De Gulden Passer. Jaargang 41
(1963)– [tijdschrift] Gulden Passer, De– Auteursrechtelijk beschermd
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Les ‘XII caesarum romanorum imagines’ de François Sweertius
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consul en 379, grammairien et professeur, qui écrivit De XII Caesaribus per Suetonium Tranquillum scriptis. Ausone dédie cet ouvrage à son fils Hesperius en ces termes: ‘Accepte ces douze Césars dont le règne mit au second rang les consuls et recueillit la puissance romaine. Un seul vers indique chacun de ceux dont Suétone, dans le développement d'une histoire complète, a détaillé jadis les noms, les actes, la vie et la mort’.Ga naar voetnoot1. A la suite de monostiques sur la succession des empereurs, sur la durée de leur règne et sur la mort de chacun d'eux, Ausone évoque la figure et le comportement de chaque personnage en douze quatrains. Il s'agit là, comme dit Max Jasinski, de ‘Suétone découpé en douze quatrains’. Le portrait littéraire trouve un complément tout indiqué dans les monnaies. On sait l'intérêt que ces petits monuments présentent pour l'iconographie des empereurs romains. C'est au XVIe siècle que la science numismatique a commencé à se former. A cette époque de résurrection de l'Antiquité le goût et l'étude des monnaies se manifestent en trois courants: la collection, l'érudition, l'iconographie. Les premiers livres numismatiques sont en réalité des recueils d'imagines. Sans nous attarder aux nombreux recueils du genre publiés dès le début du siècle, notamment en Italie, rappelons que notre pays doit être regardé comme un des berceaux de la science des monnaies. Hubert Goltzius, né le 30 octobre 1526, après avoir pendant douze ans amassé un grand nombre de monnaies, a décidé de répartir leur étude en trois livres. Il expose son programme dans la préface des ‘Portraits des empereurs’, Anvers, 1557. Le premier livre comprend les portraits des empereurs accompagnés de leur biographie.Ga naar voetnoot2. Mais revenons à Suétone. En 1578 Liévin Torrentius, évêque d'Anvers, publie un commentaire détaillé des ‘Vies des douze Césars’, qu'il base en partie sur les monnaies dont on voit de nombreuses figures dans le texte (Off. Plantin, 590 pages in-8o). Ces figures sont reprises dans | |
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l'édition de 1592 (veuve Plantin et Jean Moretus, in-4o), qui s'orne d'un frontispice gravé contenant le titre de l'ouvrage dans un encadrement formé de monnaies à l'effigie des Césars. Un autre érudit, le gantois Liévin Hulsius, publie en 1599 les portraits des douze premiers Césars et il y joint ceux de leurs épouses et parents qui ont frappé monnaie. Effigies et biographies, vitae et res gestae.Ga naar voetnoot1. C'est ainsi que Suétone et ses XII Césars sont présentés aux lettrés du XVIe siècle. L'historien latin, dont Torrentius estimait le style ‘très utile à la formation des juristes’, connaît aux Pays-Bas une vogue certaine. Juste Lipse le commente dans sa chaire de Louvain; il publie dans ses Electa les notes critiques qu'il lui a consacrées. Aubert le Mire, de son côté, publie les XII Césars de Suétone avec les notes de Lipse. Et c'est précisément à Miraeus que François Sweertius va dédier ses XII Caesarum romanorum imagines, en lui rappelant que lui (Miraeus) a entendu à Louvain commenter Suétone. Sweertius n'écrit pas en philologue à la manière d'un Lipse ou d'un Torrentius. Son livre n'est autre qu'un recueil d'imagines d'après des monnaies de son cabinet. Cependant il ne se borne pas à reproduire des effigies; il veut éclairer celles-ci de quelques détails biographiques et historiques. Telle est la position de Sweertius à l'endroit des monnaies. Ortelius avait publié en 1573, d'après des dessins de Philippe Galle, les figures des dieux et des déesses de la mythologie, Deorum dearumque capita. Sweertius donnera en 1602 et en 1612 des éditions de ce recueil avec narration historique de sa plume. Le célèbre géographe s'était contenté de reproduire des figures sans aucun commentaire; il les emprunte aux monnaies de préférence à tous autres monuments et il considère ces illustrations comme des instruments utiles à l'intelligence des textes. Sweertius, lui, va solliciter pour les monnaies l'explication fournie par les livres. Il constate que les têtes publiées par son ami sont muettes, n'étant éclairées d'aucun commentaire. Il accompagnera les capita de | |
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notions de généalogie et de mythologie. Ces figures gravées dans le bronze et qui restent muettes il les anime et les incite à parler. Elingues statuas aeri incisas animo et provoco ad loquendum.Ga naar voetnoot1. Laissons ces têtes de divinités mythologiques pour en venir aux effigies des premiers Césars. François Sweertius a publié en 1603 un recueil de portraits dont le titre indique clairement le sens et la portée: XII Caesarum Romanorum imagines e numismatibus expressae et historica narratione illustratae. Ex museio Franc. Sweertii F. Antuerp. (Pl. 1). Le livre fut imprimé à Anvers par Robert Bruneau pour J.-B. Vrints; le stock fut repris par la veuve et les fils de Jean I Moretus et mis en vente par eux en 1612. Pour chacun des empereurs son portrait avec au-dessus de la page une devise lui appliquée et en regard une notice biographique. Les notices sont suivies de sizains de Jean Bochius (pour les sept premiers) et de Balthasar I Moretus (pour les cinq autres); à la fin du livre sont reproduits les douze quatrains d'Ausone.Ga naar voetnoot2. Les imagines se trouvent dans des cartouches centraux d'encadrements à grotesques, ornements et cuirs découpés à fond noir, gravés au burin. A.J.J. Delen attribue les gravures à Abraham de BruynGa naar voetnoot3. (Pl. 2 et 3). La présentation de l'ouvrage est au fond celle adoptée par Goltzius dans ses Vivae omnium fere imperatorum imagines en 1557: le recto de chaque feuillet offre le portrait d'un empereur en médaillon avec au-dessus une sentence morale et en regard la biographie du personnage. Dans le livre de Sweertius il faut noter les pièces de vers d'Ausone, de Bochius et de Balthasar I Moretus. | |
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Cette manière n'était pas tellement nouvelle. Signalons ici un in-8o publié à Strasbourg en 1544: Icones imperatorum et breves vitae atque rerum cuiusque gestarum indicationes: Ausonio, Iacobo Mycillo, Ursino Velio authoribus. C'est un recueil de portraits (jusqu'à Ferdinand d'Autriche); au dessous de chaque portrait les quatrains d'Ausone, puis des vers de Mycillus et d'Ursinus. L'auteur de ce recueil estime utile de donner un bref aperçu de l'histoire des empereurs; il retient pour cela les pièces de vers de trois poètes. Itaque maxima laude digni sunt tres doctissimi poetae Ausonius, Mycillus et Ursinus, qui ab aliis magnis voluminibus conscripta, in elegantissimos versus incluserunt, lit-on dans l'épître dédicatoire. Les biographies de Sweertius sont résumées de Suétone. Mais, comme il s'agit d'imagines, l'auteur décrit particulièrement l'aspect physique des Césars ainsi que leur comportement. Nous retenons à titre d'exemple, tant du point de vue littéraire que du point de vue numismatique, le portrait de Caius que ses soldats ont surnommé Caligula (empereur, 37-41). Le quatrain d'Ausone relève la cruauté et la dépravation de ce ‘monstre hors série’: Post hunc castrensis caligae cognomine Caesar
Successit saevo saevior ingenio.
Caedibus incestisque dehinc maculosus et omni
Crimine pollutum qui superavit avum.Ga naar voetnoot1.
Le texte de Sweertius s'inspire directement de Suétone: Statura fuit eminenti, pallido colore, corpore enormi, gracilitate maxima cervicis et crurum, et oculis et temporibus concavis, fronte lata et torva, capillo raro, ac circa verticem nullo, hirsutus cetera. Vultum vero natura horridum ac tetrum etiam ex industria efferebat, componens ad speculum in omnem terrorem ac formidinem. Valetudo ei neque corporis neque animi constitit.Ga naar voetnoot2. | |
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Suit le sizain de Jean Bochius. L'érudit secrétaire de la ville d'Anvers, après avoir stigmatisé en une vigoureuse apostrophe le personnage qui eut l'orgueil de se prendre pour un dieu, retient de lui deux faits montrant l'un sa démence, l'autre sa cupidité: Nec deus es, nec homo, Cai, sub principe monstrum es;
Si qua Dicarchaeas iunxisse est navibus arces
Euboico laus parta iugo, at spolia ampla reportas
Vilibus Oceani lectis in litore conchis:
Vtque tibi fulvo plausisti stratus in auro,
Sic quoque laeta tuo te sanguine Roma voluto est.Ga naar voetnoot1.
Examinons maintenant l'effigie de Caligula tirée de ses monnaies. On a de ce César plusieurs figures, authentiques ou attribuées: un buste au Museo Nationale Romano, un autre à la Glyptothek Ny Carlsberg à Copenhague. Il y a surtout le célèbre relief des ‘Suovetaurilia’ du Louvre. Dans le personnage qui répand quelques grains d'encens sur l'autel on a voulu voir Caligula sacrifiant. Ouvrage ‘de très haut style’. Le personnage en question est évidemment trop élégant pour être une représentation réelle de Caligula.Ga naar voetnoot2. | |
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Planche 1. - Page de titre de F. Sweertius, XII Caesarum romanorum imagines. Anvers, J.B. Vrints, 1603.
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Planche 2. Portrait de Calmula. Édition Sweertius.
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Planche 3. - Portrait d'Auguste. Édition Sweertius.
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Planche 4. - Page de titre de L. Torrentius, C. Suetonii XII Caesares. Anvers, Officine plantinienne, 1592.
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Plusieurs monnaies portent le nom et le buste de ce dernier. Il faut dire que cette effigie appartient à une époque de stylisation et d'idéalisation. Les images monétaires de Caligula s'écartent par leur finesse des portraits qui ont été tracés de lui par les écrivains. Sénèque le Philosophe (vers 2-65), qui fut son contemporain, relève chez l'empereur ‘un teint blème et hideux, qui décelait la folie, des yeux torves embusqués sous un front de vieille femme, un crâne pelé, semé de quelques pauvres cheveux mal plantés’.Ga naar voetnoot1. Suétone ne sera pas moins réaliste: ‘Caligula, écrit-il, avait la taille haute, le teint livide, le corps mal proportionné, le cou et les jambes tout à fait grêles, les yeux enfoncés et les tempes creuses, le front large et mal conformé, les cheveux rares, le sommet de la tête chauve, le reste du corps velu.... Quant à son visage, naturellement affreux et repoussant, il s'efforçait de le rendre plus horrible encore, en étudiant devant son miroir tous les jeux de physionomie capables d'inspirer la terreur et l'effroi’.Ga naar voetnoot2. Ainsi donc l'effigie monétaire de Caligula est loin d'être conforme à la réalité. D'une manière générale on a donné à ce personnage la distinction propre à une époque du portrait idéalisé. Or, c'est d'après les monnaies que les portraits sont exécutés à la Renaissance. Tel on voit Caligula dans les ouvrages d'Andrea Fulvio (1517), d'Enea Vico (1554), de Liévin Hulsius (1599). Il faut dire ici que nous ignorons quel exemplaire de monnaie a pu servir de modèle au graveur. Les portraits monétaires des empereurs romains sont nombreux et variés, suivant l'âge des personnages, le faire des graveurs, les conditions de travail des ateliers.Ga naar voetnoot3. | |
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En les rapprochant de tels sesterces de Caligula, on verra que les figures données par les auteurs précités ne s'éloignent pas de tel modèle monétaire. Celle que reproduit Sweertius ne paraîtra pas très expressive. Si nous la comparons à la monnaie du frontispice de Torrentius (1592), nous constatons qu'elle ne s'en écarte pas tellement. Pourrait-on conclure de cette comparaison - le rapprochement est plus frappant pour d'autres Césars, par exemple pour Octave Auguste, pour Domitien, pour Vitellius - que les gravures données par Sweertius s'inspirent pour le moins de celles du frontispice de Torrentius, celles-ci attribuées à Pieter van der Borcht?Ga naar voetnoot1. (Pl. 4). Pour ne pas nous en tenir à un seul des XII Césars, prenons encore le cas de Titus, empereur de 79 à 81. Titus, fils aîné de Vespasien, porta très haut la dignité morale. On a souvent rappelé qu'il considérait comme manquée une journée où il n'avait pas eu l'occasion de faire le bien. Suétone commence son portrait en disant qu'il fut appelé l'amour et les délices du genre humain. De cet empereur, qui ‘ressemble à son père, mais dont la maturité est plus massive et aussi plus débonnaire’Ga naar voetnoot2., Sweertius trace le portrait que voici: In puero statim corporis animique dotes exsplenduerunt, magis ac magis deinceps per aetatis gradus, forma egregia, et cui non minus auctoritatis inesset quam gratiae, praecipuum robur, quamquam neque procera statura, et ventre paullo proiectiore, memoria singularis, docilitas ad omnes fere tum belli, tum pacis artes...’Ga naar voetnoot3.. | |
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Voici le quatrain d'Ausone: Felix imperio, felix brevitate regendi,
Expers civilis sanguinis, orbis amor.
Vnum dixisti moriens te crimen habere.
Sed nulli de te, nec tibi credidimus.Ga naar voetnoot1.
Et le sizain de Balthasar I Moretus: Deliciae humani generis Titus, orbis amores,
Relligionis amans, meritae nec laudis avarus,
Funditus evertit (nam sic pia fata ferebant)
Vrbem praeclaram Solymes, nec claruit armis
Tantum, ast innumeras pacis cognovit et artes.
Felix Roma fores, celeri ni morte perisset.Ga naar voetnoot2.
Quant au portrait gravé il ne souligne guère le caractère très prononcé des effigies monétaires de Titus qui, elles, datent d'une période plus réaliste de l'iconographie.Ga naar voetnoot3. Portraits d'après monnaies, imagines e numismatis expressae. Il n'est pas superflu d'examiner l'emploi qui est fait des monnaies comme sources iconographiques. Faut-il reproduire directement les effigies monétaires ou les interpréter? Dans le second cas c'est un nouveau portrait qu'on exécute. | |
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Ortelius avait nettement posé le problème. En présentant les têtes de divinités dans le dessein d'illustrer les livres qui racontent leur ‘histoire’, il souhaitait que l'exécution des capita fût confiée à un peintre expert en cet art et dont un érudit qualifié conduirait la main. Philippe Galle s'est-il bien acquitté de cette tâche? L'iconographie inspirée des monnaies ne doit pas nécessairement être une copie rigoureuse de celles-ci. Laissera-t-on à l'artiste la faculté d'une composition personnelle? La vérité ne risque-t-elle pas d'être compromise en raison de cette interprétation? Tout dépend évidemment du savoir faire de l'artiste.Ga naar voetnoot1. Les effigies dessinées et gravées par Aeneas Silvius serrent de très près les monnaies. Chez Goltzius il s'agit de peintures originales au départ de dessins très précis. Non seulement les traits des personnages mais encore leur caractère se trouvent fidèlement évoqués. Pictorio penicillo delineavi, Goltzius a dessiné lui-même les portraits des empereurs d'après leurs monnaies. Son interprétation, particulièrement réussie, donne raison au titre même de son splendide recueil: Vivae omnium fere imperatorum imagines ex antiquis veterum numismatis solertissime, non ut olim ab aliis, sed vere ac fideliter adumbratae; Les images de presque tous les empereurs pourtraites au vif, prinses des médailles anciennes: non comme elles ont esté évulguées par cy devant, ains au vray et par tresgrande cure et diligence’.Ga naar voetnoot2. | |
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C'est que Goltzius était un numismate, un connaisseur particulièrement averti des monnaies anciennes. Quelles que soient les critiques dont ses ouvrages ont pu être l'objet, il faut retenir parmi d'autres témoignages celui de Juste Lipse, qui admirait ‘sa diligence à chercher tant de médailles, son bonheur à les trouver et son adresse à les peindre’. Chargés de dessiner et de graver des portraits d'après des monnaies, Philippe Galle, Pieter van der Borcht, Abraham de Bruyn étaient-ils également à même d'en saisir le véritable caractère? |
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