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Fata libelli.
L'exemplaire de présentation des Opera omnia de Juste Lipse, de 1637.
(Note complémentaire et rectificative).
Dans le Gulden Passer, t. XV, 1937, p. 43, j'ai signalé que l'exemplaire de présentation, en six volumes (y compris le Tacite et le Sénèque), des Opera omnia de Juste Lipse était conservé au Château de MariemontGa naar voetnoot1), et j'ai rappelé qu'il avait été acquis par R. Warocqué, pour 3.000 frs, à la vente de feu Alph. Willems en 1914Ga naar voetnoot2). Mais constatant que l'extrait d'un catalogue de la librairie Bachelin-Deflorenne, où cet ouvrage était offert en vente pour 180 frs. en 1874, ne portait mention que de cinq volumes au lieu de six, et faisant état du nom d'un possesseur, Guntzberger, donné par Guigard en 1890, j'avais énoncé pour expliquer ces flottements dans les témoignages, diverses hypothèses, dont une seule me paraissait plausible.
Une fois de plus, l'invraisemblable s'est trouvé être le vrai.
En présence de ces six in-folio dorés sur tranches, reliés aux
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mêmes armes et si parfaitememt conservés, on a peine à s'imaginer qu'un bibliophile protégé des dieux ait pu les acquérir en deux achats, à plusieurs années de distance, et dans deux villes différentes!
Les cinq volumes offerts en vente par Bachelin ont bien été acquis par Alph. Willems en 1874. Provenaient-ils de la bibliothèque de Guntzberger? Ils ne figurent pas dans le catalogue de la vente de celle-ci, laquelle eut lieu à Paris du 5 au 12 février 1872. Mais c'est précisément Bachelin qui dirigeait cette vente, et d'autre part Guigard, bien que son renseignement retarde sur les événements, n'a pas cité sans cause le nom de Guntzberger...
Le sixième volume, représenté par le Sénèque de 1632, a fait, incontestablement, partie de la série unique (il faut écarter l'hypothèse qu'il pût y avoir deux exemplaires), car il porte la même cote ancienne, No 125, que le premier volume. Mais, isolé de ses frères, il a fait partie de la bibliothèque du célèbre bibliophile gantois P.P.C. Lammens († 1836), dont l'ex-libris bien connu est resté appliqué au plat antérieur. La vente des livres de Lammens eut lieu à Gand de 1839 à 1841, en plusieurs sessions. En octobre 1839, le Sénèque échut pour quatre francs au professeur Rassmann. Il figure de nouveau dans le catalogue de la vente des livres de ce dernier, en 1860, sous le no 989, et une découpure de ce catalogue a été appliquée au recto du troisième feuillet de garde, avec la mention du prix payé: 17,50 frs. A cette époque, les armoiries, pourtant si caractéristiques, n'avaient pas encore été identifiées.
Sur cette trame, strictement chronoloqique, il me reste à publier les trois lettres que j'ai reçues de feu Léonard Willems; lettres toutes pleines de souvenirs personnels, émouvantes et par l'ouverture de coeur qu'elles décèlent, et par le fait que leur auteur devait bientôt après nous être enlevé. Que leur spontanéité et leur fraîcheur de ton fassent de cette publication un hommage rendu à un esprit singulièrement cultivé.
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I.
Cher Monsieur,
J'ai lu avec le plus vif intérêt l'article que vous avez consacré à l'exemplaire de Juste Lipse (1637) qui se trouve actuellement au Château de Mariemont et qui provient de la vente de livres de mon Père, Alph. Willems. J'ignorais naturellement où se trouvait actuellement cet exemplaire et je suis heureux d'apprendre qu'il est tout à fait en sécurité chez vous.
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Permettez-moi de vous fournir le renseignement suivant. Vous dites que l'exemplaire vendu en 1874 par Bachelin est porté au catalogue Bachelin comme ayant 5 tomes; mais vous ajoutez: ‘sans doute par suite d'une erreur de plume ou d'une coquille typographique’, car vous supposez que Bachelin a offert en vente les six tomes.
Parlant de l'exemplaire Guntzberger, qui avait la même reliure, vous dites: ‘Il faut croire ou bien que le renseignement fourni retarde d'une quinzaine d'années au moins sur les événements, - ou bien que Guntzberger possédait par extraordinaire un volume manquant à la collection offerte en vente par Bachelin et que Willems l'aurait acheté par la suite, - ou bien encore qu'il s'agit d'un second exemplaire relié aux mêmes armes. De ces trois hypothèses, la première seule est plausible.’
Permettez-moi de vous signaler que la seconde hypothèse est la bonne! L'indication du catalogue Bachelin est exacte: il n'y avait chez lui que cinq tomes. Mon Père les a achetés en 1874. - Des années après (je ne saurais malheureusement pas vous donner la date précise) mon Père a trouvé à Paris le sixième tome (qui est donc l'exemplaire Guntzberger). Je me rappelle parfaitement bien la joie qu'a éprouvée mon Père lorsqu'il a pu compléter les cinq tomes vendus par Bachelin. ‘Ces volumes doivent être bien étonnés de se retrouver ensemble, après tant d'années de séparation’, disait-il. ‘Et s'ils pouvaient parler, ils me remercieraient sans doute de les avoir de nouveau réunis.’
Guignard parle en 1890 (Nouvel armorial) du volume de la collection Guntzberger. Mais à cette date ce volume était chez mon Père et avait déjà rejoint les autres tomes.
Vous pouvez tenir ces renseignements comme absolument sûrs. Car il s'agit ici pour moi de choses vécues et qui se sont passées sous mes yeux (je suis né en 1864).
Si vous deviez juger bon d'ajouter une petite note complémentaire dans le Gulden Passer, afin que tous les bibliophiles soient avertis de la vérité, je vous autorise naturellement à faire de ma présente lettre l'usage qu'il vous conviendra.
Veuillez, etc...
(s.) LEONARD WILLEMS.
Le 24 février 1938.
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II.
Monsieur et honoré Confrère,
Tous mes remercîments pour l'envoi du tirage à part. J'apprends avec grand plaisir que mes renseignements ont pu vous intéresser. Ceci m'amène à les compléter.
Comme je vous l'ai écrit dans ma lettre antérieure, Bachelin n'a livré à mon Père que les 5 tomes qui étaient annoncés dans son catalogue. Je crois me rappeler que c'étaient les 4 tomes de Juste Lipse, plus le Sénèque de 1632, OU le Tacite de 1627. Le sixième tome n'a rejoint les autres que des années
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après. Mais je ne saurais vous dire si c'était le Tacite ou le Sénèque. J'apprends par votre excellente notice le nom de ‘Guntzberger’: il m'était inconnu. Mon Père a toujours appelé le sixième volume: ‘Le tome manquant à ma collection’, - sans plus.
J'avais donc supposé que ce sixième tome provenait de chez Guntzberger. Mais en relisant attentivement votre travail. je m'aperçois que Guigard parle du ‘Justus Lipsius, Ant. 1637, de la collection Guntzberger’. Or le Juste Lipse (4 tomes) était au complet (je crois) chez mon Père en 1874. Si la reliure, dont parle Guigard, décorait un Tacite de 1627, ou un Sénèque de 1632, il n'aurait évidemment pas parlé de Juste Lipse 1637. Si donc le sixième volume que possédait Guntzberger était un Juste Lipse, il faudrait admettre que mon Père ne possédait que 3 tomes du Juste Lipse et qu'il a acheté postérieurement 1e 4me tome du même auteur, tome qui s'était égaré chez Guntzberger.
J'ai voulu en avoir le coeur net.
Je me suis rendu à la Bibliothèque de l'Université de Gand, où M. Ferd. van der Haeghen a soigneusement collectionné tous les catalogues de vente qu'il recevait. Et il a fait dresser un registre (manuscrit) alphabétique pour permettre à quiconque de mettre la main sur le catalogue de vente qu'il cherchait.
Dans ce régistre, j'ai retrouvé à la lettre G le nom de Guntzberger, et j'ai demandé communication du catalogue de vente.
La vente de la magnifique bibliothèque M. Guntzberger a eu lieu à Paris, du 5 au 12 février 1872, par les soins du libraire Bachelin. J'ai soigneusement compulsé tout le catalogue, qui compte 1404 numéros (216 pages). Or, il n'y a là aucune trace du Juste Lipse de Balt. Moretus. Il n'y a même aucun Juste Lipse quelconque.
Conclusion: le renseignement donné par Guigard en 1890 doit être erroné. Je suppose qu'il a retrouvé le frotti de la reliure qui vous intéresse, parmi d'autres frottis faits sur les reliures de Guntzberger (cette bibliothèque était fort riche en belles reliures) et il en aura sans doute conclu que le frotti du Juste Lipse, 1637, faisait également partie de cette même collection. Mais c'est faux.
Ce renseignement complète ma lettre antérieure.
Encore un renseignement, du reste plus important. Vous écrivez dans votre notice: ‘On ajoute toutefois [dans le catalogue A Willems], et avec raison, que l'ouvrage a été relié dans l'atelier de Plantin’.
Mon Père a eu des doutes à ce sujet. Il y avait naturellement chez Plantin-Moretus un ‘atelier de reliure’ pour relier en parchemin les livres que la firme imprimait. Mais cet atelier devait être admirablement monté pour pouvoir exécuter un travail aussi soigné que la reliure du Juste Lipse. Ceci suppose un nombre considérable de petits fers, de dentelles, etc., de tout genre pour l'ornementation d'une reliure.
Mon père était persuadé que Balt. Moretus avait fait exécuter cette reliure chez un bon relieur anversois; il m'avait demandé de faire des recherches pour connaître le nom de ce relieur.
Je me suis adressé à M. Rooses (vers 1890) lui demandant de vérifier
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pour moi dans la comptabilité de la firme s'il avait été payé un compte pour cette reliure, qui doit avoit coûté fort cher pour six volumes in-folio.
M. Rooses m'a répondu qu'il avait compulsé tous les comptes de 1636, 1637, 1638 (la comptabilité pour ces années est complète). Aucun compte de reliure n'y est transcrit. Rooses concluait donc que la reliure en question était sûrement faite chez Moretus même.
S'il en est ainsi, il va de soi que l'atelier de reliure, chez Plantin-Moretus, doit avoir exécuté encore d'autres reliures de luxe. Avec les petits fers et l'ornementation du Juste Lipse, il doit être aisé de déterminer quels autres volumes ont été exécutés dans ce même atelier.
J'ignore s'il existe un travail spécial sur l'atelier de reliure de chez Plantin. Je crois que non. Il est bien dommage que mon collègue et ami M. Sabbe soit précisément mort il y a quelques semaines. Il aurait pu certainement me renseigner à ce sujet.
Veuillez, etc...
(s.) LEONARD WILLEMS.
3 mars 1938.
C'est après avoir reçu cette seconde lettre, que j'ai eu l'occasion de signaler à mon aimable correspondant que le sixième volume de la collection, contenant le Sénèque, bien qu'en tous points semblable aux autres par l'aspect et la conservation, s'en distinguait néanmoins en ce qu'il portait en tête l'ex-libris de Lammens et une découpure, annotée, du catalogue de la vente Rassmann. Je reçus alors la longue et intéressante lettre que voici:
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III.
Cher et honoré Confrère,
Grâce à vos renseignements nous sommes enfin parvenus à l'absolue certitude, comme vous me l'écrivez fort bien. Bachelin a donc livré à mon père, en 1874, quatre tomes: Juste Lipse, plus le Tacite (= 5 volumes). Je ne me rappelais pas si c'était Tacite ou Sénèque; mais les indications transmises par vous prouvent sûrement que le Sénèque vient d'autre part. Et nous pouvons maintenant suivre ce volume dans les ventes. La vente de l'énorme bibliothèque Lammens forme 4 volumes et a eu lieu à Gand d'avril 1839 à 1841. Je trouve dans le tome II, no 1266 (vente du 21 octobre 1839 et jours suivants, - c'est la seconde vente):
‘L. Annoei Senecoe philosophi opera quoe exstant omnia, a Justo Lipsio emendata. edit. 3a. Antv. ex off. Plantin. Balth. Moreti. 1632.
In fol. vel. d.s. tr. et pl. a comp. dent. - titre gravé. Portrait gravé par Corn. Galle. - Bel exemplaire. gr. papier.’
A lire cette note, où il est simplement dit: ‘grand papier, doré sur tranche, plats à compartiments, dentelles’, personne, certes, ne pourrait se douter qu'il s'agit du Sénèque aux armes de Ferdinand d'Espagne. Mais en
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l'espèce il n'y a pas à hésiter, - ce pour deux motifs: 1o l'ex. de mon Père a l'ex-libris de Lammens; 2o la Bibl. de Gand possède un catalogue de vente Lammens sur grand papier et avec l'indication (pour chaque no) du nom de l'acquéreur et du prix. Or, à côté du Sénèque (no 1266) est écrit: ‘RASSMANN - 4 FRS.’. Et nous retrouvons l'ex. en question à la vente Rassmann avec une description un peu moins succincte.
4 frs. pour une reliure de luxe aux armes de Ferdinand, c'est donc la valeur il y a juste un siècle; mais assurément ce n'est pas exagéré!
La vente Rassmann a eu lieu le 10 mai 1860. J'y lis pag. 50, no 989:
‘L. Annoei Senecoe opera a Justo Lipsio emendata et schol. illust. ed. 3a. Antv. ex. officina Plantin., 1632.
fol. velin, écusson et autres ornements en or, tr. dor. magnifique exemplaire d'une parfaite conservation.’
Comme je vous l'ai écrit, quand mon Père parlait du tome qu'il avait acquis, il le nommait: ‘le tome manquant à la collection - ou à ma collection.’ Maintenant que vous citez le nom de Rassmann, je crois bien me rappeler que mon Père m'a dit un jour que ce tome avait été acheté à la vente Rassmann. En 1860 mon Père collectionnait déjà les auteurs grecs et latins. Et Rassmann (qui avait occupé la chaire de grec à l'Université de Gand de 1835 à 1858) avait une fort belle collection de classiques grecs et latins, en belles reliures. Mon Père a obtenu son diplôme de docteur en philosophie et lettres en 1859 devant le jury central, avec félicitations du jury pour son examen de grec. Le président du jury a ajouté: ‘Le jury regrette de ne pouvoir vous conférer un grade, votre examen en métaphysique et autres matières philosophiques ayant été tout juste suffisant.’ (Mon Père en effet n'avait pas du tout la tête métaphysique.)
Ce que je puis vous certifier, c'est que mon Père s'est rendu à Gand pour assister à la vente Rassmann. Une anecdote qu'il m'a racontée plus d'une fois le prouve. C'est à la vente Rassmann que mon Père a fait la connaissance personnelle de Jos. Roulez (qui à l'Université de Gand donnait le cours de latin). Roulez, comme vous le savez mieux que personne, était un savant éminent. Sa spécialité était entre autres l'épigraphie et l'archéologie figurée. En cette matière, il était à cette époque dans notre pays le seul homme de réelle valeur. Il n'a jamais publié de grand ouvrage, qui ait consacré son nom. Mais il a publié dans l'Académie de Belgique toute une série de mémoires et de notes, qui sont fort bien faits: - ce, de l'avis de mon Père et de Paul Thomas. (Personnellement, je n'ai aucune compétence en la matière.) Mais Roulez avait la réputation à Gand, même parmi ses collègues, d'être ce qu'on appelle un véritable ours. Absorbé en lui-même, il ne causait avec personne et quand on essayait de causer avec lui, on croyait lire sur sa figure: ‘Ce que vous me racontez là ne m'intéresse pas du tout.’
Une note manuscrite de Ferd. van der Haeghen indique que le catalogue Rassmann a été rédigé pas Roulez et Wagener. Mon Père s'est adressé avant la vente à Roulez pour un renseignement. Puis, la vente commencée, il s'est assis à côté de lui. Mais dès l'un des premiers numéros, l'un et l'autre se sont mis à hausser sur le même volume (la vente débutait avec les auteurs grecs et latins). Roulez s'est alors retourné vers mon Père et lui a dit:
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Nous n'allons pas nous faire la concurrence. n'est-ce pas? Dites-moi quels numéros vous intéressent, je vous les laisse. Je vous dirai par contre à quels volumes je tiens: laissez-les moi.’ Ainsi fut fait! Et pendant toute la vente Roulez, qui était très au courant de la littérature concernant les classiques, commentait chaque auteur: ‘La meilleure édition de cet auteur est l'édition de X... Celle de Z est moins bonne parce que...’ Heremans (un ami de mon Père) a assisté au dernier jour de vente: vers la fin du catalogue se trouvaient quelques ouvrages de philologie germanique (Rassmann, qui était allemand d'origine, a publié des textes de Minnesänger). Cela intéressait Heremans qui depuis 1855-56 donnait à l'Université les cours de littérature et philologie flamandes. La vente terminée, Heremans s'est adressé à mon Père: ‘Je vois que vous avez bavardé tout le temps avec mon collègue Roulez. Mais racontez-moi donc, je vous en prie, comment vous vous y êtes pris pour apprivoiser un ours pareil!’
La Bibliothèque de Gand contient 6 catalogues Rassmann. Je les ai parcourus pour voir si ma mémoire était fidèle et si mon Père y était indiqué comme acquéreur du Sénèque. Malheureusement aucun ne donne de noms. Deux indiquent les prix: no 989 = 17.50 frs., ce qui concorde avec l'indication de votre exemplaire, - indication que je suppose être de la main de mon Père.
Comme vous pouvez le constater, ni Lammens, ni Rassmann ne sont parvenus à identifier les armoiries se trouvant sur leur Sénèque. Mon Père qui, je crois. a acheté le volume, n'en a pas su plus long. Il se sera sans doute demandé quel était le riche bibliophile qui avait fait exécuter cette reliure à ses armes. Il ne pouvait se douter qu'il s'agissait d'un exemplaire de présentation. L'identification a été faite par Bachelin sur les volumes de 1874. Quand mon Père a lu le catalogue Bachelin, il s'est dit que ces in-folios de Plantin feraient bonne figure à côté de sa reliure du Sénèque in-folio. Et quand l'exemplaire Bachelin est arrivé à Bruxelles il a été tout surpris de constater de visu que sa reliure du Sénèque était identiquement la même que celle des volumes de Bachelin, - ce qui, comme je vous l'ai écrit, lui a fait le plus grand plaisir.
Grâce à vos recherches nous pouvons maintenant suivre le Sénèque de Ferdinand depuis 1839, - et le Juste Lipse du même depuis 1874. Reste à savoir où Bachelin s'est procuré les 5 tomes du Juste Lipse - Tacite. Non chez Guntzberger, puisque le Juste Lipse de Guntzberger n'existe pas. Depuis quand le Juste Lipse a-t-il pris le chemin de la France? Le Cardinal Ferdinand infant d'Espagne a été un grand protecteur des couvents. A-t-il légué ses livres à une institution religieuse? Des recherches d'archives nous apporteront peut-être la lumière.
Ne vous étonnez pas de ce que je vous écrive si longuement. Quand on est arrivé à mon âge on ne vit plus dans le présent: on vit dans le passé.
(s.) LEONARD WILLEMS.
9 mars 1938.
P.S. - Le nom de Salamancas ne me dit rien. Dans la collection des catalogues gantois je ne retrouve aucune vente Salamancas. Ceci ne veut pas dire qu'elle n'existe pas, car toute collection est nécessairement incomplète. De toute façon si cette vente existe, elle doit avoir été fort peu importante.
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On voit que cette correspondance, toute pleine de digressions et d'anecdotes qui font revivre une époque, - a le mérite d'avoir mis au point un certain nombre de questions. Est-ce à dire que tous les problèmes soient résolus?
D'abord quelle fut cette vente Salamancas, dont jusqu'à présent on n'a retrouvé nulle mention imprimée? S'il est avéré qu'Alphonse Willems a acquis le Sénèque dès 1860, à la vente Rassmann, faudrait-il ne voir dans le mot ‘Salamancas’ qu'un surnom (tant de professeurs en sont affublés) ou, plus simplement, qu'une déformation auditive? Mais il ne me semble pas, jusqu'ici, absolument prouvé que le Sénèque ait été acquis, à la vente Rassmann, par Willems lui-même. L'écriture de la note consignée sur la découpure du catalogue n'est pas assez caractéristique pour pouvoir être identifié avec certitudeGa naar voetnoot1).
Il n'en est pas moins curieux de voir séparés, puis réunis, les précieux volumes provenant de la bibliothèque du Cardinal-Infant (mort en 1641). Quel fut le destin de cette bibliothèque? Nous posons de nouveau la question.
Enfin, le problème le plus intéressant reste celui de la reliure. Les ‘doutes’ d'Alphonse Willems, dissipés par Max Rooses, redeviennent les miens, malgré ce que j'ai pu en écrire dans mon précédent article. Le témoignage, cité, de Balthasar Moretus: Jam in bibliopegi manibus exemplar est, échappe à toute sollicitation. Les fers employés, à l'exception de la plaque centrale, portant les amoiries, sont d'une extrême finesse et leur application a dû être un travail de longue patienceGa naar voetnoot2). Il nous a semblé utile de donner ici une reproduction photographique d'un des plats de cette reliure. Puisse-t-elle exercer la sagacité des connaisseurs anversois, et puisse ce second article être suivi d'un troisième, qui apporterait, lui, la réponse définitive à toutes les questions posées.
Paul FAIDER.
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Exemplaire des Opera omnia de Juste Lipse (Anvers, 1637), relié aux armes du Cardinal Infant Ferdinand d'Autriche (Bibliothèque du Château de Mariemont).
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voetnoot1)
- M. le vicomte de Jonghe d'Ardoye, auteur de l'Armorial Belge du Bibliophile, a bien voulu m'exprimer toute sa surprise et tous ses regrets de ce que ce précieux document ne lui ait pas été signalé, parmi d'autres, lors de la visite qu'il a faite à Mariemont, vers 1927, en vue de la préparation de son ouvrage, et il s'excuse sur cette circonstance d'avoir dû emprunter à Guigard la reproduction des armoiries du Cardinal-Infant.
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voetnoot2)
- Le fait m'a été confirmé par le général Jacques Willems, président de la Société des Bibliophiles et Iconophiles de Belgique, qui ajoute à cette confirmation un intéressant témoignage: ‘Le Lipsius est le no 480 de la vente de mon Père; Warocqué l'a payé 3.000 francs sans les frais qui étaient de 10%. Mon Père avait acquis 5 volumes en 1874 pour 180 frs. à la librairie Bachelin-Deflorenne. - Le sixième volume qui contenait la dédicace a été acheté par mon Père à la vente de Salamancas: ceci souvenir de famille. Je tâcherai de retrouver ce que c'était que la vente de Salamancas, mais ce nom m'a encore été confirmé par mon frère Edouard, mon Père ayant été très fier de reconstituer la collection des 6 volumes’.
- On verra dans quelle large mesure les lettres, ici publiées, de feu Léonard Willems, précisent ces souvenirs déjà lointains.
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voetnoot1)
- J'ai pu la comparer à un specimen de l'écriture d'Alph. Willems que le général Jacques Willems a eu l'amitié de me communiquer, et je dois conclure, en toute sincérité, à un non liquet.
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voetnoot2)
- L'extrême obligeance de M. Herm. Bouchery, l'actuel conservateur du Musée Plantin-Moretus, m'a permis d'inspecter les reliures anciennes de la riche bibliothèque dont il a la garde. Je n'ai retrouvé aucun fer suffisamment caractéristique pour autoriser une conclusion sûre.
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