De Gulden Passer. Jaargang 13
(1935)– [tijdschrift] Gulden Passer, De– Gedeeltelijk auteursrechtelijk beschermd
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Un manuscrit inconnu de Pierre de LuxembourgParmi les cas de précocité que l'histoire a relevés, nous n'avions jamais rencontré jusqu'à présent d'exemple plus extraordinaire que celui du bienheureux Pierre de Luxembourg. Sans doute, fautil remonter bien loin dans le passé, à une époque où les succès politiques - et, dirons-nous, ecclésiastiques - ne sont pas rares. Mais encore, peut-on s'imaginer qu'à 17 ans, un fils de famille ait pu non seulement obtenir la pourpre cardinalice, mais illustrer son nom par des ouvrages de spiritualité. Et pourtant, l'accord des biographes est unanime et leur nombre est imposant. Ulysse Chevalier cite une bonne quinzaine de Vies et de Panégyriques dont les premiers sont du XVIIe siècle et qui se succèdent jusqu'en 1901.Ga naar voetnoot1) Et il en passe! La plus ancienne Vie fut écrite un an après la mort du prélat et est due à Jean de la Marche.Ga naar voetnoot2) Tous les auteurs nous disent que Pierre de Luxembourg était fils de Guy de Luxembourg, lieutenant de Duguesclin, et de Mahaut de Châtillon. Il est né à Ligny (Meuse), le 30 juillet 1369. Et dès maintenant, les dates sont éloquentes. Vers la fin de 1377, il suit à Paris les cours de philosophie et de théologie. Dès 1379, il est chanoine de Notre-Dame de Paris, archidiacre de Chartres en 1381, puis de Cambrai, de Bruxelles et de Dreux. Le 10 février 1384, ‘l'illustration de sa race, l'éclat de sa vertu, la précoce maturité de son esprit’ le désignent pour l'évêché de Metz. Il ne peut entrer dans sa ville qu'à main armée, car les querelles entre les partisans des deux papes étaient vives et le nouvel élu du pontife d'Avignon, Clément VII, ne put y trouver de paix. Il se retira à | |||||||||
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la cour de son protecteur qui le créa cardinal en mars 1386. Il mourut le 2 juillet 1387, dans sa dix-huitième année.Ga naar voetnoot1) Les documents officiels ne manquent pas, qui confirment les données des érudits. Fourier de Bacourt en a publié un bon nombre en 1886 et aucun doute n'a été émis sur l'exactitude des faits.Ga naar voetnoot2). En 1527, l'Eglise a béatifié ce jeune fils de Gaule et les miracles dus à son intervention se multipliaient au point que son culte s'était répandu en Belgique, en Savoie et en Espagne. Froissart, son contemporain, nous a dit son renom: ‘En ce temps et en celle saison furent les nouvelles espandues de saint Pierre de Luxembourg le cardinal, que son corps estoit sainty en la cité d'Avignon, et lequel en ce temps faisoit et fist merveilles de miracles et tant et si grant foison que sans nombre’.Ga naar voetnoot3)
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L'histoire, on le voit, n'est pas banale. Elle est peu connue cependant et sans doute, nous aurions continué à l'ignorer si M. l'abbé Carlo De Clercq ne nous avait présenté un manuscrit du Grand Séminaire de Malines contenant plusieurs de ses écrits. Le professeur P. Gillet nous a aimablement permis de feuilleter ce magnifique recueil de la collection dont il a la garde. A vrai dire, les oeuvres de Pierre de Luxembourg furent l'objet de nombreuses transcriptions conservées aujourd'hui dans les bibliothèques de Bruxelles, Metz, Paris et Tours.Ga naar voetnoot4) L'imprimerie les a | |||||||||
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diffusées dès 1492 et l'on compte deux éditions parisiennes du début du XVIIe siècle.Ga naar voetnoot1) Le manuscrit no 9 de Malines est un ‘membre de famille’ que les chercheurs ignoraient et dont l'examen n'est pas tout à fait inutile, comme nous le verrons.Ga naar voetnoot2) Et d'abord, l'on ne saurait ouvrir sans l'admirer ce bel exemplaire richement relié, aux feuillets de parchemin si frais encore; l'or des lettrines et des encadrements a gardé un éclat très vif et l'oeil est émerveillé devant ces gracieux enchevêtrements de rinceaux et de fleurs. L'artiste n'a pas modifié son genre: nous retrouvons, dans ses compositions, les mêmes coloris. C'est dire qu'il a voulu rester fidèle à sa technique et répondre à l'uniformité de l'écriture. Cependant, l'impression désagréable qui résulte des traits empâtés de l'écriture bâtarde est atténuée quelque peu par le brillant des couleurs des lettrines, des rubriques et des crochets alinéaires alternativement rouges et bleus. Dans telle de ces initiales (fo 26r), le miniaturiste a mis tout son art à enserrer quatre oeillets des tons les plus délicats. En un mot, c'est un des beaux livres de l'ancienne bibliothèque de Thomas d'Alsace, cardinal-archevêque de Malines (1679-1759). Il en a conservé la cote: E. 88.
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Le manuscrit de Malines contient quatre épitres en français, nommément attribuées à Pierre de Luxembourg. Elles sont écrites | |||||||||
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pour l'édification de sa soeur, vraisemblablement Jeanne de Luxembourg (1363-1430).
Les onze manuscrits signalés jusqu'à présent ne possèdent pas cette division, étrangère à la formule initiale et à l'explicit. Les ‘epitres’ ne sont pas destinées à être détachées de la première partie: l'oeuvre constitue un tout formel. Le titre varie: tantôt, elle s'intitule livre ou livret, tantôt enseignement; le ms. de l'Arsenal 3386 annonce auculnes epistres; enfin, le ms. de Paris. B.N. anc. f. fr. 1836 et celui de Tours 385 l'appellent la Diète du salut et c'est sous ce nom que les éditeurs la reprendront au XVIe siècle. La désignation Les trois journées de penitence, que fournissent notre version et celle de Metz 534, est plus appropriée à la physionomie de l'ouvrage. Barthélemy Hauréau l'a défini: un traité de morale composé selon la méthode des théologiens mystiques.Ga naar voetnoot1) C'est le procédé courant dans les écrits moralisateurs du moyen âge français. On sait que l'allégorie est à la base des longs développements aussi banals que prolixes. Si encore la doctrine révélait des aperçus nouveaux, mais, dans la plupart des cas, les auteurs se répètent et Pierre de Luxembourg, par exemple, semble reproduire pour sa soeur les sermons ouïs, voire les leçons de ses maîtres. Combien de fois aussi s'est-on plaint de revenir, les mains vides, lorsque, en quête de détails sur les moeurs du temps, on se forçait à suivre le convertisseur dans ses voyages spirituels! Car, c'est à ce point de vue seulement que l'amas de ces écrits pourrait intéresser vivement | |||||||||
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l'historien. Hélas, l'imprécision est de règle et le sentiment religieux même manque de délicatesse ou de profondeur. Revenons à nos Journées de penitence. On se doute bien que, comme tant de scholastiques, Pierre de Luxembourg n'aura de cesse qu'il n'ait subdivisé abondamment chacune des étapes où il entraîne l'âme. La première journée est celle de contrition; elle comprend trois lieues, la douleur de coeur, la desplaisance de coeur, l'ennui d'avoir courroucé Dieu. La seconde journée, réservée à la confession, contient un exemplum qui ne manque pas d'allure: F. 4v. - Ung riche homme, père du curé de la ville, dist villennie à ung povre homme de laditte ville, et alors le povre homme ne s'en peust vengier, ainçois attendit tant que le riche ala une fois tout seul veoir ses bléz aux champs. Le povre homme, qui point n'avoit oublié la villennie que on lui avoit faitte, tantost qu'il le vit, print le coutre de sa charrue et en tua le riche homme, puis s'en retourna mener sa charrue et ne sceut l'en oncques qui ce avoit fait. Après grant espace de temps, il advint que ce povre homme ot repentence de son pechié et s'en ala à confession à son curé, qui estoit filz à ce riche homme qu'il avoit occis. Et, ainsi qu'il se confessoit, le curé apparceut qu'il avoit aucun pechié en sa conscience qu'il n'osoit dire ne confesser, et lui dit: ‘Mon ami, di hardement tous tes pechéz, il n'en est nul si grant que Dieu ne puisse bien pardonner, puis que on lui prie et requiert merci, et aussi, de tout ce que je pourrai, je te aiderai et pardonneray.’ Adoncques, dist le povre homme: ‘Haa, sire, je suis le mauvais homme qui murdi vostre père, ainsi et par telle manière et pour telle cause, si m'en confesse à Dieu et à vous et vous en prie et requier pardon et absolution.’ Et adoncques, mua le sang au prestre pour nature, mais n'en fist de semblant et pardonna au bon homme, de bonne amour, la mort de son père; et depuis, le curé monstra au povre homme plus grant signe de amour que par devant, et tant que sa femme s'en apparceut et lui demanda par plusieurs fois que c'estoit à dire que le curé venoit si souvent veoir et qu'il lui monstroit si grant signe d'amour, plus qu'il n'avoit acoustumé; et tant de foiz lui demanda que, comme fol et mal advisé, lui congneut et racompta toute la verité du fait. Or advint, après ung peu de temps, qu'il se courrouça à sa femme et la voulut batre et elle s'escria et saillit en plaine rue et dist, criant | |||||||||
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et braiant: ‘Ha, le larron et murdrier, il me veult tuer et murdrir ainsi qu'il a fait le père de nostre curé, car il s'en est confessé à lui et lui en a chargié penitence.’ Adoncques, les enfans et parens du mort, quant ilz ouirent ce, tantost coururent á tous bastons et espées pour tuer le povre homme et, quant il apparceut le dangier, tantost et hastivement monta sur une jument qu'il avoit et s'enfuy. Et, en s'enfuiant, il rencontra le curé à cheval dehors la ville et lui dist: ‘Beau filz, comment t'est il et où vas tu si hastivement?’ Adonc, lui compta en brief la cause pour quoi il s'enfuioit. ‘Ha, dist le prestre, beaux amis, descend tost de ta jument et monte sur mon cheval qui va plus tost, affin que tu puisses eschapper à mes parens qui te quièrent.’ Adonc, le povre homme monta sur le cheval de son curé et s'enfouist; et tantost ses amis vindrent qui suivoient après ce povre homme pour le mettre à mort et encontrèrent le curé, leur frère, lesquelz lui dirent: ‘Haa, faulx trahistre, vous nous bien cele[z] le murdrier de vostre père et de nostre et comment le murdrier vous a dit en confession.’ - ‘Ha, beaux seigneurs, dit le curé, vous avez tort. Qui vous a ce dit? Je n'en sai riens, mais je scai bien que c'est ung des preudommes qui soit en toute la parroisse.’ Ils respondirent: ‘Vous en mentez, vous le savez bien, mais vous le nous avez tousjours celé et si l'avez encores gardé, puis lui avez baillé maintenant vostre cheval pour eschapper de noz mains et avez prins sa jument.’ Le prestre excusant le povre homme, tousjours s'esmeurent et montèrent les parolles tellement en courroux que ilz tuèrent le prestre. Et ainsi vous povez veoir clerement et apparcevoir, par cest exemple, comment ce mot ‘Je me confesse’ clot la bouche du prestre.
La dernière journée de marche du pécheur contrit comporte dix lieues; c'est la voie d'émendation, de détachement des biens terrestres, d'union mystique au Christ crucifié. Ensuite, les recommandations ne tarissent pas: soyez décente dans votre toilette, évitez les conversations mondaines, la dissipation, priez Dieu, soyez sobre dans le manger. Aucune originalité, mais la monotonie. * * *
Au f. 25v, commence ‘ung très devot traictié ou espitre très utile à la personne vivant ou monde et soy voulant garder des grans | |||||||||
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perilz qui sont ou monde, soit en mariage ou hors de mariage, fait par ung qui point se nomme.’ Fourier de Bacourt l'attribue à Pierre de Luxembourg sans autre raison que son voisinage avec les oeuvres portant sa signature. Enfin, le même manuscrit contient les ‘douze preeminences qui se treuvent en l'estat de virginité sur l'estat du mariage, de Maistre Ursin Thiboust.’ (?) et ‘le livre saint Augustin des seulz parlers de l'ame à Dieu’, dont nous ne pouvons nous occuper en ce bref article. Pour en revenir à Pierre de Luxembourg, l'oeuvre que nous avons parcourue ne porte pas les traces d'une personnalité de premier plan dans la lignée des écrivains ascétiques. C. Wahlund y relève de nombreuses réminiscences des Ecritures et des Pères de l'Eglise, St. Grégoire et St. Bernard. Ses connaissances sont très livresques et nous croyons trouver dans son oeuvre la marque d'un esprit très réceptif plutôt que celle d'un novateur. C'est ce riche savoir qui a frappé sans doute ses contemporains et ses protecteurs autant que la sainteté de sa vie qui, celle-là, peut être difficilement perçue par l'historien profane. Cependant, nous nous permettons d'estimer singulièrement paradoxal que ce jeune cardinal déclare au début de son oeuvre: ‘Quant je regarde quelle vie j'ai menée depuis que j'ai sceu congnoistre bien et mal, je ne treuve que pechiéz, temps gasté et perdu...!’ On conviendra qu'il est difficile de se juger plus sévèrement.
Omer Jodogne Archiviste aux Archives Générales du Royaume, Bruxelles. |
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