De Gulden Passer. Jaargang 10
(1932)– [tijdschrift] Gulden Passer, De– Gedeeltelijk auteursrechtelijk beschermd
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Le symbolisme des marques typographiques.Ga naar voetnoot1)Si les premiers livres imprimés ressemblaient à s'y méprendre aux manuscrits des copistes contemporains, c'est que le but des premiers typographes était de faire la concurrence aux livres manuscrits, de reproduire mécaniquement les écrits des savants à un plus grand nombre d'exemplaires et à un prix moindre que celui des copies et il importait, pour que la similitude fût plus complète et la concurrence plus aisée, que la reproduction mécanique fût en tous points semblable à la reproduction manuscrite. Cependant, le livre typographique se distingue bientôt du livre écrit par toute une série d'innovations: le frontispice, les têtes de page, les culs de lampe, etc. De tous ces ornements la marque typographique est certes une des plus intéressantes. Elle a une valeur à la fois esthétique et idéographique. Aussi, on comprend parfaitement l'intérêt tout spécial que les historiens du livre y ont attaché de tout temps. Je ne vous apprendrai rien de nouveau en vous signalant l'existence de nombreux recueils de marques typographiques publiés pour la France par Silvestre, Polain et Renouard, pour la Suisse (Genève et Bâle) par Paul Heitz, Bernoulli; pour l'Allemagne par Paul Heitz, Zaretzky, E. Weil et d'autres; pour l'Italie par Max Joseph Husung; pour la Belgigue par G. van Havre, etc. Tous ces recueils s'attachent avant tout à mettre en valeur le caractère esthétique et historique de ces marques parfois si originales et pleines de goût. Ils négligent par contre trop souvent l'étude de leur idéographie, l'étude des symboles et des allégories qu'elles représentent. C'est de ce langage des marques d'imprimeurs que je désire vous entretenir. Vous jugerez par vous-même si le sujet mérite de retenir l'attention des amateurs du livre et des imprimeurs de nos jours. Selon toutes les apparences la marque typographique doit son origine aux marques de propriété et de commerce qui étaient en usage dans les pays germaniques depuis le haut Moyen Age. | |
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Le Psalterium, publié en 1457 par Fust, de Mayence, et Schoeffer, de Gernsheim, est le plus ancien livre orné d'une marque typographique. Celle-ci représente, suspendus à une branche, deux écussons munis des enseignes des deux typographes. A partir de ce moment l'usage des marques d'imprimeurs s'est répandu dans tous les pays de l'Europe, en subissant toutefois de multiples transformations. Fig. 1. - Ex-libris de Fust et Schoeffer.
Au début nous enregistrons deux courants bien distincts dans leur conception. En Allemagne, les marques sont avant tout parlantes, c'est-à-dire qu'elles représentent l'une ou l'autre idée, ou bien qu'elles indiquent le nom de l'imprimeur ou l'enseigne de sa maison. En Italie on se sert surtout de marques ayant un caractère purement ornemental, représentant un assemblage décoratif de lignes, sans plus. Cette marque italienne, sortie des officines de Venise, se répanditFig. 2. - Ex-libris vénétienne.
surtout dans les pays où l'art typographique fut introduit par les Italiens. C'est le cas, par exemple, pour l'Espagne et le Sud-Est de l'ancien empire allemand. Dans les Pays-Bas on n'a pas d'imitations de marques italiennes. | |
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La conception allemande, au contraire, se manifeste très tôt et très fortement chez nous. Dans les autres pays, la marque typographique ne devient qu'assez tard un ornement indispensable du livre imprimé. En Italie elle apparaît douze ans après l'introduction de l'imprimerie. Chez nous, par contre, elle fait son apparition pour ainsi dire en même temps que le livre imprimé. La première marque en Belgique est du 8 avril 1476 et est celle de Jean de Paderborn ou de Westphalie, à Louvain. Il va de soi que la marque d'imprimerie introduite dans les Pays-Bas par des maîtres allemands porte le caractère de son origine; mais bientôt elle acquiert un aspect tout à fait national. Dans nos contrées où l'art de la gravure et du livre illustré étaient tant en honneur, les imprimeurs s'efforcèrent dès la première heure à orner leurs publications de marques originales et artistiques. Toutes les formes variées auxquelles pouvait se prêter la première marque allemande de Fust et Schoeffer, se rencontrent chez nous beaucoup plus tôt qu'en Allemagne même. Le type des écussons suspendus à une branche eut une grande vogue parmi les premiers imprimeurs des Pays-Bas. Il s'adaptait admirablement à l'usage des marques de propriété en usage dans nos provinces chez nos commerçants. L'écusson aux armoiries de la ville ou du pays fut combiné avec la marque de propriété ou le monogramme de l'imprimeur. C'est tantôt l'un qui domine, tantôt l'autre. Il arrive parfois que par une abondance d'écussons placés les uns à côté des autres, on arrive à donner une explication assez compliquée de l'origine de l'imprimeur et de certains événements importants de son époque. Une des marques employées par Matthieu van der Goes, le premier imprimeur anversois, est très caractéristique à ce point de vue. Cette marque est datée du 21 juin 1487. Elle représente une caravelle ornée de tous côtés d'écussons. Au somme du mât principal on distingue à gauche les armoiries du Saint Empire Romain, à droite celles d'Anvers. A l'arrière de la carène figure la marque monogrammatique de l'imprimeur. Sur les flancs du navire: au milieu, le blason de l'évêque d'Utrecht, la croix de Bourgogne et l'écusson de l'archiduché d'Autriche; derrière, les blasons des familles Van Ursel et Van Ranst ainsi que les armoiries de la ville de Goes; devant, les écussons de la Hollande, de Haarlem et de la Zélande. Ce qui signifie en langage symbolique: ‘Sous | |
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le règne de Philippe le Beau, duc de Bourgogne, qui gouvernait les Pays-Bas sous la tutelle de son père. Maximilien d'Autriche, - à
Fig. 3. - M. Van der Goes.
l'époque où David de Bourgogne, son grand oncle, était évêque | |
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d'Utrecht, - Matthias de Goes (petite ville de Zélande) exerçait le métier de typographe à Anvers, ville du Saint Empire Romain, alors que Jean van Ranst, seigneur de Morsele et de Cantecroy, était marcgrave et Lancelot d'Ursel “amman” de cette ville’. La première imitation dans les Pays-Bas de la marque de Fust et Schoeffer, les deux blasons attachés à une branche ornée de feuillage stylisé, est employée par Jean Veldener à Louvain (30 avril 1476). Sur le blason de gauche la marque commerciale de l'imprimeur,Fig. 4. - J. Veldener.
sur celui de droite les armoiries de Louvain, et entre les deux le nom de l'imprimeur. La marque de Jacques van der Meer et de Fig. 5 - Jacques van der Meer.
Maurice Yemantszoen à Delft, portant les blasons des deux typographes; celle de Gérard Leeu à Gouda, portant à gauche les armoiries de la ville et à droite le sigle commercial de Leeu; celui | |
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de Pierre van Os à Zwolle; et d'autres encore s'inspirent du même modèle. Peu à peu on s'écarte du type de la branche aux deux écussons et c'est un être vivant qui bientôt fait fonction de porte-écusson. Chr. Snellaert et son successeur Henri Eckert van Homberg, fontFig. 6. - Jacques van der Meer et M. Yemantszoen
porter les armoiries de Delft ou d'Anvers par une licorne. C'est un griffon qui soutient l'écusson de Haarlem dans la marque de Jacques Bellaert. Des anges portent les armoiries de Schiedam et la marque commerciale de l'imprimeur dans la marque de l'éditeur Fig. 7. - G. Leeu (Gouda)
de la Vita Lydwinae. Dans la marque des Frères de la Collation à Gouda des anges aussi soutiennent l'écusson de la ville. Richard Paffraet, de Deventer, met sa marque commerciale et les deux armoiries de la cité sous la protection de saint Léboin. | |
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Quelques-uns de ces porte-écussons ont été manifestement choisis parce que leur nom permet un jeu de mot avec le nom de l'imprimeur ou lui est identique. Fig. 8. - P. Van Os
La licorne, qui passait pour être l'animal le plus rapide, fut choisie par Snellaert parce que son nom signifie en néerlandais le Rapide. Une des marques de Gérard Leeu montre un lion portant les armoiries Fig. 9. - Chr. Snellaert
d'Anvers et le sigle commercial de l'imprimeur dont le nom signifie lion. Ainsi nous arrivons au type des marques sur lesquelles sont re- | |
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présentés, sous la forme d'une image, le nom de la maison où l'imprimerie est établie, le nom de l'imprimeur, ou même, ce qui est toutefois plus rare, le portrait du typographe. Une des plus anciennes marques avec le nom de la maison est celle de Godefroid Bac. Après son mariage avec la veuve de Matthieu van der Goes, il s'installe dans la demeure de ce dernier,Fig. 10. - J. Bellaert
située près de la Cammerpoort à Anvers et portant l'enseigne de la Volière (In 't Vogelhuys). Il choisit comme marque une volière, dans laquelle on a encore le sigle commercial de Matthieu van der Goes. Ce n'est que plus tard que Bac fit ajouter à la volière son propre monogramme et les armoiries d'Anvers. Les exemples de marques typographiques inspirées par le nom | |
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de l'habitation abondent. Rien que pour Anvers le Chevalier Van Havre mentionne: Le Lys blanc pour les Aertssens, La Poule
Fig. 11. - Vita Lydwinae
grasse pour A. Birckmann et ses descendants, l'Ecu de Bâle pour G. De Bonte et les Van Meurs, la Bible d'Or pour la Veuve Jean Fig. 12. - Frères de la Collation.
Braeckvelt et les Mesens, la Fontaine pour Corneille Clypeus, la Fortune pour Jean Coesmans, Le Navet pour G. Fabri, Le Lévrier | |
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blanc pour les Van Ghelen, La Plume pour J. Grapheus, Le Pélican d'or pour E. Gymnicus, G, Lesteens et G. van Parys, Le Saint Esprit pour Guillaume Englebert Gymnicus et sa veuve, Le Coq qui veille pour Ghislain Janssens, Le Soleil d'or pour Jean van Keerbergen, Le Semeur pour Jan de Laet, l'Ecu d'Artois pour Jean van Liesvelt, sa veuve et R. Sleghers, l'Aigle contre le Scarabée pour Jean van der Loe et son fils Henri, Les deux Cigognes pour les Nutius et quelques-uns des Verdussen, Le Roi David pour les Phalèse, le Samson d'or pour Matthieu de Rische, Le Lion d'or
Fig. 13. - R. Paffraet
pour Nicolas Soolmans, La Salamandre pour Gilles Steelsius, Le Griffon d'or pour Guillaume van Tongeren, Le Lion rouge pour quelques Verdussen, La Bourse d'or pour Jérôme Verdussen, etc. Quelquefois le nom de la maison a été changé pour le mettre en concordance avec une marque typographique employée par l'imprimeur avant d'occuper la dite maison. C'est ainsi que H. Eckert van Homberg a fait remplacer l'enseigne du Coq de la maison qu'il vint habiter dans la Cammerstraat, par son ancienne enseigne hollandaise: A la Maison de Delft. Ce qui explique dans sa marque la présence des armoiries de Delft à côté de celles d'Anvers. Pierre | |
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Phalèse, quand il est venu habiter dans la même rue la maison dite De coperen Pot, fit de même. Il prit sa marque typographique Le Roi David, qui orne ses belles éditions musicales, comme enseigne de sa nouvelle habitation. Nous ferons ici une mention spéciale de deux types de marques typographiques très rares dans notre pays. La marque d'Adrien Van Berghen représente une maison. On a prétendu que c'est la représentation fidèle de la maison Au grand Mortier d'or, que l'imprimeur habitait à la grand'place à Anvers. Si les documents qui pourraient démontrer d'une manière péremptoireFig. 14. - G. Leeu
que cette affirmation est exacte nous font défaut, il semble cependant que l'intention du graveur était bien de représenter la maison d'Adrien van Berghen. A côté de la porte d'entrée on voit l'enseigne au grand mortier d'or et. au-dessus, l'écusson d'Anvers, le monogramme de l'imprimeur et deux cuillères à fonte. Jean de Paderborn ou de Westphalie se servait à Louvain d'une marque représentant son portrait. Il semble que ce soit la plus ancienne marque typographique de notre pays. En effet, elle figure | |
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dans un ouvrage daté du 8 avril 1476, alors que la marque de Veldener, imitée de Fust et Schoeffer, ne parut que le 30 avril suivant. Jean de Paderborn en parlant de cette marque dit lui-même: ‘meo solito signo consignando’. Il est hors de doute qu'il entend dire que cette marque est la reproduction du cachet que, d'après la coutume
Fig. 15. - G. Bac
du Moyen Age, il portait dans sa bague. Tous ceux qui avaient à faire valoir un droit de propriété ou à remplir des fonctions de magistrat ou de juge, les bourgeois aussi bien que les no- | |
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bles, portaient une bague à cachet qui représentait très souvent leur portrait. Conrad de Paderborn, frère de Jean, s'est également servi d'une marque reproduisant son portrait. Fig. 16. - G. Bac
Les marques qui indiquent le nom de l'imprimeur à la manière d'un rébus sont très nombreuses. | |
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La plus ancienne en Belgique est celle de Roland van den Dorpe, où l'image du paladin de Roncevaux, le héros de l'épopée franque, rappelle le prénom de notre imprimeur. Sur la poitrine de Roland figure le lion brabançon, et à côté du chevalier, à gauche l'écusson d'Anvers, à droite probablement un blason de famille. Van Havre
Fig. 17. - P. Phalesius
fait connaître toute une série de marques anversoises avec la représentation graphique du nom de l'imprimeur. Guillaume van den Berghe rappelle son nom par un groupe de montagnes et la sentence biblique ‘tangit montes et fumigant’. Henri Connix choisit comme Fig. 18. - A. Van Berghen
marque un lapin (konyn); Pierre van Keerberghen des montagnes avec la devise ‘altitudines montium conspicit’. Jean van Keerberghen traduit encore plus fidèlement son nom en employant comme | |
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marque une montagne renversée. Jean Mollyns se sert d'une taupe (mol) avec les mots ‘poena diversa placet’. Gérard Smits présente des forgerons (smid) à l'ouvrage. G. van Parys a une marque représentant le jugement de Paris. Daniel Vervliet rappelle son patron en ornant sa marque de la scène du prophète Daniel dans la fosse aux lions. Fig. 19. - J. van Paderborn
Dans tous les recueils on a d'innombrables exemples de ce type de marque typographique. En feuilletant les Marques des Imprimeurs et Libraires en France au XVe siècle, de L. Polain, on trouve des couteaux pour Gillet Couteau, une tour pour Jean de la Tour, des nuages pour Claude Gibolet, saint Antoine pour Antoine Caillaut, un nègre pour Michel Le Noir, un porcelet pour Pourcelet, un maillet pour Jean Maillet, etc. Fig. 20. - C. van Paderborn
Un autre type de marque très répandu se compose notamment d'un signe qui ressemble beaucoup au chiffre 4, accompagné des initiales de l'imprimeur ou combiné avec l'une ou l'autre image. Léon Gruel a réuni des centaines de marques de ce genre dans son ouvrage: Recherches sur les origines des marques anciennes qui | |
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se rencontrent dans l'art et dans l'industrie du XVe au XIXe siècle par rapport au chiffre quatre. Les imprimeurs suivaient en ceci l'exemple des graveurs, peintresFig. 21. - R. van den Dorpe
et sculpteurs, des fabricants de tapis, des peintres-verriers et de quelques particuliers, dans leurs armoiries et cachets. La célèbre | |
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gravure de Josse Amman, l'Allégorie du Commerce, et certains documents d'archives économiques comme celles de Plantin montrent que ce 4 symbolique était employé aussi par les marchands dans les monogrammes qui leur servaient à marquer leurs balles de marchandises. Fig. 22. - G. Van den Berghe
On s'est demandé en vain ce que pouvait signifier ce 4. Nous supposons que c'est tout simplement le signe de la croix, et que la ligne qui forme le triangle n'est autre chose que la liaison qu'on ne Fig. 23. - H. Connicx
saurait éviter quand on trace le signe de la croix d'un seul trait de plume ou de pinceau. N'est-ce pas une preuve en faveur de notre | |
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thèse que dans les marques que nous avons examinées ce trait de
Fig. 24. - P. van Keerbergen
liaison se trouve tantôt en haut, tantôt en bas, tantôt à droite ou à gauche suivant le caprice du dessinateur? C'est bien la croix que Fig. 25. - J. van Keerbergen
les imprimeurs voulaient mettre sur leur marque, car là où la croix | |
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ne prend pas l'aspect d'un 4, elle apparaît sous toutes les autres formes de croix que nous connaissons. Il y a des marques typographiques
Fig. 26. - J. Mollyns
ornées de la croix grecque +, de la croix latine †, de la croix (Tau) de saint Antoine ⊤, de la croix de saint André ╳, de Fig. 27. - G. Van Parys
doubles croix , de la croix papale , et d'autres encore. Le désir de mettre sur les marques typographiques le signe de la ré- | |
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demption est manifeste. Si la croix n'est pas de règle, elle est certainement d'un usage courant et c'est la croix en forme de 4 qui eut le plus de succès. Fig. 28. - Daniel Vervloet
En mettant à côté de son nom le signe de la croix l'homme du Moyen Age voulait affirmer que ce qu'il avait écrit était conforme aux grands principes de la religion chrétienne. Le copiste qui dessinait Fig. 29. - Gillet-Couteau
une minuscule croix sur son manuscrit, désirait ainsi reconnaître qu'il commençait ou achevait son travail avec l'aide de Dieu. La marque typographique est en quelque sorte la signature de l'édi- | |
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teur et par celle qui portait le signe de la croix, fait d'un seul trait, à l'exemple de beaucoup de signatures écrites, il entendait donner à ses lecteurs l'assurance que ses livres offraient toutes garanties de vérité et d'orthodoxie. Fig. 30. - Jean de la Tour
Parmi les imprimeurs anversois qui firent usage du signe 4 dans leur marque citons: H. Aertssens, G. Bac, P. Bellerus, R. Bollaert, Jean et Jacques van Ghelen, M. Hillen van Hoochstraten, P. Kaets, Fig. 31. - Claude Gibolet
M. De Ridder, la Veuve H. Thieullier, G. van Tongeren, les Verdussen, J. Verwithagen et J. Wynryx. Un autre type de marques typographiques présente l'allégorie | |
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de l'une ou l'autre idée abstraite, vertu ou qualité morale, particulièrement en honneur chez le propriétaire et très souvent commentée sur la marque même par un proverbe ou une devise lapidaire. Nous empruntons quelques exemples de ce genre aux anciens maîtres typographes d'Anvers: Jean Grapheus choisit la Charité, Hillen van Hoochstraten le Temps, Jean van Liesvelt la Prudence, avec la devise pedentim, (marchant avec précaution), Jean Roelants la Patience, G. Simons la Douceur mêlée à l'Amertune, Jean Verwithagen l'Entr'aide (L'Aveugle et le Paralytique), Gérard van Wolschaten la Foi et la Charité, Christophe Plantin le Travail et la Constance. Fig. 32. - Antoine Caillaut
Ces images allégoriques ne s'écartent pas en général des modèles traditionnels de ce genre. Certains symboles restent toutefois incompréhensibles pour nous si nous ne sommes pas au courant des hiéroglyphes et des emblèmes employés par les humanistes du XVIe siècle et restés en usage encore longtemps après. Les savants de la Renaissance s'étaient fait des hiéroglyphes de l'ancienne Egypte une idée fantaisiste qui eut une très grande vogue bien qu'elle n'ait rien de commun avec la solution scientifique de ce problème, trouvée en 1822 grâce aux études de Champollion, le père de l'Egyptologie moderne. L'interprétation des hiéroglyphes par les savants du XVIe siècle fut appliquée pratiquement dans | |
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leurs recueils d'emblèmes, les ‘impresa’ et les livres de devises, qui, à leur tour, influencèrent fortement tous les arts décoratifs de cette époque. C'est Karl Giehlow qui a étudié le premier cette hiéroglyphique des humanistes dans son remarquable travail: Die Hieroglyphenkunde des Humanismus in der Allegorie der Renaissance, besonders der Ehrenpforte Kaisers Maximilian I (1915). Ludwig Volkmann, dans ses Bilderschriften der Renaissance (1923), a complété le travail de Giehlow en indiquant les rapports étroits entre la littérature des emblèmes des XVIe et XVIIe siècles et l'hiéroglyphiqueFig. 33. - Michel le Noir
des humanistes. Grâce à ces deux travaux il est facile maintenant d'expliquer un grand nombre de marques typographiques dont on ne comprenait pas fort bien la signification et qui se rattachent toutes à l'hiéroglyphique et à l'emblématique de la Renaissance. Il nous semble utile de suivre un instant le développement de cette littérature spéciale et peu connue. Les humanistes avaient puisé dans les auteurs de l'antiquité des notions concernant les hiéroglyphes égyptiens. Ils y voyaient une | |
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manière d'idéographie, représentant chaque concept par une image. L'autour figurait tout ce qui est rapide, le crocodile tout ce qui est
Fig. 34. - Pourcelet
mauvais et cruel, l'oeil tout ce qui veille, etc. On tâchait de saisir le Fig. 35. - Jean Maillet
sens métaphorique de chaque image et on s'imaginait alors de pouvoir lire toutes les inscriptions. | |
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On sait actuellement que cette conception est erronée. L'écriture hiéroglyphique n'est pas seulement idéographique, elle est aussi
Fig. 36. - P. Bellerus
dans une certaine mesure phonétique, et elle se complique encore par l'emploi de quelques déterminatifs. Fig. 37. - R. Bollaert
Les égyptologues se rient de cette manière d'expliquer les hiéroglyphes, qui présente cependant une réelle importance. L'interpré- | |
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tation des humanistes donne en effet la clef d'un grand nombre d'emblèmes bizarres que la Renaissance a popularisés. Fig. 38. - J. van Ghelen
Les humanistes puisèrent dans Diodorus Siculus, Pline, Tacite, Plutarque, Apulée (L'Ane d'or), Clément d'Alexandrie (Stromata). Fig. 39. - Hillen van Hoochstraten
Plotin, Eusèbe et d'autres encore, tout ce que l'antiquité classique savait des hiéroglyphes égyptiens. Mais un ouvrage des plus remar- | |
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quables, qui eut une influence énorme sur l'hiéroglyphique des humanistes, contenait tout ce que les auteurs pouvaient nous apprendre et les surpassait tous. C'est l'Hieroglyphica d'Horapollo, auteur inconnu, dont nous ne savons pas exactement s'il a vécu au IIe ou au IVe siècle de notre ère. L'ouvrage semble sortir du milieu des savants d'Alexandrie, où la science égyptienne et la science
Fig. 40. - J. Grapheus
grecque se sont fusionnées. Le manuscrit fut découvert en 1419 par le prêtre Christophe de Buondelmonti dans l'île d'Andron. Il contient l'explication d'un grand nombre d'hiéroglyphes énigmatiques et hiératiques, dont, d'après les dires de Clément d'Alexandrie, le sens était dévoilé seulement aux aspirants-prêtres. Les égyptologues modernes traitent les explications de ce livre | |
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de ‘fantaisies d'aliénés’, les humanistes toutefois les appréciaient beaucoup. Elles renforcèrent chez eux la conviction que chaque image représentait une idée bien définie. Horapollo interprète environ 190 hiéroglyphes. Nous n'en donnerons que quelques exemples: une anguille signifie une personne remplie de haine; - une ourse qui lèche ses jeunes, un homme non éduqué; - une abeille, un peuple soumis à un roi; - un éléphant, un homme fort ou raisonnable; - l'eau et le feu, la propreté; - un chien avec des vêtements royaux, l'autorité ou un juge; - une grue au vol, un homme au courant des choses célestes; - une grue tenant un caillou dans une de ses pattes, la vigilance; - une salamandre, un homme brûlé par le feu; - une cigogne, quelqu'unFig. 41. - H. van Liesveldt
qui aime ses parents; - un serpent qui se mord la queue, le monde, etc.Ga naar voetnoot1). Quelques symboles du livre d'Horapollo étaient déjà connus dans nos provinces grâce au Physiologus, qui nous est venu également d'Alexandrie et qui comprend également des éléments égyptiens. Il existe de l'ouvrage d'Horapollo plusieurs manuscrits. Il fut imprimé pour la première fois en 1505 par Aldus à Venise. Son influence se fit sentir bientôt. On a des hiéroglyphes vulgarisés par Horapollo sur des médailles de Matteo de Pasti, Clément Urbinas, etc., sur des colonnes, des arcs de triomphe et d'autres ornements architecturaux. | |
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Fra Francesco Colonna publia sous le titre Hypnerotomachia Polyphili un ouvrage appelé à une grande vogue. Il est plus connu dans notre pays par sa version française, Le Songe de Polyphile. C'est un rêve d'amour fantastique, qui se déroule dans une sorte d'Egypte de théâtre, rappelant plus ou moins la Flûte enchantée. Cet ouvrage est orné de gravures sur bois, où de nombreux hiéroglyphes n'expriment pas seulement des idées isolées mais des idées combinées, des phrases entières dont l'auteur nous explique le sens. Bien qu'achevé dès 1467, l'ouvrage ne fut cependant impriméFig. 42. - J. Verwithagen
qu'en 1499 par Alde Manuce. Le succès fut retentissant dans toute l'Europe. Un oeil quelque peu exercé remarque immédiatement que ces hiéroglyphes n'ont rien d'égyptien. Ce sont des produits originaux de l'hiéroglyphique de la Renaissance. Nous tâcherons de donner une idée de leur esprit par quelques exemples. Voici un casque antique, couronné d'une tête de chien; un crâne de taureau décharné orné aux cornes de deux tiges à fine verdure, | |
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l'une d'un mélèse, l'autre d'un sapin; et une lampe. Ces images signifient: Patientia est ornamentum, custodia et protectio vitae (La patience est l'ornement, la garde et la protection de la vie). Dans cette hiéroglyphique le crâne avec les branches représente la patience, par ce que (c'est Logistica qui l'explique à Polyphile!) la branche de mélèse ne se plie pas, telle la patience qui ne se courbe pas facilement sous les coups du malheur, et que la branche de sapin ne brûle pas facilement, telle la patience qui ne se laisse pas emporter par le feu de la colère. Le casque est la protection, le chien la garde et la lampe la vie. Le cercle, l'ancre et le dauphin réunis signifient: Semper festinaFig. 43. - Songe de Polyphile
lente = Hâtez-vous toujours lentement (le cercle qui n'a ni commencement ni fin signifie toujours (l'éternité); le dauphin que l'on considérait comme le plus rapide de tous les cétacés, hâtez-vous; et l'ancre doit évoquer l'idée de repos, de lenteur, d'arrêt). Voici un caducée, deux serpents enlacés en parfaite concorde autour d'une baguette; - de chaque côté, vers le bas, une fourmi se transformant en éléphant et, vers le haut, un éléphant se métamorphosant en fourmi; - au milieu une coupe avec du feu et une autre avec de l'eau. C'est la représentation hiéroglyphique de la sentence: Pace ac concordia parvae res crescunt, discordia maximae | |
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discrescunt. (La paix et la concorde sont le caducée: les fourmis qui deviennent des éléphants sont les petites choses qui deviennent grandes; l'eau et le feu symbolisent la discorde; et les éléphants qui se muent en fourmis sont naturellement les grandes choses qui deviennent petites). Ces deux exemples montrent que ces hiéroglyphes ressemblent assez á nos rébus modernes. Il n'y a qu'une seule différence. Les humanistes expriment l'idée au moyen du sens qu'ils attachent aux choses, tandis que le rébus le fait au moyen du son du nom des choses. Fig. 44. - Songe de Polyphile
Le mot rébus est d'ailleurs une création des humanistes. Ils l'employaient quand ils composaient leurs inscriptions sur des médailles, colonnes, etc. non avec les lettres ordinaires de l'alphabet; mais au moyen de l'image des choses (rebus). La Renaissance avait une réelle admiration pour l'ouvrage de Colonna, auquel on emprunta des hiéroglyphes pour les appliquer à l'architecture monumentale. C'est ainsi, par exemple, que les vertus de Saint-Benoît furent représentées sur les colonnes et les chapiteaux de l'église de Ste Justine à Padoue. | |
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On a une application curieuse d'hiéroglyphes empruntés au Songe de Polyphile chez le poète brabançon Messire Jan van der Noot, qui introduisit dans la littérature flamande les conceptions de la Pléïade. Son Hymne au Brabant (Lofsang van Brabant), édité en 1580 par Gilles van den Rade à Anvers, et son Court aperçu des XII Livres de l'Olympiade (Cort Begrip der XII Boeken Olympiados) paru en 1579 chez le même imprimeur, contiennent
Fig. 45. - Van der Noot (Obélisque)
une gravure signée H.E., représentant des obélisques recouverts d'hiéroglyphes. A la dernière page de ses OEuvres poétiques (Poëticsche Werken), éditées en 1592 par Arn.'s Conincx et en 1594 par D. Vervliet à Anvers, une autre gravure représente les quatre côtés d'un obélisque, également recouverts d'hiéroglyphes. | |
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L'explication assez compliquée de l'inscription hiéroglyphique qui y figure nous est donnée par Jean Van der Noot lui même dans les commentaires qu'il ajoute aux XII Boeken Olympiados sous forme de conversation avec quelques savants imaginés pour les besoins de la cause. Nous y trouvous quelques hiéroglyphes déjà signalés, à côté de quelques nouveaux qui ont toutefois tous la même origine. Le cercleFig. 46. - Songe de Polyphile
qui n'a ni commencement ni fin signifie l'éternité; le dauphin autour de l'ancre signifie se hâter lentement; le limaçon qui sort ses antennes quand il fait beau et les retire quand il fait mauvais, signifie se comporter d'après les circonstances; les abeilles qui apportent leur miel à la ruche sont l'image du travail et de l'intelligence; | |
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les tourterelles sont l'emblème de l'amour, le serpent celui de la prudence; l'aiguière avec le tuyau étroit représente la prudence; la pelote signifie conduire, en souvenir du fil d'Ariane; le vase antique
Fig. 47. - Giovo (licorne)
fermé est le coeur; l'oeil sur la semelle ornée d une branche d'olivier et de dattier, signifie Dieu qui voit à travers tout, la soumission, Fig. 48. - Symeoni
la paix ou la miséricorde, et la victoire ou la toute-puissance; l'oie avec l'ancre à trois branches est l'image de la vigilance et | |
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de la persévérance; le casque signifie la protection; le gouvernail le gouvernement ou la direction; la lampe, la vie; le double masque, l'ombre de la vie, la mort. Tout cela doit être lu comme suit: Si vous vous hâtez avec sûreté, si vous vous conformez aux circonstances, avec activité et intelligence, avec amour et prudente précaution, vous soumettez votre coeur à Dieu, lequel par sa miséricorde et sa toute-puissance sera pendantFig. 49. - Regnault
votre vie votre garde, protection et direction et vous donnera après votre mort la vie éternelle. La plupart de ces hiéroglyphes proviennent des recueils d'Horapollo et de Colonna. L'Hymne au Brabant contient une série d'images qui sont empruntées au Songe de Polyphile, où elles se rencontrent dans le même ordre et avec un sens identique. La copie est flagrante. (Voir nos gravures no 45 et no 46). On y voit le cercle avec le sens de ‘toujours’, le dauphin et l'ancre nous engageant à nous hâter lentement. Une pelote de fil | |
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doit nous rappeler le fil d'Ariane et évoquer le sens de ‘conduire’. Un pot fermé signifie l'esprit ou le coeur. Un oeil sur une semelle de soulier signifie ‘soumis à Dieu’, l'oeil étant le symbole de Dieu. Une oie attachée à une ancre rappelle la bonne garde (allusion aux oies du Capitole) et la sûreté. Le casque signifie ‘protection’; le gouvernail, le gouvernement ou la direction; une lampe, la vie; etc. Tout le système hiéroglyphique de Van der Noot se retrouve donc dans le Songe de Polyphile. Fig. 50. - Honorat
Nous ne ferons pas mention du grand nombre d'Italiens célèbres qui vers la fin du XVe siècle et au commencement du suivant se sont occupés de semblables compositions hiéroglyphiques. Cela nous entraînerait trop loin. Nous nous bornerons à attirer encore l'attention sur l'ouvrage remarquable de Pierio Valeriano, Hieroglyphica sive de sacris Aegyptiorum aliarumque gentium literis (Bâle, | |
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1556). Valeriano a puisé à pleines mains dans Horapollo et ses autres prédécesseurs. Son ouvrage est une manière de ‘somme’ de l'hiéroglyphique de la Renaissance augmentée de nouvelles idéographies créées par lui-même. Quelques hiéroglyphes de Valeriano ont une tendance morale et se rapprochent fortement ainsi des emblèmes (emblemata) qui ne sont en grande partie que des conceptions hiéroglyphiques développées en vers et poursuivant un but didactique. André Alciat est le créateur de ce dernier genre, où la poésie accompagne toujours la gravure (1492-1550). Il est tributaire de Horapollo et de Colonna dans une très large mesure. La premièreFig. 51. - A. Wechel
édition de ses Emblemata parut en 1531 chez Henri Steyner à Augsbourg. Cet ouvrage se répandit en peu de temps dans toute l'Europe. On en connaît environ 150 éditions différentes. La première est ornée de gravures sur bois assez maladroites de Jörg Breu. En 1534 parut la deuxième édition chez Chr. Wechel à Paris avec des gravures plus artistiques. L'édition lyonnaise, parue chez Bonhomme en 1550, contient des gravures encore plus jolies et qui ont servi de modèle pour la plupart des éditions postérieures. L'ouvrage d'Alciat eut d'innombrables imitateurs. Henry Green | |
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cite dans son étude Andrea Alciati and his Books of Emblems (Londres, 1872) à peu près 3000 titres d'ouvrages de ce genre. Dans les Pays-Bas la plus grande popularité était réservée aux recueils d'emblèmes parus à l'imprimerie plantinienne. Les Emblemata d'Alciat furent édités par Plantin en 1565, 1567, 1573, 1574, 1577, 1581, etc. Jean Sambucus, médecin et historiographe, qui habita assez longtemps à Gand, fit paraître chez Plantin en 1564 ses Emblemata cum aliquot nummis antiqui operis avec des bois d'Antoine Silvius, Hubert Goltzius et Jean Croissart. Adrien Junius, de Haarlem, publia également chez Plantin un semblable recueil,Fig. 52. - S. Nivelle
en 1565: Emblemata, ad D. Arnoldum Cobelium Ejusdem AEnigmatum libellus ad D. Arnoldum Rosenbergum. L'engouement pour les emblèmes se manifeste encore par l'usage des impresa, qui étaient des plaques d'or ou d'argent ornées d'une représentation hiéroglyphique et d'une brève devise. Les nobles les portaient au chapeau ou sur leurs vêtements pour exprimer d'une façon plus ou moins secrète l'intention particulière ou le sentiment intime qui les animait dans leurs entreprises guerrières ou amoureuses. Il y avait en effet des impresa d'armi et des impresa d'amore. Benvenuto Cellini en a ciselé de fort jolies. Cette mode italienne | |
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s'est fusionnée avec celle des gentilshommes français de représenter d'une façon idéographique leur devise sur l'un ou l'autre objet qu'ils portaient sur eux. L'usage s'introduisit bientôt de publier des recueils d'impresa, soit pour servir de modèles, soit par intérêt historique pour les personnages qui s'en étaient servis. Le principal créateur et collectionneur d'impresa fut Paolo Giovo (Jovius, 1483-1552), dont le Dialogo dell' Imprese militari et amorose connut un très grand succès. Fig. 53. - Alciatus (In occasionem)
L'idéographie des impresa de Giovo fut fortement influencée par l'hiéroglyphique et l'emblématique des humanistes. Il y a par exemple la licorne qui purifie la source empoisonnée par le serpent avec la devise Venena pello, un symbole qui figure déjà dans le recueil d'Alciat. Gabrielle Symeoni composa aussi un semblable recueil sous le titre de Imprese heroiche et morali, édité pour la première fois à Florence en 1560 et réimprimé entre autres par Plantin en 1567, en même temps que les Symbola heroica de Claude Paradin, dont l'édition originale française, Devises héroïques, vit le jour en 1551 à Lyon. Ces deux ouvrages empruntent également un certain nombre d'emblèmes à l'hiéroglyphique des humanistes. Parfois les | |
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emblèmes y sont nouveaux. C'est, par exemple, le cas pour Festina lente, qui n'est plus représenté par une ancre et un dauphin, comme chez Colonna, mais par un papillon et un crabe. Nous ne nous occuperons pas plus longtemps de la riche littérature des Impresa, des ouvrages de Lodovico Dolce, Jeronimo Ruscelli, Camillo Camilli, Scipio Bargagli, des Symbola divina et humana de Jacques Typotius, avec les gravures de Gilles Sadeler (Prague, 1601-1603), et d'autres encore dont Volkmann nous parle longuement. Fig. 54. - N. Basse
Revenons à notre sujet pour montrer, par un certain nombre d'exemples, combien les imprimeurs de tous pays, et les nôtres en tout premier lieu, ont fait usage de l'hiéroglyphique et de l'emblématique des humanistes dans la composition de leurs marques typographiques. Les exemples sont si nombreux que nous devons nous borner à n'en signaler qu'un petit nombre. La célèbre marque d'Aldus Manutius, à Venise, un Dauphin et une ancre avec la devise Festina tente, est empruntée directement | |
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au Songe de Polyphile. Un grand nombre d'imprimeurs ont imité cette marque. Silvestre, dans ses Marques typographiques (Paris, 1853), en mentionne toute une série: 142, 1256 Turrisan (Paris); 149, 702 De Channey (Lyon); 317 Brillard (Bourges); 482, 892 Coulombel (Paris); 509 Tardif (Lyon). La marque de l'imprimeur parisien Pierre Regnault avec sa devise Concordia parvae res crescunt, discordia magnae dilabuntur et ses fourmis qui deviennent éléphants et vice versa, sort également du Songe de Polyphile. On peut en dire autant de la marque d'Honorat de Lyon, une cruche à eau avec la devise poco a poco, représentation hiéroglyphique de l'idée: lentement et avec précaution. Fig. 55. - H. Junius (Emblème)
La marque de J. Froben, de Bâle, deux serpents (la prudence) et une colombe (la simplicité) autour d'un sceptre droit (l'amour de la justice), est composée d'éléments empruntés à l'hiéroglyphique des humanistes. La grue tenant une pierre dans la patte, symbole de la vigilance, emprunté à Horapollo et Valeriano, est devenue la marque des imprimeurs André Wechel de Francfort, Jean Bouwens de Leyde, etc. La cigogne comme symbole de l'amour filial, emprunté à Horapollo et Alciat, est employée par l'imprimeur S. Nivelle à Paris. La Fortune sur la roue, élevant son voile pour saisir le bonheur | |
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Fig. 56. - H. Aertssens
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au vol, image popularisée par Alciat, devient la marque de Nic. Basse, à Francfort. Examinons encore quelques marques typographiques anversoises inspirées par cette hiéroglyphique de la Renaissance. Nous suivonsFig. 57. - J. Bellère
l'ordre des Marques typographiques de G. van Havre. Henri Aertssens I employait une marque, dont Van Havre reproduit trois types différents, et qui est pour ainsi dire la copie de l'emblème III du recueil d'Adrianus Junius. Ce dernier fixe une Fig. 58. - P. Bellère
bêche sur la sphère terrestre, symbole du travail sur terre. Il l'entoure d'un serpent qui se mord la queue, orné d'une couronne de lauriers, symbole de la gloire éternelle. Le sens de cette image est: par le travail on obtient la gloire éternelle sur terre. Aertssens | |
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reprend sur sa marque la sphère, le serpent et la bêche. La couronne de lauriers n'y figure plus, mais on y a par contre une plume et un burin à graver. Le sens de l'hiéroglyphe est ainsi légèrement modifié, comme l'indique la devise: Ars nutrit orbem perpetim. La bêche,
Fig. 59. - J. Cnobbaert
le burin et la plume doivent donc rendre l'idée de l'art nourricier; la sphère et le serpent conservent leur signification première. L'emblème XVI d'Alciat, In occasionem, représentant la Fortune sur une roue et tâchant de saisir la bonne occasion au moyen de son voile, devient la marque typographique de la Veuve de Jean Fig. 60. - N. Lefévre
Bellère, Jean Coesmans, Jean Richard et Henri Peetersen van Middelburch. L'emblème XVIII d'Alciat, un caducée avec deux cornes d'abon- | |
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dance et la devise Virtuti fortuna comes, fut employée par Pierre Bellère, avec la devise: Concordiae fructus. Fig. 61. - J. Steelsius
On connaît de Jean Cnobbaert et de sa veuve trois marques pour lesquelles ils firent usage de deux motifs empruntés à l'hiéroglyphique Fig. 62. - J. Verdussen
des humanistes: le serpent = la prudence, et la colombe = l'innocenceGa naar voetnoot1). Ils y ajoutent la légende: prudens ut serpens, simplex | |
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ut colomba. La marque de Gérard Speelmans présente les mêmes motifs et la même devise. Nicolas Le Fèvre, qui habitait à l'enseigne du Cerf, emploie comme marque l'animal dont sa maison porte le nom, mais avec une devise qu'on retrouve dans les Symbola heroica de Claude Paradin: Hoc Caesar me donavit. Mais, chez Paradin, le cerf porte une couronne autour du cou, ce qui explique et justifie la légende. Charles VI, roi de France, avait pris un jour dans la forêt de Senlis un cerf, dont le cou était engagé dans une couronne d'or, portant l'inscription: Hoc Caesar me donavit. Comme souvenir de cette merveilleuse capture le roi prit le cerf comme imprese et l'inscription du collier comme devise. La Veuve de Jacques Mesens I et les Steelsius empruntèrent leur marque à l'emblème VI d'Alciat: des corneilles autour d'un sceptreFig. 63. - J. Verwithagen
sur un sarcophage, représentant l'union. Angelo Poliziano, se basant sur un texte d'AElianus, prétend que les corneilles étaient considérées comme l'emblème de la bonne entente. C'est d'ailleurs avec ce sens allégorique qu'elles figurent sur les monnaies d'or de Faustina Augusta. Voici la traduction des vers latins qui accompagnent l'emblème VI d'Alciat: ‘La concorde dans laquelle vivent les corneilles est merveilleuse, jamais leur fidélité réciproque ne s'est altérée. - Aussi ces oiseaux portent-ils un sceptre, car c'est par l'accord du peuple que se maintiennent et que s'élèvent les chefs. - Si l'on supprime | |
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cet accord, la Discorde accourt à tire-d'aile et emporte avec elle la destinée des rois’. Les Nutius et quelques membres de la famille Verdussen se servent dans leurs nombreuses marques de cigognes comme symbole de l'amour filial. Cette image très ancienne appartient également àFig. 64. - J. van Waesberghe
l'hiéroglyphique de la Renaissance. On la rencontre chez Alciat, emblème V. La marque de Jean Verwithagen, l'aveugle et le paralytique, peut | |
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avoir été inspirée par l'emblème XXII d'Alciat (Mutuum auxilium). Une des marques de Jean van Waesberghe, un triton soufflant dans une conque entouré d'un serpent qui se mord la queue, avec la devise Literae immortalitatem pariunt, n'est qu'une copie de l'emblème XLI d'Alciat: Ex literarum studiis immortalitatem acquiri. Alciat commente cet emblème en vers latins dont voici la traduction: ‘Le trompette de Neptune, Triton, dont la partie inférieure dénote un poisson et le visage un dieu marin, est enfermé au milieu du cercle formé par un serpent qui se mord la queue. La renommée loue les hommes remarquables par leur esprit ainsi que leurs actions illustres qu'elle fait lire dans le monde entier’. Pierre Bellère II, Jean Bellère et Jean Wynrycx emploient comme marque la licorne purifiant la source empoisonnée, les deux premiers avec la devise Venena pello, l'autre avec les mots Omnia pura. Nous avons déjà vu que cette image se trouve dans les Impresa de P. Giovio. C'est manifestement la gravure de ce dernier ouvrage qui a inspiré le dessinateur de la marque des Bellère. Nous pourrions nous étendre plus longuement encore sur ces marques et leur langage, mais nous estimons en avoir dit suffisamment pour montrer comme elles reflètent parfois de façon saisissante l'esprit de l'époque qui les a vues apparaître, et quels témoins éloquents elles sont très souvent de la tournure d'esprit spéciale de quelques-uns de nos grands maîtres typographes. On aura pu constater en même temps quels précieux éléments elles peuvent fournir non seulement pour l'ornementation du livre, mais aussi au cachet personnel que tout imprimeur de bon goût désire donner aux travaux qui sortent de ses ateliers. La marque typographique qui, à une certaine époque, était d'un usage quasi général, a perdu de nos jours de son importance, et nous pensons qu'il y a lieu de le regretter. Nous souhaitons de tout coeur un renouveau de ce petit ornement du livre, adapté au goût et à l'esprit de notre époque. Nos artistes modernes, si on veut bien les en charger, créeront des marques tout aussi ingénieuses et non moins élégantes que celles de leurs collègues de jadis. Il y a là peutêtre une initiative intéressante à prendre, et nous nous estimerions heureux, le cas échéant, d'avoir pu y contribuer par cette étude.
Maurice SABBE. |
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