De Gulden Passer. Jaargang 43
(1965)– [tijdschrift] Gulden Passer, De– Auteursrechtelijk beschermd
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Une ode à Philippe II écrite, imprimée et reliée par Plantin
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Reliure de l'Ode à Philippe II
Premier plat | |
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Reliure de l'Ode à Philippe II
second plat | |
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n'y a pas, à proprement parler, de page de titre. Le premier feuillet de l'ouvrage porte une sorte de titre, qui est en même temps un envoi: Ode au Trespuissant et Sérénissime Prince Philippe II, par la Grâce de Dieu, Roy des Espagnes, d'Angleterre, de France et des deux Siciles, Archeduc d'Austriche, Duc de Milan et de Brabant, etc., Conte de Habspurg, de Flandres et de Tyrol, etc. Suivent une devise latine et un quatrain. À la fin, il n'y a pas de colophon. Le nom de l'auteur et imprimeur, ainsi que la date de publication, doivent être cherchés dans la dédicace en prose, au feuillet A2, recto et verso. Cette dédicace, adressée à Philippe II, fait mieux que compenser l'absence des précisions bibliographiques aux endroits où il est d'usage de les donner. Elle nous apprend, en peu de mots, l'essentiel de ce que l'on peut souhaiter savoir sur l'ouvrage, considéré du point de vue matériel: quelques-uns des plus fidèles serviteurs du roi, explique Plantin, l'ont incité à achever quelques ‘petits vers’ qu'il avait composés, ‘et en peu de jours, d'une mesme main, les écrire, imprimer et relier’. La dédicace est signée: ‘d'Anvers, | |
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en votre Imprimerie, le 28 de janvier, 1556. De votre Royale Majesté, treshumble serviteur, Christofle Plantin’. Plantin affirme donc que l'ouvrage est relié de sa main. Comme toutes les attributions de reliures à Christophe Plantin reposaient, jusqu'à présent, sur de simples présomptionsGa naar voetnoot4., la reliure de l'Ode à Philippe II, décorée, il est vrai, de fers peu nombreux, mais parfaitement conservée, prend une importance particulière. Cette reliure, qui mesure 222 sur 146 mm., est de maroquin citron, sur carton; mais chaque plat est incrusté entièrement d'une pièce de maroquin rouge; celle-ci est ornée d'une grande plaque dorée, avec rehauts de laque bleue et beige. L'ovale central du premier plat porte la dédicace en lettres d'or: DIVO // PHILIPPO // REGI // OPTIMO // MAX† //. L'ovale central du second plat est occupé par une plaque carrée de 41 mm. de côté, posée sur un angle; cette plaque laisse apparaître en relief, sur un fond doré, des arabesques rehaussées de cire bleue. Un fer en forme de feuille et sa réplique inversée sont poussés chacun quatre fois autour de ce carré. Ce fer se retrouve sur plusieurs des reliures qui ont été attribuées à PlantinGa naar voetnoot5.. Le dos, sans nerfs, est orné de la répétition d'une fleurette doréeGa naar voetnoot6.. Le volume se fermait à l'aide de quatre cordons de soie verte, dont il ne reste plus que des fragments. Les sources d'archives nous apprennent que Philippe II a possédé deux exemplaires de cette ode. Ils sont numérotés 58 et 59 dans les inventaires de ses biensGa naar voetnoot7.. L'un était relié en velours cramoisi; | |
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nous ne savons ce qu'il est devenu. L'autre est celui qui a été légué au monastère Saint-Laurent de l'EscurialGa naar voetnoot8.: le recto du premier feuillet de garde porte l'inscription manuscrite ancienne no 59 duplicado. Oda de Christoval Plantin. La mention du numéro figure également au recto du deuxième feuillet de garde. Il n'est pas exclu que le no 58 se retrouve un jour. Il est probable d'ailleurs que l'ode a été tirée à plus de deux exemplaires, car il convenait sans doute d'en offrir à des personnages influents tels que Granvelle, dont M.M. van Durme a pressenti qu'il s'était adressé à l'imprimeur bien avant 1562, et pour qui Plantin relia en effet plusieurs livresGa naar voetnoot9.; Gabriel de Zayas, qui allait devenir l'un des plus puissants protecteurs de Plantin, et qui lui commanda des livres et des reliures en 1558Ga naar voetnoot10.; Gonzalo Pérez, à qui il est rendu hommage dans l'OdeGa naar voetnoot11., qui fut nommé secrétaire d'État aux affaires étrangères le 6 février 1556Ga naar voetnoot12., et qui fut client de Plantin en 1557Ga naar voetnoot13.; Calvete de Estrella, qui est cité dans l'OdeGa naar voetnoot14.; Pedro de | |
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Avila, marquis de las NavasGa naar voetnoot15., client de Plantin en 1557, 1558 et 1559Ga naar voetnoot16., comme le furent Viglius en 1558 et Étienne Pighius en 1559Ga naar voetnoot17.. Comme on l'a vu, la dédicace de l'Ode à Philippe II est datée du 28 janvier 1556. Si la datation suit le style pascal, le poème aurait été imprimé en 1557 n.s. Mais comme Plantin employait le style du 1er janvier dans ses registres de comptes et dans sa correspondanceGa naar voetnoot18., on peut supposer qu'il s'y est conformé pour sa dédicace. L'ouvrage conservé à l'Escurial se compose essentiellement d'un quatrain, d'une épigramme, d'une dédicace en prose et d'une ode de trente-quatre strophes. Le quatrain, écrit en vers de dix pieds, établit une comparaison banale entre les rayons du soleil et la gloire du roi. L'épigramme développe en douze vers décasyllabiques une allégorie complexe: le roi de France Henri II, par allusion aux attributs de Diane chasseresse, qu'il avait pris pour emblème en l'honneur de Diane de Poitiers, est désigné sous le nom de Veneur, pris ici dans le sens imagé de guerrier; plus loin, Diane symbolise la lune, ce qui permet à Plantin de l'opposer au soleil, c'est-à-dire à Philippe II. Quant à la dédicace, nous en avons signalé plus haut toute l'importance. L'ode, qui comporte deux cent quatre vers répartis en strophes de quatre octosyllabes et deux décasyllabes, est assez longue pour qu'il soit utile d'en esquisser le plan. Les trois premières strophes évoquent le marin luttant contre la tempête et ‘tremblant pour l'effroyable rage des vents’. Dans la quatrième strophe (Et moy, qui viens, ô grand Monarque), le poète se demande s'il ne doit pas aussi ‘trembler de peur’, lui qui avance sa petite barque dans l'océan de la grandeur du roi. La cinquième strophe (Car cetui-là par trop | |
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s'étrange), abandonnant l'allégorie marine, indique le sujet de la crainte à laquelle les vers précédents font allusion: il n'est pas facile de louer un prince dont les mérites sont connus de l'univers; on pourrait s'y brûler les ailes comme Icare ou subir le sort de Prométhée. C'est pourquoi Plantin attendra l'ordre du roi (sixième strophe: Parquoy ma petite carine). Si Philippe, disent les septième et huitième strophes, qui reviennent à l'image de la navigation (Car si ta Majesté Royale; Mais seurement vogant sans crainte), daigne avoir Plantin pour serviteur, ses presses répandront les écrits de ceux qui célèbrent les victoires du roi. Pour que les vertus ‘d'un si grand Roy’ soient connues éternellement, il ne suffit pas de dresser des colonnes (allusion probable à la décoration imposante qui ornait les rues d'Anvers lors de l'entrée du prince Philippe en 1549Ga naar voetnoot19.) ni de gagner des guerres: seule la poésie peut sauver les héros de l'oubli (strophes neuvième et dixième: Aussi ces colonnes hautaines, Il ne sufît assés de joindre). Sans Virgile, on ne parlerait plus de Troie (onzième strophe: Car le renom de la grand Troye); Ulysse et Nestor seraient oubliés sans Homère (strophe XII: D'Ulysses aussi la prudence). Bien des gens même ignoreraient ces noms, si Gonzalo Pérez, secrétaire de Philippe II, n'avait traduit Homère en espagnolGa naar voetnoot20. (strophe XIII: D'iceus mesme se pouroint taire). Les descendants du roi ne connaîtraient pas la glorieuse campagne d'Afrique si Calvete de Estrella (‘ton Strella’) ne l'avait racontéeGa naar voetnoot21. (strophe XIV: Qui est | |
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celui, qui la proësse). Les strophes XV et XVI (Ces hautes-superbes colonnes; Fussent déja presqu'oubliées) reviennent sur la fragilité du décor construit dans les rues d'Anvers: on l'aurait déjà presque oublié, si le même Calvete de Estrella ne l'avait décritGa naar voetnoot22.. La strophe XVII (Car la seule divine race) achève ce long développement d'un thème qui rappelle le ‘Monumentum aere perennius’ d'Horace. Dans les strophes XVIII et XIX (Jadis mainte traitresse langue; Mais or ta royale noblesse), la flatterie ne connaît plus de frein: comparer un prince aux demi-dieux antiques, dit Plantin, est une flagornerie indigne; mais Philippe II les dépasse. Si j'avais, poursuit-il dans les strophes XX à XXX (O que n'ai-je la docte veine..., Et m'époinçonnants d'une flâme), si j'avais le génie d'Homère, je ne parlerais pas des Titans, de Troie ni de Carthage, mais de toi seul. Je dirais que ton royaume est le séjour des lettres, des sciences et des armes; que si tant de princes désirent se soumettre à ta loi, c'est qu'ils apprécient ta justice, soit que tu récompenses les poètes qui immortalisent ta puissance, soit que tu punisses les ‘infracteurs de tes saintes polices’. Je n'oublierais pas la gloire de tes capitaines. Je dirais que l'Angleterre est heureuse de s'être choisi un roi qui la purgera du protestantisme (allusion au mariage de Philippe avec Marie Tudor). Je proclamerais l'énergie que tu apportes à com- | |
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battre les pervers et les rusés. Mais lorsque je célébrerais ta douceur, l'ivresse poétique me prendrait tout entier. Dans les strophes XXXI à XXXIII (Ha chère Muse, quel Zefire..., Il est donc tems que je m'en aille), Plantin revient à l'allégorie marine: je retourne au port, jusqu'à ce que souffle un vent favorable. Et l'idée exprimée dans les deux derniers vers de la strophe XXXIII est développée dans la dernière strophe (Taisés vous donc, taisés ma Lyre): je me tais pour écouter les grands poètes qui chantent les vertus du roi. L'Ode à Philippe II est le dix-huitième poème que l'on connaisse de Christophe PlantinGa naar voetnoot23.. Elle succède aux deux pièces qui figurent en tête du premier livre sorti de ses pressesGa naar voetnoot24., et à l'Ode aux Muses et Poètes d'AnversGa naar voetnoot25.. Le baron de ReiffenbergGa naar voetnoot26., qui a fait connaître les deux premières pièces, a pu dire avec raison qu'elles étaient de méchants vers. L'Ode aux Muses et Poètes d'Anvers, dans un genre ‘publicitaire’ peu favorable à la poésie, réussit cependant, grâce sans doute aux vers de six pieds, à éviter les ruptures de rythme. En 1557, Plantin écrira un Souhait en faveur de Gabriel MeurierGa naar voetnoot27., dont les décasyllabes ne valent guère mieux que ceux qu'il avait composés dans ses deux premières oeuvres. En 1560, il utilisera pour la première fois l'alexandrinGa naar voetnoot28., qui soutiendra de l'harmonie facile de sa coupe un style plus naturel et une versification exempte de chevilles. Il y aura recours presque exclusivement par la suite, | |
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n'employant qu'une fois des vers de dix et de six piedsGa naar voetnoot29., et une fois des octosyllabesGa naar voetnoot30.. Jamais il ne sera habile versificateur, sauf dans le célèbre Sonnet du bonheur, qu'on ne lui attribue d'ailleurs que par hypothèseGa naar voetnoot31.. Et si Max Rooses a écrit que Plantin portait en lui un coeur de poète, il a donné au recueil de vers de l'imprimeur le titre modeste de ‘Rimes de Christophe Plantin’Ga naar voetnoot32.. L'Ode à Philippe II ne révèle pas davantage un poète sensible ni un versificateur brillant. Les vers mal rythmés sont nombreux: Du côté que ton vent l'aura soufflée
Des Muses, est d'éternelle mémoire
Pour servir à leur prince de trophée
Il en est même de boiteux: Combien que fortes en soient les destinées
Bruyant que dès ta première enfance
La syntaxe est parfois heurtée: Pour estre la grandeur hautaine
Du plus grand des Rois entonnant!
Nombreuses sont les redondances et les chevilles: ces hautes-superbes colonnes; brave hardiesse; merveilleuse merveille; furieuse rage; Dont jamais, jamais ne tarissent. Le vers est parfois lourd: Ou bien leur acablée audace
Sous le montüeus désaroy
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En fait, si cette longue ode contient de nombreux vers corrects, elle en renferme deux seulement qui témoignent d'un certain lyrisme: Taisés vous donc, taisés ma Lyre,
Vos plus beaus chants ne sont que pleurs...
Le panégyrique, il est vrai, n'est pas un genre favorable à la poésie ni simplement au bon goût. L'opuscule de l'Escurial est une source nouvelle pour l'étude de la personnalité de Christophe Plantin. Son attitude en matière religieuse et politique a été jugée diversement. Son contemporain, le chroniqueur de la Famille de la Charité, l'accuse de s'être converti par intérêt à la doctrine de Henri NiclaesGa naar voetnoot33.. Dans les temps troublés que connurent les Pays-Bas, dit Max Rooses, ‘Plantin chercha à louvoyer entre les différents partis et à se faire bien voir des puissants du jour, quels qu'ils fussent’Ga naar voetnoot34.. Certains auteurs actuels le jugent néanmoins avec indulgenceGa naar voetnoot35.: ce fut un homme tolérant, un étranger qui ne se sentait pas ‘engagé’ dans les affaires des Pays-Bas, un industriel qui avait toutes raisons de se placer audessus de la mêlée. D'autres sont plus sévèresGa naar voetnoot36.. L'ode précise un aspect du caractère de Plantin. La flagornerie n'y connaît pas de mesure. Certes, comparée aux dédicaces que les auteurs des xvie et xviie siècles ont adressées aux grands, le poème nous semblera peut-être marqué au sceau commun du panégyrique. Mais dans son désir de plaire au roi d'Espagne, il semble que Plantin veuille faire oublier son origine. Dans l'épigramme, il va jusqu'à comparer la gloire de Henri II à la faible clarté lunaire. Citoyen anversois depuis 1549 seulement, était-il comme ces convertis dont le zèle est d'autant plus bruyant qu'il est neuf? On a dit de lui | |
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qu'il s'efforça de se placer toujours au-dessus des conflits parce qu'il était étranger aux Pays-BasGa naar voetnoot37.. Ne serait-ce pas plutôt parce qu'il méprisait toute patrie? Enfin l'Ode à Philippe II prend une signification particulière lorsqu'on la replace dans l'ensemble des activités de Plantin. En effet, l'étude des reliures qui lui sont attribuées révèle que, avant d'être établi comme imprimeur, il a travaillé pour la cour: deux de ces reliures ont été faites pour Charles-Quint, une pour le prince Philippe et trois pour GranvelleGa naar voetnoot38.. Des recherches récentes ont fait découvrir en outre dix reliures exécutées pour Philippe II et deux pour GranvelleGa naar voetnoot39.. L'Ode à Philippe II montre Plantin s'efforçant maintenant d'obtenir le patronage du roi pour son atelier typographique: ‘j'oseray bien promettre’, écrit-il dans la dédicace, ‘ne me faire voir le moindre de ceus qui feront profession des semblables sciences’ (sciences qui consistent à écrire, imprimer et relier), ‘m'y employant, avec une très-affectueuse diligence de faire service à votre Majesté’Ga naar voetnoot40.. Si l'on se rappelle enfin que Plantin a imprimé en 1555 le récit d'une victoire espagnole (Un brief et vray récit de la prinse de Térouane et Hedin de Jacques Basilic Marchet), en 1556 un poème écrit à la gloire de Philippe II (Carmen gratulatorium de Cornelis van Ghistele), en 1559 La magnifique et sumptueuse Pompe funèbre faite aus obsèques de Charles cinquième, on est tenté de conclure que, très peu de temps après son arrivée à Anvers, il s'est engagé dans la voie qui devait le mener au titre de prototypographe. | |
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[Une ode à Philippe II par Plantin]Q. ODE AV TRESPVISSANT, ET SERENISSIME PRINCE, PHILIPPE .II. PAR LA GRACE DE DIEV, ROY DES ESPAGNES, D'ANGLEterre, de France, & des deux Siciles, Archeduc d'Austriche, Duc de Milan, & de Brabant, &c. Conte de Habspurg, de Flandres, & de Tyrol, &c.
COLIT ARDVA VIRTVS.
Muse di-moy, quel flambeau ce sera,
Qui au Soleil puisse ôter sa splendeur:
Puis tu diras, Qui, la gloire & honneur
De nôtre ROY, diminuer poura.
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Epigramme.
Le sort Fatal, par seure destinée
De nôtre Roy preuoyant le grand heur,
L'arc de Diane, & sa fleche enpennée
Preordonna, pour signe à ce Veneur
Qui, en songeant, pensoit rauir l'honneur
De l'inuincible Espagnole vaillance.
Mais pour certain, ainsi que la lueur
D'vn tel flambeau, sujet à decadance,
S'euanouît, quand le Soleil reuient
Nôtre Horizon par sa flamme éclaircir:
Nôtre Phebus ainsi son feu retient
Pour, de rechef, la Diane obscurcir.
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Ala maieste royale.IEn'avoy onques en ma vie rien moins deliberé, que d'entreprendre cette (peut estre) trop presumptueuse hardiesse, de presenter à aucun Prince quelque chose de mon petit labeur: tant s'en faut, que j'eusse osé penser de l'offrir à vôtre Majesté. Mais estant épris & raui par la tresillustre splendeur de vos Diuines vertus, je fu contraint d'vne extréme deuocion, enuers icelles, de cómencer à gazoüiller aucuns petits Vers. Ce qu'entendant quelques vns de vos plus fideles seruiteurs, m'inciterent les acheuer, & en peu de jours, d'vne mesme main, les | |
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écrire, imprimer, & relier, pour treshumblement, par iceus, offrir à vôtre Majesté le petit seruice, qu'il me sera à jamais possible de faire. Lequel si je connoy lui estre agreable, j'oseray bien promettre, ne me faire voir le moin dre, de ceus, qui feront profession des semblables sciences, m'y employant, auec vne tresaffectueuse diligence de faire seruice à vôtre Majesté, laquelle Dieu, par sa misericorde, vueille augmenter & accroistre en heureuse prosperité, à l'honneur & gloire de son Saint Nom, & tranquilité de la Republique Christienne. D'Anuers, en vôtre Imprimerie, Le 28. de Ianuier. 1556.
De vôtre Royale Majesté
treshumble seruiteur,
Christofle Plantin. | |
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Av roy,
LE Marinier faisant voyage
Dessus l'impetueuse Mer,
Tremblant pour l'effroyable rage
Des vents, qui la font écumer,
Promet aus Dieus (gemissant) maint' offrande,
Et sauuegarde il leur prie, & demande.
Or si la tempeste enragée,
Debrisant sa flottante nef,
Rauît ses biens, encouragée
De lui passer par sus le chef:
En cris, en pleurs, & deuotes prieres
Inuoque lors les plus belles lumieres.
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Et si, en fin, quelque bel Astre,
Le Ciel s'appaisant, lui reluit,
Effroyé du premier desastre,
De chercher port il est induit:
Et transi, pále, à demi mort, retire
Soudain au bord, pour ancrer son nauire.
Et moy, qui viens, ô grand Monarque,
En l'Ocean de ta grandeur
Auancer ma petite barque,
Ne doy-je point trembler de peur?
Qui mal pourueu d'art, & d'experience,
Ose approcher d'vne téle excellence.
Car cetui-la par trop s'étrange,
Qui, mal apris, louër pretend,
Vn tel grand ROY, dont la louange,
De soy, par l'vniuers s'étend.
Et me deuroit, d'Icaire, ou Promethée
Faire prudent, la fable rechantée.
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Parquoy ma petite Carine
Sera sus ta mer attendant,
Que ta sainte faueur Diuine
Lui soit quelque jour commandant
De voyager, haussant la voule enflée
Du côte que ton vent l'aura soufflée.
Car si ta Majesté Royale
Daigne m'auoir pour seruiteur,
Et que ta bonté liberale
Me fauorise d'vn tel heur,
Ie né craindray la Rade sablonneuse,
Ou du destroit la voye perilleuse.
Mais seurement vogant sans crainte,
Emporteray par l'vniuers
Le portrait de ta Vertu sainte,
Portrait engraué sus les Vers
Des grands Sonneurs de tes nobles victoires,
Qui tes honneurs celebrent, & tes gloires.
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Aussi ces Colonnes hautaines,
Qu'on voit par tes sujets poser,
Ne peuuent les vertus humaines
D'vn si grand ROY eterniser:
Mais bien vn Vers, rechanté sus l'iuoire
Des Muses, est d'eternelle memoire.
Il ne suf ìt assés de joindre
Plusieurs grands Royaumes en vn:
Ou de tes ennemis contraindre
Le plus faussement importun
A t'ofrir paix: Si la tresdocte Muse
Tes ennemis n'occît, auec leur ruse.
Car le Renom de la grand Troye,
Et de tous ses vaillans soudarts
Eût peri, quand fut mise en proye
Sous l'aueu des Grecs étendars:
Si par ses Vers, plus durs que n'est le cuiure,
Le Mantuan ne les eût fait reuiure.
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D' Vlysses aussi la prudence,
Et de Nestor le bon conseil,
Enseuelis d'obscur silence,
N'auroint jouï du tiers Soleil,
Si cetui Grec, tant bien disant, Homere
N'eût enchanté leur louënge premiere.
D'iceus mesme se pouroint taire
Mil' qui ne l'auroint entendu,
Si ton tresprudent Secretaire,
Españnol ne l'auoit rendu,
S'étant graué vn' eternelle gloire,
Qui par Homere, a sus la mort victoire.
Qui est celui, qui la proësse
A tes Neueus reconteroit
Que ton Espagnole noblesse
En rasant Afrique, montroit,
Si ton Strella n'auoit si bien leur gloire
Décrit, sa tresdocte & vray' Histoire.
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Ces hautes-superbes colonnes,
Et ses riches arcs triumfaus,
Auec tes futures couronnes
Montrées sus les échaufaus,
Lors qu'en Anuers, d'vn' amour trysloyale
On predisoit ta dignité Royale,
Fussent déja presqu' oubliées,
Si lui mesmes ne les auoit
D'vne main experte engrauées,
En son beau bätiment, qu'on voit
Tant absolu, quil ne craindra l'injure,
Non du Faucheur, ni de la Parque dure.
Car la seule Diuine race.
De ces neuf immortelles Seurs,
A de Iupiter cette grace
Pouoir vaincre, par ses douceurs,
L'Enuie & Mort, l'Oubli & les annees,
Combien que fortes en soint les destinées.
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Iadis mainte traitresse langue
Fardoit des grans Princes l'honneur,
Abusant d'vne fausse harengue,
Lors qu'elle empruntoit la valeur
D'vn Hercules, d'vn Hector, ou Pompée,
Pour seruir à Prince de Trophée.
Mais or' ta Royale noblesse
Chante ta vertu noblement,
Se traç par braue hardiesse,
Vn sentier tresheureusement,
Pour deuancer les Demi-dieus antiques,
Tant rechantés par les tropes Lyriques.
O que n'ai-je la docte veine
De ce Grec Homere tonnant,
Pour estre la grandeur hautaine
Du plus grand les Rois entonnant!
I'annonceroy, d'vne vois non-pareille,
Aus étrangers, merueilleuse merueille.
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Des Geants la trop fole race
Aucunement je n'écriroy,
Ou bien leur acablée audace,
Sous le montüeus desaroy,
Encore moins sus Troye, ou sus Cartage,
Des Grecs märis, la furieuse rage.
Tu serois ma cure totale,
De toy, mon écrit parleroit,
Ou ta grandeur aus Dieus egale
Iusques au Ciel retentiroit:
Bruyant que des ta premiere enfance
Mesmes les Cieus t'auoint en reuerence.
Ie diroy, que sous toy fleurissent
Les Heliconiennes seurs,
Dont jamais, jamais ne tarissent
Les eternisantes liqueurs.
Ie chanteroy que tu as les sciences
Aus armes joint, & que tes excellences
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Seules contraignent tant de Princes,
De toutes parts s'offrir à toy,
Desirants auec leur Prouinces
D' obeï à ta sainte Loy,
Voyants ta main justement estre ouuerte
Pour à chacun rendre egale desserte:
Soit pour enrichir des Vergiles,
Eternisans ton bras puissant
Par leur immortelles vigiles:
Ou bien qu'elle soit punissant,
Par equité, les plus injustes vices
Des infracteurs de tes saintes Polices.
Ie n'oubliroy tes Capitaines,
Tant bien de toy remunerés,
Lors qu'en quelques Terres lointaines
Ont tes ennemis aterrés:
Ou que par leur courageuse puissance,
Quelqu' Isle ont mis sous ton obeïssance.
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Ie diroy l' Angleterre heureuse,
D' auoir pourueu, par meur conseil,
Vne terre si plantureuse
D'vn ROY en vertus non-pareil,
Qui lui rendra sa pristine loüange,
En la purgeant de toute secte étrange.
Puis entonnant ta forte lance,
Feroy sauoir par l'vniuers,
De quelle fureur ta vaillance,
Vse encontre les plus peruers,
Et, qu'ensuiuant de tes ayeus la trace,
Sais bien donter des plus rusés l'audace.
Mais lors que ta douceur benine
I' entreprendroy de raconter,
Iö quelle fureur Diuine
Viendroit mon ame contenter!
Le seul Phebus, & ses doucettes Muses
M'enyureroint de leurs liqueurs infuses:
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Et m'époinçonnants d'vne flâme,
Qu'ils feroint en mon cors monter,
Embraseroint mon cueur & ame
Pour les grands Mysteres chanter,
De ce grand ROY le plus auant en grace,
De tous les Rois extraits d'humaine race.
Ha chere Muse, quel Zefire,
Souflant trop violentement,
A fait écarter mon nauire,
Pour fendre l'eau si hautement!
Ton apareil retourne vers la riue,
Tant que tu sois d'vne faueur plus viue,
Heureusement du vent souflée:
Car ce n'est rien que l'apareil,
Ou d'auoir la voye inuentée,
A quelques Arts contentants l'oeil,
Si vn dous vent, en ton chemin loüable,
Ne se montre à tes desseins fauorable.
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Il est donc tems que je m'en aille,
Sans m'élongner plus loin du bord,
Et craignant qu'en vain ne trauaille,
I'ancre ma nauire à ce port,
Pour écouter les Chantres de ta gloire,
Sacrant ton Nom d'eternelle memoire.
Taisés vous donc, taisés ma Lyre,
Vos plus beaus chants ne sont que pleurs,
Aupres ceus, que sauent écrire
De ses vertus le grands Sonneurs,
Chanter pouants, plus doucement qu'vn Cyne,
Chanter voulants, pour vn tel ROY quelqu' Hyne.
NEC SPE, NEC METV.
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