De Gulden Passer. Jaargang 34
(1956)– [tijdschrift] Gulden Passer, De– Auteursrechtelijk beschermd
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Les éditions musicales anversoises du XVIe siècle et leur rôle dans la vie musicale des Pays-Bas
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italienne: une fusion s'y opère entre ces deux tendances et l'école musicale liégeoise, dont le chef de file est Johannes Ciconia, brillera sans doute jusqu'en 1468, - date de la destruction de la ville par le Téméraire. Il suffit de citer les noms de Johannes de Sarto, Johannes Brassart, J. de Limburgia, Arnold et Hugo de Lantins, J. Fr. de Gembloux, etc... pour s'en convaincreGa naar voetnoot(1). A Cambrai, on cultive un art exclusivement français et les maîtres de G. Dufay proviennent de Paris ou de Dijon. Dufay enrichira et prolongera cette tradition jusque dans le 3e quart du XVe siècle; de cet élan, le comté de Hainaut bénéficiera jusqu'à la fin du XVIe siècle; il n'est que de citer les noms de quelques grands musiciens comme G. Binchois, Ockeghem, J. Regis, Josquin, R. de Lassus, etc..., pour le comprendreGa naar voetnoot(2). Cette tradition musicale française, va opérer, sous le règne des ducs de Bourgogne, une pénétration vers le nord et des villes comme Bruges et Anvers vont se distinguer à partir de la fin du XVe siècle. Un grand musicien fait, à ce moment de Bruges, un centre: Jacques Obrecht qui fut ‘succentor’ à Saint-Donatien. Ses voyages en Italie, le renom dont il jouissait à Florence et à Ferrare n'ont pu que rejaillir sur cette jeune école musicale qui portera ses fruits au XVIe siècle. A Anvers, la Collégiale de Notre-Dame ne manquait pas d'entretenir, dès le milieu du XVe siècle, une phalange de chantres; mais ce n'est qu'à la fin du siècle qu'une impulsion nouvelle lui sera donnée par son ‘succentor’ Jacques Barbireau († 1491). Et bien qu'Ockeghem n'y fut pas forméGa naar voetnoot(3), bien qu'Obrecht n'y fut | |
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pas maître de chantGa naar voetnoot(1) ainsi qu'on l'a affirmé, des témoignages suffisants révèlent qu'on y pratiquait, à la fin du XVe siècle, une polyphonie digne de la grande tradition contemporaine. Enfin, il était dans ces pays du nord un autre centre de culture musicale: la Cour de Bourgogne. Brillante sous Philippe le Bon, mais encore exclusivement française si l'on en juge à ce que l'on connaît de son répertoire musical et de son personnelGa naar voetnoot(2), la ‘chapelle’ musicale devient plus fermée aux courants européens, plus locale sous Charles le Téméraire et ses successeurs. Ses représentants pratiquent une polyphonie plus complexe et s'engagent dans les voies d'un style imitatif où le rythme se désagrège, où la ligne mélodique se fragmente au profit d'un tissu polyphonique d'un extrême raffinement. La poésie française contemporaine n'y est plus que prétexte à un art musical qui se plaît à des complexités ‘fin de siècle’. Pendant ce temps, Ockeghem, à la Cour de France, - où il servit ‘quarante ans et plus’, - élargissait le rythme et inventait des mélodies qui s'inscrivaient dans une polyphonie plus monumentale, bien que savante. En Italie, Josquin assouplissait son art au contact d'une musique plus simple, conquis à la grâce méditerranéenne. Lorsqu'il mourra, en 1521, il léguera à l'Europe une tradition renouvelée dont allait sortir la polyphonie classique du siècle des humanistes. Cet âge d'or allait être, pour nos musiciens, un âge d'exode. A quelques exceptions près, tous prennent, dès leur jeune âge, le chemin de l'Italie. Presque tous font carrière dans des Cours italiennes ou encore en Espagne, où les entraînaient les souverains ou encore à Innsbruck, à Vienne, à Graz, à Munich, sollicités par des princes gagnés à la grâce de l'humanisme italien. Si l'on voulait retracer non pas l'histoire de nos musiciens du | |
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XVIe siècle, mais l'histoire de la musique dans nos pays, la liste des maîtres de renom qui y firent carrière serait brève. La Cour était à Madrid et celle qui subsistait à Malines, puis à Bruxelles n'était qu'un reflet des splendeurs impériales ou royales. De plus, les guerres de religion et les conflits qui s'en suivirent avec les ‘Provinces Unies’, devaient appauvrir les classes aisées et les églises. Même les cathédrales, - Tournai, Cambrai, Utrecht, - ne peuvent retenir longtemps à leur service des musiciens de valeur et les nouveaux évêchés, créés en 1559 afin d'intensifier la lutte contre la réforme, - Bruges, Gand, Anvers, - ne pourront prendre un véritable essor musical pendant le XVIe siècle, trop pauvres à vrai dire, et trop préoccupés de luttes religieuses ou politiques. Mais ce tableau, à lui seul, serait tout aussi inexact que les affirmations les plus hâtives. En fait, il existe des témoignages de l'activité musicale dans les Pays-Bas, qui méritent d'être interrogés et justement exploités. A cet égard, les éditeurs musicaux, - et principalement les Anversois, - ont joué un rôle important et multiple que je voudrais souligner ici.
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Sans doute, les travaux ne manquent pas qui mirent ce rôle en valeur: depuis l'ouvrage, désormais classique de GoovaertsGa naar voetnoot(1) jusqu'aux travaux plus spécialisés de Stellfeld sur les éditions musicales de PlantinGa naar voetnoot(2), d'excellents historiens de la musique et de l'imprimerieGa naar voetnoot(3) ont inventorié et commenté l'oeuvre de ces grands imprimeurs. Mais leur importance a-t-elle été justement jaugée? A les situer au centre d'un pays que l'on considérait comme le coeur musical de l'Europe, leur activité n'en paraissait que naturelle: ils étaient des commerçants ou des hommes d'affaires, habiles à exploiter l'une des grandes ressources artistiques de leur temps et de leur pays. | |
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En fait, leur rôle fut tout autre et leur action plus profonde. Editer des psaumes ou des motets avait, pour eux et pour leur public, un sens précis: ils prenaient ainsi parti pour ou contre l'église réformée. Eloignés des centres créateurs de France et d'Italie, ils n'en avaient que plus de mérite à découvrir et à publier des oeuvres de Luca Marenzio, de Palestrina, d'Ingegneri, R. de Lassus, Phil. de Monte. etc..., dont il leur arrivait rarement, du reste, d'avoir en mains des oeuvres inédites. Si l'on devait dresser la carte de la typographie musicale des Pays-Bas au XVIe siècle, Anvers apparaîtrait certes comme un centre rayonnant. Depuis la publication des psaumes de David en 1538 par Symon Cock, jusqu'à la fin du siècle, la métropole domine de haut les autres points que l'on pourrait fixer sur cette carte: Utrecht, Amsterdam, Leiden, Douai, Gand. Même Louvain, dont l'Université devait encourager le commerce du livre, n'a pu l'égaler: Phalèse, qui y entreprit ses premières éditions musicales, ne tardera pas à s'installer à Anvers. Et c'est là un premier problème: pourquoi Anvers? Jamais, à ma connaissance, on n'a expliqué ce fait. On a bien invoqué l'intense activité musicale de la métropole. Mais qu'était exactement cette activité? Les travaux de De Burbure n'ont que défriché la situationGa naar voetnoot(1) et orienté les recherches presque exclusivement vers la vie musicale des églises, Notre-Dame en tête, - qui ne devint cathédrale qu'en 1559, du reste. En vérité, les musiciens que l'on y rencontre furent loin de jouir d'une réputation internationale: Antoine Barbé, maître de chant de 1527 à 1562 à Notre-Dame, n'est pas un musicien de premier plan et, quelles que soient l'abondance et l'excellence de la production de Pevernage, - maître de chant à la cathédrale de 1585 à 1591, - son oeuvre est reflet et non créationGa naar voetnoot(2). | |
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A travailler en vase clos, la musicologie a négligé le contexte historique. Or, il importe de ne pas oublier que la musique, faite par des hommes et pour des hommes, a besoin d'un substrat social et que ce substrat est mouvant. L'expansion anversoise avait créé, pour les musiciens, une clientèle d'un type nouveau: une bourgeoisie riche, de civilisation urbaine très poussée. C'est pour cette clientèle que musiciens et typographes travaillaient; c'est d'elle qu'il vivaient. Pourquoi, alors, expliquer cette vitalité musicale et cette industrie du livre par la primauté de la musique d'église? Ce qui était vrai pour des centres ecclésiastiques comme Liège ou Cambrai, ce qui était vrai pour des cours princières, - où le manuscrit suffit à la demande, - ne l'était plus pour Anvers, centre commercial, industriel et bancaire, où les églises, du reste, avaient de modestes revenus. Dès lors, ce n'est plus sur la carte des Pays-Bas qu'il convient de pointer son nom mais sur la carte d'Europe: Paris, Lyon, Bâle, Venise, Florence où des situations économiques similaires ont engendré des civilisations urbaines, où les mêmes richesses ont draîné les mêmes commerces de luxe, méritent seules d'être étudiées, du point de vue musical, en vertu des mêmes critères. En vérité, l'histoire de la musique à Anvers au XVIe siècle n'appartient plus à celle des Pays-Bas mais à celle de l'Europe.
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La typographie musicale tisserait, à elle seule, la chaîne de cette histoire. Elle commence avec les premières publications du Susato. Dans la première moitié du XVIe siècle, en effet, on ne connaissait à Anvers d'autre moyen que la gravure sur bois, puis la gravure séparée des portées et des notes. Le caractère mobile (note fixée sur sa portée) avait été inventé par un Français, Pierre Haultin, qui avait fourni des matrices à Attaignant (Paris, 1525) et à Jacques Moderne de LyonGa naar voetnoot(1); il travailla aussi pour Susato à Anvers et, dès 1543, celui-ci fut à même d'inaugurer sa célèbre collection de | |
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chansons polyphoniquesGa naar voetnoot(1). Trois ans plus tard (1546), Pierre Phalèse le vieux ouvrait à Louvain un atelier de typographie musicale, en utilisant des procédés analogues. En 1554, le musicien Hubert Waelrant s'associait à Jean Laet et leur maison d'édition eut son heure de célébritéGa naar voetnoot(2). En 1564, c'est l'entrée en lice de Plantin. Celui-ci, on le sait, s'était spécialisé dans l'édition des manuels liturgiques pour lesquels il possédait des caractères appropriés, mais, en 1568, il avait acquis, à la vente de Susato (Jacques Susato, fils et héritier de Thielman, était mort en 1564), des caractères de petite et grosse dimensionGa naar voetnoot(3), peut-être, ceux-là mêmes qu'avait fabriqués Pierre Haultin. Il pourra, dès lors, publier des oeuvres polyphoniques. En 1578, ce sera la somptueuse édition des Messes de De La Hèle, dédiées à Philippe II, livre de choeur, in-folio maximo, qui servira d'exemp e aux éditions futures. En 1582, Pierre Pha'èse le jeune, s'associait à Jean Bellère et le suivait à Anvers où leur maison allait rivaliser avec l'officine plantinienne et même, dans une certaine mesure, la supplanter. Tels furent les créateurs de la typographie musicale anversoise. Leur oeuvre allait être reprise par leurs héritiers et même essaimer. Dès 1589, la veuve de Chr. Plantin, Jeanne Rivière, poursuivait, avec son gendre Moretus, l'oeuvre entreprise à Anvers tandis qu'à Leiden, Raphelengius et, à Paris, Gilles Beys, ses autres gendres, prolongeaient la trajectoire plantinienne. A Douai, Balthazar Bellère, fils de Jean, avait fondé, en 1590, une officine de typographie musicale et rejoignait ainsi Jean Bogard qui, après avoir travaillé à Louvain de 1564 à 1574, y avait imprimé, en 1575, son premier livre de musique.
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Ces faits, bien connus du reste, apportent cependant une leçon nouvelle, pour autant que l'on cherche à les expliquer, à les relier et à pénétrer quelque peu la psychologie de leurs acteurs. | |
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Thielmann Susato, - qui joua incontestablement un rôle d'éclaireur de 1543 à sa mort en 1561, - était lui-même musicien. Il était originaire de CologneGa naar voetnoot(1). On ignore tout de sa formation. Cologne ne paraît pas avoir été un centre actif de musique polyphonique; mais, sur le chemin des Pays-Bas, Susato ne se serait-il pas arrêté à Liège? Il est remarquable, en tous cas, que dès le début de sa carrière, il dédie un recueil de Messes à Georges d'Autriche, prince-évêque de LiègeGa naar voetnoot(2) et qu'il soit le premier anversois à connaître et publier des oeuvres de musiciens liégeois: Rocourt, Castilleti (Guyot) et Petit Jean de Lattre. Quoiqu'il en soit, sa formation musicale n'indique pas un centre où se brassent des styles nouveaux et ses compositions révèlent un sage académisme. Aussi, son choix se limitera-t-il, - a quelques exceptions près, - à des oeuvres de compositeurs locaux: J. de Hollandre, J. Lupus, Hellinc, Barbé, Josquin Baston, Geerhard Turnhout, Chastelain, Benedictus (Appenzeller), etc... Sur ce fonds, se détachent quelques chefs de file, aux qualités éminentes mais dont la carrière se déroula principalement dans le pays: Th. Créquillon, Clemens non Papa, N. GombertGa naar voetnoot(3). On objectera, sans doute, qu'il mit aussi en lumière des oeuvres d'A. Willaert, de C. de Rore, qui vécurent surtout en Italie, de Roland de Lassus, de Morales, de Vincenzo Ruffo. Mais Roland de Lassus vint précisément à Anvers en 1555, l'année même où Susato publia son premier recueil de chansons françaises et italiennes; mais C. de Rore fit de fréquents séjours à Anvers où vivait sa famille. Quant à Willaert, Morales et V. Ruffo, leur réputation était telle que d'Italie, leur gloire avait pu rayonner vers les pays du nord. Enfin, C. de Rore et R. de Lassus avaient fort bien pu contribuer personnellement à les faire connaître à Susato. Du reste, ce n'est que dans les dernières années de sa vie que les éditions de Susato laissent apparaître un accroissement de culture | |
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musicale; encore cet élargissement se limite-t-il aux noms que nous avons cités. Les premiers recueils de Phalèse à Louvain ne révèlent pas de plus hautes ambitions, exception faite des trois livres de tablature de luth de Fr. de Milano (1546) de P. Teghi de Padoue (1547) et du célèbre Hortus musarum (1552); un luthiste de haute classe a dû l'orienter vers l'achat de caractères spéciaux et dans le choix d'un répertoire de qualité. Dès la ‘secunda pars’ de l'Hortus musarum (1553)Ga naar voetnoot(1) cependant, le recrutement des pièces polyphoniques est plus local: on y voit reparaître les noms de Cauleray, Chastelain, Clemens non Papa, Créquillon, Rogier... et le premier livre des chansons à 5 et 6 voix (1553) ne se distingue en rien du répertoire de Susato. Rien ne changera jusque 1563. L'absence même du nom de Roland de Lassus, présent à Anvers de 1555 à 1558 env., est tout à fait significative: Susato n'avait pas manqué de le solliciter, mais, encore à Louvain, Phalèse n'y avait pas songé. En 1559, toutefois, il publie, dans un recueil, quelques chansons de Claudin le Jeune et, en 1563, il imprime des Magnificat à 8 voix de Francisco Guererro. Trois ans plus tard, ce sont les Psaumes de la pénitence d'après Job de Roland de Lassus qu'il publie en seconde édition (la première avait paru à Lyon, la même année). Dès lors, et de plus en plus, Phalèse étendra son choix aux ‘célébrités’ internationales. Son association avec Bellère (1570) et son installation à Anvers devaient être le point de départ d'un nouvel essor. Quelles furent les causes de ce jumelage? Plantin portait-il quelque ombrage à Phalèse depuis qu'il avait acquis les caractères mobiles de Susato? et la somptuosité, déjà connue, de ses publications laissait-elle soupçonner une concurrence dangereuse? Si telles étaient les craintes de Phalèse, elles durent être confirmées par la publication, par Plantin, en 1575, des ‘Chansons françaises à 5, 6 et 7 voix de Philippe de Mons’Ga naar voetnoot(2). Une autre circonstance de cette association mérite aussi d'être relevée. Jean Bellère, d'origine liégeoise, était demeuré en relations avec son frère, Luc Bellère, | |
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libraire à Liège. Dès le début de sa collaboration avec Phalèse, c'est un musicien liégeois qui leur sert de conseiller: Jean de Castro. Celui-ci était déjà connu, à cette époque, par des oeuvres publiées à Lyon et à Venise. Incontestablement, les nouveaux associés avaient eu la main heureuse. Ils allaient déployer une activité sans précédent dans la métropole. Pour le premier livre de Mélange de chansons qu'ils éditent à Anvers en 1575, Jean de Castro recruta les meilleurs chansons du temps. On y relève les noms de Jean de Castro, Abran, Animuccia, Jean d'Arras, Arcadelt, Severin Cornet, Costeley, J. Dominico, Ferabosco, Cl. le Jeune, Philippe de Mons (sic), R. de Lassus, R. d'Orey, Jacques da Ponte, Cyprien de Rore, Pietro Taglia, Waelrant. Les quelques concessions ‘locales’ qu'on y remarque disparaîtront ensuite et, dès l'année suivante, c'est la glorieuse succession des grands recueils: Musica Divina, Harmonia celeste, Symphonia angelica, Bicinia, Melodia olympica, Il Lauro verde Trionfi di Dori, Paradiso musicale, Il vago alboreto, Le Rossignol musical,Ga naar voetnoot(1) etc... dont les noms, à eux seuls, évoquent les splendeurs et la suavité de ce que la musique de ce temps avait de plus séduisant. Tous les grands noms de la musique d'Italie y figurent: Luca Marenzio, A. et G. Gabrieli, Al. Striggio, G.M. Nanino, Rug. Giovanelli, Cos. Porta, A. Ingegneri, Fel. Anerio, Palestrina... auxquels se mêlent Roland de Lassus, Philippe de Monte, Cyprien de Rore, Willaert. De son côté, Plantin, moins productif, moins habile dans son choix, - moins bien conseillé peut-être, - n'en continuait pas moins la publication de somptueux volumes musicaux aux formats impressionnants, à l'impeccable tenue typographique qu'aucun autre imprimeur musical ne pouvait atteindre. Il fournissait ainsi aux maîtrises d'Europe de magnifiques livres de choeur où figurent les messes de Philippe de Monte, Georges de la Hèle, les motets de Severin Cornet; aux amateurs de musique profane, les célèbres Mélanges de Claude Le Jeune et les chansons d'André PevernageGa naar voetnoot(2). En fait, Plantin poursuivait d'autres buts que Phalèse et d'autres éditeurs musicaux et sa clientèle, plus internationale, était aussi plus | |
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limitée. Alors que les imprimeurs de chansons et de madrigaux pouvaient trouver, dans la riche bourgeoisie anversoise, parmi les marchands et banquiers de passage, et grâce à leurs relations commerciales à l'étranger, une clientèle urbaine toujours plus cultivée, toujours plus avide de nouveautés, les maîtrises d'Anvers et même des Pays-Bas ne pouvaient offrir à Plantin de débouchés suffisants. Ses luxueuses publications, les grands formats de ses livres de choeur ne s'adressaient qu'à des maîtrises aux revenus assurés ou à des chapelles princières. Aussi rencontre-t-il de sérieuses difficultés financières. Mais l'académisme de son choix devait assurer la longévité de son succès: en plein milieu du XVIIe siècle, alors que la musique polyphonique était battue en brèche par la monodie accompagnée et par la bichoralité, les messes de De Monte et de G. de la Hèle trouvaient encore des acquéreursGa naar voetnoot(1). On le voit, l'activité musicale des grands imprimeurs anversois fut multiple et commandée par des conditions sociales et commerciales particulières. Chacun d'eux apporta sa note singulière à une oeuvre dont l'éloignement dans le temps nous masque trop souvent la diversité. Et c'est encore là un problème à résoudre dont nous n'avons pu ici qu'esquisser les données générales. Mais, ces noms, mais ces titres évocateurs, ces belles impressions aux pages liminaires somptueuses, aux lettrines richement ornées de vignettes, l'abondance même de cette production, nous paraissent un témoignage du goût, de la richesse, d'un art supérieur de la vie qui devaient animer la métropole en cette fin du XVIe siècle. Et, cependant,... la prise d'Anvers en 1585 par Farnèse avait sonné le glas et donné le signal de la décadence économique. L'édition musicale anversoise allait-elle en souffrir? Sans doute, mais lentement, comme ce déclin lui-même. Dans la première moitié du XVIIe siècle, Plantin Moretus cherche à écouler ses livres sacrés et en publie peu de nouveaux: des motets et des messes de Lobo Duarte, dont la gloire ne dépassa jamais les frontières des pays d'Espagne, et des Hymnes de PalestrinaGa naar voetnoot(2). Il avait définitivement | |
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renoncé aux chansons et aux madrigaux et ignorait tranquillement les formes nouvelles de l'art musical. Il était sagement revenu aux objectifs initiaux de l'officine plantinienne: la contre-réforme triomphante fournissait une clientèle assurée, quoique limitée, à l'écoulement des beaux livres liturgiques auxquels il continuait d'apporter tous ses soins. Quant à Phalèse, il s'efforcera, - non sans succès, - jusque vers 1625, à intéresser son public aux productions les plus récentes d'Italie. Mais avec le déclin économique d'Anvers, sa clientèle urbaine tendait à disparaître et l'asphyxie qui gagnait le commerce le privait de débouchés extérieurs. Les héritiers de Pierre Phalèse le jeune modifieront leurs objectifs et publieront, de plus en plus, de la musique sacrée de caractère local. Madeleine Phalèse († 1652) et Marie († 1673) n'étaient plus de taille a maintenir le renom de leur maison dans un monde dont la structure sociale s'était profondément transformée. |
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