De Gulden Passer. Jaargang 41
(1963)– [tijdschrift] Gulden Passer, De– Auteursrechtelijk beschermd
[pagina 94]
| |
L'art bibliographique a un tournant: le ‘catalogus’ de Ribadeneira
| |
[pagina 95]
| |
Comme on l'a démontré, Alegambe, jésuite bruxellois, a été aidé, au cours de sa publication, par le créateur des ‘Acta Sanctorum’, Jean Bollandus lui-même. S'il y a peu de chance que le premier ait jamais rencontré Schott, il est certain qu'à la maison professe d'Anvers, le second en fut le commensal, plusieurs années durant. Pourquoi donc, dans leurs témoignages et au lendemain de la mort de Schott, comme une hésitation et un manque d'assurance?Ga naar voetnoot1. Cependant des arguments positifs permettent d'avancer sans la moindre restriction que le jésuite André Schott est bien le responsable de la ‘seconde édition’ du Catalogus de 1613. La preuve en a déjà été fournie autrefois; trop succinctement peut-être puisqu'on semble n'en avoir pas tenu compte.Ga naar voetnoot2. Dans ces quelques pages, nous la reprenons avec plus d'ampleur. Par la même occasion, nous essayerons de résoudre certains problèmes connexes, entre autres celui que pose la fameuse édition - seconde elle aussi - parue en 1609, chez Pillehotte à Lyon et que de bons arguments attribuent au P. Michel Coyssard. Qu'on ne s'y trompe pourtant point. ‘Responsable’ ne veut pas dire: ‘unique rédacteur’ à qui seraient dues toutes les améliorations apportées au texte primitif. L'ouvrage de Ribadeneira, comme le supposent toutes les entreprises de ce genre, résulte d'un travail d'équipe, comme on le dirait actuellement. Aussi chercherons-nous à préciser, à travers la collaboration, le rôle exact de Schott. Étude pleine d'intérêt puisque, chemin faisant, nous verrons se dessiner avec une plus grande fermeté la courbe selon laquelle s'est développée la science - d'autres préférerons le mot ‘art’ - de la Bibliographie.
***
André Schott, sous-régent à la Pédagogie du Château en | |
[pagina 96]
| |
l'Université de Louvain, l'ami plutôt que l'élève de Juste Lipse, quitta sa patrie Anvers à la veille de la Furie espagnole en 1576. Son idée était, durant ces moments de troubles, de gagner du temps en réalisant, sans plus tarder, le pèlerinage obligé de tous les jeunes Humanistes: il irait à Paris et à Rome. Affaire de quelques mois, a-t-il vraisemblablement pensé, bien qu'il dût passer par l'Espagne où le menaient, nous affirme-t-on, des affaires paternelles. En réalité, le jeune savant ne devait revoir sa ville natale que vingt ans plus tard. Inutile de le suivre dans ses pérégrinations en France, en Italie et en Allemagne. De ce lent et long voyage, ne retenons ici que trois points qui éclairent notre sujet. D'abord un séjour à Paris, dans la maison d'Ogier de Bousbecques au cours des années 1578 et 1579. Schott, toujours flanqué d'un ami plus jeune: Pierre Pantin de Tielt, le futur doyen de Sainte-Gudule à Bruxelles, entre en relations avec le monde littéraire et savant de la capitale française. Dans la demeure du grand Mécène, André noue des amitiés qui, exprimées de vive voix ou par correspondance, dureront jusqu'à la mort: avec Casaubon, Joseph Scaliger, les frères Pithou, le Président de Thou et tant d'autres encore. Tous, aussi bien les catholiques fervents que les protestants avérés, feront le plus haut cas d'une sympathie dont nombre de lettres nous gardent le souvenir. Ensuite, son sacerdoce. Après plusieurs professorats dans les Universités espagnoles à Tolède et à Saragosse, André se fait ordonner prêtre le 30 septembre 1584, à Tarragone, vraisemblablement par l'Archevêque Antoine Augustin, un savant philologue et canoniste au service de qui il est entré. L'ancien Père du Concile de Trente publie beaucoup. Et l'abbé l'aide avec intelligence, sans toutefois perdre de vue ses propres travaux. En 1586, l'illustre prélat meurt et Schott est chargé d'en prononcer l'éloge funèbre. Il le publie peu après à Anvers, chez Plantin et y joint une bibliographie complète de son maître défunt, avec mention, - il faut le remarquer - de la date, du lieu de publication, de l'éditeur et du format de chaque ouvrage.Ga naar voetnoot1. | |
[pagina 97]
| |
Enfin, dans l'entretemps, l'abbé Schott est devenu jésuite! Devant les dangers qui menaçaient Anvers, il avait fait le voeu d'offrir, suivant ses propres paroles, ‘en holocauste, sa liberté’ pour le maintien de sa ville natale sous l'obédience du Roi d'Espagne. La victoire d'Alexandre Farnèse, le 17 août 1585, en avait décidé. Et à la fête de Pâques suivante, André franchissait la porte du noviciat à Saragosse, la ville où naguère il avait professé. Pour les jésuites espagnols, cet engagement d'un ancien professeur d'Université représentait une fameuse aubaine. Dans la péninsule, en effet, l'humanisme érudit n'avait guère trouvé d'écho. La pauvreté et le désordre des bibliothèques, la rareté des bons imprimeurs en font foi! Schott s'en est plaint à diverses reprises. Et plus tard encore, les successeurs de Plantin demanderont avec ironie si là-bas seule la reliure des livres avait son importance... Même dans la Compagnie de Jésus, les professeurs de Belles-Lettres n'abondaient pas.Ga naar voetnoot1. Aussi, à peine les exercices du noviciat terminés, le jésuite anversois fut-il appliqué à l'enseignement du latin. De jeunes confrères, mêlés aux fils des meilleurs familles, entourèrent la chaire du haut de laquelle à Gandie le P. Schott développait des idées qu'on retrouve dans un livre qu'il eut à traduire: le ‘Prince’ de Ribadeneira, un ouvrage de polémique dirigé contre les principes de Machiavel.Ga naar voetnoot2. Cependant, au milieu d'occupations fort à son goût, l'ancien élève de Louvain ne parvenait pas à oublier Rome, le but primitif | |
[pagina 98]
| |
de son voyage; ni non plus la Patrie pour qui, dans un geste romain, il s'était dévoué. En Espagne, il languissait, loin du milieu humaniste toujours regretté, loin encore de ses amis: savants et imprimeurs, catholiques et protestants, avec qui, du consentement de ses Supérieurs, il avait continué d'entretenir une correspondance relativement assidue. Le religieux s'était ouvert de sa nostalgie à son entourage, sans trop être écouté! Il se décida à en écrire au T.R.P. Général: il souhaitait ardemment rentrer aux Pays-Bas. Le P. Aquaviva lui répondit dans le sens favorable. Et le P. Schott annonça son départ. La nouvelle déplut au P. Ribadeneira: n'avait-il pas trouvé en Schott le traducteur latin idéal pour ses oeuvres rédigées en espagnol et réduites par là à une audience plus restreinte? Fort de son grand crédit à Rome, le vieux jésuite, dernier des survivants de la génération d'Ignace de Loyola, tenta de contrecarrer le projet: le départ du P. André, affirmait-il, serait un désastre. A son instigation, le P. Provincial en écrivit aussi: pouvait-on, sans préjudice grave, lui enlever le professeur de Gandie? Rien n'y fit pourtant. Le P. Aquaviva avait accordé une permission qu'il entendit ne pas retirer. Et le P. Schott reprit la route... Encore une fois, il suivrait le chemin des écoliers. Arrivé à Rome par Naples, l'humaniste des Pays-Bas se vit retenir pour un séjour de deux ans dans la Ville éternelle: il remplacerait un professeur de solide renommée au Collège Romain: le P. Bencius, récemment décédé. Loin de lui peser comme un contretemps, cette nouvelle étape parut au P. Schott une occasion providentielle: il visiterait l'antique Rome à fond; surtout il compléterait sa collection de manuscrits! Son oeuvre imprimée prouve largement qu'il en a bien profité. C'est donc en février-mars 1597 que le pèlerin put songer à revoir Anvers. L'itinéraire du retour fut au préalable minutieusement étudié. Par étapes bien calculées, André Schott remonterait vers l'Italie du Nord; de Milan où il se lia d'amitié avec le Cardinal Frédéric Borromée, il se dirigea par l'Autriche vers l'Allemagne, jalonnant sa route de nouveaux centres de sympathie: à Munich, à Augsbourg, à Francfort et à Cologne. Son odyssée se terminait dans les derniers jours d'avril. | |
[pagina 99]
| |
***
A son retour à Anvers, André Schott était une manière de célébrité. Bon nombre de livres portaient sa signature. Dans un ouvrage de Philippe Galle, son portrait figurait avec honneur parmi la galerie des savants humanistes.Ga naar voetnoot1. Aussi ses amis et ses parents l'accueillirent-ils avec enthousiasme après une séparation trop longue pour tous. Chez les confrères du jésuite, les sentiments furent plus mélangés. Sans doute, les Supérieurs romains, en renvoyant le professeur du collège romain dans son pays, l'avaient-ils chaleureusement recommandé: Schott avait 45 ans, il était entré dans la Compagnie sur le tard, en Espagne. Dans ses coffres, outre une douzaine d'ouvrages imprimés, le religieux rapportait une traduction du ‘Prince’ de Ribadeneira et quantité de pièces manuscrites, anciennes ou copiées de sa main: toutes oeuvres destinées à la publication. Car il était entendu - et les plus hautes autorités de la Compagnie avaient sanctionné cette décision - que Schott sauverait le plus possible de l'oubli, tous les trésors de l'Antiquité. Par des volumes solidement annotés, munis de tables bien ordonnées, l'humaniste les mettrait à la disposition des générations à venir. Rééditer ses propres oeuvres, publier des textes latins anciens, traduire les documents grecs que peu de personnes, même cultivées, entendaient à cette époque, voilà le but que poursuivra le P. Schott, trente ans durant, avec une constance, une énergie que les années ne parviendront pas à affaiblir. On reste abasourdi devant l'importance de son oeuvre imprimée, celle qu'il a officiellement reconnue et que Sommervogel ne rend pas complètement. Encore faut-il y ajouter nombre d'ouvrages subrepticement édités sur des documents fournis dans ce but par le jésuite devenu méfiant et... astucieux. Au retour de Schott dans son pays, les Supérieurs romains, on l'a vu, avaient chaleureusement recommandé le savant à ses nouveaux confrères. Dans le même temps, ils avaient aussi cru de | |
[pagina 100]
| |
leur devoir de mettre les supérieurs de Belgique en garde contre le trop entreprenant publiciste. Ne disait-on pas déjà que sa science d'helléniste n'était pas des plus sûres? Par ailleurs, d'aucuns, comme Ribadeneira qui l'appréciait pourtant, critiquaient sa méthode de traduction: à partir du texte donné à convertir en latin, l'humaniste anversois faisait un nouveau livre!Ga naar voetnoot1. A ces critiques, qui ne pouvaient rester longtemps secrètes, s'étaient ajoutés d'autres griefs. La publicité faite à ses livres et à son talent devait offusquer bon nombre de ses confrères, vétérans chenus, blanchis sans gloire sous le joug de l'obéissance. De plus dans un pays où la lutte contre l'hérésie battait son plein, où l'apostolat ne se concevait guère que dans les prédications, les catéchismes populaires, les missions auprès des soldats, le ministère des confessions, que venait faire ce religieux, confiné dans une chambre, travaillant à longueur de journées, penché sur des grimoires latins ou grecs? Par ailleurs, on lui connaissait des élèves, tel Valère André, qui lui servaient en partie de secrétaires. On sut encore que grâce à des capitaux versés largement par sa famille, il réclamait comme un droit l'aide de religieux plus jeunes ou de frères coadjuteurs spécialisés dans les écritures. Ou encore: dans sa traduction du François de Borgia n'avait-il pas décrié le cicéronianisme, ce cicéronianisme dont bientôt, par un étrange renversement, il deviendra le héraut officiel dans les collèges de Belgique?Ga naar voetnoot2. Et ses nombreuses visites en ville, ses accointances avec le monde riche et cosmopolite de la haute bourgeoisie anversoise où il était né. Plus que d'autres, il se mouvait à l'aise dans la caste des ‘marchands’. Ne parlait-il pas couramment le flamand, sa langue maternelle, le français, l'espagnol et le portugais? Sans oublier l'italien et le latin, langue véhiculaire dans | |
[pagina 101]
| |
le monde savant ou à la Congrégation des ‘Romanistes’, anciens pèlerins de la Ville éternelle. Et qui y rencontrait-il? Pêle-mêle: haut clergé et hommes politiques, gens d'affaires et commerçants. Parmi eux, des catholiques fervents à côté d'autres personnages venus d'un peu partout et portés vers la tolérance et les idées nouvelles; d'autres enfin, protestants convaincus. Et ce monde bigarré ne se faisait pas faute de venir le trouver au collège, jusque dans sa chambre!... C'était même à qui rendrait service à celui chez qui on trouvait aide et amitié, à l'humaniste nullement jaloux de ses manuscrits et de livres rares qu'il passait avec facilité. Souvent, des voyageurs pressés, en coup de vent, venaient lui offrir de transmettre de la correspondance ou des épreuves d'imprimerie pour la Hollande, l'Allemagne, la France.Ga naar voetnoot1. Double crime aux yeux de ses confrères. Bon nombre de livres disparaissaient de la bibliothèque commune, prêtés soi-disant à on ne savait trop qui! Et tout ce courrier, soustrait au contrôle des Supérieurs! Mais comment ne pas profiter des occasions de diffuser les Belles-Lettres ou de relations sûres, en un temps où les postes étaient sans garanties? Ces critiques, Schott dût les entendre; c'était fatal. Elles l'embarrassèrent et le firent souffrir. Iraient-elles jusqu'à décourager l'écrivain et à le détourner de la poursuite d'un idéal longuement mûri? Le croire serait ne pas connaître le P. André. Non pas qu'il n'eût rien changé dans ses habitudes. Autrefois, il s'était arrêté de préférence à l'étude de l'antiquité grecque et latine; il avait même suivi cette ligne un temps encore après son retour à Anvers. Bien vite cependant, il avait consacré ses veilles à la mise en valeur des écrivains ecclésiastiques latins et grecs, comme d'une activité plus conforme aux tendances de sa vie religieuse. Hélas, pareil choix ne pouvait que dresser contre lui théologiens | |
[pagina 102]
| |
ou controversistes de son entourage. Les risques d'imprécision, les dangers d'erreur, loin de s'amenuiser, n'allaient-ils pas au contraire grossir à la mesure de la science un peu lâche du traducteur? Et personne n'ignorait les tendances conciliatrices, voire tolérantes, du philologue qu'on souhaitait plus au courant de la science théologique. Un religieux, on le sait, n'est pas seul maître de ses manuscrits; son travail, avant publication, reste soumis à la censure. Pour Schott, longtemps son propre seigneur, libre de choisir à sa guise son imprimeur, cette obligation fut pénible, une épreuve quasi quotidienne. Déjà, à plusieurs reprises Schott avait présenté des manuscrits à la revision: ils en étaient revenus, écartés pour des motifs que le savant jugeait peu raisonnables. Très vite, il en arriva à la conclusion que les opposants étaient avant tout des confrères de Bruxelles, la capitale naissante: des religieux plus tatillons ou moins ouverts aux courants modernes. Il sut bien vite d'ailleurs qu'il n'était pas le seul à juger de la sorte et à se plaindre d'une certaine étroitesse d'esprit. Son confrère de Louvain, le savant et pieux Léonard Lessius en pâtissait aussi. Il est curieux de constater que, le même jour, Rome accordait à l'un et à l'autre savants le privilège de ne plus voir leurs ouvrages soumis à la censure des Pères de Bruxelles. Faveur peu courante sans doute, bien dangereuse également pour peu que la chose soit connue de ceux dont on se défiait!...Ga naar voetnoot1. Aussi, malgré tout le désir qu'en humaniste convaincu il avait de ne laisser échapper aucune parcelle de la gloire due à ses propres oeuvres, Schott se décida-t-il d'être circonspect et d'employer, pour parvenir à ses fins, des moyens que nous jugeons sévèrement. Passer ses manuscrits à d'autres, se servir du truchement de personnes interposées pour publier, malgré tout, ne devait point paraître aux jésuites de cette époque un crime impardonnable. | |
[pagina 103]
| |
Spécialement dans les Pays-Bas, en ardents publicistes qu'ils étaient, les fils d'Ignace ne s'embarrassaient pas trop de scrupules. Y a-t-il une autre époque où parurent avec plus d'abondance les livres anonymes, les ouvrages couverts par des pseudonymes plus ou moins transparents? Dans ces ouvrages, le zèle des controversistes se livrait à des débordements qui n'avaient d'égale que la verdeur du langage des prédicateurs: souvent la charité n'y gagnait rien. Au contraire: dans les sermons comme dans les livres, le français d'alors, - autant que la langue ‘belge’ -, rivalisait avec la soi-disant impudeur du latin. Les écrivains surtout, s'y croyaient à l'abri des indiscrétions.Ga naar voetnoot1. Tant et si bien que l'autorité dut intervenir à plusieurs reprises; sans grand succès, il faut l'avouer. Les plus hardis en arrivèrent à tourner les barrières de la censure. Ne connait-on pas le nom de professeurs qui écoulaient leurs propres élucubrations en les insérant dans les livres d'exercices poétiques ou oratoires, édités entre autres par des rhétoriciens...Ga naar voetnoot2. Que le Père Schott, défiant et ulcéré, n'a pas résisté à la tentation et à l'entraînement est historiquement établi. Dans une lettre au P. Sucquet, Provincial de la Province Flandro-Belge, le T.R.P. Général Vitelleschi rappelait, le 22 juillet 1623, que l'astucieux traducteur des Pères Grecs était capable de passer ses manuscrits à des amis et, par ce biais, de les faire publier en dépit de toutes les censures et des défenses. Le Supérieur veillerait donc sérieusement. Car, ajoutait Vitelleschi, autant que l'anonymat, toutes ces menées secrètes finissent par être dévoilées.Ga naar voetnoot3. Schott à cette époque, n'en était donc plus à son premier coup! Faut-il songer au ‘Catalogus Clarorum Hispaniae Scriptorum’, paru en 1607 sous le nom d'un jeune secrétaire, Walter Driessens, | |
[pagina 104]
| |
le ‘Valère André’ de la Bibliotheca Belgica’?Ga naar voetnoot1 Ouvrage de bibliographie modèle, où l'auteur avoue aussi bien l'influence prépondérante de Schott, son professeur et maître, que celle des catalogues de librairie, envoyés avec plus ou moins de régularité par les imprimeurs, au temps des grandes foires commerciales. Peut-on penser aussi à la traduction du ‘Prince’ de Ribadeneira, parue en 1603, sous le nom de l'ancien Supérieur de Schott à Anvers, le P. Jean Oranus, décédé depuis quelques mois déjà?Ga naar voetnoot2 Et l'héritage de Pierre Pantin!... Une lettre du T.R.P. Général - que Schott ne reçut jamais - il venait de mourir - lui reprochait d'avoir fait imprimer des ‘Adagialia Sacra’ qui n'avaient même pas été soumis à la censure: le P. Provincial était chargé d'une minutieuse enquête sur ce point. Deux mois après le décès du Père, le Supérieur romain en écrivait au P. Stratius, le Provincial: ‘Jamais je n'ai accordé quelque permission à ce sujet; sans doute le bon Père se sera-t-il imaginé en avoir reçu une...’Ga naar voetnoot3
***
C'est dans ces conditions que, au début de l'année 1605 sans doute Ribadeneira sollicita l'aide de son ancien traducteur en vue d'une édition entièrement nouvelle. Le jésuite espagnol souhaitait qu'elle soit confiée à la maison Plantin, dont il appréciait la valeur et la précision. Depuis longtemps il la connaissait; il l'estimait plus | |
[pagina 105]
| |
que d'autres. Et par ailleurs le savant anversois, il le savait, avait ses entrées très larges dans l'officine des Moretus.Ga naar voetnoot1 De quoi s'agissait-il? D'un ‘Catalogus scriptorum Societatis Jesu’ un ouvrage dans le genre de ceux que Sixte et Antoine de Sienne avaient réalisé en faveur de leurs confrères dominicains, vers 1580. Manifestement, les auteurs avaient travaillé sur le plan apostolique. L'édification, recherchée parfois avec une naïve complaisance, y prenait décidément le pas sur l'information bibliographique. La fin du XVIe siècle avait vu fleurir le genre, chez les religieux aussi bien que chez les laïcs, tous préoccupés de perpétuer le souvenir de glorieux compatriotes. Tels, par exemple Arnold Wion, pour les Bénédictins, Lucius Pierre chez les Carmes et encore Suffrid Petri ou Corneille Callidius Looseus en faveur des leurs compatriotes frisons ou germains. La Compagnie de Jésus, en butte, à cette époque, aux attaques les plus violentes dans tant de pays, pouvait-elle garder le silence? Le P. Général ne le pensa pas: un travail similaire n'aurait-il pas une excellente portée apologétique? C'est lui, semble-t-il, qui, le premier en conçut l'idée qu'il transmit au P. Ribadeneira. Commencée on ne sait trop à quel moment, la première réalisation d'une Bibliothèque des écrivains de la Compagnie se trouvait suffisamment prête pour l'impression en 1602.Ga naar voetnoot2 Elle ne put être réalisée tout de suite, on ignore pour quels motifs. | |
[pagina 106]
| |
Quoi qu'il en soit, une première édition sortit des presses plantiniennes en 1608, dans les derniers mois de l'année: un bel in 4o de 288 pages d'une typographie soignée et d'une unité parfaite.Ga naar voetnoot1 Que contenait-il? D'abord une préface, non datée, de Ribadeneira. Cette lettre était suivie des pièces officielles: approbation du Vice-Provincial de Tolède, privilège royal ainsi que, de L. Torrentius, l'évêque d'Anvers et grand ami de Schott, une ode en l'honneur de la Compagnie de Jésus. S'ouvrait alors le ‘Catalogue’ proprement dit: il n'avait rien d'une sèche nomenclature; chaque auteur était présenté cordialement et ses vertus largement soulignées, s'il y avait lieu. Comme il se devait, le Bx Ignace de Loyola figurait en tête de la liste, dressée, suivant la mode de l'époque, selon l'ordre alphabédes prénoms. En guise de conclusion, Pierre Ribadeneira se racontait lui-même avec une simplicité naïve, ‘animi candor’, a dit M. Coyssard. Cette dernière candeur, grâce à l'emploi fréquent et immédiat, jusque dans la notice d'Ignace, du pronom ‘je’, transparaissait à travers tout l'ouvrage. Elle lui donnait une allure directe, individuelle dont Ribadeneira certes n'avait pas mesuré tous les dangers. C'est elle qui allait permettre, dans toutes les rééditions du travail, de très subtils anonymats... Ribadeneira aurait bon dos!... Dès la page 183 s'ouvrait une ‘centurie’ de martyrs, répertoire chronologique des jésuites ayant versé leur sang pour la foi. Cette édifiante évocation se clôturait par une citation de St Cyprien et deux poèmes latins anonymes suivis eux-mêmes d'un extrait de la ‘Colombéïde’, sorte d'épopée due à la plume d'un poète romain, J.C. Stella, patronné jadis par Granvelle qui lui obtint les faveurs de Philippe II.Ga naar voetnoot2 Schott l'avait fréquenté en Espagne. | |
[pagina 107]
| |
A cette seconde partie du volume, s'en ajoutait une troisième de grand intérêt bibliographique. Une lettre de Jean Moretus annonçait une série de 24 listes, soigneusement élaborées: un ‘index’ des ‘cognomina’ (noms de famille) et un autre les auteurs rangés par nationalités. (Bien que comprises dans les 24 listes, ces deux premières n'étaient pas numérotées.) Venaient alors, étiquetées de 3 à 24, des ‘indices’ groupant les auteurs cités suivant les matières qu'ils avaient traitées: Écriture Sainte, controverse, catéchétique, etc. Comme le disait l'imprimeur, on avait tenté par là de créer un instrument de travail à l'usage des futurs écrivains, professeurs et prédicateurs. Les chercheurs y trouveraient rapidement les renseignements souhaités sans risque de ‘se fourvoyer dans une forêt déjà dense’. Enfin, couronnement plutôt inattendu de ce livre: un ‘catalogue’ de toutes les maisons de la Compagnie établies de par le monde. La liste les répartissait par Provinces - une trentaine - et donnait pour chacune de celles-ci le nombre des jésuites en activité. Une brève récapitulation chiffrée fournissait ainsi au lecteur un aperçu de la puissance numérique de la Compagnie de Jésus et une idée de son extension sur toutes les plages du monde.Ga naar voetnoot1. Que conclure de ce résumé dont on nous a pardonné le détail? Ne peut-on pas en déduire que le but poursuivi par Ribadeneira n'était pas avant tout de créer l'instrument de travail dont parlait Moretus, mais de lancer sur le marché un monument à la gloire des activités intellectuelles de ses confrères, une manière d'apologie de sa présence combative au service de l'Église? C'est sur ce plan que Rome, nous le savons, avait soutenu, sinon inspiré ce travail. Vanité de corps? Simple concurrence ou peut-être rivalité? Peu importe ici. On n'oubliera pas qu'en ce début du XVIIe siècle, les jésuites vivaient plongés dans le milieu humaniste où, naïvement, - à nos yeux - on confondait facilement réussite humaine et gloire de Dieu. | |
[pagina 108]
| |
Qu'il faille interpréter le ‘Catalogue’ dans une perspective ‘triomphale’, pour employer un mot nouveau, nous n'en voulons que deux preuves. D'abord le sentiment presque instinctif d'un historien de la pédagogie des Jésuites, dans un livre qui fit époque. ‘C'est, écrit le P.J.B. Herman, dans un élan d'enthousiaste reconnaissance’ que Ribadeneira, ‘type du vrai jésuite de la première génération’ achevait cet ‘hommage à la mémoire de généreux bienfaiteurs, cette glorieuse statistique des travaux et des progrès réalisés en un demi-siècle... une belle page dans l'histoire de la réforme catholique au XVIe siècle.’Ga naar voetnoot1 Même son de cloche, mais combien plus nuancé, dans l'introduction du ‘Catalogus’, paru en 1642 grâce aux soins d'Alegambe et de Bollandus. Sans doute ces derniers se sentaient-ils obligés de garder au volume son substrat laudatif. C'était, malgré tout, une réédition, réalisée par les contemporains de la fameuse ‘Imago primi saeculi’Ga naar voetnoot2 patronnée, comme on le sait, par les Supérieurs eux-mêmes et supervisée par Bollandus. Mais, on ne l'oubliera pas, ce dernier album d'un centenaire avait provoqué plus que de l'étonnement dans un monde en pleine évolution. Aussi, on s'en aperçoit à la lecture attentive: le caractère d' élogieuse apologétique dut sembler aux deux collaborateurs relativement désuet. Dès lors, le ‘bibliographique’ aura tendance à supplanter la dominante primitive, à la façon de la ‘Bibliotheca Belgica’ de Valère André dont précisément on attendait la seconde édition. Et - faut-il encore le rappeler? - de l'aveu même de l'auteur, cette première grande oeuvre bibliographique belge devait le meilleur de son existence, sinon la plus grande part de son inspiration, à un maître vénéré: André Schott.Ga naar voetnoot3. A parcourir la première édition du ‘Catalogus Scriptorum S.J.’, | |
[pagina 109]
| |
on ne trouvera pas un mot sur la participation de Schott à l'établissement du volume. Seule, l'édition de 1613 a timidement avancé que, pour mener son travail à bonne fin, Ribadeneira avait fait appel également à l'aide du jésuite anversois: ‘vocato eodem Schotto in laboris partem’, écrit et insinue le soi-disant auteur.Ga naar voetnoot1 Quelle fut la part réelle de notre humaniste dans l'élaboration tant de la première que de la seconde édition? Problème épineux, d'autant plus délicat à débrouiller que, comme on l'a vu, Ribadeneira semble avoir été assez jaloux de son propre renom. La correspondance harcelante du vieil espagnol avec son confrère belge en fait suffisamment foi: le P. André, à Anvers ou à Tournai (car il y a séjourné un long moment), reste un intermédiaire, exécuteur d'ordres à interpréter intelligemment et avec initiative, dans une ligne imposée, et en restant dans l'ombre. Schott, pour les raisons avancées déjà, en dépit de son amour de la gloire littéraire, finit par s'y accommoder! Puisque les circonstances lui imposaient l'effacement, il trouva, aisément même, son compte dans une collaboration où son propre personnage disparaissait. Qu'il ait été le traducteur de bon nombre de notices, qu'il en ait rédigé quelques-unes, et plus spécialement celles de confrères belges, hollandais ou allemands avec qui il était en correspondance fréquente, personne ne peut le mettre sérieusement en doute. Le correcteur d'épreuves sut même arrondir sa propre mention et annoncer les oeuvres entrevues pour un avenir plus ou moins proche. L'exemple lui était venu du maître luimême. Ribadeneira, on se le rappelle, s'était taillé la part du lion; il n'avait pas oublié ses amis. André Schott l'imita. Aucune outrance pourtant dans les éloges, distribués parfois avec cette inconsciente naïveté que l'époque supportait aisément. Travail en sous-main où vraisemblablement Schott ne voyait pas grande malice: des fautes mineures en tout cas et pour lesquelles il se croyait absous à l'avance. La collaboration de l'humaniste anversois s'est-elle arrêtée à ces innocentes rectifications et ajoutes? Impossible de fixer une position tout à fait nette. Deux considérations pourraient mettre sur la voie d'une solution que nous ne cherchons pas à définir ici. Il y a | |
[pagina 110]
| |
d'abord la solide ressemblance, non seulement du point de vue forme mais encore pour le fond, entre le latin de Schott et celui de Ribadeneira, entre les idées développées tant dans l'introduction du catalogue que dans la lettre de Jean Moretus, et même dans la préface de la ‘Bibliotheca Belgica’ de Valère André. Le même sujet est repris selon des schèmes identiques, avec des exemples notoirement semblables. Par ailleurs, les ‘indices’ portent la marque de Schott. Ce dernier était féru de tables alphabétiques, de tableaux chronologiques, instruments indispensables de travail, unique manière de mettre vraiment à la disposition des chercheurs les oeuvres publiées. Et quel gain de temps! C'est par dizaines qu'il faudrait citer les lettres du P. André: il y réclame, avec humeur parfois, des listes alphabétiques avec références exactes. Jamais on ne dépasserait la mesure en cette matière. Et lorsqu'il soupçonnait que ses objurgations resteraient vaines, il fournissait lui-même les tables qu'il souhaitait voir imprimées dans tous les ouvrages importants.Ga naar voetnoot1
***
Le ‘Catalogue’ venait, semble-t-il, à son heure. Il fut de bonne vente, si bien que quelques mois après sa parution, Ribadeneira parla de rééditer. Déjà le 5 mars 1609, Schott demandait à Jean Moretus de faire parvenir un exemplaire du ‘Catalogue’, à Godefroid Jungermann, pour lors employé chez Cl. Marnius à Francfort. ‘Ribadeneira, ajoutait-il, me fait encore tenir la copie d'un privilège royal tout récent et valable pour 10 ans. Il autorisait l'auteur à attribuer le monopole du ‘Catalogus’ à qui bon lui semblait. ‘C'est à vous et à votre officine qu'il le réserve, à l'unique condition de lui fournir, à chaque réédition, un minimum de 30 exemplaires destinés à ses amis. A vous de ne pas laisser passer semblable occasion! En cas de refus, ajoutait Schott, prière de m'en informer.’ | |
[pagina 111]
| |
Nulle trace d'hésitation chez Moretus. Avec ce privilège, et dans les conditions indiquées, la firme Plantin faisait paraître en 1613 une seconde édition.Ga naar voetnoot1
***
En fait, n'en était-ce pas une troisième? Car, tandis que Ribadeneira traitait avec Anvers, parut en 1609 - ou plutôt en 1610 - chez Pillehotte, un éditeur lyonnais, une ‘seconde édition’ du Catalogus de l'auteur espagnol. Ce dernier était-il de connivence ou bien faut-il imaginer une de ces nombreuses fraudes de libraires en dépit de tous les droits d'auteur et des privilèges? A première vue, il s'agissait d'une réimpression. Pourtant, à l'index XII, on lisait: ‘... Latine Antverpiae et Lugduni apud Pillehotte recognitum et auctum à M.C.’Ga naar voetnoot2 Sous ces initiales, répétées à satiété tout au long du volume, il a été assez facile de reconnaître un jésuite auvergnat: le P. Michel Coyssard. Ce religieux, qui, dans ses nombreuses oeuvres imprimées, s'est constamment plu à se cacher sous divers pseudonymes, souvent anagrammatiques, avait reçu une place honorable dans la première édition du Catalogue. Ribadeneira y parlait de son talent littéraire: poète, musicien, orateur, excellent professeur de Belles-Lettres, le jésuite français avait publié des manuels et plus spécialement un catéchisme en cantiques. Par ailleurs, cet excellent maître, au cours de sa carrière, avait donné des preuves d'un talent de gouvernement tout aussi remarquable; il avait été successivement le fondateur de plusieurs collèges où son entregent avait fait des merveilles. Tout cela avait été bien dit: pouvait-on en faire plus? | |
[pagina 112]
| |
A étudier de plus près l'édition lyonnaise, on serait porté à le croire... Quoi qu'on en ait pensé, le volume de Pillehotte était d'assez mauvaise venue. Une gravure sur bois, de dessin assez fruste, ouvrait le volume: rien qui supporte la comparaison avec les oeuvres des maîtres anversois. De plus le papier était pauvre, l'impression fort négligée. Si, pour séparer par un signe extérieur les différentes notices, l'imprimeur avait fait usage de la ‘patte de mouche’, il en distribuait au hasard les quatre types que sa casse contenait. C'est que, de son côté, le responsable de l'édition semble avoir talonné l'éditeur plus que de raison. Le quaternion final, non chiffré, présente trois errata successifs, dont le dernier, au verso du précédent, vient le rectifier, et de quelle façon!... Assurément, Coyssard apportait quelques améliorations intéressantes à la première édition. Une vingtaine de notices étaient ajoutées; plusieurs autres recevaient un appréciable complément. Dans toutes ces ajoutes, à quelques exceptions près, les oeuvres étaient présentées avec lieu d'origine, éditeur et année de parution, (mais sans allusion au format) ce qui, du point de vue bibliographique, marque un véritable progrès. Cependant, cette amélioration, introduite par à coups, dans un livre composé, brise quelque peu la belle unité typographique du volume de Ribadeneira, telle que l'avait voulue Moretus. Mais, si par ailleurs Coyssard fournissait deux nouvelles listes alphabétiques: celle des domiciles de la Compagnie et une de la centurie des Martyrs, par cet enrichissement même, il replaçait le livre de Ribadeneira plus franchement sur le plan ‘laudatif’ dont on a parlé. Position que l'éditeur renforçait encore en établissant sur une page spéciale une chronologie détaillée de la vie des dix premiers jésuites: Ignace et ses neuf compagnons. ‘Édition augmentée’ et qui laisse à Ribadeneira l'entière paternité de l'oeuvre, affirme Coyssard. Cette annonce ne rachète pourtant pas les indiscrétions, - impardonnables à nos yeux, - de l'éditeur lyonnais. Ne reproduit-il pas dans son intégrité la lettre où Jean Moretus se présente comme propriétaire du livre, ainsi que tous les ‘index’, qu'on corrige cependant dans un sens ‘francophile’? Et pourquoi intituler les catalogues des Provinces | |
[pagina 113]
| |
et domiciles de la Compagnie toujours comme établis ‘hoc anno 1608’ alors que manifestement le volume date de 1609 et n'est sorti des presses qu'en 1610?Ga naar voetnoot1 Que dire alors des corrections plus subtiles que les lyonnais ont fait subir à l'oeuvre de Ribadeneira? La lettre liminaire de ce dernier est datée du 1er novembre 1605; la ‘Censura’ espagnole du P.F. Lucerio devient, grâce à l'en-tête, une ‘Permissio R.P.N. Generalis’, sans changement de date! Et le privilège d'Albert et Isabelle se trouve remplacé par une ‘Summa Privilegii Regis Christianissimi’ dont le Provincial L. Michaëlis fait usage sur son territoire. Sont-ce des riens? Dès lors un triple problème se pose à propos de l'édition de Pillehotte-Coyssard: 1o) l'édition est-elle clandestine, réalisée sans l'approbation de Ribadeneira?; 2o) marque-t-elle, ainsi que l'affirme Rivière, un grand progrès sur l'édition primitive? Enfin, 3o) a-t-elle été connue de Schott qui l'aurait utilisée pour la réédition de 1613? Et donc, l'humaniste anversois aurait-il pu et dû profiter des progrès que l'édition de Lyon l'invitait à utiliser en vue de l'amélioration, surtout bibliographique, de l'oeuvre de Ribadeneira?
***
Et d'abord, peut-on parler de clandestinité ou d'édition-pirate? Inutile de rappeler au lecteur qu'en fait de ‘droits d'auteurs’ réservés, comme on le dit, les idées du XVIIe siècle ne ressemblaient guère aux nôtres. Nulle question ici d'intenter un procès à Pillehotte à M. de Coyssard: ils ont agi comme le faisaient leurs contemporains. Un simple coup d'oeil sur la correspondance de Moretus, au début de ce siècle, fait saisir toute l'acuité de la crise où le jetait le sans-gêne de ses concurrents. Nous étudions avant tout un problème psychologique. | |
[pagina 114]
| |
Que l'édition de Coyssard soit clandestine, nous en trouvons une première preuve dans la lettre de Ribadeneira citée plus haut. N'est-ce pas prêter au jésuite espagnol une grande noirceur d'âme que de supposer de sa part des démarches officielles auprès des Moretus à un moment où il fait des avances à un éditeur étranger, à un français? Autant que son confrère belge, Ribadeneira ne pouvait ignorer avec quelle désinvolture on traitait les privilèges les plus solennellement garantis; combien aussi financièrement la firme Plantin se débattait dans des difficultés que la conscience professionnelle de ses propres directeurs ne faisait qu'aggraver. N'est-ce pas ce que rappelait le trop honnête Moretus dans une lettre à un jésuite gyrovague de ses amis, le P. Laurent Norvegius: ‘Jamais je n'accepterai de reproduire les oeuvres de mes concurrents; mais je souhaite aussi qu'on agisse semblablement avec moi.’Ga naar voetnoot1 D'autre part, nous savons que le R.P. Général, dès la parution du Catalogus avait été saisi de nombreuses réclamations. Elles venaient d'Espagne, d'Allemagne, d'Italie et, très vraisemblablement de France. Le livre était fort incomplet, disait-on. Tant les individus que des groupements nationaux avaient été lésés. Rien d'étonnant donc à ce que le P. Coyssard, à Lyon, ait éprouvé des sentiments de frustration: il était auteur lui-même! De plus, écrivain, il était chargé à cette époque précisément de veiller sur ses confrères et leur réputation. Ne devait-il donc pas revendiquer leurs droits? Et cela avec d'autant plus d'énergie que la négligence était le fait d'un auteur espagnol publiant aux Pays-Bas, à Anvers | |
[pagina 115]
| |
où lui même Michel Coyssard était loin d'être un inconnu?Ga naar voetnoot1 S'il est donc vraisemblable que le jésuite auvergnat ait réagi avec vigueur, il n'y a aucune chance qu'une permission quelconque lui soit parvenue de Rome en vue d'une édition nouvelle, sans que le texte en ait été soumis à une revision sérieuse. De la convergence de ces détails: imperceptibles changements apportés à l'édition copiée; invraisemblance d'une approbation accordée ou par l'auteur ou par le P. Général; hâte dans la réalisation, il est permis de conclure à une certaine clandestinité. Cette conclusion, l'attitude de M. Coyssard semble encore la renforcer. Qu'il ait gonflé sa propre notice, on l'admettra. Mais qu'il rappelle ça et là, avec insistance, tous les ouvrages qui seraient dus à sa collaboration; que dans l'erratum, il insiste sur le fait que le P. Jean Hay, un écossais mort récemment, n'a été que le collaborateur d'un P. Coyssard dans la réforme de l'Académie de Tournon; que ce même Père a été le secrétaire de quatre Provinciaux successifs, il est impossible d'y voir une simple distraction.Ga naar voetnoot2 Vanité d'un brave enfant du Cantal et qui, comme il nous l'affirme, a su s'imposer dans les milieux parisiens? A d'autres de le discuter. Un dernier fait reste à souligner: à peu d'exceptions près, tous les noms ajoutés aux listes de Ribadeneira sont des français dont plusieurs avaient publié chez Pillehotte lui-même! L'éditeur pouvait-il refuser de patronner une oeuvre où son nom allait revenir maintes fois?Ga naar voetnoot3 | |
[pagina 116]
| |
Mais, dira-t-on, comment semblables agissements n'eurent-ils pas plus de conséquences? La chose s'explique aisément. Car l'édition lyonnaise ne fut pas une ‘bonne affaire’! A peine sortie, elle dut être retirée du commerce. C'est que, pensons-nous, le volume, plus louangeur que jamais de la Compagnie de Jésus, devait être jeté sur la marché au lendemain de la mort d'Henri IV, tombé sous les coups de Ravaillac dont la légende a fait un disciple des jésuites. Était-il avantageux de révéler alors leur nombre et le lieu de leurs domiciles: leurs ennemis aux aguets se seraient jetés sur ces renseignements. Mieux valait, dans ces circonstances, rester le plus cois possible!Ga naar voetnoot1
***
Que si on admet, dans le volume de Coyssard, quelque ressentiment et une sorte de revanche, il devient aisé de répondre à la seconde question posée: l'édition lyonnaise marque-t-elle un réel progrès sur celle d'Anvers et cela du fait que les livres y sont cités avec précision du lieu, de la date d'impression et de l'éditeur? Assurément, le fait en lui-même est un progrès. Mais, sur le plan bibliographique, peut-on en rendre M. Coyssard véritablement responsable, comme au titre d'inventeur? En d'autres termes: l'amélioration existante a-t-elle été cherchée et voulue comme transformation souhaitable et souhaitée dans l'oeuvre de Ribadeneira? Nous dirions plus volontiers: non. D'abord parce que la plupart des noms ajoutés furent des auteurs français dont les oeuvres dépendirent en quelque manière de Coyssard lui-même. Il importait donc, s'il y avait eu un oubli de la part des éditeurs d'Anvers, de leur prouver leur négligence en étant fort précis, encore que | |
[pagina 117]
| |
beaucoup des travaux ajoutés datent de 1609. De plus on ne voit pas bien pourquoi, alors que la maison de Lyon devait posséder une belle bibliothèque, Coyssard - qui avait toute facilité de se faire aider - n'a pas cherché à compléter les notices déjà existantes. C'eût été là du travail véritablement scientifique: une leçon sérieuse et pratique à l'adresse de l'éditeur anversois dont on ne déparait pas le travail si soigné. Reste donc le dernier point: Schott a-t-il eu connaissance du livre de Coyssard-Pillehotte? Et si oui, pourquoi n'a-t-il pas profité de son exemple?
***
Pour répondre à cette dernière question, on nous permettra de reprendre les choses assez largement. Ribadeneira, on se le rappelle, était mort en septembre 1611. Plus de deux ans auparavant, il avait fait parvenir à Anvers un privilège royal signé le 10 janvier 1609 à Madrid par Philippe III et dont le texte figure en tête de l'édition de 1613. Jusque dans ses derniers moments, personnellement ou par son vieux secrétaire, le F. Christobal Lopez, le jésuite espagnol était resté en contact avec Schott; mais déjà, ainsi que le prouve la correspondance, son esprit était préoccupé de tout autre chose que de son ‘Catalogue’: il pensait à l'édition illustrée de la vie du Bx Ignace.Ga naar voetnoot1. Sur ces entrefaites, on l'a vu, la première édition de l'oeuvre vint à être épuisée. Et Moretus, qui, de par le nouveau contrat même, pouvait se croire le propriétaire d'un ouvrage de bon rapport, trouva sans difficulté le spécialiste dont il avait besoin pour mettre la dernière main à un travail indéfiniment améliorable. Schott | |
[pagina 118]
| |
précisément à cette époque, fréquentait assidûment l'atelier Plantin, trop lent, à son gré, dans l'exécution d'un ancienne commande: les ‘Fasti’ de Pighius dont lui-même, par respect pour la mémoire du savant hollandais, s'était chargé trop à la légère. Et d'autres travaux, plus urgents étaient remis aux calendes grecques!Ga naar voetnoot1. Et pour notre humaniste, la réédition du catalogue de Ribadeneira ne pouvait représenter un énorme surcroît de besogne. Le P. Jules Nigronius, selon le témoignage d'Alegambe, avait été chargé assez rapidement par les Supérieurs romains, de combler les lacunes du volume en ce qui concernait les régions de l'Italie. On a vu comment Coyssard avait pris sur lui de mettre le catalogue à jour du point de vue français. Aucune difficulté pour les oeuvres anciennes ou nouvelles des jésuites belges ou hollandais, des allemands aussi avec qui le jésuite anversois était continuellement en relations épistolaires: avec Rader, Gretser, Pontanus, on ne traitait que livres, éditions et manuscrits! Enfin, quoi qu'en pense Rivière, ce ne fut pas Ribadeneira lui-même qui compléta sa propre notice: Schott correspondait continuellement avec Jean Mariana, l'auteur de l'épitaphe insérée dans le Catalogue: c'est de concert que les deux amis composèrent la finale de l'éloge, devenu funèbre, de leur ami commun.Ga naar voetnoot2. Avant de publier, Schott interrogea-t-il son propre Provincial? Ce n'est pas sûr; car enfin Ribadeneira restait toujours l'auteur du livre; lui-même l'avait comme vendu à Moretus. Mais le P. André fut-il pris de scrupule en dernière minute? Le fait est que, sur la fin de 1612, il en écrivit au P. Général. Ce dernier, suivant l'habitude, lui répondait par retour du courrier, le 15 janvier 1613: | |
[pagina 119]
| |
‘Je suis entièrement d'accord sur la question d'une réédition du Catalogue des Écrivains de la Compagnie. Cependant, ajoutait le P. Aquaviva, il faudra au préalable en faire parvenir une copie manuscrite à Rome. Il importe que le texte en soit sérieusement revu; ainsi sera-t-il plus sympathiquement reçu que la version précédente. Nous attendrons donc votre manuscrit pour les jours prochains: il vous sera réexpédié avec toute la diligence possible.’Ga naar voetnoot1. Quand ces dispositions arrivèrent à Anvers, le volume était sorti des presses puisque le même 15 janvier, Moretus, sur les indications de Schott, s'adressait au F. Lopez, comme à l'héritier du P. Ribadeneira, pour lui transmettre les volumes exigés par le contrat. ‘Nous venons de terminer l'édition du Catalogue du P. Ribadeneira (que Dieu aura sans doute déjà récompensé!). Notre premier soin a été de faire expédier à Madrid les 50 exemplaires destinés au ‘bienheureux père’. Le P. Schott, qui a eu la belle part dans l'établissement du texte, nous a fourni votre adresse...’Ga naar voetnoot2. De son côté, le P. Veranneman, nommé depuis six mois à peine provincial de la nouvelle Province de Flandre-Belgique, recevait un exemplaire. Il n'avait aucun souvenir d'une approbation, donnée au nouveau livre. Malgré les nombreuses ajoutes et les transformations, nulle trace d'un visa des autorités religieuses: ni de l'évêché ni de la Compagnie en dehors de l'ancien imprimatur du vice-provincial de Tolède. Était-on bien en règle avec les saints canons? Dans son embarras, le P. Veranneman en référa à Rome. Il en reçut, vers la fin de juin, une réponse catégorique: ‘A propos du Catalogue des écrivains de la Compagnie, réédité sans la moindre permission par le P. Schott, votre révérence est chargée de faire une sérieuse remontrance au Père en lui imposant une pénitence. Il va de soi, ajoutait la lettre, que nous attendons, par le prochain courrier, un exemplaire du Catalogue en question.’Ga naar voetnoot3. Quelle fut la pénitence? Comment le jésuite sexagénaire l'accueillit-il. La chronique est restée muette à ce sujet. Le religieux avait suffisamment de vertu pour l'accomplir en toute simplicité, même si à ses yeux, elle n'était pas entièrement méritée. Moretus n'était-il | |
[pagina 120]
| |
pas en fait le propriétaire du volume? Il en avait payé le prix dès la première édition; c'était à lui, aussi bien qu'à Ribadeneira que les lecteurs avaient dû s'adresser pour obtenir l'insertion de détails à corriger ou à améliorer... D'ailleurs, pénitence ou non, l'essentiel aux yeux du P. Schott était que le livre, bien mis à jour, se trouve une nouvelle fois à la disposition du public: il était prêt à en payer le prix. De ce que nous venons de dire, une conclusion s'impose: la seconde édition d'Anvers est bel et bien due à Schott; il considérait même l'ouvrage comme une affaire personnelle tellement qu'en 1624 il essayait de se faire nommer officiellement, par le P. Général, un successeur. Personne, à son avis ne le remplacerait mieux que son ami le P. Gretser. Le P. Vitelleschi, sans soulever la moindre objection de principes, répondit que le choix était sans doute judicieux; il n'avait aucune chance de réalisation; car, selon les dernières nouvelles d'Allemagne, le savant religieux était à toute extrémité.Ga naar voetnoot1. Schott, à coup sûr, est donc le vrai responsable. Pour quelle part? Quelles sont, parmi les 90 notices nouvelles celles qui seraient de lui? La réponse à cette question est de peu d'importance. Plus intéressante la constatation des détails par où le livre a gagné en maniabilité: la rationalisation des ‘index’ de la fin, et surtout l'établissement d'une table nouvelle alphabétique des prénoms. Sans compter la suppression des nombres statistiques, dans le tableau des maisons de la Compagnie, du simple fait sans doute qu'il était impossible de les établir à ce moment, avec une précision quelque peu valable.
***
Reste un dernier point à discuter: Schott a-t-il utilisé l'édition de Lyon pour établir celle d'Anvers. Rivière le nie assez catégoriquement; bien que, par un curieux détour, il admette que les tables onomastiques de Lyon servirent très vraisemblablement à | |
[pagina 121]
| |
établir celles de la seconde édition officielle, mais rien de plus. Position intenable. Autant que de voir en Ribadeneira le rédacteur de sa propre notice: on y aurait uniquement ajouté la date de la mort!Ga naar voetnoot1 Sans doute l'utilisation par Schott et Moretus des tables lyonnaises paraît-elle évidente. Des noms s'y retrouvent auxquels ne correspond aucune notice. Pillehotte avait commis la même erreur: distraction très pardonnable dans des compositions aussi précises... Mais peut-on en rester là? Est-il pensable que le livre de Coyssard ne soit arrivé à Anvers qu'en morceaux? Non, il faut l'affirmer: Schott a non seulement employé l'édition de Lyon pour établir les notices des auteurs jésuites français, omis par Ribadeneira; mais il l'a critiquée plusieurs fois. En voici les preuves. Et d'abord, comment expliquer l'identité, dans les deux éditions ‘secondes’, des ‘éloges’ voués aux auteurs fournis par Coyssard? Les avoir inventés dans un même texte, à distance, tiendrait du miracle. En second lieu, Rivière semble avoir oublié, ce qu'il pouvait du moins soupçonner: c'est que Coyssard était fort connu à Anvers. Il y avait publié plusieurs fois, entre autres chez Bellerus, un de ses premiers ouvrages, celui qui devait le rendre célèbre: un catéchisme avec cantiques pieux sur musique originale. Le P. Schondonck, préfet des études du collège d'Anvers, avait été chargé, en février 1601, de faire un rapport sur la valeur pédagogique du célèbre manuel. Il le rédigea de façon tellement élogieuse que Coyssard et ses éditeurs le consignèrent dans toutes les éditions suivantes, celles qu'on utilisa à Anvers comme à Douai et à Lille. Dans toutes les églises du Nord de la France et dans notre pays, retentirent les célèbres cantiques. D'une certaine façon, comme en Bretagne avec Julien Maunoir ou naguère chez nous avec Lambillotte et Heidet, au début du XVIIe siècle, on chanta du Coyssard!... Mais comment Gilles Schondonck aurait-il pu parler de la sorte s'il n'avait fait l'essai de cette méthode catéchistique sur les élèves d'Anvers? | |
[pagina 122]
| |
De plus, comme on l'a dit plus haut, Coyssard avait de multiples talents qu'avait rappelé brièvement Ribadeneira. Il était bon orateur; ses commentaires de Cicéron n'étaient pas sans originalité. On imaginera difficilement que Schott, aux aguets de tout ce qui concernait l'Antiquité, n'ait pas cherché à posséder les livres du professeur de Paris qui ne lui était pas inconnu. Car, en 1605, était arrivé à Anvers pour un séjour de deux ans environ, le fameux P. Jean Hay, un écossais, le plus intime collaborateur du P. Coyssard. Le P. Hay devait, avec Schott, contribuer à la formation de Valère André, déjà préoccupé de Bibliographie. Est-il probable que jamais l'envahissant Recteur de Tournon n'ait fait l'objet des conversations entre les deux humanistes?Ga naar voetnoot1 Que penser des arguments de Rivière? Schott aurait ‘omis’ plusieurs noms fournis par Coyssard: et de citer Claude Dausque, Pierre Pantin et quelques autres: chose qu'il n'eût pas admise s'il avait été en possession du livre, publié à Lyon! Et si Schott les néglige volontairement pour de justes raisons? Pour Dausque, par ex., le jésuite anversois ne faisait que suivre le principe adopté par Coyssard lui-même: tout auteur jésuite, infidèle pour quelque raison que ce soit à sa vocation, était passé sous silence. Ainsi Valladier, de même Dausque.Ga naar voetnoot2 Et Nicolas Clerus? Ici le problème était plus compliqué. Coyssard citait deux personnages: Hermes N., Tornacensis et Hermes Clerus. Schott chercha dans ses notes, dans sa bibliothèque: rien. Mais il avait séjourné à Tournai: il y avait entendu parler de la famille Clerckx et des trois jésuites qu'elle avait formés. Hermes Clerus était mort dans les bras de Coyssard à Billom: à la rigueur, il méritait une place dans le Catalogue. Aussi, est-ce dans sa notice que Schott poursuit, sur un ton légèrement acerbe: ‘Il y eut bien | |
[pagina 123]
| |
en France au pays des Séquanais, un autre jésuite: le P. Nicolas Clerus, à Dôle, en Bourgogne. Sans doute avait-il acquis une juste réputation d'orateur. Mais vraiment, ajoute Schott, je ne sais où il a bien pu avoir laissé quelque souvenir de sa littérature.’ Mihi nondum compertum est...Ga naar voetnoot1 Enfin il y a Pierre Pantin, devenu jésuite par la faveur de Coyssard. On s'imagine le plaisir que ressentit le bon Père Schott en découvrant ainsi, dans un livre venu de France et qui cherchait à faire la leçon, que son ami, son ancien compagnon de route, était compté parmi les auteurs de la Compagnie pour sa brochure sur Sainte Léocadie!... Peut-être alla-t-il jusqu'à en féliciter le doyen de Sainte-Gudule à Bruxelles; il n'en dit cependant rien dans son édition.Ga naar voetnoot2 Ces considérations pourraient suffire. Il en reste une que nous ne voulons pas omettre: par quelques remarques, en passant, Schott n'a pu s'empêcher de faire la leçon à son collègue français, précisément sur le terrain que ce dernier avait choisi. Dans la notice d'Emond Auger, un ancien provincial, il note malicieusement que l'orthographe du prénom est fautive: Emond et non Edmond. ‘Emondus, ut se nominavit, non ut Anglici Edmondus.’Ga naar voetnoot3 | |
[pagina 124]
| |
C'est surtout à propos de Coyssard lui-même que Schott s'est permis une série de rectifications, minimes en soi, mais dont la fréquence ne permet pas d'y trouver un pur hasard. Et d'abord, la notice du jésuite français est réduite à ses justes limites, en dépit des ‘errata’ auxquels cependant on fait allusion. L'auteur se plaît cependant à souligner l'oubli d'une édition récente du catéchisme à Anvers! Coyssard avait appuyé sur la collaboration littéraire qu'il avait prêtée à l'un ou à l'autre. Mention en est encore faite, mais de façon plus dispersée, plus discrète peut-être. Enfin, dans une notice presque unique en son genre, originale aussi, on parle du Collège de Tournon. Il y est dit: ‘Le collège de Tournon s'est occupé de l'examen critique, de l'annotation et de l'édition des Odes gréco-latines de Synesius et de Grégoire de Naziance ainsi que d'un ‘Thesaurus’ idéologique et verbal de Virgile; on y ajoutera un manuel, codifiant Virgile suivant les lieux communs. Tout cela a été réalisé sous la direction (opera) de Michel Coyssard, un auvergnat, qui fut à plusieurs reprises Recteur de ce Collège.’ Article élogieux, s'il en fut! Un recteur ne doit-il pas canaliser les talents et les énergies de ses collaborateurs? Mais un recteur, comme l'édition de Lyon aurait pu le faire croire, ne forme pas à lui tout seul un collège. Schott avait-il l'intention de le rappeler à Coyssard sous les yeux de qui l'édition d'Anvers devait fatalement tomber un jour? A la suite de ces considérations, est-il encore permis de douter de l'utilisation par Schott de l'édition Coyssard? Cela ne paraît pas raisonnable. Par ailleurs, faut-il encore reprocher à l'éditeur anversois de n'avoir pas obéi aux muettes suggestions de Coyssard puisqu'il n'a pas complété l'adresse bibliographique des auteurs nouveaux qu'il citait? Nous ne le pensons pas. Plus que d'autres, répétons-le, Schott était sensible à une belle édition: il lui était | |
[pagina 125]
| |
impossible d'en dépareiller une qui lui avait été simplement confiée. L'eût-il d'ailleurs voulu que Moretus, soucieux de bel ouvrage n'aurait pas accepté, d'autant plus qu'il fallait aller vite. Compléter ‘bibliographiquement’ l'oeuvre de Ribadeneira en lui gardant son unité, c'était s'engager dans une aventure pour laquelle les deux responsables du livre ne se sentaient plus de force. Travail de géant dont les spécialistes seuls peuvent mesurer la grandeur, si tant est qu'ils admettent qu'en la matière on puisse atteindre la perfection.
***
Résumons-nous. André Schott, sans être l'auteur d'un ouvrage qui résulte d'ailleurs d'une collaboration, peut être considéré comme le véritable responsable de la seconde édition du Catalogue de Ribadeneira, en 1613. Pour avoir travaillé à celle de 1608, dans une proportion difficile à déterminer, il était l'homme le mieux en place pour compléter l'oeuvre de son prédécesseur et, tout en restant dans la ligne primitive, de lui donner une allure plus moderne. C'est ce qu'il réalise par l'addition de nombreuses publications, omises faute de renseignements, et en insistant sur le côté bibliographique: le livre devient plus encore un instrument de travail. Un obstacle pourtant s'est levé sur la route. Un français, Michel Coyssard s'est permis, comme cela arrivait facilement à cette époque, de rééditer et d'améliorer à son sens, le livre d'un confrère. Désir de permettre au lecteur de France de profiter d'un volume publié dans les Pays-Bas espagnols; ou bien manifestation de zèle pour la science; ou enfin bref accès de mauvaise humeur, couvert par des motifs d'apostolat? Une lecture attentive du texte de Coyssard a fait pencher vers la 3e solution. Ce qui ne diminue en rien certains mérites de l'édition lyonnaise. Mais on s'est demandé si Schott avait eu en mains la rédaction de son confrère, restée, pour des raisons qu'on a cherché à deviner, dans les magasins du libraire. Ici encore, une étude plus approfondie du texte, jusque dans ses | |
[pagina 126]
| |
moindres recoins, permet de répondre affirmativement à la question posée. On peut même, sans qu'il faille exagérer la chose, découvrir, à maintes reprises, comme une recherche de réplique à l'adversaire: droit de réponse discret qui tourne parfois à la guerre à coups d'épingle... Rien d'exagéré cependant par où la charité soit lésée. Schott était un savant, épris de précision et de vérité. A un moment de sa vie où les travaux d'édition lui étaient presque interdits, il a profité d'un bienheureux anonymat pour réaliser son rêve et propager du même coup la vérité à propos d'auteurs qui lui étaient des frères. Cela lui coûta une pénitence dont il ne s'est pas repenti.
***
Peut-on élargir les conclusions de cet article et voir en Schott un génie inventeur dans les questions bibliographiques? Sans doute en 1587, avait-il déjà fourni un travail remarquable, bien que restreint, dans sa bibliographie d'Antoine Augustin. Plus tard encore, au témoignage de Valère André, il a guidé les recherches et inspiré bien des travaux; mais Schott se reconnaissait nombre de modèles, tous ceux que le ‘Catalogus’ et la ‘Bibliotheca Belgica’ mentionnent depuis l'Orator de Cicéron jusqu'aux plus récents! Ainsi les journaux de librairie et les feuillets publicitaires, envoyés par les imprimeurs dans les différents pays, au moment des grandes foires commerciales. Y cherchait-on du travail scientifique ou des moyens de mieux écouler la marchandise? D'ailleurs Schott lui-même ne s'est pas mis uniquement sur le terrain de l'intellectualité. La liste alphabétique qu'il ajoutait au début de la réédition de 1613 ne suffisait pas à remplir un quaternion: ce lui fut l'occasion d'insérer deux textes de Ribadeneira, extraits de la vie du Bx Ignace avec une considération empruntée au P. Jérôme Platus. Le titre, bien caractéristique: ‘De studio, scholis eruditioneque ac scriptis Societatis Jesu’, rappelle à l'évidence le but premier, édifiant et laudatif, de l'oeuvre où la bibliographie n'était qu'un moyen de prouver une thèse glorieuse. Il est plus vrai de s'en tenir donc au principe exprimé par | |
[pagina 127]
| |
Alegambe, dans sa préface de la réédition de Ribadeneira: ici, comme en d'autres domaines, c'est l'évolution même de la civilisation qui a imposé ses exigences. Et ceux qui apparaissent à quelques époques comme des initiateurs, restent les héritiers d'un très lent travail où les méthodes se sont précisées avant d'en arriver à des fruits nouveaux. Ribadeneira voulait un manuel édifiant! Schott et Moretus on entrevu un instrument de travail que ne réaliseront plus authentiquement que leurs successeurs. En fait, on le constate, l'évolution dont on a pu suivre un moment a obéi à la règle générale de toute découverte. Beaucoup de travail a été nécessaire avant d'arriver à l'inspiration. Chacun des collaborateurs y a mis le meilleur de soi, parfois bien malgré lui en s'égratignant aux épines de la route, en subissant les critiques ou les jalousies de ceux qui travaillaient dans le même chantier. Ribadeneira, Coyssard, Schott et Moretus ont oeuvré dans la même ligne des grands travailleurs qu'ils avaient étudiés et dont ils citaient les noms avec reconnaissance: Jérôme, Isidore de Séville, Ildephonse, Gennadius, Honorius, Sigebert de Gembloux, Henri de Gand autant que Suidas et Photius, tous ceux en un mot à qui la Bibliographie doit ses méthodes et ses progrès.Ga naar voetnoot1 |
|