De Gulden Passer. Jaargang 36
(1958)– [tijdschrift] Gulden Passer, De– Auteursrechtelijk beschermd
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Jean et Jacques Taffin, Jean d'Arras et Christophe Plantin
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Néanmoins, vu l'emprisonnement de nombreux protestants, Taffin quitta Anvers avec ses coreligionnaires wallons. Ils cherchèrent en vain un asile d'abord à Aix-la-Chapelle, puis à Worms; ils se fixèrent à Strasbourg où Jean Taffin épousa une demoiselle de la ville. Dès les premiers mois de 1559 il se rendit auprès de Calvin à Genève, fréquenta l'école pour pasteurs qui s'ouvrait et reçut l'imposition des mains. A ce moment, parmi les nombreux Français réfugiés à Genève pour motif de religion, nous trouvons Jean Cabarroche ou CabarosGa naar voetnoot(3), originaire de Gascogne, et l'imprimeur Odinet Molin, dit Basset, de LyonGa naar voetnoot(4): ces noms sont à retenir. Le 25 mai 1561, le culte protestant débute à Metz. Les premiers pasteurs sont Pierre Van Ceulen ou Colonius, natif de GandGa naar voetnoot(5), et son adjoint Jean Taffin. Dans la partie détruite des Observations séculaires sur l'histoire de Metz, travail manuscrit du pasteur Paul Ferry († 1699)Ga naar voetnoot(6), on lisait: ‘1562. Livres de la Religion imprimés à Metz par Jean d'Arras et Odinet Basset: Les Psaumes - Briefve instruction pour les familles de l'église réformée de Metz. J. d'A. et O.B. 1562 (je l'ai)Ga naar voetnoot(7)’. Ce Jean d'Arras était natif de Ville-sur-Yron, non loin de MetzGa naar voetnoot(8). Or, tout au plus tard à la | |
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fin de 1561, un certain Jean d'Arras travaillait à l'atelier de Christophe Plantin à Anvers; il y imprima clandestinement avec deux autres ouvriers français, le gascon Jean Cabaros, sans doute venu de Genève, et Bartholomé Pointer, de Paris, un livret intitulé Briefve instruction pour prier suivant ‘un exemplaire’ envoyé de Metz par son oncle Jean LalouetteGa naar voetnoot(9): ceci ressort d'une enquête faite en mars 1562 par le margrave d'Anvers, qui put saisir 1000 des 1500 exemplaires imprimés, les autres ayant été expédiés à Metz et à ParisGa naar voetnoot(10). La famille de Lalouette ou de l'Alouète était connue pour ses attaches protestantes. La Briefve instruction pour prier est sans doute la même chose que la Briefve instruction pour les familles réformées de Metz. Par mesure de prudence celles-ci n'étaient probablement pas mentionnées dans le titre. Il n'y avait pas suffisamment d'imprimeurs protestants; c'est peut-être afin d'en faire former que d'Arras et Cabaros furent envoyés chez Christophe Plantin, ami de Jean Taffin. Les trois ouvriers français de Plantin furent emprisonnés, la Gouvernante Marguerite de Parme demanda qu'ils fussent condamnés aux galères et que Plantin - qu'il ait eu part à l'impression du livret ou non - fut également considéré comme responsable. Mais Plantin s'enfuit à Paris, fit saisir ses biens par des amis se disant ses créanciers, notamment par Corneille van Bombergen; les biens de Plantin furent vendus publiquement en avril 1562. D'autres créanciers de Plantin, réels ceux-ci, ne furent pas satisfaits de la saisie pratiquée et firent valoir leurs droits sur les biens de Plantin; parmi eux nous trouvons Jacques Taffin, frère de Jean, depuis 1566 receveur du roi d'Espagne au quartier de Cassel, qui avait été arrêté en décembre 1561 sur accusation de protestantisme mais avait dû être relâché faute de preuvesGa naar voetnoot(11). | |
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Jacques Taffin et d'autres créanciers firent exécuter une enquête pour savoir depuis quand Plantin avait été réellement absent d'Anvers, évidemment afin de voir s'il avait pu ou non se cacher quelque temps avant de s'enfuir et se créer des créanciers fictifs. Les ouvriers de Plantin, interrogés le 1er septembre 1562 furent peu clairs dans leur déclaration et Jacques Taffin n'hésita pas dès lors à opposer ses droits sur les biens de Plantin à ceux de Corneille van Bombergen. Il constitua à cet effet pour le représenter son cousin Quintin de Barry: il s'agit manifestement du tournaisien de ce nom, qui embrassa la Réforme et fit plusieurs séjours à AnversGa naar voetnoot(12). Nous n'avons trouvé, dans les archives anversoises, aucune trace d'une condamnation de Jean d'Arras et de ses deux compagnons, mais nous savons que le margrave se plaignit à Marguerite de Parme que tant qu'il n'y avait pas de départ de galères la ville d'Anvers avait la charge financière des prisonniers. D'autre part la surveillance n'était pas très stricte dans la prison d'Anvers; d'Arras en tout cas put s'échapper. Sans doute conseillé par Jean Taffin, d'Arras prit contact avec Odinet Basset de Genève, ils achetèrent à compte commun le 13 mai 1563 un fonds de librairie et du matériel d'imprimerie ayant appartenu à un nommé Duchesne de GenèveGa naar voetnoot(13); d'Arras reçut le 9 juillet d'Antoine Vincent, imprimeur lyonnais établi depuis peu à Genève, la permission de rééditer une traduction française des Psaumes, pour laquelle Vincent avait obtenu un privilège du roi de FranceGa naar voetnoot(14). Il s'agit de la traduction en rimes françaises par Jean Marot et Théodore de Bèze, il en | |
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existe de nombreuses éditions pour les années 1563-1564, nous n'avons pas trouvé celles de d'Arras et Basset. A Anvers Plantin en imprima une; les noms de Marot et de de Bèze en ayant été omis, il obtint un privilège d'imprimer du roi d'Espagne Philippe II le 16 juin 1564Ga naar voetnoot(15). Basset et d'Arras devinrent bourgeois de Metz le 13 août 1563Ga naar voetnoot(16). En novembre ils s'associèrent avec Jacques Busselot, ancien avocat au baillage de Saint-Mihiel, qui avait quitté cette ville le 30 mai 1562 pour raison de protestantisme. Busselot s'occupa du côté financier de l'association. En effet c'est à lui que la ville de Metz avança le 8 janvier 1564 (1563, ancien style) de l'argent pour l'impression d'ordonnances municipalesGa naar voetnoot(17). L'année même d'Arras et Basset imprimèrent des Ordonnances contenans le reiglement de la poursuite des censes, Layes à censes, Rentes foncières, droitures & debtes, en la ville de Metz, & pays messin; elles contiennent 59 articles. L'ouvrage comporte 44 pages de petit formatGa naar voetnoot(18), à la dernière on lit que les ordonnances ont été publiée le 20 mai 1564Ga naar voetnoot(19). Il existe également une édition d'Ordonnances de la ville et cite de Metz & païs Messin, en plus grands caractère et format, imprimées à Metz en 1565 mais ne portant pas de nom d'imprimeurGa naar voetnoot(20). L'édition a comme sous-titre: 1 Pour la Iustice et police | |
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Fig. 1. - Page de titre des Ordonnances de la ville de Metz, y imprimées par Jean d'Arras et Odinet Basset en 1564 (Exemplaire de la Bibliothèque nationale à Paris).
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2 Pour les Rentes et Layées à cense 3 Pour les pauuvres. Elle débute par des préfaces et des tables non paginées, puis on trouve en effet de la p. 1 à 80 les ordonnances pour la justice et police publiées le 2 décembre 1564, de la p. 81 à 124 les 59 articles publiés le 20 mai 1564 et imprimés déjà séparément par d'Arras et Basset, de la p. 125 à 141 les ordonnances sur la police des pauvres publiées le 18 janvier 1562, revues et augmentées le 23 août 1563. Les quelques petits caractères employés dans cet ouvrage ressemblent à ceux de l'édition de petit format portant les noms de d'Arras et de Basset. Le protestantisme se développa rapidement à Metz. A Pierre de Cologne et à Jean Taffin furent adjoints deux autres ministres: Jean GarnierGa naar voetnoot(21), qui arriva à Metz le 23 mai 1562 et fit deux sermons célèbres sur la Cène les 5 et 6 septembre suivants, et Louis Des Mazures, natif de Tournai, qui était déjà à Metz au moins vers la fin de 1563Ga naar voetnoot(22). Voici deux passages du livre du R.P. Martin Meurisse, Histoire de la naissance, du progrès et de la décadence de l'hérésie dans la ville de Metz et dans le pays messin, dont la première édition parut à Metz en 1562Ga naar voetnoot(23). P. 232: ‘... Ils (les Réformés) arrivèrent mesme jusques à un tel point d'impudence, qu'en l'oraison qu'ils font encore tous les Mercredis, imprimés à Metz l'an 1564, chez Jean d'Arras et Odinet Basset Imprimeurs de la Religion prétenduë, ils insererent cette clausse: Ne permets que les Turcs, Payens, Papistes & autres infidelles se glorifient en te blasphémant’Ga naar voetnoot(24). S'agit-il ici de la Briefve instruction pour prier, qui peut-être ne | |
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portait aucune date, ou d'une réédition de celle-ci? Et p. 272-273: ‘La même année 1564 les deux Ministres Pierre de Cologne & Louis Des-masures, pource peut-estre qu'ils n'estoint point capables de produire quelques originaux deux mesmes, s'amuserent, pour occuper leurs Imprimeurs, à mettre au jour, deux meschantes traductions; la première d'un traicté de la Coene composé en Allemand par un nommé Thomas ErastusGa naar voetnoot(25), & l'autre d'un traicté des Sacrements compose en Latin par Theodore de BezeGa naar voetnoot(26): & le premier dedia ceste importante version au Sieur de ClervautGa naar voetnoot(27), comme à un des principaux piliers de la reforme: & tout cela imprimé à Metz par Jean d'Arras, & Odinet Basset Imprimeurs de la Religion pretenduë 1564.’ Nous n'avons pas retrouvé les éditions messines de ces traductions mais bien l'édition conjointe qu'en a fait à Lyon Jean d'Ogerolles, également en 1564Ga naar voetnoot(28); sans doute s'agit-il des mêmes impressions avec pages de titre différentes, Basset étant resté en relation avec ses anciens concitoyens. Paul Ferry signale également: ‘Abrégé de la doctrine évangélique et papistique fait par articles opposés l'un à l'autre fait par Henry BullingerGa naar voetnoot(29). A Metz chez Jean d'Arras et Odinet Basset. 1564 (je l'ai)’. Plus tard É. Bégin écrit dans son Histoire des sciences, des lettres, des arts et de la civilisation dans le pays messin, parue à Metz en 1829, p. 412-413: ‘... Les plus connus de ces typographes | |
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sont Jean d'Arras et Odinet Basset, que nous avons déjà nommés. Leurs éditions sont correctes et généralement estimées. Un des ouvrages qui leur a fait le plus d'honneur est intitulé: les Proverbes de Salomon, ensemble l'Ecclesiaste, mis en rimes françoises selon la vérité hébraïque; par un nommé A.D. DuplessisGa naar voetnoot(30), Metz, in-4o, 1564’Ga naar voetnoot(31). Enfin, d'Arras et Basset auraient également publié un ouvrage de Jean Garnier, issu de ses deux célèbres sermons et intitulé Goliath. Conférence de la Messe et de la Cène, dont l'épître dédicatoire serait du 3 mars 1565, la première édition de la même année, la seconde de 1566. Selon O. CuvierGa naar voetnoot(32), Jean d'Arras serait mort en juin 1564, Busselot en 1567. Il est possible que Basset ait mis le nom de d'Arras sur les livres de Garnier, dont l'impression avait sans doute été projetée du vivant de d'Arras. Nous ne connaissons plus d'édition portant les noms conjoints de d'Arras et de Basset à partir de 1567. Basset retourna d'ailleurs à Genève, où il décéda en 1569Ga naar voetnoot(33). Gui de Bray ou de BrèsGa naar voetnoot(34), né à Mons en 1523, après avoir porté la Réforme en plusieurs villes de Belgique et de France, vit en 1561 sa tête mise à prix et trouva un asile à Sedan auprès du duc de Bourbon-Montpensier, seigneur de Bouillon. En 1565 il vint rendre visite aux ministres protestants de Metz pour tâcher d'arriver à une entente avec les Luthériens des Pays-Bas sur la question de la Cène. Jean Taffin consulta Théodore de Bèze à ce sujetGa naar voetnoot(35) et se montra disposé à revenir aux Pays-Bas. Il quitta Metz en avril 1566, dès le 28 il est déjà signalé par Marguerite de Parme | |
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au margrave d'Anvers comme se trouvant en cette ville. Il n'est cependant pas inquiété mais changea souvent de demeure. Il fit construire le temple rond de l'Église wallonne et y exerça les fonctions de ministreGa naar voetnoot(36). Le 10 avril 1567 Marguerite de Parme exigea que tous les ministres protestants quittassent Anvers. Jean Taffin retourna avec les siens et des amis à Metz, il y reprit ses fonctions de pasteur jusqu'au moment où en février 1569 le roi Charles IX à son tour y interdit le culte protestantGa naar voetnoot(37). Il partit alors avec Pierre de Cologne pour Heidelberg. Jacques Taffin avait vendu sa charge de receveur en décembre 1566 et quitté les Pays-Bas; il fut d'ailleurs condamné au bannissement et à la confiscation de ses biens le 12 octobre 1568. Jean et Jacques devinrent de plus en plus les hommes de confiance du prince d'Orange; ils signent à sa suite la provisioneele religionsvrede à Anvers le 29 août 1578, l'un comme ministre, l'autre comme ancien de l'Église wallonne d'AnversGa naar voetnoot(38). Cette paix de religion valait également pour l'Église allemande de la ville, elle fut étendue le 6 septembre en faveur des Protestants de la confession d'AugsbourgGa naar voetnoot(39). Jacques Taffin devient en 1580 président de la Chambre des Comptes à Gand, il est de nouveau en contact avec Plantin qui lui fournit des livresGa naar voetnoot(40), il | |
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Fig. 2. - Page de titre de la deuxième édition de l'ouvrage: Des affaires d'Estat etc., par F. de Lalouette, imprimé à Metz par Jean d'Arras en 1597 (Exemplaire de la Bibliothèque nationale à Paris).
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meurt vers 1582. Son frère Jean demeure à Anvers jusqu'à la prise de la ville par Farnèse et s'éteint à Emden en 1587. Au début de 1597 le culte réformé fut de nouveau autorisé à Metz. Le nom d'un imprimeur Jean d'Arras y reparaît cette année au bas de la deuxième édition d'un ouvrage de François de Lalouette intitulé Des Affaires d'Estat. Des Finances: du prince et de sa noblesseGa naar voetnoot(41), nous n'avons pu retrouver la première édition qui parut à Paris en 1595. La deuxième édition est de format in-8o et comprend, après deux feuillets liminaires, 264 pages; elle est typographiquement ressemblante à l'édition des Ordonnances de 1564. François de Lalouette appartenait à la religion protestante et était président de la Cour souveraine de Sedan, ville où il mourut en 1602; il avait déjà publié un Traité des nobles à Paris en première édition en 1576, et en deuxième en 1577Ga naar voetnoot(42). O. Cuvier s'est-il trompé et le Jean d'Arras de 1597 est-il le même que celui de 1562-1564, ou bien est-il un fils ou parent? Cet article a voulu établir le dossier ‘Jean d'Arras’ tel qu'il existe aujourd'hui, nous reproduisons la page de titre des deux seuls imprimés à ce nom que nous avons retrouvés, nous espérons que quelque bibliophile sera en état de compléter notre informationGa naar voetnoot(43). Nous croyons aussi avoir mis en lumière, au moins à titre d'hypothèse, le rôle joué par Jean Taffin dans le recrutement et l'établissement d'imprimeurs protestants. |
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