnoot65. Et, en effet, Érasme s'exécute: il quitte Anvers pour rejoindre la Cour qui y séjourne jusqu'au 20 juin, il l'accompagne à Bruges mais il ne suivra pas le Roi en Espagne; il choisira Louvain - de plein gré, comme il le dit alors, ou de force, comme il l'insinuera plus tard, - comme résidenceGa naar voetnoot66. À Gand toujours, entre le 9 et le 19 juin, Érasme doit avoir eu un entretien avec Cuthbert Tunstall, un des favoris de Henri VIIIGa naar voetnoot67; il rencontra aussi Pierre Barbier qui lui remit à cette occasion une partie de la pension due à Érasme comme chanoine de CourtraiGa naar voetnoot68; malheureusement, à son regret, il manqua un contact avec Antoine de Berghes, abbé de St-BertinGa naar voetnoot69. Fait digne de notre attention, Clava paraît servir d'intermédiaire pour la correspondance d'Érasme, ce qui est un signe de confiance de la part de l'humaniste toujours quelque peu soupçonneux en cette matièreGa naar voetnoot70. Clava reçut de Paris une lettre de Josse Badius pour lui-même et une lettre de Guillaume Budé destinée à Érasme; le conseiller aurait voulu lui-même rendre visite à Érasme pour lui remettre la lettre et lui demander en même temps des éclaircissements sur des questions de langue grecque, mais il n'en avait pas le loisirGa naar voetnoot71. Remarquons que les salutations à la fin de la lettre montrent que Clava conaissait bien, lui aussi, les amis d'Érasme à Louvain: Jean Desmarais ou Paludanus, son hôte à ce moment comme en 1502-1504, Adrien Barlandus et Rutger ResciusGa naar voetnoot72. Dans la brève réponse à Clava, Érasme ne mentionne pas seulement Robert de Keysere mais aussi un medicus ClauusGa naar voetnoot73. Ce médecin gantois | |
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s'appelait sans doute Nagel de son nom de famille flamand; Érasme l'estime tellement qu'il ne manquera pas de recommander chaudement à l'anversois Pierre Gilles de se faire soigner par cet esculape gantoisGa naar voetnoot74. À bref intervalle, nouvelle lettre, mais des plus courtes (elle ne compte que six lignes), d'Érasme à ClavaGa naar voetnoot75. Pour ces deux lettres de septembre 1517, Érasme se servit d'un messager qu'il appelle Batauus sans plusGa naar voetnoot76; il n'en dit que du bien mais visiblement il veut s'en débarrasser et finalement il dira à Clava: tâchez de le fourrer dans la maison des Frères de la Vie Commune ou HiéronymitesGa naar voetnoot77. Cette affaire semble avoir eu la suite escomptée par Érasme. On peut, en effet, voir une allusion au même messager hollandais dans la lettre d'Érasme à Clava, expédiée de Louvain, 21 novembre 1517: ‘Si celui-ci (qui? se demande-t-on) se serait retiré un peu plus tard, là-bas, chez vous, je l'aurais chargé d'un exemplaire de la Paraphrase qui est sur le point de sortir’Ga naar voetnoot78. Dans cette lettre, comme d'habitude, les compliments à De Keysere, et cette fois de même au medicus, donc à Clavus. | |
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Un mois après, Érasme envoie à Clava le volume promis; il s'étonne, non sans félicitations, du fait que De Keysere s'est mis à l'étude du grec et qu'il ambitionne la place de professeur de grec au Collège des Trois Langues qui venait d'être créé, suite à la mort de Jérôme de Busleyden; cependant Érasme est bien plus étonné encore de ce qu'il vient d'apprendre sur le compte du medicusGa naar voetnoot79. Le passage relatif au médecin Clavus est assez obscurGa naar voetnoot80. En voici une traduction commentée. ‘Mais qu'est-ce que j'entends à propos du médecin? Est-il tellement épris de Chrysis?’ (Chrysis est un des personnages de l'Andria de Térence, aux vers 85, 105, 106 etc., mais chrysis est aussi le nom donné à une pièce d'orGa naar voetnoot81; il y a donc un jeu de mots: convoiter une femme dorée.) ‘Mais quoi, s'il embrasse Argyris, alors que Chrysis refuse ses embrassements?’ (Argyris, c'est la drachme en argent des Grecs; le nom est pris au sens allégorique: trouver une femme argentée alors qu'on recherchait une personne dorée.) ‘Toi, tu dois veiller de toutes manières à faire la nique au médecin’. (Littéralement: lui montrer le doigt du milieu; allusion à Juvénal: medium ostendere unguem, c.-à-d. montrer le plus grand dédainGa naar voetnoot82, le doigt du milieu étant regardé comme indécent; deuxième allusion possible: Clavus signifie clou, ou nagel en néerlandais, mais unguis signifie aussi bien ongle que doigt, or ongle est nagel en néerlandais.) Malgré tout, Érasme n'a pas perdu confiance en Clavus - on connaît ses susceptibilités vis-à-vis des médecins - car, tout en le flétrissant comme medicus maledicus, il ne cesse de le recommander | |
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à Pierre Gilles et il veut même servir d'intermédiaireGa naar voetnoot83. C'est sans doute à propos du même médecin qu'Érasme répète ses recommandations à Gilles, en y ajoutant: ‘c'est une chose importante que de se faire soigner par un médecin qui est un ami’Ga naar voetnoot84. Il est plus que probable qu'Érasme s'est rendu par Gand à Bruges en avril 1518Ga naar voetnoot85. À cette occasion sans doute Clava lui aura demandé un texte grec d'Hérodote qu'Érasme lui envoie, de retour à Louvain, le 29 avril; il fait remarquer qu'il avait à peine eu l'occasion de dire bonjour à Robert de Keysere ‘qui nous a quittés hautainement au souper’Ga naar voetnoot86. Pendant tout un temps on n'entend plus parler des amis gantois d'Érasme; celui-ci est de fait très occupé à Louvain: il y a les ouvrages à préparer et surtout il y a les controverses avec les théologiens louvanistes et d'abord avec le théologien anglais Edward Lee qui s'est installé à Louvain et qui veut éditer un livre d'Annotationes au Nouveau Testament d'Érasme. Précisément l'affaire de Lee nous fait penser à Clava ou à De Keysere. En effet, Érasme vient de quitter Louvain et, le 8 mars 1520, le jour même ou le lendemain de son départ, un ami louvaniste, Paschase Berselius, envoie un billet qui doit être remis à Érasme à Anvers, disant qu'une lettre vient d'arriver de Gand: elle est dirigée contre Lee, dit cet ami, et je la ferai imprimer chez Thierry Martens parce qu'on la lira ‘avec volupté’Ga naar voetnoot87. Antoine Clava nous donne l'impression d'être le centre des érasmiens du Conseil de Flandre à Gand. C'est lui qui va renouer les contacts d'Érasme avec Louis de Flandre, seigneur de PraetGa naar voetnoot88. Dans l'idée d'Érasme, le Président Louis van Praet et les conseillers Antoine Clava et Guillaume de Waele formeront une triade d'amis | |
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sûrsGa naar voetnoot89. Un messager d'Érasme passe-t-il par Gand, il devra aller loger chez Clava et le saluer de la part de son maître résidant à Bâle. Ce fut le cas en juillet 1523: Liévin Algoet, famulus d'Érasme et originaire de Gand, comme nous le savons, rapportera une gentille petite lettre de Clava, invitant Érasme à revenir aux Pays-Bas et à venir loger chez lui; entretemps, cet amoureux des belles-lettres se consolera en lisant les preclara opera ac perquam salutaria du grand humanisteGa naar voetnoot90. Quand le chartreux Liévin Ammonius annoncera à Érasme, le 15 juillet 1529, la mort de Clava survenue le 31 mai, il recommandera le vieux conseiller à son souvenir, tout en y ajoutant: Clava survivra dans la Farrago de vos lettersGa naar voetnoot91. Érasme n'a pas manqué au souvenir de Clava. Dans la lettre-préface du Xenophontis Hieron, adressée à Pierre Gillis, ami commun, Érasme a célébré la mémoire vénérée de ClavaGa naar voetnoot92: il n'avait rien de sénile dans ses vieux jours, cet homme aimable, joyeux, bienveillant, cet homme au jugement droit, ami des livres qu'il considérait comme des trésors, ce patron des humanistes, ce fervent du grec. Mais une fois de plus, la mémoire d'Érasme est prise en défaut, où il dit que Clava avait marié une femme stérile et que par suite il aimait les livres comme ses enfants: eoque libros pro liberis adamabat. Cependant, plus de douze ans auparavant, Érasme avait lui-même certifié qu'il souhaitait toutes les bonnes choses à son excellent gendre, à sa dulcissima filia et surtout à sa femmeGa naar voetnoot93. Excellent homme, ce bon Clava, qui pendant les vacances du Conseil faisait le voyage de Gand à Louvain pour y entendre le grec (sans aucun doute au Collège des Trois Langues): tantum ut Graecum aliquem audiret, comme le notait | |
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Jean-Louis VivèsGa naar voetnoot94. En l'honneur du bon vieux Clava, amicorum meorum vetustissimumGa naar voetnoot95, Érasme va composer un bel épitaphe de onze lignes: Epitaphium Antonii Clauae Senatoris GandauensisGa naar voetnoot96; expression de ses sentiments intimes et de sa reconnaissance, car il avait pu profiter des relations du conseiller avec Jean le Sauvage à son propre avantageGa naar voetnoot97. Près de deux ans après la mort de Clava, Érasme parle encore de la perte qu'il avait faite: l'envieuse Parque m'a enlevé cet homme, vnum ingenium vere candidumGa naar voetnoot98. Revenons à l'année 1521. Érasme est entré de nouveau en contact avec Louis de Flandre, seigneur de Praet et autres lieux, grand bailli de Gand et plus tard aussi de Bruges et du Franc, ambassadeur de Charles-Quint, chevalier de la Toison d'Or dès 1531, enfin gouverneur de Flandre, en outre très versé dans les lettres latinesGa naar voetnoot99. Dans une lettre, écrite vers mars 1521, Érasme lui rappelle qu'il l'a connu avantageusement à Louvain - sans doute lors de son séjour de 1502 à 1504 - et il se recommande à son souvenir, maintenant qu'il est engagé dans les disputes théologiques relatives au luthéranismeGa naar voetnoot100, Cette lettre quelque peu flatteuse n'eut pas de lendemain, du moins on ne connaît ni réponse de Louis de Flandre ni deuxième lettre d'Érasme. N'empêche; le théologien humaniste continuera à demander des nouvelles de son patronus et à lui faire transmettre ses hommages par le canal de ses amisGa naar voetnoot101. Ce grand seigneur est | |
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effectivement pour Érasme un fortissimus patronusGa naar voetnoot102, et il le considère comme un homme, illustre tant par sa descendance que par sa culture littéraireGa naar voetnoot103. Certaines lettres d'Érasme à Louis de Flandre ont certainement disparu, car Érasme se plaint en 1533 que Pratus n'a rien pu faire pour la continuation de sa pension de conseiller de CharlesGa naar voetnoot104; il doit donc y avoir une lacune dans la correspondance érasmienne. Le troisième du groupe du Conseil de Flandre, n'intervient qu'incidemment dans la correspondance d'Érasme: pas d'échange de lettres connu entre Érasme et Guillaume de Waele, seigneur de Hansebeke et conseiller. Dans plusieurs lettres, il est vrai, Érasme lui fait transmettre ses compliments; en 1521, quand il le nomme digne d'être inscrit sur la liste des GuillaumeGa naar voetnoot105; en 1528Ga naar voetnoot106, | |
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en 1529Ga naar voetnoot107, en 1532Ga naar voetnoot108 et enfin en 1533 encore: le bonjour à Wala, viro humanissimoGa naar voetnoot109. Toujours en 1521, renouvellement de certains contacts gantois. Quoique fatigué et au repos à Anderlecht, dès la fin de mai, Érasme songe à de nouveaux travaux d'érudition. Voilà qu'il se rappelle avoir entendu dire par Marc Laurin ou Lauwerijn, le doyen de la collégiale Saint-Donatien à Bruges, que la bibliothèque de l'abbaye de Saint-Bavon à Gand possède un manuscrit contenant les commentaires de St Jérôme sur les Psaumes. Par l'intermédiaire de Corneille de Schoonhoven, avocat fiscal à Gand, dont il est un ‘grand ami’Ga naar voetnoot110, Érasme vient de recevoir un cadeau de la part de Liévin Hugenoys, abbé des bénédictins de Saint-Bavon; il faut donc le remercier et profiter de l'occasion qu'ils ont, probablement en juillet 1520, fait un bout de chemin ensemble, de Gand à Termonde, pour lui demander le prêt du manuscrit de St Jérôme ou du moins l'autorisation de venir le consulter quand, au début d'août, il passera par Gand pour se rendre à BrugesGa naar voetnoot111. On doit supposer qu'Érasme a été aimablement reçu par le père abbé, car dans la première rédaction de son testament, 22 janvier 1527, il stipule que le dix-septième exemplaire de ses Opera omnia est destiné à Hugenoys: Gandauum ad Abbatem diuini BauonisGa naar voetnoot112. L'abbé bénédictin n'a pas pu profiter de ce mouvement de générosité d'Érasme: dans la deuxième rédaction du testamentGa naar voetnoot113, il n'est plus question des Opera omnia ni par conséquent de Liévin Hugenoys; celui-ci mourut d'ailleurs, comme dernier abbé de | |
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Saint-Bavon, un an avant Érasme lui-même, et l'église abbatiale devint une collégiale en 1536Ga naar voetnoot114. En 1524 se place le début de la correspondance d'Érasme avec un autre Gantois de naissance, Liévin Ammonius, ou Van der Maude (1485-1556), moine de la chartreuse du Bois-Saint-Martin ou Sint-Martensbosch, commune de Sint-Martens-Lierde, près de GrammontGa naar voetnoot115. Ce chartreux dont la correspondance de 1518 à 1556 nous est conservée dans un gros manuscrit de 569 pages de la Bibliothèque publique de Besançon, a écrit sept lettres à Érasme, entre 1524 et 1533Ga naar voetnoot116, et on connaît deux réponses d'Érasme, en 1528 et 1531Ga naar voetnoot117. Entré très jeune au Bois-St-Martin, en 1503, il fit sa profession en 1506; depuis lors, le père Liévin s'occupa d'études profanes et sacrées et plus tard spécialement du grecGa naar voetnoot118. En 1533, il fut transféré à la chartreuse du Val-Royal ou Coninxdal, à Rooigem sous Gand; il vécut un an à la chartreuse d'Arnhem en Gueldre, en 1541, et deux ans, de 1542 à 1544, à Scheut près de Bruxelles. Un des amis gantois d'Érasme doit être aux origines de cette correspondance toute d'érudition entre le moine chartreux et le grand humaniste de Bâle. Est-ce encore une fois Clava? ou quelqu'un de son entourage? On remarque que l'un ou l'autre Gantois sert d'intermédiaire et de messager, comme ce fut le cas pour Charles van Uutenhove en 1533Ga naar voetnoot119. | |
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Par ailleurs, Liévin Ammonius avait fait la connaissance d'Audomarus Edingus, ou Omer van Edinghen ou d'Enghien (1466-env. 1541), greffier au Conseil de FlandreGa naar voetnoot120, apparenté du côté de sa mère à Charles van Uutenhove qui vivait alors auprès d'Érasme à Bâle. Moyennant Omer d'Enghien, Érasme peut faire parvenir, en toute sécurité, tutoGa naar voetnoot121, une lettre incluse, destinée au chartreux AmmoniusGa naar voetnoot122, Pourquoi tuto? Il apparaît que les Supérieurs du moine humaniste et helléniste n'appréciaient pas toujours ses études littéraires et ses relations avec le monde des humanistes. Érasme était bien l'homme à comprendre une telle situation. Le même Omer d'Enghien est sollicité par Ammonius pour faire des recherches concernant le manuscrit de St Jean Chrysostome qu'Érasme avait envoyé aux Pays-Bas et dont il souhaitait une traduction latineGa naar voetnoot123. Edingus, lui, ne disparaît pas de la pensée d'Érasme; il l'a peut-être connu à Gand, en tout cas il le salue encore en 1532 et 1533 quand il écrit des lettres à des relations gantoisesGa naar voetnoot124. Une autre fois, Ammonius se sert des services de l'Anversois Érasme Schets pour faire parvenir des lettres à BâleGa naar voetnoot125. Schets était un ami d'importance et il connaissait les chemins pour que des lettres personnelles arrivent sûrement à destination. On conclut d'une lettre ultérieure qu'Érasme lui-même avait recommandé des voies sûres et qu'il considérait cette correspondance comme secrète et toute personnelleGa naar voetnoot126. La dernière lettre connue d'Érasme à Liévin Ammonius, datée de Fribourg, 13 avril 1531, avait comme | |
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porteur Charles van UutenhoveGa naar voetnoot127, auquel il avait confié aussi une lettre destinée à Omer d'Enghien, datée du 16 avrilGa naar voetnoot128. Notons que les derniers mots dans la lettre érasmienne sont un souhait plein de sympathie pour le chartreux: ‘Que le Seigneur récrée votre esprit, frère et ami très cher dans le Seigneur’Ga naar voetnoot129. Tout cela cadre très bien avec l'admiration et la bienveillance qu'Érasme a toujours éprouvées pour l'Ordre de saint Bruno. Ce moine gantois, studieux et modeste, qui ne cachait pas sa joie pour une ‘mention honorable’ dans une lettre-préfaceGa naar voetnoot130, Érasme le considérait comme un modèle de sainteté et d'éruditionGa naar voetnoot131. Une dernière salutation de la part d'Érasme se rencontre en août 1532Ga naar voetnoot132 et une toute dernière mention, en avril 1533Ga naar voetnoot133, précède la lettre finale d'Ammonius à ÉrasmeGa naar voetnoot134. Le père Liévin mourut, âgé d'environ 81 ans, peu de temps après avoir célébré, le 18 août 1556, son jubilé de cinquante ans de profession religieuseGa naar voetnoot135.
Pour être complet, il faut mentionner quelques lettres datées de Gand qui se rencontrent dans la correspondance érasmienne, quoique ces lettres n'aient que des liens de circonstance avec la ‘ville fondée par Jules César’ et Érasme ou ses relations gantoises. Par lettre du 5 juin 1517, Guy Morillon, secrétaire du Chancelier Jean le Sauvage, invite Érasme, séjournant à Anvers, à venir rejoindre la Cour à GandGa naar voetnoot136; nous l'avons déjà dit en passant. Le théologien Herman Lethmaat, de Gouda (env. 1492-1555), écrit, de Gand, 12 novembre 1522, une lettre de remerciements à Érasme | |
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qui l'avait recommandé à Jean CarondeletGa naar voetnoot137. Alors que Charles-Quint faisait un séjour à Gand, en juin 1531, Vivès date une lettre de cette ville pour informer Érasme de la visite que lui avait rendue Simon Grynaeus, lors de son retour d'AngleterreGa naar voetnoot138. Jacques Hessels, chevalier de la Toison d'Or, conseiller de Flandre, annonce de Gand, 12 juillet 1533, qu'il a reçu la visite de Quirinus Hagius, famulus d'Érasme, ce qui fut pour lui l'occasion d'écrireGa naar voetnoot139; mais Érasme dira plus tard que ce même Hagius a profité de la rencontre d'amis gantois pour lui aliéner la sympathie de Charles van Uutenhove qui depuis lors n'écrit plus à son hôte de jadisGa naar voetnoot140. Tout en étant expédiée de Bruxelles, 26 juillet 1532, une lettre de Nicolas Olah à Érasme nous apprend qu'il avait eu l'occasion de recevoir à Gand un médecin hollandais: Gerardus Henricus Amsterdamensis lui avait apporté des lettres d'ÉrasmeGa naar voetnoot141. Si nous voulons être tout à fait complets, nous devons nous occuper des lacunes que nous pensons pouvoir constater dans les contacts d'Érasme avec l'humanisme gantois, compte tenu évidemment du fait que nous ne possédons plus tous les témoignages de l'époque. Cela nous étonne que nous ne rencontrons pas les noms de certains humanistes gantois dans la correspondance d'Érasme qui nous est conservée. Nous les citerons pour mémoire. Éloi Houckaert (Houcharius ou Eucharius), maître d'école à Gand (env. 1488-1544), très lié avec son ancien professeur Robert de Keysere et avec d'autresGa naar voetnoot142. Guillaume de Rycke, ou Guilielmus Gandavensis ou Ryckius ou Dives, auteur de l'Elegia de passione | |
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Domini, imprimée trois fois entre 1517 et 1527Ga naar voetnoot143. Gérard Rym ou Rimius (1497-1570), qui était en contact avec l'ami et collaborateur d'Érasme, Martin Lips, chanoine du Val-St-Martin à LouvainGa naar voetnoot144. Antoine van Schoonhoven (1500-1570), devenu chanoine de St-Donatien à Bruges en 1520, qu'Érasme a dû rencontrer, pense-t-on, en 1521, lors de son séjour brugeoisGa naar voetnoot145; de plus, il était le fils de Corneille, avocat fiscal au Conseil de Flandre à Gand qu'Érasme appréciait beaucoup. Jean Lacteus (probablement Van der Biest), sous-maître à l'école latine de Houckaert à Gand, puis directeur d'une école qu'il avait lui-même fondée dans cette ville et enfin après 1518 directeur de l'école de Lille, auteur d'un long poème latin à la mémoire d'Érasme: De Desidero Desiderii Erasmi carmenGa naar voetnoot146. Enfin, simple mention dans une lettre de Conrad Goclenius, du nom d'un ami d'Adrien Barlandus, le gantois Jean de Munter ou Munterus, qui rejoignit la Réforme et disparut de nos régions en compagnie de Nicolaus BuscoducensisGa naar voetnoot147. Érasme n'a-t-il eu que des amis à Gand? Il est permis d'en douter. Signalons qu'Érasme lui-même fait mention, en 1517, qu'un quelqu'un à Gand a été choqué par son Éloge de la Folie, notamment un moine noir (donc un bénédictin, se demanderait-on) bien grossier: monachus est, niger est, nihil nisi venter estGa naar voetnoot148, mais le personnage n'est pas identifié.
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Pour terminer, deux citations qui résument heureusement, pensons-nous, les bonnes relations d'Érasme avec le mouvement humaniste à Gand. Au moment où Érasme recommande à Pierre Barbier son protégé gantois Liévin Algoet, il en dit toute sorte de bien et il achève sa pensée par ce climax tiré de l'ars rhetorica: enfin, ce jeune homme est né à Gand, c'est le comble de ce que je puis dire en sa faveur; denique Gandaui natus est, vt ad hoc commendationis cumulum adiiciamGa naar voetnoot149. Comme Érasme avait chanté les louanges de la ville de Gand dans la lettre-préface à Charles van Uutenhove - texte que nous avons pris comme point de départ - Liévin Ammonius, qui avait entendu parler d'un retour d'Érasme aux Pays-Bas, s'écrie dans la simplicité de sa naïve admiration: ‘Je vous en supplie avec insistance, n'allez pas vous fixer nulle part ailleurs qu'à Gand; ce n'est pas en vain que vous avez tellement honoré cette cité de vos louanges; elle-même, elle veut démontrer que vous l'avez fait conformément à la vérité’Ga naar voetnoot150. Malgré les instances de toute part, malgré les invitations pressantes de la Cour, malgré les douces pressions de tant d'amis, même des amis gantois, Érasme n'est plus revenu dans notre pays et pas non plus dans cette cité ‘que l'on ne peut comparer à aucune autre’. |
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