De Gulden Passer. Jaargang 34
(1956)– [tijdschrift] Gulden Passer, De– Auteursrechtelijk beschermd
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Fig. 1. - Catalogue des éditions de Plantin, 1580. Liste des ouvrages édités en français.
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Fig. 2. - L'une des deux éditions des oeuvres de Ronsard imprimées par Plantin.
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A propos des editions françaises de Plantin
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Mais le futur imprimeur a quitté trop jeune son terroir natal pour y rencontrer tel poète ou tel orateur dont plus tard il publiera les oeuvres; on ne voit pas qu'il y soit jamais revenu, ni qu'il y ait gardé des relationsGa naar voetnoot(1). Du moins Plantin a-t-il fait son apprentissage et s'est-il marié à Caen, dans cette Normandie dont M.V.-L. Saulnier souligne à juste titre qu'elle était, vers le milieu du xvie siècle, l'un des centres littéraires du royaumeGa naar voetnoot(2). Peut-être Plantin y a-t-il entendu vanter tel écrivain dont il imprimera les livres. Plus décisif est le séjour que Plantin fait ensuite à Paris, avant de gagner Anvers en 1548 ou 1549Ga naar voetnoot(3). Avouons-le, le grand imprimeur anversois regarde sans cesse du côté de la capitale. Dès 1559, il y envoie sa fille aînée, Marguerite, et la met en pension chez son confrère l'apothicaire Pierre Porret, pour lui faire prendre les leçons du calligraphe du RoiGa naar voetnoot(4). Quand on l'accuse d'avoir publié un livre hérétique, c'est à Paris qu'il se réfugie, en 1562-1563Ga naar voetnoot(5). Quelques années plus tard, il y ouvre une succursale qu'il conservera dix ans (1567-1577)Ga naar voetnoot(6), la faisant gérer d'abord par son compère Pierre Porret, pendant quelques mois, puis par un garçon bouticlier d'Anvers, cet Egide Beys auquel il donnera bientôt en mariage sa fille Madeleine (1572), et qui reste d'ailleurs sous la tutelle de PorretGa naar voetnoot(7). Une autre fille de Plantin, Catherine, exerçait à Anvers le commerce des toiles et lingeries pour le compte | |
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d'un marchand parisien, Pierre Gassen: en 1571, elle épouse un neveu de son commanditaire, Jean Gassen, et vit dans la capitale jusqu'au jour où son mari est assassiné (1575)Ga naar voetnoot(1). Pierre Porret, Gilles Beys, Pierre Gassen se montrent d'actifs correspondants pour le typographe anversoisGa naar voetnoot(2); et quand Plantin, mécontent de Gilles Beys, cède sa succursale à un grand libraire parisien, Michel Sonnius (1577)Ga naar voetnoot(3), ses affaires avec la France n'en restent pas moins fréquentesGa naar voetnoot(4). Peut-être même a-t-il songé, vers ce temps-là, à installer une imprimerie dans la capitale (1579)Ga naar voetnoot(5). En tout cas, il entreprend plus d'une fois le voyage d'Anvers à Rouen et à ParisGa naar voetnoot(6). De nombreux intérêts l'appellent en France. Avant 1570, il se fournit uniquement de caractères chez les fondeurs français Garamont, Haultin, Guillaume Le Bé, Granjon surtoutGa naar voetnoot(7), - à moins qu'il ne s'adresse à l'un de ses compatriotes, le parisien François Guyot, qui est devenu comme lui citoyen d'AnversGa naar voetnoot(8). Il se renseigne auprès de ses correspondants sur la qualité des encres obtenues à Paris et à LyonGa naar voetnoot(9). Dès ce temps là encore, et tout | |
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au long de sa carrière, il commande en France d'énormes quantités de papier, qu'il fait venir d'abord de Caen, plus tard de Troyes, d'Auvergne, de la Rochelle, d'Aix-en-Provence, de RouenGa naar voetnoot(1). Il lui arrive de s'adresser à des graveurs français, Salomon, Geoffroy Ballain ou Jean de Gourmont, pour illustrer de planches et de lettrines les livres qu'il éditeGa naar voetnoot(2). Souvent aussi, Plantin achète en France les basanes et les maroquins nécessaires à ses reliuresGa naar voetnoot(3). On le voit même confier à un artisan d'Aix-en-Provence, un certain Jacques Pons, le soin de régler de beaux exemplaires de la Bible polyglotteGa naar voetnoot(4). Il entretient des relations constantes avec les libraires français. A Paris, Plantin correspond surtout avec les LangelierGa naar voetnoot(5) et plus encore avec Martin le Jeune, qui occupe rue Saint-Jean de Latran la maison habitée par le grand typographe avant son départ pour Anvers et où pend l'enseigne de Saint-ChristopheGa naar voetnoot(6); mais Plantin est aussi en rapports avec Lucas BrayerGa naar voetnoot(7), Guillaume des BoysGa naar voetnoot(8), Guillaume MerlinGa naar voetnoot(9), Pierre Luillier, Guillaume Chaudière, Jean RuelleGa naar voetnoot(10) et, par l'intermédiaire de Martin le Jeune, avec Galliot du Pré, Jean Foucher, Fédéric Morel ou | |
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Jacques DupuisGa naar voetnoot(1); à Lyon, il traite avec Jean MareschalGa naar voetnoot(2), Guillaume Rouillé, Macé Bonhomme, Charles Pesnot, Antoine Gryphe et Barthélémy MoulinsGa naar voetnoot(3); à Rouen, avec Jean MalletGa naar voetnoot(4). Max Rooses l'a déjà signalé, un certain nombre d'éditions publiées par Plantin portent l'adresse de libraires françaisGa naar voetnoot(5). Il arrive encore au célèbre imprimeur de fournir directement de livres les grands monastères du Nord de la France, l'abbaye Saint-Bertin, à Saint-Omer, ou Saint-Vaast d'ArrasGa naar voetnoot(6). Il a obtenu du roi de France un sauf-conduit général pour lui et les siens et peut envoyer ses marchandises où il lui plaîtGa naar voetnoot(7). Bref, il inonde littéralement le marché français d'ouvrages sortis de ses presses. Parmi ceux-là, les Bibles et les ouvrages liturgiques tiennent, comme on sait, une large placeGa naar voetnoot(8); et à côté des missels ou des | |
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bréviaires à l'usage de Rome, Plantin édite d'ailleurs des usages propres à tel diocèse ou à tel ordre religieux, - des missels à l'usage de Rennes, des bréviaires et des missels pour l'abbaye de ClunyGa naar voetnoot(1). Les ouvrages latins, - auteurs classiques, corpus juridiques ou traités scientifiques - trouvent aussi preneurs à Paris ou à LyonGa naar voetnoot(2), - et même, d'aventure, des livres espagnolsGa naar voetnoot(3). Mais, comme on pense, les livres en français sont les mieux reçus. En revanche, du moins au début de sa carrière, Plantin met parfois en vente, à Anvers, des volumes édités à Paris ou à Lyon. Ainsi, en 1558, Martin le Jeune lui expédie des livres de dévotion édités à Paris, entre autres des Heures publiées par Hardouyn, et, en 1561, six exemplaires de la Vénerie de Jacques du Fouilloux, autant des Antiquitez de Paris de Gilles Corrozet et des Nouvelles de Marguerite de Navarre, trois exemplaires des OEuvres de Clément Marot, deux exemplaires des Chroniques de ComminesGa naar voetnoot(4). En 1558 encore, parmi les 1.200 volumes sortis de ses presses que Plantin envoie aux foires de Francfort, figurent des suites de gravures de Jacques Du CerceauGa naar voetnoot(5). Plus tard, un libraire de Gand, Christian Martens, demande à Plantin de lui faire tenir les oeuvres du juriste TiraqueauGa naar voetnoot(6), et tel autre lui demande les Lettres de TronchetGa naar voetnoot(7). A bien des égards, l'officine d'Anvers apparaît comme un trait d'union entre les Pays-Bas et la France. Ne nous trompons pas, cependant, sur l'attitude de Plantin. | |
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Ce tourangeau a choisi de devenir anversois, et l'est restéGa naar voetnoot(1). Il a lui-même expliqué les raisons de son choix, et l'a fait de façon très claireGa naar voetnoot(2). Quand le roi de France lui a proposé de le prendre pour son imprimeur en titre, les Espagnols n'ont guère eu de peine à lui faire décliner cet honneurGa naar voetnoot(3). Qu'il montre un certain enthousiasme lors de l'entrée du duc d'Alençon aux Pays-Bas, ou qu'il dédie à Henri III la Francica du médecin anversois Joannes Goropius BecanusGa naar voetnoot(4), cela ne change rien à l'affaire. S'il joue un rôle officiel, c'est vis-à-vis de l'Empire et de la monarchie de Philippe II, recherchant la protection du souverain, diffusant par dessus tous autres les livres liturgiques qui seront distribués dans son immense empire, publiant coup sur coup les ouvrages susceptibles d'assurer le triomphe de la Contre-Réforme. Il serait donc vain et faux de laisser entendre que Plantin a voulu, par une volonté bien arrêtée, répandre des textes particulièrement propres à faire connaître la langue française, les oeuvres des poètes ou des érudits de son pays d'origine. Aussi bien n'est-ce pas ce que l'on prétend faire ici.
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Après les exposés si remarquables que l'on doit, l'un à M.V.-L. Saulnier, sur l'humanisme en France au temps de Plantin, l'autre à Mme M. Delcourt sur l'humanisme anversois, il s'agit plus simplement de rechercher dans quelle mesure l'officine plantinienne a pu assurer la liaison entre ces deux formes de l'humanisme européen. A vrai dire, le problème dépasse de beaucoup les limites fixées à cet article, puisqu'il faudrait pour le résoudre ne pas se borner à l'étude des éditions françaises, mais examiner aussi les éditions scripturaires - notamment les éditions en langues | |
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orientales, - ainsi que les éditions d'auteurs classiques et tant de savants traités en langue latine publiés par l'officine plantinienne. Mais l'érudit article de M. l'Abbé C. de Clercq dispense de revenir ici sur les éditions scripturaires, et il est à peine besoin de souligner qu'elles font apparaître une filiation directe entre l'humanisme français et celui des Pays-Bas. Il suffit de rappeler à quel point Plantin a utilisé pour l'établissement de la Bible polyglotte les travaux de ses devanciers, Robert Estienne et VatableGa naar voetnoot(1), et l'aide qu'il a trouvée auprès d'un lecteur au Collège Royal, le savant et un peu fou Guillaume PostelGa naar voetnoot(2). Celui-ci avait précédemment établi, en collaboration avec Widmannstadt, l'édition des Évangiles en syriaque, Il communiqua à Plantin ce texte transcrit en caractères hébraïques, en même temps que la traduction latine qu'en avait donnée un de ses élèves, Guy Lefèvre de la BoderieGa naar voetnoot(3). C'est Postel, selon toute vraisemblance, qui mit Plantin en rapports avec l'érudit normand. On sait comment celui-ci s'établit à Anvers, ainsi que son frère Nicolas, avant de se fixer à Louvain, et la part que tous deux prirent à l'édition de la PolyglotteGa naar voetnoot(4). Enfin, on ne doit pas oublier le gendre de Plantin, son collaborateur de tous les instants, Raphelengius, un | |
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Lillois qui était allé étudier en Allemagne, mais qui s'en fut lui aussi suivre à Paris les cours du Collège de FranceGa naar voetnoot(1). Grâce à Plantin, la pure tradition humaniste des contemporains de François Ier, que représentent maintenant ces philologues, se perpétue aux Pays-Bas à l'heure où s'affirme l'autorité des docteurs de Louvain. Il n'intéresse pas notre propos d'évoquer les relations que Plantin a entretenues avec les théologiens français, GénébrardGa naar voetnoot(2), CapetGa naar voetnoot(3), CheffontainesGa naar voetnoot(4). Mais comment ignorer que parmi les ouvrages de droit, de médecine ou d'archéologie sortis des presses de Plantin, beaucoup sont dûs aux compatriotes du grand imprimeur? Il s'agit, la plupart du temps, de rééditions d'oeuvres déjà célèbres et la persistance de leur succès atteste la vitalité d'une certaine forme de l'humanisme français, - celle qui s'était manifestée vers les années 1530-1540. Ainsi dans le domaine des sciences médicales, où Plantin a publié l'oeuvre des plus grands botanistes de son temps. Parmi ceux-là, rappelons-le, Matthias de LobelGa naar voetnoot(5), qui était né à Lille, et Charles de l'Écluse, qui était originaire d'Arras et mourut à LeydeGa naar voetnoot(6), comptaient parmi les gloires de l'antique Faculté de Montpellier. Plantin a d'ailleurs édité des traités de deux médecins français, de mérite à vrai dire bien inégal. L'un est le De morbi articularis curatione et de morbo gallico (1557), de Johannes Sylvius, autrement dit Jean Dubois, qui naquit lui aussi à Lille et fut professeur de médecine à l'Université de Douai, mais n'atteignit jamais, semble-t-il, une bien grande célébritéGa naar voetnoot(7). | |
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L'autre, publié en 1561, est un traité de pharmacologie, De ponderibus, indiquant les proportions et les poids des médicaments. Il avait paru l'année précédente, à Lyon, chez Macé Bonhomme. C'est l'oeuvre d'un médecin autrement célèbre, puisqu'il a pour auteur le fameux Rondibilis, ce Guillaume Rondelet qui fut à Montpellier le joyeux compagnon d'études de Rabelais, participa avec les étudiants du crû à la représentation de la Comédie de celuy qui avait épousé une femme mute, et devint l'une des sommités de son époqueGa naar voetnoot(1). C'était, lui aussi, un grand botaniste, et il a dédié son traité De ponderibus à l'un des amis avec qui il herborisait en Languedoc, l'évêque de Montpellier en personne, l'érudit Guillaume Péllissier. Ce grand savant avait été, en 1540, l'ambassadeur de François Ier à Constantinople, et amassa pour le roi de France quantité de manuscrits grecs et orientauxGa naar voetnoot(2). Faut-il rappeler que Rondelet avait été à Montpellier le maître de Matthias de Lobel et de Charles de l'Écluse, eux-mêmes édités par Plantin? Par la suite, plus d'un éditeur publiera dans un même recueil tels traités du professeur de Montpellier et de ses disciplesGa naar voetnoot(3). On saisit, à ce trait, l'un des liens qui unissent, en passant par l'officine plantinienne, l'humanisme français du temps de Rabelais à l'humanisme des Pays-Bas au temps de Juste Lipse. Plus tard, enfin (1579), mais une vingtaine d'années seulement après la mort de l'auteur, Plantin donnera la première édition séparée du traité De luis venerae sive morbi Gallici curatione perfectissima, de Jean Fernel, le savant humaniste qui fut le médecin de Henri IIGa naar voetnoot(4). C'est en 1566, on s'en souvient, que Plantin commence à publier, avec les Variarum lectionum libri III, les oeuvres de Juste Lipse, dont il va devenir l'éditeur en titre, comme Froben avait été celui d'ErasmeGa naar voetnoot(5). Mais c'est aussi le moment qu'il choisit pour im- | |
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primer, pour la première fois sur ses presses, l'oeuvre de deux des plus fameux philologues de l'école française. Or, là encore, notons-le, Plantin se tourne vers des gloires depuis longtemps consacrées. D'une part, il réédite en 1566 les Adagia du grand Erasme, et joint à ce recueil des textes du même genre, empruntés entre autres au français Adrien Turnèbe, qui avait occupé vingt ans plus tôt la chaire de littérature grecque et latine au Collège de France et qui, à cette date de 1566, était mort depuis un an déjàGa naar voetnoot(1). D'autre part, il publie, en 1578, le traité du polonais Milothevio sur les poids et les monnaies de la Bible, De multiplici loco et talento hebraico, qui doit tant à Guillaume Budé, et n'hésite pas à réimprimer à la suite de cet ouvrage le De Asse de Guillaume Budé, dont la première édition avait paru plus de cinquante ans auparavantGa naar voetnoot(2). Une simple énumération des textes juridiques édités par les auteurs français et publiés par l'officine plantinienne conduit, il est vrai, à des conclusions un peu différentes. Sans doute, là aussi, Plantin prend son bien où il le trouve, mais il suit de plus près l'actualitéGa naar voetnoot(3). Ainsi, sans se soucier des avertissements que lui adresse son confrère lyonnais Guillaume Rouillé, il publie en 1567 l'édition du Corpus juris civilis, avec les notes de Louis Roussard, qui avait paru six ans plus tôt chez ce libraire, et dont celui-ci se préparait pourtant à donner lui-même une seconde éditionGa naar voetnoot(4). Mais Plantin devait imprimer en 1575 une autre édition du Corpus juris civilis, due celle-ci à Louis le Caron, un avocat parisien, plus connu sous le pseudonyme de Charondas dont il signa maint | |
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poèmeGa naar voetnoot(1). Plus tard, le grand imprimeur forme encore d'autres projets. Et tandis qu'il avait accueilli à Anvers un philologue français, Guy Lefèvre de la Boderie, qui était allé s'établir à Louvain, c'est maintenant un Brugeois, Louis Cario, professeur de droit à l'Université de Louvain, qui lui sert de truchement avec le jésuite français Guillaume Fournier, régent de l'Université d'Orléans, dont il songe un moment à publier le Corpus juris civilisGa naar voetnoot(2). Plantin est d'ailleurs en correspondance avec d'autres juristes français. Ainsi Pierre Daniel, le savant éditeur de Plaute, qui possède une si belle bibliothèque et se fournit volontiers à AnversGa naar voetnoot(3). Ainsi Pierre Pithou, qu'il tient au courant des intentions de Juste LipseGa naar voetnoot(4). Ainsi François Hotman, qui enseigne tantôt à Bâle et à Lausanne, tantôt à Strasbourg, à Valence ou à Bourges, et qui désire tant voir Plantin publier ses commentaires sur les Institutes.Ga naar voetnoot(5) Ces juristes ne sont pas uniquement occupés de droit romain. Ce sont des érudits tout imprégnés de culture antique. Les manuscrits qu'ils collectionnent et qu'ils étudient ont plus d'une fois permis d'établir des éditions d'auteurs latins que Plantin utilise à son tourGa naar voetnoot(6). Quand il s'agit pour lui de publier l'oeuvre des écrivains classiques, le grand imprimeur ne se borne pas en effet à puiser dans les collections que les Aide ont jetées sur le marché, mais reste extrêmement attentif aux moindres évènement qui se | |
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produisent en librairie. Nous en avons pour preuve, entre beaucoup d'autres, une lettre qu'il écrit à Alanus Copus en 1574. Comme celui-ci s'impatiente des lenteurs apportées à la publication de son édition d'Horace, Plantin lui fait savoir qu'il ne peut commencer à en imprimer le texte puisque Copus n'a pas indiqué le titre qu'il entend donner à son ouvrage; mais en même temps, il le met en garde, lui signalant qu'Henri Estienne vient de fournir de son côté une édition du poète latin avec des notes et des arguments dont il est l'auteur, et que le volume a été mis en vente à la dernière foire de FrancfortGa naar voetnoot(1). Plus d'une fois, les érudits français fournissent encore à Plantin une contribution qui n'est pas toujours volontaire. Ainsi le Compas d'Or publie en 1566 les Dialectica d'Hunnoeus basée sur l'édition d'Aristote qu'avait donnée l'un des compatriotes de Plantin, Joachim Périon, moine bénédictin de l'abbaye de Cormery en Touraine, qui avait été en son temps l'un des meilleurs hellénistes français, et qui à cette date était mort depuis sept ans déjàGa naar voetnoot(2). L'année suivante, en 1567, le recueil des oeuvres de Pindare, Alcée et Sapho suit l'édition publiée précédemment par Henri Estienne (1566), dont elle reproduit même la dédicace à FuggerGa naar voetnoot(3). A côté des auteurs grecs, les latins. Pour ceux-là les rapprochements sont naturellement plus nombreux encore, tels ceux que l'on peut tirer de l'édition de Virgile, parue avec les notes de Scaliger, en 1575, d'après celle que l'imprimeur lyonnais Guillaume Rouillé avait fait paraître en 1573Ga naar voetnoot(4). Il est inutile ici de multiplier les exemples. On en retiendra deux pourtant, qui montrent à quel point fut profonde à Anvers, grâce à Plantin, la pénétration de l'humanisme français. L'une est une édition de Plaute, établie par Langius, avec des | |
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notes et des commentaires de plusieurs savants, dont le français Adrien TurnèbeGa naar voetnoot(1). L'autre est une édition de Térence que Plantin donna en 1565. Cette fois encore, il n'innovait guère, utilisant le texte qu'avait établi dix ans plus tôt l'un des meilleurs humanistes français de ce temps, Marc-Antoine Muret. A cette date, faut-il le rappeler? Muret ne se trouvait plus en France. Tout jeune, ses débuts avaient été des plus brillants. A peine âgé de dix-neuf ans, il enseignait à Auch, à Villeneuve d'Agen, à Poitiers, - bientôt à Bordeaux, où il eut Montaigne pour élève; à vingt-cinq ans, il occupait à Paris la charge de régent du collège de Boncourt; par la suite, on le trouve à Toulouse. Mais des accusations portées contre ses moeurs lui firent prendre le chemin de l'Italie. Il était à Rome depuis quelques années déjà (1572), jouissant de la protection de Grégoire XIII, quand Plantin entra en relations avec lui. Du moins est-ce l'indice que l'on croit pouvoir tirer des premières lettres recueillies par les éditeurs de la correspondance de Plantin, qui paraît avoir songé à publier en 1574 l'édition de l'Ethique d'Aristote, préparée par Muret, ses commentaires sur Xénophon, Thucydide et PlutarqueGa naar voetnoot(2). Peut-être l'imprimeur et l'humaniste se connaissaient-ils auparavant. On ne saurait oublier que parmi les disciples qui avaient suivi à Paris les leçons de Muret, on comptait, à côté de Rémy Belleau, d'Etienne Jodelle, de Vauquelin de la Fresnaye, ce Jacques Grévin qui s'était établi à Anvers aux environs de 1567Ga naar voetnoot(3). Le nom de Muret était assez considérable pour qu'il ait pu parvenir à Plantin sans que Jacques Grévin ait eu à lui parler de son maître. Comment oublier pourtant cette rencontre? Jacques Grévin est l'un des premiers auteurs dont Plantin ait publié les oeuvres françaisesGa naar voetnoot(4). Entre l'humanisme parisien et l'humanisme anversois, les fils se croisent et se recroisent. | |
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Quand on examine les livres que Plantin a publiés en français, - qu'il s'agisse d'ouvrages directement écrits par ses compatriotes dans leur langue maternelle, ou encore d'ouvrages composés en latin, en grec, en italien, en espagnol, en flamand, mais que le grand éditeur a donnés au public sous forme de traductions françaises, - ou, plus simplement de pièces de circonstances, d'ordonnances politiques ou d'édits, - on ne saurait manquer d'être frappé par leur nombreGa naar voetnoot(1). Dans les catalogues imprimés ou manuscrits de l'Officine plantinienne, les Libri gallici forment une catégorie spéciale, et, si l'on excepte celle des ouvrages latins, de beaucoup la plus importanteGa naar voetnoot(2). Ainsi, dans le catalogue de l'année 1585, on relève 63 éditions françaises en regard de 34 éditions flamandes, de 8 éditions espagnoles, 2 italiennes et 1 allemande. Mais il s'agit des ouvrages que Plantin mettait en vente cette année-là et dont certains se trouvaient depuis longtemps dans son stock. Autre chose est de savoir si la production des ouvrages en langue française fut plus importante à telle ou telle époque de son exercice. Pour tâcher d'y voir plus clair, il faudrait préciser quelle était, année par année, la proportion des éditions françaises par rapport aux autres, et établir des statistiquesGa naar voetnoot(3). | |
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En ce domaine, d'ailleurs, comme en tant d'autres, les statistiques restent peu probantes: l'édition d'une oeuvre de qualité, celle d'un grand poète, est plus importante pour telle année que celle de dix ouvrages d'un intérêt secondaire publiés l'année suivante. Au total, cependant, on a relevé tout près de 120 éditions françaises - exactement 119 - sur un peu plus de 1.000 - soit environ 1/10o. En résumé, il faut retenir la remarque de Max RoosesGa naar voetnoot(1). Au début de sa carrière, Plantin publie surtout ‘des ouvrages qui avaient obtenu la vogue en France’, et parmi ceux-là il va sans dire que les éditions françaises sont particulièrement nombreuses. Plantin est alors plus près de ses origines, il sait davantage pouvoir compter sur l'aide des libraires français, et, surtout, il n'a pas encore conquis la grande clientèle internationale. On ajoutera cependant une remarque. Si la proportion des ouvrages français fléchit dès 1559 (2 sur 5) et 1560 (1 sur 9), elle est encore de 2 sur 8 en 1562, année où Plantin connaît de si graves difficultés, mais tombe à o sur 4 en 1563. Or, c'est à partir du 1er octobre 1563 que prend effet l'association conclue par Plantin avec les Bomberghe, et l'imprimeur se sent maintenant les mains plus libres. La proportion reste très faible durant les années suivantes (1 sur 27 en 1565, 2 sur 46 en 1566); mais elle se relève au moment où se termine l'association (1568?): 5 sur 34 en 1567, 5 sur 43 en 1568. Peut-être n'y a-t-il là qu'une simple rencontre, mais il paraît curieux de la signaler. Par la suite, le rythme de la production des ouvrages français reste assez régulier. Seulement faut-il signaler que Plantin ne semble pas en avoir publié durant son séjour à Leyde (1584 et 1585). Une autre question, autrement importante, est de savoir à quels genres appartiennent ces différents ouvrages. Imaginons donc un instant les éditions françaises de Plantin composant une petite bibliothèque et rangées selon l'ordre méthodique qu'adoptaient les anciens bibliothécaires. La plupart des disciplines seraient représentées dans cette collection. Sur le premier rang figurent les éditions de la Sainte Écriturc, mais, nous l'avons déjà dit, la savante communication de M. l'Abbé de Clercq nous dispensera | |
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Fig. 3. - L'une des deux éditions des oeuvres de Ronsard imprimées par Plantin.
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Fig. 4. - L'une des deux éditions des oeuvres de Ronsard imprimées par Plantin.
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de nous y arrêter. Rappelons seulement qu'il y a là deux éditions françaises de la Bible (le Nouveau Testament de 1573, dans la traduction des théologiens de LouvainGa naar voetnoot(1), et la Sainte Bible de 1578), plus quelques éditions séparées: le Livre de l'Ecclesiastique, autrement appelé la Sapience de Jésus, fils de Syrach (1564),Ga naar voetnoot(2) et l'Histoire de Judith, Suzanne, Esther (1570)Ga naar voetnoot(3). Après les éditions de la Bible et des Pères de l'Église, figurent, dans les anciennes bibliothèques, les livres liturgiques. On sait que Plantin se fit une spécialité d'éditer ce genre d'ouvrages. Là, bien entendu, pas de textes en langue vulgaire. Mais, à côté des ouvrages liturgiques proprement dits, se trouvent ceux qui donnent des extraits des Écritures, et où s'alimente la piété des fidèles. C'est le cas des Psaumes de David mis en vers français par Clément Marot et Théodore de Bèze et imprimés avec la musique (1564), puis, l'ouvrage ayant été condamné la même année, le Livre des Psaumes de la version des docteurs de LouvainGa naar voetnoot(5). Très voisins aussi des livres liturgiques, mais s'adressant aux laïques, sont encore les livres d'Heures. Depuis la fin du xve siècle, les libraires parisiens s'étaient spécialisés dans la production de ces charmants volumes, illustrés à toutes les pages de figures, de vignettes et d'encadrements, et ils en publiaient, non seulement à l'usage de tous les diocèses de France, mais pour l'Angleterre, la Flandre et l'Italie. Nous avons vu Plantin recevoir ainsi de Paris des Heures portant la marque des HardouynGa naar voetnoot(6). Il est d'autant plus significatif de noter que Plantin rivalise avec eux dans ce domaine. Mais tandis qu'il publia plusieurs éditions de l'Officium Beatae Mariae Virginis en latin ou en espagnol, il n'édita qu'un livre d'Heures en français, établi, non pas à l'usage d'un diocèse particulier, mais selon l'usage de Rome, qui était reçu partoutGa naar voetnoot(4) | |
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(1558)Ga naar voetnoot(1), et il en donna des rééditions en 1565 et 1585, alors que la mode de ces recueils de prières était déjà à son déclin en France. Les ouvrages de théologie ou de dévotion en français sont, au contraire, assez nombreux dans la production plantinienne. Nous trouverons-là un poème de Pierre Du Val. Cet auteur, qui se rattache à la tendre tradition mystique de Marguerite de Navarre, jouit en son temps d'une certaine célébrité: François Habert lui adresse des vers dans le Triomphe de Chasteté, Joachim du Bellay le nomme dans ses Regrets, et il devait être précepteur du dauphin, fils de François Ier, avant de devenir évêque de Séez en Normandie. Plantin a publié dès 1555 une oeuvre de ce poète chrétien, De la grandeur de Dieu, et de la cognoissance qui se peut avoir de lui par ses oeuvres, dont une édition avait paru trois ans plus tôt, à Paris, chez Michel Vascosan, et qui allait être rééditée encore à Paris en 1555 et 1557Ga naar voetnoot(2). On devait considérer Du Val comme un théologien solide, puisqu'il fut député au Concile de Trente; mais sans vouloir s'aventurer sur ce terrain dangereux, on est porté à croire que le poème De la grandeur de Dieu reste de peu de poids auprès de ceux que composèrent des théologiens de profession, et qui plus est, espagnols, dont Plantin publia la traduction française. Deux sont de Luis Vivès, la Divine Philosophie (1557)Ga naar voetnoot(3) et l'Institution de la femme chrestienne (1579)Ga naar voetnoot(4), deux traités que l'on a rapprochés de ceux d'Erasme pour la sagesse tout humaniste et chrétienne qu'ils enseignent. Le troisième est d'Arias Montanus lui-même, et c'est la Leçon chrestienne (1579)Ga naar voetnoot(5). La tradition mystique conserve pourtant ses partisans, à l'heure où s'imposent les doctrines du Concile de Trente, à preuve le | |
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Manuel d'oraisons et prières dévotes sur la vie de N.S. Jésus-Christ, traduite du latin de Ludolphe de Saxe, autrement dit Ludolphe le Chartreux, qui alimenta la piété du Moyen-Age, et dont Georges Farinart, un Lillois, donna le texte publié par Plantin en 1575Ga naar voetnoot(1). C'est à côté de ces ouvrages que l'on trouvera le Livre de la victoire contre toutes tribulations (1557), du Dominicain Pierre Doré, moine ligueur qui, malgré sa fougue, annonce parfois saint François de SalesGa naar voetnoot(2), les Six Sermons sur l'oraison dominicale du savant théologien que fut François Richardot, évêque d'Arras, ses quatre sermons Sur la rédemption de N.S.J.-C., réunis dans un même recueil en 1575, et différentes oraisons funèbres qu'il prononça, dont celle de Charles-Quint (1559)Ga naar voetnoot(3). C'est là aussi que l'on rencontrera les publications qui rappellent l'ardeur des polémiques religieuses, comme La Réformation de la Confession de la foy que les ministres de Genefve présenterent au roy tres chrestien en l'assemblée de Poissy, par Claude de SainctesGa naar voetnoot(4), plus tard les oeuvres d'un compatriote de Plantin, le carme Jean Porthaise, un protestant converti au catholicisme, qui fut prédicateur en l'insigne église de Saint-Martin de Tours et plus tard théologal de l'église de Poitiers, la Chrestienne déclaration de l'Eglise et de l'Eucharistie, en forme de response au Livre nommé: la Chute de l'Eglise romaine (1567)Ga naar voetnoot(5), enfin les Cinquante méditations de l'histoire de la Passion de N.S.J.-C., par le R.P. François Costerus, de la Compagnie de Jésus... et mises en français par Gabriel Chappuys, tourangeau, annaliste et translateur de Sa Majesté très chrestienne | |
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et très religieuse (1587)Ga naar voetnoot(1) et les XV. Mystères du Rosaire, par Michel de Betencourt, évêque de Tournai (1588)Ga naar voetnoot(2). Bref, une série d'ouvrages dont l'examen attesterait clairement l'évolution des tendances religieuses, depuis celles du groupe de Meaux, de Marguerite de Navarre et de Pierre Du Val, jusqu'aux traités de polémique et à l'influence de la Compagnie de Jésus. Est-il besoin de souligner que la plupart de ces auteurs sont des hommes du Nord, et que les sermons de Richardot, comme ceux de Jean Porthaise, ont été prêchés à Anvers?Ga naar voetnoot(3). Leur publication s'explique assez par les circonstances, et si l'oeuvre de Du Val montre mieux la pénétration du français grâce à Plantin, il s'agit, on l'a dit, d'une réédition. En regard de ces traités d'une parfaite orthodoxie, il faudrait citer l'Instruction chrestienne de Pierre Ravillian, l'inspirateur de la Famille de la Charité, dont la publication, en 1562, amena Plantin à quitter Anvers, et qu'il s'empressa de désavouerGa naar voetnoot(4). On ne trouve d'ailleurs parmi ses éditions françaises, qu'un seul ouvrage d'un protestant, mais d'un protestant de marque, De la vérité de la religion chrestienne (1581) de Philippe Duplessis-Mornay, et cette édition s'explique assurément par des conditions particulièresGa naar voetnoot(5). Une note que l'auteur a tracée sur son exemplaire personnel, conservé à la Bibliothèque nationale, nous apprend, en effet, ceci: ‘Ce livre fut par moy commencé l'an 1579, agé de trente ans, et achevé l'an 1580, sçavoir commencé à Anvers et achevé à Gand estant Ambassadeur du Roi de Navarre qui | |
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fut depuis Henry Quatriesme roy de France’Ga naar voetnoot(1). Ainsi, ce sont des raisons de circonstance qui ont amené Plantin, l'humaniste chrétien et catholique, à publier cet ouvrage. Le livre de Philippe Duplessis de Mornay valut à l'imprimeur des difficultés, mais connut un grand succès: Plantin le réédite l'année suivanteGa naar voetnoot(2) et parmi les ouvrages dont Michel Sonnius demande l'envoi à Paris, le 29 avril 1583, figurent encore ‘100 Vérité de religion 8o en françoys’Ga naar voetnoot(3). Il fut, par la suite, l'objet de très nombreuses rééditions, à Paris comme ailleurs. Après les ouvrages de théologie et de doctrine, ou d'édification, les traités d'éducation et les recueils de sentences morales. Là, ce sont les oeuvres de deux étrangers que Plantin publie d'abord en français: l'une est même la première qui soit sortie de ses presses, avec le texte italien et le texte français en regard: La institutione di una fanciulla nata nobilmente, l'institution d'une fille de noble maison de Giovanni Michele Bruto (1555), grand voyageur, auteur d'une histoire de Florence et historiographe de Rodolphe IIGa naar voetnoot(4). L'autre est l'oeuvre d'un espagnol, Antonio de Guevara, historiographe et prédicateur de Charles-Quint, et a pour titre Le Favori de Court, contenant plusieurs advertissements et bonnes doctrines pour les favoris des princes, et autres seigneurs et gentilshommes qui hantent la Cour (1557). Il avait été traduit en français par Jacques de Rochemaure et avait paru sous cette forme, à Lyon, l'année précédenteGa naar voetnoot(5). Ce sont deux ouvrages que plus personne ne lit aujourd'hui, et qui méritent pourtant de retenir notre attention. Tous deux se rattachent à la tradition qu'avait illustrée en Italie le Cortegiano de Baltazare de Castiglione (1528), qui fut traduit par la suite en français par Jacques Colin, puis | |
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par Mellin de Saint-Gelais et plus d'une fois édité en FranceGa naar voetnoot(1). La vogue de telles oeuvres montre à quel point nos humanistes, comme le rappelle M.V.-L. Saulnier, se posent les questions d'éducation, de bons usages et de morale pratique. Mais les choses changent vite. Ce sont des préoccupations moins élevées, de tendance beaucoup plus simple, plus bourgeoise et populaire, qui apparaissent dans un ouvrage de morale d'Etienne Perret, que publie Plantin, vingt ans plus tard, en 1578, et le titre vaut à lui seul tout un programme: XXV Fables d'animaux, vray miroir exemplaire par lequel toute personne raisonnable pourra voir la confirmité de la personne ignorante aux animaux bestes brutesGa naar voetnoot(2). Il n'y a plus maintenant, pour s'inscrire dans la tradition humaniste, que les livres d'emblèmes publiés à l'imitation de ceux d'Alciat: les Emblèmes d'Adrien le Jeune, faits françois et sommairement expliquez par Jacques Grévin (1567),Ga naar voetnoot(3) ceux de Sambucus, traduits cette année-là encore et par le même Jacques Grévin, les Devises héroïques de Claude Paradin (1562), dont la première édition avait paru à Lyon dès 1557Ga naar voetnoot(4), ou encore les Commentaires de Claude Mignaut sur les Emblèmes d'AlciatGa naar voetnoot(5). Il n'y a d'ailleurs là, le plus souvent, que recueils de centons, et | |
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si l'on achète ces petits livrets, c'est beaucoup à cause des gravures sur bois qui les ornent à toutes les pages et qui offrent à quantité d'artistes ou d'artisans des modèles de décoration. Et que l'on est loin déjà du véritable humanisme! L'exemple de Jacques Grévin le montre bien. C'est un authentique savant que ce médecin, et un bon poète. Aujourd'hui encore, son théâtre, et en particulier sa tragédie de Julius Caesar, conservent des admirateurs. Il avait fréquenté la demeure des imprimeurs parisiens, et s'était même épris d'une fille de Charles Estienne, cette Nicole qui lui préfèra un autre médecin de la capitale, Jean LiébaultGa naar voetnoot(1). On comprend Plantin de l'avoir accueilli, quand il arriva à Anvers en 1567. Mais la violence de ses opinions calvinistes l'a écarté de la sagesse que prônaient les humanistes, et il est allé jusqu'à écrire un violent pamphlet contre Ronsard, son modèle et ami, le Temple de Ronsard. Par la suite, le maître a rayé de ses vers le nom de ce disciple. Les querelles religieuses ont déjà prouvé que le grand rêvede concorde formé parles humanistes s'avérait impossible. On trouverait, disait-on tout à l'heure, parmi les livres français publiés par Plantin, des ouvrages relevant de toutes les disciplines. Mais les sciences juridiques sont naturellement absentes de cette bibliothèque française, puisque le droit écrit est resté longtemps le droit romain, que les avocats plaident en latin et écrivent en latin, et que les seuls ouvrages juridiques rédigés en France en langue vulgaire traitent du droit coutumier ou féodal français, et n'intéressent ni le public anversois, ni nos humanistes. Aussi n'y a-t-il à inscrire parmi ceux-là que les Coutumes d'Artois, un petit recueil in-16Ga naar voetnoot(2). En revanche, les ouvrages écrits en français par des médecins sont beaucoup plus nombreux. Certains, à vrai dire, sont d'une inspiration toute populaire, ainsi le livret d'Antoine Mizauld, les Ephémérides perpétuelles de l'air, par lesquelles on peut avoir vraie ou assurée cognoissance de tous changements de temps (1556)Ga naar voetnoot(3). | |
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D'autres ne s'adressent même qu'aux maîtresses de maison et aux ménagères, comme le Traité des confitures (1557) du savant Michel de Nostredame, l'inventeur des fameuses prophétiesGa naar voetnoot(1), ou ne sont que des recettes de beauté, comme Le vray et parfait embellissement de la face (1557)Ga naar voetnoot(2), du même auteur. Il n'y a pas davantage lieu de faire honneur à la science française, ni peut-être même à la science tout court, de deux traités traduits de l'italien, les Receptes pour guérir les chevaux de toutes maladies, de Jacques Vincent (1557)Ga naar voetnoot(3), et les Secrets du Seigneur Alexis, Piémontois, plusieurs fois réédités par Plantin à partir de 1567Ga naar voetnoot(4). Mais d'autres ouvrages de médecine ou de sciences naturelles publiés par le grand imprimeur, témoignent d'une science, d'une curiosité d'esprit et d'un sens de l'observation qui montrent en la personne de leurs auteurs de véritables humanistes. Tel Pierre Belon, le grand voyageur qui s'est adonné à l'histoire naturelle et a consacré de beaux ouvrages à l'étude des poissons et des oiseaux. Ses Observations de plusieurs singularitez et choses mémorables trouvées en Grèce, Asie, Judée, Egypte, Arabie et autres pays étranges avaient paru à Paris, en 1553, chez Gilles Corrozet, et avaient été plusieurs fois réimprimées depuis lors par les libraires parisiens, quand Plantin en donne à son tour une édition en 1555Ga naar voetnoot(5). Tel Jacques Grévin, que nous avons déjà rencontré au Compas d'Or et qui fait paraître chez Plantin, en 1568, Deux livres ausquels il est amplemênt discouru des betes venimeuses, thériaques, poisons et contrepoisons, ensemble les oeuvres de Nicandre, médecin et poète grec, traduictes en vers françoysGa naar voetnoot(6). Tel encore l'érudit Charles Estienne, | |
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dont la Maison rustique avait d'abord paru en latin sous le titre de Praedium rusticum (1564) et qui, traduite en français par son gendre le médecin parisien et agronome, Jean Liebault, - l'heureux rival de Jacques Grévin, - devait connaître un si prodigieux succèsGa naar voetnoot(1). Dans des disciplines qui n'intéressent point pourtant des érudits, d'autres ouvrages montrent que Plantin a choisi le français pour éditer des oeuvres qui témoignent de l'avance prise par des Italiens en certains domaines, comme l'Instruction et manière de tenir livres de raison ou de comptes par parties doubles du provençal Pierre Savone (1567)Ga naar voetnoot(2) ou le Discours sur plusieurs points de l'architecture de guerre (1579) d'Aurelio Pasino, architecte en chef du duc de Bouillon, qui atteste assez le succès des conceptions classiquesGa naar voetnoot(3). Parmi tant d'ouvrages que Plantin édite en français, il est assez peu de livres d'histoire. En 1557, il imprime les Divers propos mémorables des nobles et illustres hommes de la chrestienté, du parisien Gilles Corrozet, un érudit qui était à la fois poète et libraire, et comme il l'imprime à compte et demi avec un autre libraire de la capitale, Arnould Langelier, son édition, notons-le en passant, a toutes les apparences d'une contrefaçonGa naar voetnoot(4). Quelques années plus tard, il songe à donner l'oeuvre d'un de nos meilleurs historiens, Froissart, mais il renonce bientôt à ce projetGa naar voetnoot(5). Quant à Pierre d'Oudegherst, dont Plantin diffuse les Chroniques et Annales | |
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de Flandres, c'est assurément un écrivain bien informé, mais c'est surtout un compilateur, et il n'est pas hors de question de rappeler que ce Lillois reste d'obédience espagnole et qu'après s'être rendu à la Cour de Maximilien II, il partit pour Madrid, où il mourut dans le temps que paraissait son livre (1571)Ga naar voetnoot(1). D'autres ouvrages intéressent la géographie non moins que l'histoire: ainsi l'Historiale description de l'Afrique (1556), de Jean Léon l'Africain, ce musulman qui s'était converti, ou que l'on avait converti au catholicisme, alors qu'il séjournait à la cour papaleGa naar voetnoot(2); ainsi l'Historiale description de l'Ethiopie, de François Alvarez, un prêtre portugais qui avait été l'aumônier de l'ambassade envoyée au Roi des Rois par Emmanuel de Portugal (1558)Ga naar voetnoot(3). C'étaient là des rééditions d'ouvrages répandus depuis quelque temps déjàGa naar voetnoot(4). En revanche, Plantin n'hésite pas à publier les Singularitez de la France antarticque, autrement nommée Amérique, du cordelier angoûmois André Thevet, l'année même (1568) où l'auteur donne son oeuvre à Paris, chez les héritiers de Maurice de la PorteGa naar voetnoot(5). Éditeur avisé, le grand imprimeur sait sans aucun doute pouvoir compter sur la curiosité d'esprit des Anversois, ouverts à tous les courants internationaux. Les gens cultivés de la Métropole, comme les marins et les marchands, durent également prêter attention, une dizaine d'années plus tard, au petit livre de leur compatriote, le Miroir du Monde (1579), où l'on a pu voir le premier atlas de poche. L'ouvrage, il est vrai, vaut d'abord par les gravuresGa naar voetnoot(6). Mais il faut reconnaître un autre mérite, | |
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quelle que soit la qualité des illustrations, à la Descriptions des Pays-Bas (1582). Dès 1567, le libraire anversois Guillaume Silvius avait publié avec des gravures sur bois le texte italien de L. Guicciardini. Deux éditions françaises suiverent en quelques mois (1567-1568). Plantin, à son tour, chargea Camerarius d'en donner une traduction latine, en même temps qu'il demandait à un homme de lettres parisien, François de Belleforest, d'en établir une traduction française. Il imprima ce gros in-folio avec des gravures sur cuivre qui laissent loint derrière elles les bois primitifs, mais le texte était de nature, à lui seul, à retenir les contemporains. Les nombreuses rééditions publiées par la suite prouvent que, là encore, Plantin avait frappé justeGa naar voetnoot(1). De nos jours même, ce monumental ouvrage demeure d'un prix incomparable aux yeux de l'historien. Les pièces politiques, les ordonnances, les feuilles d'avis ou de nouvelles que répand l'architypographe sont peut-être plus précieuses encore. Depuis la Magnifique et sumptueuse pompe funèbre de Charles-Quint, dont certains exemplaires comportaient un texte françaisGa naar voetnoot(2), jusqu'à des placards plus éphemères, elles attestent l'immense diffusion que connut alors aux Pays-Bas la langue maternelle de Plantin, et n'ont certes pu qu'y contribuer. Dire qu'elles aient servi la culture française est une autre affaire, et l'on ne saurait les retenir ici, sauf à renvoyer aux Annales de Ruelens et de Backer, qui en énumèrent un si grand nombre. Très efficaces, au contraire, furent les dictionnaires, les vocabulaires, les manuels de conversation destinés aux enfants et aux étudiants, et que Plantin, rappelons-le, a d'abord publiés grâce à la collaboration des maîtres qui enseignaient le français dans les écoles d'AnversGa naar voetnoot(3). Ainsi ceux de Gabriel Meurier, Vocabulaire françois, très utile pour tous ceux qui veulent avoit la cognoissance | |
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du langage françois et flamand (1557), la Grammaire françoise du même auteur (1557), ses Colloques et ses Conjugaisons, règles et instructions (1558)Ga naar voetnoot(1), ou encore, de Jacques Grévin, la Première et la seconde partie des dialogues françois, pour les jeunes enfants... auxquelles Plantin a joint des épitres en vers de son crû (1567)Ga naar voetnoot(2). D'autres, qui virent le jour un peu plus tard, sont d'un niveau plus humble encore, comme l'A B C de Pierre Heyns, - ou exemples pour apprendre aux enfants à écrire convenablement, et contenant nombre de belles sentences pour instruire la jeunesse. On ne connaît plus de cet A B C que la charmante édition flamande de 1568Ga naar voetnoot(3), mais on voit par les archives plantiniennes qu'il en exista une édition française. Certains dictionnaires devaient pourtant convenir à des étudiants d'un degré un plus avancé, comme le Dictionarium tetraglotton donnant les mots latins, français, allemands, flamands (1562)Ga naar voetnoot(4). Que ces efforts aient porté leurs fruits, la chose n'est pas douteuse. S'ils n'apportent que des textes médiocres, les Livres d'emblêmes, les Devises de Claude Paradin mentionnés plus haut n'en ont pas moins diffusé une nouvelle forme de culture. Et comment expliquer, si le français n'avait été si largement répandu, telle édition, toute populaire, des Proverbes anciens, flamengs et françoys,... colligés par M. François GoedthalsGa naar voetnoot(5), ou ces recueils de chansons qu'étudie par ailleurs Mme S. Clercx, et qui ont connu un si grand succès? Il y a plus. C'est parce qu'on lisait le français aux Pays-Bas que Plantin a donné la traduction d'un certain nombre d'oeuvres qui témoignent chez son public de préoccupations voisines de celles des humanistes, des oeuvres que le lecteur choisit pour leur seule beauté et pour sa délectation. S'il ne parait pas avoir donné suite à son projet de publier en français une traduction d'Hermès TrismégisteGa naar voetnoot(6), du moins a-t-il | |
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imprimé les Epîtres de Phalaris et d'Isocrate, - non pas, à vrai dire, d'après le grec, mais par l'intermédiaire du latin. Or, ces lettres, - assurément trop subtiles pour être l'oeuvre du trop fameux tyran d'Agrigente qui se nourrissait de la chair des petits enfants, - lui étaient certainement connues par les éditions françaises: publiées à Rome, en latin, dès 1470, dans la traduction de Francesco d'Arezzo, puis en grec dans la collection d'Alde Manuce, les Epitres de Phalaris et d'Isocrate avaient fait l'objet d'un receuil maintes fois réimprimé, notamment à Lyon par Jean de Tournes (1550) et la même année à Paris; quand Plantin le publie à son tour, une nouvelle édition vient d'en paraître à Lyon, chez Rigaud et Saugrain (1556), dans la traduction de Jean Gruget, de Louis de Matha et d'Antoine du Moulin: c'est précisément cellelà qu'adopte Plantin. Et le moment arrive enfin, où le grand imprimeur, qui s'est d'abord adressé à des érudits parisiens pour établir l'oeuvre des classiques, mais qui a finalement trouvé en Juste Lipse le savant le mieux capable à son gré de servir la cause de l'humanisme, fait traduire en sa langue maternelle une oeuvre de Juste Lipse en personne: les Deux livres de la Constance, dont il imprime une traduction française l'année même où il publie l'édition latine et l'édition flamande (1584)Ga naar voetnoot(1). Encore faut-il noter que la traduction n'est pas établie à Anvers, mais à Paris, par Louis Hesteau, sieur de Nuysement, secrétaire des chambres de Henri III et du duc d'Alençon. La chose n'alla pas d'ailleurs sans difficultés. Louis Hesteau avait eu des démêlés avec la justice dans le temps qu'il travaillait à sa traduction, et peut-être n'aurait-elle pas vu le jour sans l'insistance de Pierre Porret; le correspondant de Plantin à Paris tout en avouant son incompétence, s'inquiétait du succès de l'entrepriseGa naar voetnoot(2). De l'avis des doctes personnages qui avaient examiné le manuscrit de Nuysement, elle était malaisée: ‘J'ai veu | |
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en cela, écrit-il à Plantin le 18 Septembre 1582, que ceux qui vouldront traduire les livres de Monsr Lipsius, qu'il faut qu'ils soyent fort abilles. Ceux qui ont veu le latin ne font pas grand estyme du françoys...’. D'autres ouvrages furent traduits du flamand en français, par exemple le Livre des tesmoignages du Trésor caché au champ, de Barrefelt, et, du même auteur, les Epistres ou lettres missives escrittes par l'effluxion d'esprit de la vie uniformeGa naar voetnoot(1). Plantin établissait ainsi de nouveaux contacts entre la Flandre et la France. Mais il est plus important pour notre propos de rappeler que Plantin s'est servi du français pour faire connaître à certaines classes de lecteurs l'oeuvre de l'Arioste (1555)Ga naar voetnoot(2), celle de Boccace (1558)Ga naar voetnoot(3), et celle d'un autre écrivain italien, bien oublié aujourd'hui, mais qui jouit en son temps d'une célébrité considérable, ce Parabosco qui a tant écrit de poésies et de nouvelles et à qui son talent de musicien valut d'être maître de chapelle à Saint-Marc de Venise. Or, les Lettres amoureuses de Messer Girolam Parabosc (1556) avaient déjà paru l'année précédente, à Lyon, chez Charles PesnotGa naar voetnoot(4), le Roland furieux reproduisait l'édition donnée à Paris, la même année, par Michel Vascosan, le Décaméron, celles de Guillaume Rouillé et ces deux ouvrages furent d'abord distribués aux libraires parisiens. Les liens avec la France n'en paraissent que plus étroits. Quant à l'Amadis des Gaules traduit de l'espagnol et publié en 1561 sous forme de douze volumes in-4oGa naar voetnoot(5), avec la Chronique du très vaillant don Florès de Grèce, n'est-il pas curieux de voir Plantin destiner | |
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ce roman de chevalerie non pas à la clientèle des marchands et des bourgeois (il fera longtemps les délices de bons esprits), mais ‘à tous ceux qui font profession d'enseigner le français en la Ville d'Anvers’?Ga naar voetnoot(1). En bref, et pour en venir aux oeuvres directement écrites en français - quels sont parmi les ouvrages sortis des presses plantiniennes, les livres que l'on pourrait grouper, pour reprendre le terme si expressif des anciens bibliographes, sous la dénomination de Belles-Lettres? Notons d'abord que l'on n'y relève aucune de ces nouvelles dont la mode était si grande en France, ni bien entendu Rabelais ou Montaigne. On n'y trouve qu'une pièce de théâtre, le Mystère de la saincte incarnation de Nostre Rédempteur et Sauveur Jésus-Christ, par personnages. L'auteur, H. Buschey, est un moine wallon, de l'ordre de Saint-François de l'Observance, et, en 1587, ce mystère en vers français est une oeuvre qui dateGa naar voetnoot(2). Faut-il conclure que le public cultivé lisait dans le texte les comédies ou les tragédies latines de nos humanistes? Mais Plantin ne les a pas davantage publiées en latin, et l'on n'éprouvait pas le besoin, dans l'officine plantinienne, de publier les pièces de théâtre d'un Muret ou d'un Jacques Grévin. Le fait paraît assez curieux pour qu'on le signale ici. La poésie, par contre, est bien représentée. Il y a là, sans parler du poème de Pierre Du Val, De la Grandeur de DieuGa naar voetnoot(3) ni des Psaulmes mis en vers par Marot (1564), que l'on a mentionnés plus haut, les Amours de Ronsard, avec quelques odes, plus le Boccage, et les Meslanges (1565), un poème de Guillaume des Autels, la Paix venue du Ciel (1559), quelques odes du même auteur, enfin le long poème du Guy Le Fèvre de la Boderie, l'Encyclie des secrets d'éternité (1571), et les Premières oeuvres de Jean de la Jessée, que Plantin publie dans les dernières années de sa carrière, en 1583. C'est là, sans doute, un beau bagage, et qui fait honneur au grand | |
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imprimeur. A côté des noms illustres de Ronsard et de Marot, certains de ces poètes, bien oubliés aujourd'hui, jouirent en leur temps d'une célébrité qu'ils durent pour une part au Compas d'Or. Seulement, il faut y regarder de plus près avant de croire que Plantin s'est fait de parti-pris le soutien de ces poètes français. Bien au contraire, il est permis de penser que, dans la plupart des cas, les circonstances l'ont poussé à publier leurs oeuvres. Ainsi pour Guillaume des Autels, Guy Le Fèvre de la Boderie et Jean de la Jessée. D'abord admiré par Ronsard et Ponthus de Thyard, Guillaume des Autels n'était certes pas un très grand poète. Il le sentait lui-même, et finit par abandonner la poésie pour se consacrer au droit. Mais il avait de puissants protecteurs. Originaire d'un village du Charolais, il était le sujet du duc de Bourgogne, lequel n'était autre que le roi d'Espagne Philippe IIGa naar voetnoot(1). En même temps qu'il dédiait à Philippe II son poème du Tombeau de Charles V, il offrait à Granvelle un autre poème, la Paix du Ciel (1559)Ga naar voetnoot(2), et, deux ans plus tard, il joignait son Ode responsive à une autre de Charles de Bouillon, et quelques sonnets aux odes de ce prélatGa naar voetnoot(3). On peut supposer pour quelles raisons Plantin publia ces poèmes. Ce sont des raisons qui ne relèvent pas nécessairement de l'amour de la poésie. De son côté, Guy Le Fèvre de la Boderie dédia au duc d'Alençon son Encyclie des secrets d'éternitéGa naar voetnoot(4) et il n'est pas besoin de rappeler, que lorsqu'il publia ce poème chez Plantin, en 1571, il travaillait depuis plusieurs années à l'établissement de la Bible polyglotte. Quant à Jean de la Jessée, un premier recueil de ses poésies avait vu le jour à Paris, chez Fédéric Morel, depuis cinq ans déjà (1578), quand parut chez Plantin le volume de vers qui porte | |
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le titre de Premières oeuvresGa naar voetnoot(1); et il n'est peut-être pas sans intérêt de souligner que l'auteur était, en 1580, le secrétaire du duc d'Alençon, et que l'entrée de celui-ci à Anvers provoqua chez Plantin un sursaut de sentiment français que l'on a déjà signalé. Restent Marot et Ronsard, et dès lors paraît s'imposer cette observation: de même que les livres en français édités par Plantin se rencontrent plus nombreux au début de sa carrière, de même que les ouvrages d'éducation, de théologie ou de morale qu'il a publiés durant ses premières années sont plus profondément imprégnés d'humanisme que ne le seront les suivants, quand s'imposera la contre-Réforme, - de même, c'est quand Plantin est plus près de ses origines françaises qu'il élit les meilleurs de nos poètes, les suivants lui étant amenés, ou imposés, par les circonstances; et il a ignoré les précurseurs de Malherbe, qui ont fait leurs premières armes dans ses dernières années. Mais, là encore, il convient d'examiner plus attentivement les choses. Une pièce de vers de Marot est imprimée, on le sait, dans l'A B C de Pierre Heyns; outre celle-là, une oeuvre de Marot figure parmi celles des poètes édités par Plantin; mais on ne rencontre qu'à une date bien tardive (1564) cette traduction des Psaumes, et c'est le roi David qu'on lit à travers le poète françaisGa naar voetnoot(2). Pour Ronsard, il en va tout autrement. Le titre d'un charmant petit volume qu'a donné Plantin porte: Les Amours de P. de Ronsard vandomois, nouvellement augmentées par luy. Avec les Continuations desdits Amours, et quelques Odes de l'auteur, non encore imprimées. Plus le Bocage et Meslanges dudit P. de Ronsard. L'éditeur ne cachait donc pas que les Amours avaient paru déjà. Mais on pouvait croire, à lire la page de titre, que ce volume, publié en 1557, contenait pour la première fois ces quelques odes, non encore imprimées. On serait donc redevable à Plantin d'une édition de Ronsard en partie originale. Il n'en est rien. Le recueil, | |
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qui se compose de trois parties, reproduit des éditions antérieures. Les Amours avaient été publiés à Paris, chez Maurice de la Porte, en 1553; le Boccage, chez le même imprimeur, en 1554, avec une page de titre qui fournit la même mention de quelques odes non encore imprimées; les Meslanges suivent l'édition donnée en 1555 par Gilles Corrozet et Vincent Sertenas. L'édition publiée par Plantin n'est qu'une contrefaçon. Aussi s'est-il bien gardé d'y mettre son nom, car il voulait vendre cet ouvrage en France, chez les libraires parisiens, - ce qu'il fit en effet. Il indiqua donc au titre comme adresse A Rouen, Par Nicolas le Rous. 1557, et c'est seulement la comparaison des caractères typographiques, des lettrines et des fleurons qui a permis de reconnaître dans ce volume une publication de PlantinGa naar voetnoot(1). Mais il y a mieux. La même année, peu de temps auparavant, une autre édition du même ouvrage, ne comprenant d'ailleurs que les deux premières parties, était parue avec une autre adresse: A Basle, Par Augustin Godinet. 1557. Maurice Sabbe avait flairé que cette édition était également une contrefaçon de Plantin. Toutefois, n'ayant pu voir le seul exemplaire connu de cet ouvrage, alors entre les mains d'un particulier, il n'avait pu apporter la preuve de son hypothèse. Cet exemplaire est entré en 1949 à la Bibliothèque nationale. Nous sommes maintenant en mesure d'affirmer que Maurice Sabbe avait vu juste. Ce n'est pas une contrefaçon de Ronsard, qu'a faite Plantin, mais bien deux. Ou, si l'on préfère, il a exécuté deux tirages de la même composition, avec des pages de titre différentes. Car dans les deux cas, Plantin a utilisé les mêmes caractères, les mêmes bandeaux, les mêmes lettrines, - et les a disposés de la même façonGa naar voetnoot(2); on observe, dans certains cas, la même usure des caractères, ou les mêmes défectuosités d'encrage. | |
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La plupart des éditions françaises données par Plantin sont ainsi copiées, plus ou moins ouvertement, sur des éditions françaises. Le grand imprimeur l'a implicitement reconnu, quand, dans une lettre à son confrère de Lyon, Antoine Gryphe, il se défend de cette pratique. Je puis assurer, dit-il, n' ‘avoir imprimé pour moy ou a mes despens aucun livre imprimé premièrement par autruy, excepté quelques sortes en français à mon commencement, et le Cours civil in-8o...’Ga naar voetnoot(1). Plantin, pratiquant ainsi la contrefaçon, s'est fait nombre d'ennemis en FranceGa naar voetnoot(2); mais il ne s'écarte guère des habitudes de ses contemporains, moins scrupuleux que les nôtres en la matière. D'un autre point de vue, il faut noter que si les textes français publiés par Plantin sont des rééditions, leur publication à Anvers a lieu parfois très peu de temps après celle qui a été faite à Paris. C'est le cas pour les Amours de Ronsard, et c'est davantage encore le cas pour l'ouvrage de Thevet, les Singularitez de la France antarticque, qui parut la même année à Paris et chez Plantin. Mais d'autres fois, les éditions faites au Compas d'Or ne viennent que fort longtemps après l'édition originale, et c'est le cas, par exemple, pour les Psaumes mis en vers par Marot, qui avaient vu le jour en 1541 et que Plantin réédite seulement en 1564. Il y aurait sans aucun doute de curieuses constatations à tirer sur la vogue de tel ou tel auteur, selon que sont plus ou moins longs les intervalles de temps qui s'écoulent entre la publication de l'édition originale et la réédition. Pour revenir à l'exemple cité plus haut, on comprend que l'ouvrage de Thevet, les descriptions de l'Afrique ou du Proche-Orient, aient trouvé des lecteurs dans une ville aussi commerçante qu'Anvers. Nous ne nous attarderons pas à ces remarques. Notons plutôt que, si l'on excepte les Abécédaires, les lexiques, les traités de grammaire, seuls ont paru chez Plantin en édition originale, parmi tant de livres français, le traité de Philippe Duplessis-Mornay, De la Vérité de l'Eglise, les poésies de la Jessée et celles de Guillaume des Autels. Or, nous avons vu que l'édition de ce oeuvres était dictée à Plantin par les circonstances. | |
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Ainsi le grand imprimeur nous apparaît, une fois de plus, comme un habile hommes d'affaires, avant tout soucieux de ses intérêts. Si l'on retient seulement les éditions françaises qu'il a publiées, il est certes difficile de voir en lui un inventeur, un homme qui aurait eu le don de découvrir les talents et les oeuvres marquantes. On a jugé qu'il n'avait pas suivi de programme bien défini. Il serait plus exact de dire qu'il s'est efforcé de publier des livres dont la vente lui paraissait certaine. Ainsi s'explique, s'agissant de livres français, qu'il ait publié au début de sa carrière, les oeuvres dont le succès s'était déjà affirmé sur le marché français. Son programme, il l'établira quand il entreprendra d'imprimer la Polyglotte, quand il deviendra l'architypographe de la monarchie espagnole, l'éditeur de la Contre-Réforme.
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Du point de vue qui nous intéresse ici, Plantin n'en a pas moins un mérite considérable; car il a su assurer une très large diffusion à ces auteurs français dont il imprimait les oeuvres. Le fait s'explique par des raisons d'ordre littéraire, technique et commercial. Plantin, on l'a dit, se borne bien souvent à reproduire telles quelles des oeuvres qui se trouvaient déjà sur le marché. Pour s'en tenir aux livres français, on doit noter pourtant qu'il se préoccupe parfois d'améliorer les éditions données par ses prédécesseurs. Ainsi, quand il réédite l'ouvrage de Pierre Belon, les Observations et singularitez trouvées en Grèce et autres pays étranges (1555), il ne manque pas de déclarer que l'ouvrage a été reveu derechef et enrichi de figures avec une nouvelle table de toutes les matières traitez en iceux, ou, quand il publie en français la Description des Pays-Bas, de souligner que Guicciardini a augmenté son oeuvre de plus de moitié. Le cas le plus typique est assurément celui de l'édition qu'il pensait donner de Froissart. On sait comment, en novembre 1563, il charge André Madoets de revoir le texte que Jean de Tournes avait publié de 1559 à 1561, et le fait collationner sur le manuscrit de Breslau, ‘ou plutôt sur une copie de celui-ci, qui se trouvait au château de Schonhove’Ga naar voetnoot(1). Si | |
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ce travail n'a jamais été imprimé, il montre du moins chez Plantin des scrupules qui feraient honneur à bien des éditeurs modernes. Le grand imprimeur s'efforçait aussi d'améliorer, d'une édition à l'autre, les oeuvres sorties de presses, et l'on conserve encore au Musée Plantin-Moretus, un exemplaire du livre des Venins corrigé de la main de Jacques Grévin en vue d'une réédition éventuelleGa naar voetnoot(1). Enfin, malgré les travaux qui l'accablent, Plantin veut prendre lui-même une part active à certaines de ces éditions. Il a trouvé, au début de sa carrière, des Anversois capables de traduire en français des oeuvres scolaires destinées à des enfants, comme Corneille de Bomberghe, ou encore d'authentiques savants, comme le français Jacques Grévin, qui d'ailleurs ne juge pas à propos de mettre son nom sur la traduction des DialoguesGa naar voetnoot(2); mais il a quelque peine, par la suite, à rencontrer dans la Métropole des traducteurs de talent, à la heuteur de tâches plus difficiles. Tiron, qu'il a donné pour précepteur à ses enfants, et qui traduit pour lui Vivès, est une exception. Plus d'une fois, on l'a vu, Plantin doit s'adresser à des parisiensGa naar voetnoot(3). Même alors, il ne juge pas son rôle terminé. Ainsi, quand il décide de publier la Descrittione di tutti i Paesi Bassi, de L. Gucciardini, il ne se borne pas à demander à François de Belleforest de traduire en français le texte italien (1581): il revoit lui-même le travail et dresse de sa main la liste des corrections qui lui semblent devoir y être apportées. Il arrive même au grand imprimeur de se consacrer personnelement à traduire du latin en français l'Histoire des pays septentrionaux d'Olaus Magnus (1561), d'après le résumé qu'en avait donné un secrétaire de la ville d'Anvers, Corneille Grapheus, et il déclare s'en être acquitté au mieux, ‘pour le moins’, avoue-t-il ‘qu'il m'a été possible, pendant le temps de mes infortunes longues, et grieves maladies assés connues de mes amis’Ga naar voetnoot(4). On sait, enfin, comment il a voulu ajouter aux Dialogues françois pour | |
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les jeunes enfants, de Jacques Grévin (1567), trois dialogues sur les Nombres, la Musique, l'Ecriture et l'Imprimerie. Une telle attitude montre assez que Plantin n'est pas seulement imprimeur ou libraire, mais un éditeur au vrai sens du mot, et pleinement conscient des possibilités, - on pourrait dire: des devoirs de sa profession. Ce sentiment que Plantin possède de son rôle apparaît nettement dans le soin qu'il apporte à présenter ses éditions. Il ne suffit pas de reconnaître la qualité des volumes sortis de ses presses, il faut encore constater que Plantin les établit toujours de façon à leur assurer la plus large diffusion possible. Éditeur avisé, il sait que les livres de trop grand format se vendent mal, parce qu'ils demeurent trop coûteux. Il publie, certes, sous forme de beaux in-folio tant de livres liturgiques, et s'il imprime sous forme de livres de poche quantité d'auteurs latins, il lui arrive d'en donner concuremment d'autres éditions dans le format in-4o, et avec des annotations plus étenduesGa naar voetnoot(1). Aussi paraît-il curieux de souligner que les ouvrages français sortis des presses plantiniennes sont généralement des livres de petit format. Le fait suffirait à indiquer qu'ils s'adressent à une plus large clientèle que les livres d'étude, ou du moins à des lecteurs qui ne veulent pas s'encombrer d'ouvrages pesants. Il n'a rien pour surprendre quand il s'agit de l'oeuvre de poètes, ou encore de certains manuels. Plantin n'innove pas, assurément, quand il publie les Amours de Ronsard ou l'Institution d'une jeune fille de noble maison en de petits volumes que le lecteur peut commodément emporter avec soi, sans faire figure de pédant: il se borne à suivre une pratique déjà courante, avant même le temps d'Alde Manuce, pour les ouvrages destinés au grand public, et que les libraires parisiens n'avaient garde d'oublier. Mais il est plus significatif de voir notre imprimeur rééditer dans le format in-8o ou petit in-8o tels ouvrages de sciences ou de voyages, comme l'Historiale description de l'Afrique de Léon l'Africain, ou les Observations et singularitez trouvées en Grèce et autres pays étranges de Pierre Belon, que ses confrères français avaient imprimés dans le format petit in-folio ou in-4o. Notons, | |
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en passant, à titre de comparaison, que Plantin, démarquant en 1567, l'édition du Corpus juris civilis parue à Lyon six ans plus tôt en deux volumes in-folio, prend soin de la transformer en dix volumes in-8o. Et l'on a déjà rappelé plus haut que Plantin a publié, avec le Théâtre de Pierre Heyns, le premier atlas de poche, qui constituait une véritable nouveauté. Par contre, les Premières oeuvres françoises de Jean de la Jessée (1583), avec leurs deux volumes in-4o et le portrait de l'auteur, gravé au burin par Jean Wiéricx, restent l'un des plus beaux recueils de poésie imprimés par PlantinGa naar voetnoot(1). Le fait mérite d'être signalé; il confirme ce que l'on peut penser des conditions dans lesquelles fut éditée l'oeuvre du secrétaire du duc d'AlençonGa naar voetnoot(2). Une autre raison du succès des éditions plantiniennes, c'est le soin que le grand imprimeur apporte à la typographie. Sans doute, à lire de près les livres français qu'il a publiés, y trouveraiton malgré tout bien des fautes. Peut-être faut-il invoquer les difficultés que devaient éprouver les ouvriers anversois à corriger des ouvrages dont la langue ne leur était pas également familière, à moins que leur hâte ne soit seulement en cause, - à preuve la liste des coquilles qu'a relevées Philippe Duplessis-Mornay dans son exemplaire de la Vérité de la religion chrestienne, et dont plusieurs paraissent assez surprenantesGa naar voetnoot(3). N'empêche que certains auteurs français ont su gré à Plantin de l'attention qu'il mettait à imprimer leurs textes. On possède à ce sujet un témoignage particulièrement précieux, sous la plume de Claude Mignaut. Ce juriste, écrivant à Plantin qu'il a d'abord hésité à lui envoyer un nouveau commentaire des Emblèmes d'Alciat, lui déclare qu'une édition défectueuse de son ouvrage a vu le jour dans la capitale, mais qu'il se rassure maintenant, sachant combien Plantin surpasse en son art tous les typographes de son tempsGa naar voetnoot(4). Aussi bien, ce n'est pas simplement de correction et d'exactitude qu'il s'agit. Sans insister sur la beauté des éditions plantiniennes qui a valu tant d'éloges à l'imprimeur, soulignons plutôt pour | |
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quelles raisons les lecteurs français devaient y être particulièrement sensibles. A certains égards, notons-le, les beaux livres de Plantin pouvaient les surprendre, car ce n'est pas seulement pour les éditions classiques que Plantin employait les beaux caractères romainsGa naar voetnoot(1). Il les utilisait encore pour éditer l'oeuvre des poètes, tandis qu'en pareil cas, en Italie, et par imitation en France, les imprimeurs choisissaient plus volontiers l'italique. La coutume de se fournir de caractères auprès de fondeurs qui travaillaient en France, pour les imprimeurs de Paris ou de Lyon, devait par ailleurs lui permettre d'offrir aux lecteurs français des ouvrages en tous points semblables à ceux dont ils avaient habitude, et sans doute cette manière de faire n'a-t-elle pas nui à la diffusion des oeuvres de nos écrivains. Sur un point, en particulier, le style de la typographie plantinienne rejoint directement celui de la typographie française. C'est quand le grand imprimeur emploie pour les ouvrages scolaires, pour des traités d'édification, ou pour des ouvrages religieux - par exemple pour l'A B C de Pierre Heyns, pour l'Instruction chrétienne ou pour l'Ecclésiastique, - ces caractères imités de l'écriture cursive en usage en France, ou si l'on préfère, de l'écriture de chancellerie française. Les caractères de ‘civilité’ d'abord taillés à Lyon par Robert Granjon, plus tard à Paris par Pierre Haultin, sont au xvie siècle ce qu'a été la bâtarde gothique au xve; de fait, certains imprimeurs français les ont utilisés pour éditer tels ou tels ouvrages qui s'adressaient aux honnêtes gens; mais on les a bientôt réservés à l'impression de manuels destinés aux enfants, aux traités de la civilité puérile ou honnête, et ces caractères en ont gardé le nom sous lequel on les désigne encore de nos joursGa naar voetnoot(2). Il paraît significatif que les inventaires plantiniens les classent sous le nom de lettres françaises, ou lettres d'escritureGa naar voetnoot(3), et il n'est pas sans intérêt | |
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de souligner que, grâce aux manuels édités par Plantin, les enfants d'Anvers ont ainsi appris, en même temps que le français, un mode d'écriture en vogue dans la patrie du grand imprimeur. Si l'on se souvient que Plantin, éditant tels livres liturgiques, a pris soin de les composer dans cette grosse gothique, dite lettre de forme, qui revêtait un aspect particulier suivant que ces ouvrages étaient destinés au clergé des pays du Nord ou à celui de l'Espagne, on se persuade facilement que, choisissant cette lettre d'escriture pour ces petits livres français, il agissait sans aucun doute de propos délibéré. Après la savante étude du professeur Ray Nash, on s'en voudrait d'évoquer encore l'illustration des éditions données par Plantin, fût-ce à propos de livres françaisGa naar voetnoot(1), et de revenir sur le fait, signalé plus haut, que Plantin s'est adressé parfois à des artistes qui vivaient en France. Il faut rappeler pourtant comment les artistes du Nord attachés à l'officine plantinienne ont pu avoir sous les yeux des modèles français, alors surtout que l'imprimeur se proposait de rééditer des textes qu'avaient d'abord publiés ses confrères parisiens ou lyonnais. Ainsi le juriste Claude Mignaut, qui avait traduit pour lui les Emblèmes d'Alciat, écrit-il à Plantin, le 27 juillet 1575, qu'il lui envoie un exemplaire de l'édition publiée à Paris, afin, précise-t-il, que ‘vos ouvriers voyent et remarquent toutes les figures, nonobtant que j'aye opinion que les pouvez déjà voir’. ‘Je ne fay point de doubte’, ajoute-t-il d'ailleurs aussitôt, ‘que celles que vous ferez tailler ne soient plus belles’Ga naar voetnoot(2). Il y aurait à coup sûr bien des rapprochements à faire en pareil domaine. L'histoire de la reliure à cette époque en suggère d'autres. De toute évidence, les plus belles des reliures plantiniennes, avec leur décor doré de filets et de fleurons recouvrant les plats, s'inspirent des chefs-d'oeuvre qu'exécutent vers la même époque les ateliers parisiensGa naar voetnoot(3). Mais il y a plus, et rien ne ressemble davantage | |
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aux reliures d'éditeur de Plantin que celles des Langelier. Chez Plantin, comme chez les Langelier, il s'agit de modestes reliures de veau fauve seulement décorées d'un encadrement de filets à froid avec des fleurons dorés aux angles, et, au centre des plats, un petit motif doré, représentant chez Plantin le fameux compas, et chez les Langelier, pour un de ces jeux de mots chers à nos vieux imprimeurs, l'enfant Jésus tenant deux anges liés par une cordelière. Dans les deux cas, ce motif s'inspire de la marque des librairesGa naar voetnoot(1). D'autres reliures, pareillement décorées d'un fer doré rappelant la marque d'un libraire, se retrouvent vers la même époque dans quelques officines françaises. Mais le fer y est généralement de plus grand module, et les reliures de Plantin ne présentent pas avec elles une ressemblance aussi étroite. Si l'on veut bien se souvenir qu'il n'est pas de reliures de ce genre dans le Nord de l'Europe, qu'à Paris même les reliures des Langelier (1535-1562) restent d'un type exceptionnel et qu'elles sont très probablement antérieures à celles de Plantin, lequel a reçu ses fers en 1564, enfin que les Langelier comptaient parmi les plus actifs correspondants du grand imprimeur, on admettra que le fait pour Plantin d'avoir séjourné à Paris et d'être en relations suivies avec les libraires de la capitale n'aura pas été sans conséquenceGa naar voetnoot(2). L'architypographe a sans doute emprunté à ses confrères parisiens l'idée de ce genre de reliures et les volumes qu'elles recouvrent devaient paraître aux contemporains habillés à la française. | |
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Reste à savoir quelle fut la diffusion de ces livres français édités par Plantin, - à quel nombre il les tira, où il les vendit de préférence. Sur ces deux points, force nous est de nous en tenir ici, ou peu s'en faut, aux renseignements fournis par Max Rooses. Si l'on en juge par le petit nombre des exemplaires qui nous sont parvenus, les premières éditions publiées par Plantin ne connurent que d'assez faibles tirages, et l'on a déjà rappelé que certains des textes français qu'il a imprimés datent précisément du début de sa carrière. Mais un ouvrage comme le Favori de Court fut tiré à un grand nombre d'exemplaires, certainement quelques milliersGa naar voetnoot(1). Où Plantin vendait-il ces livres français? Sur place, sans doute, et Max Rooses a signalé comment Plantin a remis un certain nombre d'exemplaires de ses premières impressions françaises à ses confrères anversois, Jean Steelsius, Guillaume Symon et Gérard Spelman, voire à Ortelius, qui n'était pas seulement graveur, mais à l'occasion libraireGa naar voetnoot(2). Il est évident toutefois que si Plantin a entretenu des relations si étroites avec les libraires de Paris et de Lyon, il leur destinait, entre tous autres, les livres français sortis de ses presses. Les charretiers les transportaient par route, en des balles; d'autres arrivaient par eau, en des tonneaux, sur des bâteaux qui touchaient à Rouen. Les comptes de Plantin montrent, par exemple, que parmi les livres latins envoyés à Arnould Langelier et à Martin Le Jeune, figurent, pour chacun de ces libraires, 6 exemplaires de l'Institution d'une fille de noble maison, autant de l'Historiale description de l'Afrique, et, pour Arnould Langelier, 1.250 exemplaires, en deux fois, du Favori de Court. Le même libraire reçut une partie du tirage des Amours de RonsardGa naar voetnoot(3). Tous ces livres n'étaient certes pas d'une vente également facile à Paris. On possède à ce sujet un témoignage révélateur, celui de Pierre Porret, écrivant à Plantin, à propos des oeuvres de Jean de La Jessée: ‘Vous m'avés aussi envoyé demi-cent des poésies | |
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la Flandre à Monseigneur, qui sont livres de quoy on ne tient conte; mais de quelque chose touchant les fascicules comme les lectres interceptées [il s'agit des Lettres interceptées du Cardinal Granvelle et aultres, 1582], et le discours de l'entreprinse contre Monsr, si on en avoit au commencement cela se vendrait; mays toutes telles choses ne se doibvent mettre en tonneaulx, qui sont ordinairement deux moys sur chemin, et estant arrivés il faut faire enveloppes et maculatures de telz livres’Ga naar voetnoot(1). Une autre fois, à propos des Deux livres de la Constance de Juste Lipse, mis en français par Louis Hesteau, son correspondant prévoit que la traduction, peu satisfaisante, ‘n'est pas de vente en ce païs’Ga naar voetnoot(2). Quoi qu'il en fût, les éditions plantiniennes se vendaient bien, et se vendaient au loin. Ainsi, en 1557, Plantin a expédié aux foires de Francfort 50 exemplaires du Favori de CourtGa naar voetnoot(3). L'un des cinq exemplaires qui nous restent des Amours de Ronsard à l'adresse de Nicolas le Rous porte une note manuscrite contemporaine prouvant qu'il a été acheté à VeniseGa naar voetnoot(4). Ne serait-ce qu'en vertu de ses qualités d'hommes d'affaires, Plantin a bien servi les lettres françaises.
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Qu'il les ait aimées pour elles-mêmes, cela n'est point douteux. Tant de vers qu'il a lui-même composés le prouvent. Et de tous les textes qu'il a publiés en français, aucun n'a connu diffusion comparable à celle du sonnet du Bonheur de ce mondeGa naar voetnoot(5). Bien vite célèbres, ces vers le sont demeurés autant que les plus beaux sonnets du grand Ronsard lui-même,... et plus, assurément, que ceux de bien des poètes de la Renaissance. Cette feuille volante, que l'on continue d'imprimer à Anvers sur les presses de Plantin, | |
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avec ses caractères, reste plus fameuse aussi que les magnifiques in-folio marqués du Compas d'Or. Les vers qu'elle transporte nous avouent à la fois l'idéal de l'humaniste et du chrétien, et un certain épicurisme, qui peut sembler français et tourangeau. Ils suffiraient à rappeler comment Plantin a servi de trait d'union entre sa patrie d'origine et sa patrie d'adoption, et ce qu'il a fait en son temps pour répandre la sagesse. |
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