De Gulden Passer. Jaargang 7
(1929)– [tijdschrift] Gulden Passer, De– Gedeeltelijk auteursrechtelijk beschermd
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Démêlés des Moretus avec les R.P. Jéromites de l'Escurial au XVIIe siècle.Le monopole de la vente des ouvrages liturgiques en Espagne et dans ses colonies était une des principales sources de revenus des Moretus. Après la mort de Plantin ils continuèrent à expédier chaque anneé des milliers de missels, de bréviaires, de livres d'heures et d'autres ouvrages de même genre, qu'ils désignaient sous le nom espagnol de ‘rezo romano’, vers la prèsqu'île ibérique d'où une partie prenait le chemin des Indes. Cette littérature liturgique était, à vrai dire, dans la seconde moitie du XVIIe siècle la seule qui sortait encore des presses plantiniennes. On est bien loin à cette époque de la production abondante et variée du temps de Plantin, ou toutes les connaissances humaines étaient représentées dans les catalogues des éditions de la célébre officine; bien loin aussi du temps de Balthazar Moretus I, où l'humanisme christianisé de J. Lipse et les initiatives esthétiques de Rubens et des graveurs contemporains donnaient à l'imprimerie plantinienne un nouvel essor! La déchéance scientifique de l'illustre imprimerie était consommée. C'est à peine si nous trouvous parmi les éditions publiées sous la direction de Balthazar Moretus III, entre les anneés 1674 et 1696, quelques ouvrages n'appartenant pas directement à la littérature liturgique: le Tratado de las Siete Missas de Senor San Joseph par Gabriel de Sancta Maria (1675); le Naerder reglement ghevoeght tot de Ordonnantie Albertine (1681); les Decreta et Statuta Synodi Mechliniensis et Antverpiensis (1680); les Sermones familiares de P. Scholirius (1683); l'Oratio in exequiis Mariae Ludovicae Borboniae Hispaniarum reginae (1689); la Biblia Sacra en flamand (1690); les Regula et Testamentum seraphici P. Franscisci (1692); et les Carminum Libri quatuor de Car. Ruaeus. Tout le reste est de la liturgie: les Sacrae Litaniae variae (1675), l'OfficiumGa naar voetnoot1) | |
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B. Mariae Virginis (1677, 1680, 1689, 1694), les Officia Minorum (1677-78), le Martyrologium Romanum (1678), le Missale Romanum (1682), les Horae Diurnae (1682-1687), le Psalterium Davidis (1683), un Officio de la Semana Sancta (1683), le Breviarium fratrum B.M.V. (1683), les Officia Sanctorum Ecclesiae Cathedralis Antverpiensis (1684), le Breviarium ad usum Sacri ordinis Cisterciensis (1684), les Officia propria sanctorum ordinis eremitarum S. Augustini (1684), l'Officium hebdomadae sanctae (1684), l'Officium nativitatis Domini (1685), le Psalterium Cisterciense (1686), le Rituale romanum Pauli V (1688), l'Officia nova in Breviario romano (1690), le Breviarium Romanum (1690, 1694), les Officia propria sanctorum ordinis minorum (1693, 1696), le Cantuale ordinis Augustini (1695), les Missae propriae Poloniae (1695), et les Missae pro defunctis (1695)Ga naar voetnoot1). Le commerce des ouvrages liturgiques publiés par les Moretus, se faisait directement avec les pères Jéromites de San Lorenzo de l'Escurial. Cet ordre puissant, établi dans l'immense palais qui contient les tombes des rois d'Espagne, possédait parmi ses nombreux privilèges celui de la vente du ‘rezo’. Dans ce but les moines avaient ouvert deux magasins, un à Madrid et un autre à Séville. Tout ce qu'ils y vendaient sortait exclusivement de l'imprimerie des Moretus. Vers 1675 il y eut entre les Jéromites et leurs fournisseurs anversois un sérieux différend. Balthazar II était mort le 26 mars 1674, laissant sa veuve Anne Goos avec plusieurs enfants en bas âge, ainsi que son fils aîné âgé de 28 ans, Balthazar III, désigné pour succéder à son père. Anne Goos et les tuteurs des enfants mineurs désiraient liquider le succession pour transmettre toute l'affaire à Balthazar IIIGa naar voetnoot2). Dans ce règlement d'affaires une des plus grosses difficultés provenait, du non acquittement de la dette des Jéromites espagnols. Depuis l'année 1674 leurs obligations financières vis-à-vis de la maison anversoise montaient toujours, et Carlos du Pont, fils de Nicolas, le correspondant connu des Moretus à Madrid, n'était pas parvenu a concilier les partis et conduire l'affaire à bonne fin. | |
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En 1679 Carlos du Pont était venu à Anvers avec des propositions du R.P. d'Alcorez, administrateur général du ‘rezo romano’ des Jéromites de San Lorenzo de Real, et à en juger par une lettre de Du Pont à d'Alcorez tout semblait au début s'arranger parfaitement. De leur ancienne dette, (qui s'élevait à ce moment a 185 ∨ 678- 1 mir. Rles de vellon et 299 ∨ 903- 21 mir. Rles de plata), les pères promettaient de payer immédiatement en argent comptant autant qu'ils pourraient, et pour le restant ils offraient une grande quantité de laine, comptée au prix du jour, à partir de la tonte de 1679. Cette dernière proposition était faite par les Pères eux-mêmes qui possédaient d'innombrables troupeaux de moutons très riches en laine, connus encore aujourd'hui sous le nom de ‘moutons de l'Escurial’Ga naar voetnoot1). Au cours des pourparlers les Pères retirèrent cette offre et Madamoiselle Anne Goos, qui avait encore en main à ce moment la direction de l'imprimerie, décida de commun accord avec les ‘amis’, c'est-à-dire les tuteurs des enfants mineurs (le prètre Henri Hillewerve, son beau-frère; Pierre Goos, son frère; et Jean de la Flie, son cousin germain, échevin et trésorier de la ville d'Anvers), de déléguer Balthazar III à Madrid pour y aplanir les difficultés. ‘Mon fils Balthasar partira par nos ordres et résolucions’, écritelle le 12 Mars 1680 à ses chargés d'affaires à Madrid, Nicolas du Pont et Jacomo van MeursGa naar voetnoot2); et à la même date Balthazar luimême envoie la même nouvelle à Carlos de Licht, correspondant des Moretus à SévilleGa naar voetnoot3). Balthazar, qui n'avait pas l'intention de se rendre à Séville, pria Carlos de Licht de faire le nécessaire pour que le R.P. Juan de Leon, administrateur de la librairie des Jéromites à Séville, envoyât tous ses comptes à Madrid au R.P. d'Alcorez, afin de pouvoir y discuter toutes les affaires à la fois. Parti le 21 Mars d'Anvers, Moretus arriva à Madrid le 26 Avril. | |
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Ses entrevues avec le R.P. d'Alcorez eurent lieu immédiatement. Les principales difficultés qu'éprouvaient les Jéromites pour le payement de leur dette provenaient de la lourde crise financière dans laquelle l'Espagne se débattait à cette époque. La seconde moitié du XVIIe siècle, faut-il le dire, fut une période particulièrement triste pour l'Espagne. Pendant la minorité de Charles II, enfant rachitique et scrofuleux d'un père âgé, la régence de son ambitieuse mère, Marie-Anne, et de ses favoris intrigants, Johann Eberhard von Neidhart et Valenzuela, fut constamment troublée par les tentatives révolutionnaires de Don Juan d'Autriche, frère bâtard de Charles. L'Etat se désorganisait, tout était négligé. Le népotisme et le vol des deniers publics régnaient sur une vaste échelle, et le trésor du roi ne suffisait plus à pourvoir à toutes les dépenses. Quand, en 1675, Charles II prit lui-même les rênes du pouvoir en main, du moins en apparence, la situation s'aggrava encore. Ce roi, qui savait à peine lire et écrire, dernier représentant d'une race épuisée, maussade et capricieux, s'amusait dans son palais avec ses nains, attachait une importance exagérée au cérémonial et au luxe, et abandonnait le soin des affaires de l'État à ses ministres. Don Juan, nommé premier ministre à l'avènement de Charles II et animé des meilleures intentions, tomba en disgrâce et fut remplacé en 1680 par le duc de Medina-Celi, plus préoccupé de caser ses nombreux fils et filles que de prendre à coeur les intérêts de l'État. L'Espagne se trouvait aux bords du précipice, seuls les ordres religieux montraient encore de l'énergie. Surtout la vie économique du pays était totalement épuisée, et pour la plus grande partie aux mains des étrangers. Cette période fut caractérisée en Espagne par une baisse extraordinaire de la valeur monétaire accompagnée d'une hausse considerable du prix des vivres. Depuis longtemps le pays dépensait plus qu'il ne produisait. Il contractait sans cesse de nouvelles dettes envers ses voisins, surtout envers la France, et ses armeés à l'extérieur lui coûtaient mensuellement des sommes très élevées. Aussi la monnaie d'or qui convenait le mieux pour les gros payements, était-elle expédiée abondamment à l'étranger, et bien que les colonies continuassent à en fournir, ce métal restait excessivement rare en Espagne. Sous Philippe IV la crise monétaire prit les proportions d'une véritable | |
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catastrophe, et sous Charles II elle devint encore plus redontableGa naar voetnoot1). Quelque temps avant l''arrivée de Moretus à Madrid le gouvernement espagnol avait pris des mesures financières qui avaient brusquement augmenté les difficultés. Elles furent aussi la cause des embarras d'argent des Pères Jéromites Le roi avait modifié la valeur de la monnaie de cuivre d'une façon tout à fait inattendue. ‘Par ce changement, écrit Moretus, une pistole ne vaut plus que 48 Reales de Vellon au lieu 110 et toutes les caisses sont fermées.’Ga naar voetnoot2). Moretus donne des détails typiques sur la misère que cette décision du roi avait provoquée parmi la population de Madrid, Nous traduisons un passage d'une lettre flamande envoyée par Balthazar à sa mère dès son arrivée: ‘Le changement excessif de la valeur de la monnaie de cuivre est cause de la plus grande pauvreté, des lamentations des grands et des petits, et surtout des plus grosses pertes. Il y a ici une cherté extraordinaire de toutes choses dont vons vous rendrez compte quand vous saurez qu'hier ou a infligé ici publiquement deux cents coups de verges à un boulanger qui fut en outre condamné à quatre ans de galères, uniquement parce qu'il réclamait un maravédis de plus que le prix de douze écus fixé pour un pain qui à ce moment ci n'en vaut pas deux à Anvers. On craint qu'à la suite de cette rigueur de la justice, les boulangers, qui pour la plupart habitent à trois milles d'ici, ne veuillent plus venir au marché, ce qui causerait beaucoup de misère et de désolation’Ga naar voetnoot3). Balthazar Moretus avait commencé à dresser une liste des prix des vivres à Madrid pendant son séjour dans cette ville. Elle est malheureusement incomplète. ‘Lavoine, dit il, y valoit une pistole la mesure de viertel. - Le pain neuf souls et demi, qui ne vaut a Anvers que 2. - Le vin se pèse et 25 livres de poits valoient trois patacons. Sont huit pots à fr. 1-16 le pot. - Le pot de biere, dix souls seize quartos les 8 1/2 font un Real. - Un oeuf deux souls. - Une poule un escu’. Moretus a noté également la dépréciation des différentes [espèces de] monnaies. Ce petit document nous semble assez intéressant pour le reproduire ici: ‘Une pistole ou doblon fait à Madrid qua- | |
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tre escus ou pesos de Reales de a ocho de plata qui font 32 Reaux de plata (tout pur). ‘Le doblon ou pistole vaut à present 1680, 3 Juillet, 48 Reaux de vellon suivant le baissement de la monnoye. Quand le change vat a 110 pr Dr alors le Real de plata fait justement cincq souls en flandre. Quand le doblon ou la Pistole va a 49 1/2 Reaux de vellon et que le change vat a 110 le Real de vellon vaut allors 3 1/2 souls en flandre. Dans un Real de vellon vont huit quartos et un ochavo; dans un Real de vellon vont dix et sept ochavos. Quand le doblon va a 49 1/2 Reaux de vellon et que le change va a 132, alors le Real de vellon vaut quatre souls, et valant la pistole quarant huit Reaux conte a present les 3 pr. ct de benefice...? Il vont dans un Real 34 maravedis de plata ou de vellon c'est tout la mesme chose. Le Ducat de plata et de vellon fait 11 Reaux de plata et un maravedis. Dans un ducat vont 375 maravedis. Un Real de a ocho font huit Reaux de plata. Il n'y a dans l'Espagne valable autre or que les Pistolles. Une pacatacon (sic) fait à présent que le Doblon vat a 48 Reaux de vellon fait un real de a ocho ou un patacon douze Reaux de vellon et huit Reaux de plata de sorte qu'il faut rabattre la troisième partie de tout le vellon pour le faire en plata. Quand le doblon allait a 110 Reaux de plata le Real ne valoit que.... souls lorsque le change ettait.... Quatre tarja fout un Real de vellon. Quand de Doblon valoit 110 Reauls de plata et que le change alloit a 110 gros alors chaque Real de vellon ne valoit qu'un soul et 103/227’. On n'est donc pas étonné d'entendre assurer par le R.P. d'Alcorez à Balthazar Moretus dès son arrivée à Madrid que ‘le changement de monoye aiant serree tous les coffres du Roy’, il se trouvait et se trouverait probablement encore longtemps dans l'impossibilité de payer l'ancienne detteGa naar voetnoot1). | |
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Les Pères Jéromites avaient modifié du tout au tout leur proposition de payer en nature. Ils refusaient de livrer la laine de 1679 et même celle de 1680 sous pretexte qu'elle était déjà vendue. Ils voulaient commencer l'affaire seulement avec la laine de 1681 et de 1682, et encore à des conditions entièrement nouvelles. Les Moretus paieraient la moitié de la laine en argent comptant au prix le plus élevé, chaque année en Mai et à la St Jean. Ils insistaient par contre fortement sur une autre proposition pour règler leur dette vis-à-vis de leurs créanciers anversois. Déjà en 1678 ils leur avaient fait suggérer quelque chose de semblableGa naar voetnoot1). Les Moretus recevraient pour le règlement de leur créance une maison à Madrid. Les Pères revenaient maintenant sur cette proposition et mettaient tout en oeuvre pour qu'on l'acceptât de préférence à toute autre. Balthazar Moretus s'en montra très embarrassé. Il demanda à pouvoir y réfléchir et mit immédiatement sa mère au courant, car en dernière instance c'était tout de même elle qui décideraitGa naar voetnoot2) Entretemps il se rendit à Madrid pour demander conseil à quelques bons avocats et conseillers du roi. Il fit de son mieux pour être reçu en audience par le Comte de Bergeyck. Sa mère lui avait en effet recommandé de se faire bien voir par son excellence afin de pouvoir compter sur son influence en cas de besoinGa naar voetnoot3). Avant son départ de Bruxelles, Balthazar avait rendu visite au fils du Comte de Bergeyck, ‘Monsieur le Commis Bergeyck’, muni d'une lettre d'introduction de son oncle Pierre Goos. Il lui demanda une recommandation pour se présenter chez son père à Madrid. Comme Pierre Goos était apparenté par sa femme aux de Bergeyck, Balthazar fut très bien rcçu à Bruxelles et oblint ce qu'il demandaitGa naar voetnoot4). Jean-Baptiste de Brouchoven, conseiller à Madrid, chargé des affaires des Bays-Bas, élevé depuis 1676 au rang de Comte de Bergeyck, était un personnage très influent à la cour d'Espagne, où il défendait avec dévouement les intérêts de ses compatriotes. En | |
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1680, l'année avant sa mort (Toulouse 1681) il était à Madrid et Moretus espérait bien trouver auprès de lui aide et protection. Mais il n'était guère facile d'entrer chez le Comte de Bergeyck. ‘J'ay esté 8 fois en vin, écrit Moretus, tan en carosse qu'a pied lorsque je luy ay parlé’Ga naar voetnoot1). Le comte n'était pas de bonne humeur le jour où Moretus lui rendit visite sa fille, issue de son premier mariage avec Hélène Fourment, la veuve de Rubens, avait fui la maison paternelle et était sur le point d'épouser, contre la volonté de son père, le marquis de VillafloresGa naar voetnoot2). Ce fut la raison pour laquelle Moretus ne reçut pas autant de renseignements du comte qu'il en eût désiré. ‘Il me conseillat toute fois, écrit Moretus, de prendre les laines a cest condition et estima plus encore la Maison’Ga naar voetnoot3). Le comte connaissait cette maison, car il avait pensé un moment à aller l'occuper lui-même. Personnellement Balthazar Moretus aurait bien accepté la maison pour aplanir les difficultés. Par le journalGa naar voetnoot4) qu'il rédigea pendant son séjour à Madrid et où nous puiserons encore d'autres détails, nous savons qu'il allait souvent voir le bâtiment et qu'il l'appréciait beaucoup. C'était un grand hôtel seigneurial, à l'achèvement duquel vingt hommes travaillaient encore. Le conducteur des travaux lui assura qu'il y avait encore de la besogne pendant quatre mois pour au moins quarante hommes.Ga naar voetnoot5) Il y avait de très belles chambres, des alcôves, des étages, des salles, des pavillons; une écurie pour plus de quarante chevaux; une remise pour huit ou dix carrosses; une écurie spéciale pour chevaux malades; un quartier pour les valets, les cochers et les pages; de grandes caves, ce qui est très rare en Espagne, même une grande citerne et des fontaines alimentées directement par des sources; et un vaste jardin. C'était certainement une des maisons les plus belles et les plus confortables que l'on pût, trouver dans le pays. Moretus et ses amis évaluaient la maison ‘à la volée’ à environ cent mille florinsGa naar voetnoot6). Pour que sa mère puisse se représenter l'immeuble, il le compare dans une de ses lettres à la maison plantinienne à Anvers: ‘C'est | |
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vraiment une très spaciense et belle bâtisse, bien plus grande que toute notre imprimerie plantinienne augmentée de tout le carré de maisons du Marché du Vendredi, de la Rue du St Esprit etc. Elle est massive et riche de construction et a presque autant d'espace au carré que tout le bloc susdit. Si elle se trouvait à Anvers elle produirait largement quatre cents livres flamands par anGa naar voetnoot1) Balthazar aurait certainement conclu le marché. ‘Je scay bien, note-t-il dans son journal, que l'on me pourrait dire que de si grands bastimens son subjets a estre peu loués ou bien à de grands seigneurs qui ne payent pas bien. Je confesse qu'en Anvers l'on auroit de la peine pour l'un et pour l'autre mais en cette cour où il y a tant d'ambassadeurs grands seigneurs et cette cour où il n'y manque fort peu d'occasion et mesme l'on en tire des louages ordinairement un interest de six ou sept pr. Ct de revenu qui se doit payer tous les ans par avance et ce qui est à considérer dans cette maison que dans quinze ou vint ans l'on en tireroit le capital qu'elle vaudroit de sorte que tout le reste seroit profit et l'on en auroit encore le fons entier par où nostre vieille doitte estant sattisfaitte par le revenu de cette maison en semblable temps nous en aurions pr. l'interest conquis le font et le bastiment d'un tel édifice...’Ga naar voetnoot2) Balthazar Moretus considérait la proposition des Pères comme d'autant plus avantageuse qu'un certain Don Graniel de Quien s'offrait à louer la maison pour 600 pistoles par an, avec promesse de l'acheter quand la situation financière se serait amélioréeGa naar voetnoot3) Le R.P. d'Alcorez ne laissa pas d'ailleurs d'engager Moretus à conclure l'achat. En ces circonstances il fit preuve d'une perspicacité psychologique peu commune. Il soutint d'abord que ce n'était qu'à leur corps défendant que les Pères et surtout lui-même se décidaient à la vente de l'immeuble. Jadis ils avaient acheté des montagnes de pierres pour achever l'Escurial et c'est avec le restant qu'ils avaient fait construire cette maisonGa naar voetnoot4). Ils y avaient mis tous leurs soins et étaient très fiers de cette propriété. Le R.P. d'Alcorez jura, les larmes aux yeux, que s'il connaissait d'autres moyens de règler l'ancienne dette, il ne ferait certainement pas abandon de ce | |
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bâtiment. ‘Il ne quitteroit pas ce bijou, l'aimant comme les mères leur petit enfant quisqu'il l'avoit pendant le temps de six ans avec tout le soin, l'affeccion et Zele immaginable achepté, édifié et apres bien des travaux et des ruses mis en l'estat que le voicy...’Ga naar voetnoot1). C'étaient là des arguments d'ordre sentimental qui faisaient de l'effet sur Moretus. Le P.R. d'Alcorez en avait encore d'autres dans son sac! Parcourant un jour le bâtiment avec son fournisseur anversois, il lui fit remarquer combien les écuries se prétaient admirablement à l'installation d'une imprimerie!Ga naar voetnoot2) Moretus avait beau lui répondre qu'il ne suffisait pas d'avoir de la place pour organiser une imprimerie, qu'il fallait encore bien d'autres choses, plus qu'on ne se le figure, le R.P. d'Alcorez n'abandonnait pas son idée et certifiait que le couvent était bien décidé à créer une imprimerie au cas où l'accord avec les Moretus ne se ferait pasGa naar voetnoot3). Ce n'étaient pas là des menaces en l'air. Moretus avait en effet découvert encore autre chose qui le préoccupait fortement. Les Pères de l'Escurial avaient depuis quatre ans de sérieuses raisons de se plaindre des procédés de leurs fournisseurs anversois. Les Moretus ne leur expédiaient plus tout ce qu'ils demandaient et ils ne le faisaient plus avec la célérité de jadis. Ils entendaient ainsi marquer leur mécontentement pour le non-payement de l'ancienne dette. Et les Jéromites, mécontents à leur tour, avaient proposé tout bonnement à des imprimeurs de Lyon de contrefaire les éditions de l'officine plantinienne! Balthazar avait eu en main un missel in-folio plano, daté de 1679, une contrefaçon cynique, portant le nom des Moretus comme imprimeurs-éditeursGa naar voetnoot4)! Même pendant son séjour les Pères avaient reçu de Lyon quantité de ballots d'imprimés. ‘A fin de vous montrer, écrit-il à sa mère, comment les Lyonnais se livrent à la contrefaçon de notre rezado, je vous ai envoyé dans une caisse, partie la semaine dernière pour Bilbao et adressée au Sieur Carlos du Pont, deux livres de leur impression. Vous et les amis pourront ainsi juger du tort que nous souffrirons de tout cela si nous ne parvenons pas à l'empêcher dès le début’Ga naar voetnoot5). Ces Lyonnais peu scrupuleux étaient les Anissons qui avaient même délégué | |
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un des leurs à Madrid pour y agir avec plus d'énergie encoreGa naar voetnoot1) A propos de cette découverte désagréable, Balthazar écrit dans son journal: ‘J'estois cependant informé que les Pères avoyent receu des livres de Lions et qu'il estoit imprimé sur le nom de nostre imprimerie Plantinienne ce qui me fit aller encore ce soir chez un libraire flamand pour en avoir l'éclaircissement et pour tacher d'avoir les prix comme les Pères vendent nostre rezo et je trouvé que il leurs estoit permis de les vendre 25 pr. ct. plus qu'ils ne les acheptent de nous et l'on me dit en mesme tems qu'ils avoit receu une grande quantité de Missale Rom. con canto Toletano in folio parvo de l'année 1679 imprimé avec nostre nom de Ex officina Plantiniana apud Viduam et haeredes Balthasaris Moreti 1679, ce que j'ay veu depuis estre tres veritable, comme aussi qu'ils en avoyent receu encore deux mil Manuales o Rituales Toletanae in 4o de cette année 1680 sur nostre même nom...’Ga naar voetnoot2). Ayant découvert un exemplaire de la contrefaçon du Missale Romanum dans la bibliothèque du Musée Plantin Moretus (A. 1543), nous estimons qu'il y a lieu d'en signaler certaines particularités. C'est un in-folio, relié de veau estampé de fers très élégants qui trahissent de suite leur origine française. Voici le titre complet: Missale Romanum ex decreto sacrosancti Concilii Tridentini restitutum Pii V. Pont. Max. Iussu editum, et Clementis VIII, Primum, nunc denuo Urbani Papae Octavi auctoritate recognitum. In quo Missale propriae de Sanctis ad longum positae sunt ad majorem celebrantium commoditatem Antverpiae, ex officina Plantiniana apud Viduam & Heredes Balthasaris Moreti M. DC. LXXIX. C'est le même titre que celui des éditions du Missale Romanum publiées par les Moretus depuis 1614. La dernière édition anversoise, avant 1679, dont nous ayons trouvé un exemplaire est de 1672. Nous comparons la contrefaçon lyonnaise de 1679 avec cette edition d'Anvers. Au-dessus de l'indication de lieu sur la page du titre on a dans l'édition de 1672 une gravure sur cuivre anonyme, représentant l'adoration et l'encensement du S. Sacrement par des anges (165mm × 112mm). On a une copie de cette gravure au même endroit de l'édition | |
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lyonnaise ne 1679. Elle est toutefois un peu plus petite (140mm × 90mm) et porte la signature Math. Ogier fecit. Ce nom indique déjà l'origine lyonnaise du livre. Le graveur M. Ogier travailla en effet dans cette ville de 1680 à 1710Ga naar voetnoot1). Au bas de la copie, en très petits caractères d'impression: juxta exemplar. C'est la seule indication qui prévienne très discrètement que la gravure n'est pas originale. Le texte liminaire de l'édition de 1679 est absolument identique à celui de 1672. Les initiales ornées sont autres dans les deux éditions, excepté un C gravé sur bois avec représentation de la Cène. Pour l'edition lyonnaise on a copié deux fois le C de l'édition anversoise. Une cruche à vin, qui se trouve à droite sur le C-Moretus, se trouve à gauche sur un des C-Anisson, et sur un autre de nouveau à droite. Les gravures à pleine page, conçues par P.P. Rubens et gravées par Théodore Galle pour le Breviarium édité par B. Moretus en 1614 et employées également pour le Missale de la même année, reviennent dans tous les missels ultérieurs des Moretus, celui de 1672 inclus. Les encadrements ornant les pages vis à vis de ces grandes gravures, dessinés et gravés par Théodore Galle, sont aussi reproduits dans les éditions suivantes des Moretus. Dans la contrefaçon de 1679 ces encadrements sont supprimés, mais les grandes gravures sont remplacées pour la plupart par des copies défectueuses des planches Rubens-Galle. L'Annonciation (Oeuvre de Rubens, no 1252) est remplacée dans l'édition lyonnaise par une autre composition plus ou moins conçue dans le style rubénien, et signée F. HovatGa naar voetnoot2). L'Adoration des Bergers (OEuvre, no 1253) fut maladroitement copiée par F.H.A la place de l'Adoration des Mages (OEuvre, no 1254), l'édition Anisson présente une composition quelconque signée P.H. L'Ascension (OEuvre, no 1255a) y est copiée par Math. Ogier (sculp. Lugd.); la Résurrection (OEuvre, no 1255) par F. Hovat. La Déscente du St Esprit (OEuvre, no 1256) par F. Hovat ainsi que La Cène (OEuvre, no 1257). Math. Ogier fit une copie de l'Ascension de la S. Vierge, où les personnages placés à droite dans l'original (OEuvre, no 1258) se trouvent à gauche. La Toussaint (OEuvre, no 1259) fut piteusement copiée par F. Hovat. Certains culs de lampe, gravés sur bois par Chr. Jegher et em- | |
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ployés par Moretus dans le Missale, furent aussi imités par les d'Anisson. C'est le cas, par exemple, pour le cul de lampe très connu, représentant la Flagellation, que nous retrouvons dans l'edition de Lyon avec les personnages de droite à gauche. Mais revenons à notre sujet. Le R.P. d'Alcorez avait déclaré en fin de compte d'une façon très catégorique que les Jéromites ne traiteraient plus jamais avec la maison anversoise si leurs conditions n'étaient pas acceptées. Et ce qui était plus grave encore, ils menaçaient de faire défendre en Espagne et dans les Indes l'importation de livres anversois, s'ils n'obtenaient pas satisfactionGa naar voetnoot1). Balthazar, justement saisi de crainte devant cette brutale mise en demeure, envoya une lettre urgente à sa mère pour lui conseiller d'accepter les propositions des Pères: a) la maison à Madrid en payement de l'ancienne dette; b) l'envoi immédiat d'Anvers de tous les livres que les Pères commanderaient; c) leur promesse de payer désormais d'une façon très régulière toutes les nouvelles livraisons. Les Pères ne voulaient à aucun prix entendre parler des hypothèques que la mère de Balthazar Moretus avait fait demander en garantie des payementsGa naar voetnoot2). Ils étaient indignés de cette proposition. Leur réponse dédaigneuse témoigne de leur fierté blessée: ‘(ils) estoient estonné que je leur démandois des hypotecques’, écrit Balthazar à Anvers, mais ils excusaient la demande ‘voyant que cestoit une conseille de femme quelle ne cognoissoit pas leur calitée et que le moindre petit bois qu'ils avoient estoit suffisant pour cette causion de tout...’. Maman et les ‘amis’ ne devaient pas prendre une décision à la légère. Si les propositions des Pères étaient rejetées, c'en était fait du commerce du rezo avec l'Espagne. Ce serait là une perte irréparable pour l'imprimerie anversoise. ‘Alors il nous seroit impossible de faire tant d'impressions nouvelles qui seroit perdre beaucoup nostre réputation que nous avons de pouvoir fournir tous la Chrestienté des livres nouveaux plus que personne...’ Il préconise avec chaleur l'achat de la maison pour laquelle il a déjà trouvé un locataire. Il termine par un cri d'alarme sur le grand danger qui menace la maison d'Anvers. Ce serait une véritable catastrophe, | |
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écrit-il à sa mère et aux ‘amis’, ‘d'avoir par faute de vostre resolution perdu toute la correspondance que tous mes antesseures on eux depuis 80 ans dans tout lespaigne avec tant d'avantage et tant de reputation’Ga naar voetnoot1). A la réception de cette lettre Madame Moretus a eu plus d'une conférence avec Pierre Goos, Jean de la Flie et le révérend Pierre Hillewerve dans le but d'examiner les mesures à prendre dans ces circonstances embarrassantes. Elle se rendait fort bien compte des difficultés dans lesquelles se débattait son fils à Madrid et elle tâchait de relever son courage autant que possible. ‘Nous prions Dieu pour qu'il vous aide!’ lui écrit elleGa naar voetnoot2). Pour le reste, malgré son animosité contre les Pères, elle examinait froidement le pour et le contre de leurs propositions. L'enjeu était trop important pour se laisser entraîner par la colère et de tout ce qu' Anne Goos à écrit à ce sujet il ressort qu'elle était une femme d'affaires clairvoyante et prudente. Dans une lettre confidentielle à Balthazar elle se plaint amèrement des Pères du Couvent de l'Escurial. ‘Ces gens agissent fort mal avec nous’ écrit-elleGa naar voetnoot3). Les Pères, devaient être instigués par des personnes jalouses, ou bien ils voulaient simplement faire peur aux Moretus pour obtenir un nouveau délai de payement et les forcer à l'achat de la grande maison à Madrid. De temps en temps elle devient ironique! Par rapport à la menace des Pères d'acheter les livres chez d'autres imprimeurs, elle dit d'une mannière aigredouce: ‘ils paieront probablement avec leur argent comptant!’Ga naar voetnoot4). Malgré tout, Madame Moretus continuait à avoir confiance en son fils. Il avait ses pleins pouvoirs et sa procuration écrite et pouvait agir à Madrid d'une façon absolument libre et autonome. Sur un point seulement elle était intraitable! Elle ne voulait à aucun prix de la maison des Pères. Son veto était formel: ‘Je vous ordonne simplement de ne pas acheter pour mon compte la maison de Madrid’. Elle consentait à tout excepté à cet achat. Elle préférait laisser la grande dette impayée pendant un certain temps en- | |
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core; elle voulait faire abandon de la laine quoique les Pères eussent manqué à leur parole en cette affaire. Elle se serait contentée à la rigueur d'un engagement solennel de la part du Chapitre de Saint Laurent de payer la dette en déans un terme à convenir. Balthazar n'avait qu'à proposer lui-même les modalités, - il pouvait agir à sa guise - du moment qu'il ne prenait pas la maison. En posant ses conditions en vue de nouvelles négociations elle examine soigneusement toutes les possibilités favorables et défavorables, mais elle se fie surtout à l'adresse de Balthazar. C'était tout de même lui qui avait le plus d'intérêt à une solution avantageuse! ‘Ce point vous touche le plus comme successeur à la direction de l'imprimerie’ lui écrit elle. Elle lui conseille de ne pas s'engager d'expédier les livres d'Anvers à Madrid à des dates fixes. On n'a jamais la certitude de disposer de bateaux à ces moments et il n'est pas possible non plus d'être toujours prêt avec l'impression au terme fixé. Elle lui conseille également de ne pas accepter que les Pères payent des intérêts au cas où ils ne régleraient pas leur compte à la date convenue. Cela ne ferait que provoquer de nouvelles difficultés qui pourraient avoir comme conséquence qu'à la longue tout le capital des Moretus passât en EspagneGa naar voetnoot1). Le 18 Juin et le 2 Juillet Madame Moretus réitère ses ordres et ses recommandationsGa naar voetnoot2). Quand Balthazar apprit que sa mère et les ‘amis’ ne voulaient en aucun cas se décider à prendre la maison des Pères, il se trouva de son propre aveu dans une ‘perplexité et une confusion horrible’Ga naar voetnoot3). Tout ce qu'il avait arrangé au prix de longues discussions avec le R.P. d'Alcorez s'effondrait et il ne voyait aucune autre manière de sortir de ce cruel embarras. Il était plein de ‘resentimens et facheries’Ga naar voetnoot4). mais il parvint cependant à les surmonter. ‘Je ne m'en veux plus rompre la teste, écrit il dans son journal, et songer seulement a trouver d'autres moyens’Ga naar voetnoot5). ‘Ce m'est au moins beaucoup de soulagement, apres tous mes travaux, y ajoutet'il, qu'au moins ce n'a pas tenu à moy de la procurer une condition a mon advis assez avantageuse pour extinguer sa vielle debte et luy | |
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donner un fons assez suffisant et qui lui auroit rendu des la première année deux fois autant et plus d'interest quelle tirrera de l'argent dont par d'autres contracts elle doit attendre avec le temps et avec pasience le capital par pièces. Je me soumets donc aux raisons et jugements quelle en a eue de ceux qui sont dun autre sentiment et mets touts mes devoirs passés en oubly pour en recommancer de nouvaux afin de montrer a mes amis que je veux estre constant a les servire et ne pas perdre courage’Ga naar voetnoot1). Il prit des informations sur la fortune des Pères Jéromites de manière à connaître leur situation de fortune exacte pour les pourparlers ultérieurs. Les richesses des Pères étaient telles qu'elles excluaient toute crainte. Moretus nota dans son journal tout ce qu'il put apprendre à ce sujet. Les Pères étaient ‘maîtres, seigneurs et possesseurs’ de quantité de petites villes et de villages tel que Dekesas, Fresneda, Quegigal, Guadeloupe, Casas y lugares, Tierras de la Abbadia de Parreses, qu'ils avaient reçus des rois d'Espagne et qui représentaient une valeur de plus de quatre millions de ducats. Ils possédaient en outre des bois, des vignobles et des prairies libres de rentes et d'hypothèques. Ils étaient propriétaires de toutes les terres et récoltes à huit lieues autour du couvent de l'Escurial. Ils donnaient journellement à manger à 656 personnes qui dépendaient du couvent, ce qui leur coûtait environ 100.000 ducats. Ils disposaient de la laine de 32.000 moutons sans devoir payer pour la location des prairies. La laine qu'ils vendaient annuellement avait une valeur moyenne de 40.000 ducats vellon. L'anneé 1680, la vente s'éleva à 50.000 ducats. Les Jéromites avaient aussi le privilège de l'impression et de la vente des bulles de la Cruzada. Ces bulles accordaient aux habitants de l'Espagne et des Indes l'autorisation de manger de la viande le samedi, à condition de payer de ce chef deux reales vellon par an. La vente de ces bulles était permise seulement en Espagne et dans les Indes et rapportait annuellement d'énormes sommes au pape, mais les Jéromites en avaient aussi un revenu annuel de 6000 ducats de plata. Les Pères jouissaient encore du privilège de la vente des livres liturgiques avec un bénéfice de 25% sur le prix d'achat. Moretus note cela dans son journal et y ajoute que les Pères gagnaient parfois plus encore sur les reliures. | |
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Les Jéromites touchaient en outre les avantages de multiples faveurs royales, rentes et dîmes dans bon nombre de villages aux environs de Madrid. Dans la ville même ils ne possédaient que le bâtiment qu'ils voulaient vendre aux Moretus, et la maison où le R.P. d'Alcorez dirigeait la librairie, près du palais royal di Retiro et du Prado de San Hieronymo. Comme pertes Moretus ne note que les gros intérêts annuels que les Pères payaient pour les emprunts occasionnés par les constructions de l'Escurial. Au couvent des Soeurs Thérésiennes ils devaient annuellement 80.000 réales de vellon pour les intérêts de l'argent empruntéGa naar voetnoot1). Plus tard Balthazar apprit encore par M. Hambourg, agent du R.P. d'Alcorez, que les imprimeurs de Lyon vendaient leurs contrefaçons 25% moins chers que la maison anversoise. Il apprit encore que le R.P. d'Alcorez jouissait de la faveur du roi et de tous les grands de la courGa naar voetnoot2). Muni de ces renseignements, Balthasar écrit une lettre au R.P. d'Alcorez pour lui faire savoir ce que Madame Moretus pensait de ses propositions et pour l'inviter à chercher avec lui une autre solution à l'amiable. Quoique Moretus eût craint un refus, le R.P. d'Alcorez se déclara disposé à négociér à nouveau et se déclara bientôt prèt à accepter les nouvelles propositions prévoyant le paiement de l'ancienne dette par annuités. Balthasar reçut une déclaration ecrite, promettant déjà pour le mois d'Octobre suivant un premier versement de 3000 ducats vellon. Ou esquissa, dans ses grandes lignes, un nouveau projet et on suspendit toutes les conférences sur ce point pour attendre l'approbation de Madame Moretus. La rencontre de Balthazar et du R.P. d'Alcorez eut lieu le 25 Juin et déjà le lendemain le Courrier des Flandres emportait le compte-rendu de cette entrevue pour Madame Moretus. Balthazar fit savoir à sa mère qu'il avait exposé au Père d'Alcorez sa manière de voir avec beaucoup de circonspection et que l'accueil avait été sympathique. Il voulait montrer aux amis anversois que ‘malgré toutes les difficultés et malgré tous les changements’ son zèle n'avait pas diminué. Il envoie le projet à l'examen et insiste vivement pour qu'on expédie d'Anvers aussitôt que possible les ballots de livres commandés par les Pères. Dorénavant on devait | |
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faire tout ce que était possible pour combattre la concurrence de Lyon. C'était là maintenant, le point culminant du débat. Balthazar annonce à sa mère que par tous les moyens à sa disposition il tâchera d'empêcher que les Pères se fournissent encore à Lyon. ‘Soyez certaine, écrit-il, que j'ai fait entendre de vives doléances à propos de l'abus fait de notre nom sur les livres de Lions. Les Pères me disent qu'ils n'ont pas donné ordre de faire cela, et ils promettent qu'à l'avenir ils empêcheront par tous moyens l'éntrée en Espagne de livres liturgiques autres que ceux imprimés par nous. à condition toutefois que nous parvenions à nous entendre’Ga naar voetnoot1). Madame Moretus se montra très contente à la lecture de cette lettre. Elle loua son fils pour la prudence avec laquelle il avait fait comprendre aux Pères qu'elle ne voulait pas de la maison. Elle lui exprime sa confiance et croit bien ‘qu'il mènera tout à bonne fin et qu'il fera des négociations avantageuses’. Elle se plaint amèrement de la contrefaçon de leurs livres par les Lyonnais et est très curieuse d'en voir des specimens; mais elle conseille à Balthasar de ne pas rentrer par Lyon pour ‘y reprocher leurs actes indélicats à Messieurs Anisson’ comme il en avait annoncé l'intention. Elle estimait que le détour aurait été trop grand et que Balthazar pouvait tout aussi bien exprimer son mécontentement par lettre. Les Anissons se rappelleraient bien, espérait Madame Moretus, que feu son mari, dans un cas analogue, était intervenu avec succès auprès de la firme Verdussen à AnversGa naar voetnoot2). Après beaucoup de ‘débats, difficultés et disputes’, Balthazar s'était finalement mis d'accord avec le Père d'Alcorez ‘et les autres de sa maison’. Il envoie cette nouvelle à Anvers le 1 Juillet 1680, dans une lettre joyeuse et enthousiaste comme un bulletin de victoireGa naar voetnoot3). Balthazar et le Père d'Alcorez, tenant compte des réductions consenties au cours des négociations et de tout ci qui avait été payé depuis leur commencement, ‘constatèrent et arrêtérent que pour l'ancienne dette tant de Madrid que de Séville, la maison de St Lorenzo devait encore reales 217 ∨ 756 de plata et reales 91 ∨ 063 de vellon, lesquelles sommes faisaient ensemble Ducados 19 ∨ 743- | |
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ij 78 mis de plata, ij Ducados 8 ∨ 256-ij 139 mis de vellon. On s'était mis d'accord que les Pères payeraient chaque année, à partir du premier Janvier 1681, Ducatos 3 ∨ de plata ij. D. 3 ∨ de vellon en deux termes, à savoir une moitié à la Saint-Jean et l'autre à la Noël, et ainsi de suite chaque année jusqu'à, ce que toute la dette serait rayée’. Après avoir communiqué encore quelques dispositions spéciales sur la façon dont s'opérerait le payement, Balthazar exprime très humblement l'espoir que sa mère sera satisfaite de lui, d'autant plus que pour ces payements le change pouvait leur devenir très favorable. ‘C'est là tout ce que j'ai pu obtenir et accorder pour la liquidation de l'ancienne dette, écrit-il. Je me suis donné beaucoup de peine et j'ai du discuter et argumenter rudement pour arriver à ce résultat. J'espère donc que, même si la solution n'est pas entièrement celle que vous auriez désirée, vous apprécierez l'activité et la prudence dont j'ai fait preuve dans cette affaire autant que ce métait possible. Considérant que depuis la “baja della Moneda” le doublon ne vaut que 48 reales de cuivre, il me semble qu'il est très avantageux que le vellon vous soit payé en trois ans et que vous bénéficiiez plus de cent pour cent sur cette opération si, comme tout permet de le prévoir, le change ne se modifie pas. Où jadis vous avez dû compter 110 Reales de vellon pour une pistole, vous n'en devrez plus que 48, et au lieu d'une pistole, vous en recevrez deux et 14 Reales de vellon’. Balthazar ajouta à sa lettre ‘le projet des conditions pour la nouvelle correspondance’. Tous les ouvrages liturgiques que la Maison Moretus enverrait en Espagne, seraient destinés exclusivement au Couvent royal de San Lorenzo. Ou réglerait leur prix endéans l'année, à partir du jour où les balles seraient arrivées à l'Officine de Madrid’. Le payement se ferait en quatre fois, à chaque trimestre le quart de la valeur des livres reçus, une moitié en plata et l'autre en vellon, bien entendu que le vellon se payerait en pistoles ou en doublons suivant le cours du jour et non plus en cuivre. La chose essentielle dans ce nouvel accord était que les Moretus conservaient le monopole pour la fourniture des livres liturgiques en Espagne et dans les Indes. ‘Le Père Nicolas de Alcorez, administrateur général, et ses successeurs sengagent à ne point acheter ou commander des ouvrages liturgiques ni en France ni dans les Pays-Bas, et continueront à laisser le monopole de ces livres à l'imprimerie plantinienne’. | |
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C'était là une décision très importante dont pendant longtemps en ressentirait les heureux effets. D'après les livres de comptes, conservés dans les archives plantiniennes, le commerce des ouvrages liturgiques avec les Jéromites continuait encore au 18e siècleGa naar voetnoot1). Le contrat devait être solennellement ratifié par toute la communanté de S. Lorenzo à l'Escurial même. Balthazar et le Père d'Alcorez décidèrent de s'y rendre et d'y passer quelques jours. S'étant bien informé auprès de quelques avocats, notaires et conseillers, Balthazar était d'avis que pour donner au contrat sa pleine valeur, il était en effet désirable de le soumettre à l'examen des Pères. En fin de compte Balthazar était très content du résultat de ses pourparlers avec le Père d'Alcorez et dans sa lettre du 10 Juillet 1680, il expose longuement les raisons de sa satisfaction. ‘Je ne sais pas si je puis m'estimer assez heureux d'avoir dans toute cette affaire réalisé quelque chose qui puisse, vous être agréable ainsi qu'aux amis. Je me figure avoir fait tout mon possible pour le bien-être de la maison et la prospérité de notre Imprimerie Plantinienne. J'ai fait mon devoir en tenant compte des dernières recommandations de feu mon père, et j'ai l'assurance que ce n'est pas faute d'efforts ou de bonne volonté si les intérêts de notre maison n'ont pas été mieux sauvegardés. Tout cela a coûté plus d'argent que je n'avais prévu, mais tout est exessivement cher ici, et l'or a si peu de valeur que vous ne pouvez pas vous en faire une idée sans l'avoir vu et constaté par vous même. En temps et lieu je mettrai les amis au courant de tout cela’Ga naar voetnoot2). C'était là le revers de la médaille, mais malgré les grands frais de séjour à Madrid; malgré sa maladie, ses consultations d'avocats et de conseillers; malgré ses dépenses pour l'expertise de la maison et pour ses vêtements, Balthazar était optimisteGa naar voetnoot3). Le nouvel accord lui semblait plus avantageux que celui proposé jadis avec la laine. ‘D'après moi, écrit-il à sa mère, les conditions actuelles nous sont plus avantageuses. Si nous avions acheté toutes les laines, nous aurions bien souvent été embarrassés de les revendre sans pertes, et nous ne serions probablement pas rentrés dans nos fonds avant un très grand nombre d'années. Nous n'aurions pas pu vendre les laines sur les moutons, ni contre argent comptant, | |
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puisqu'il entrait dans les intentions des Pères de nous les faire payer au plus haut prix atteint par les meilleures laines. Ce qui plus est les Pères ont vendu leurs laines à différentes personnes avec faculté de paiement au bout de deux à trois ans et plus, après la négociation. Nous aurions donc dû traiter avec un grand nombre de personnes, dans des pays divers et nous aurions été exposés à des pertes bien souvent’. La solution avec la maison lui semblait encore toujours la plus favorable, mais puisque sa mère et les amis avaient des raisons pour ne pas l'accepter, il n'insiste plus et s'estime heureux du règlement intervenu. ‘Si nous n'étions pas parvenu à nous mettre d'accord, les Pères étaient décidés à traiter avec ceux de Lyon, qui auraient fourni le “rezo” à 20% meilleur marché que nous et avec de grandes facilités de paiement’. Ce danger est évité maintenant et il en était grand temps! Les Anissons étaient aux aguets. ‘Je tiens de la bouche même du R.P. Nicolas d'Alcorez, écrit Balthazar que le jour après notre accord, le membre de la famille Anisson qui habite ici est allé auprès de lui pour connaître sa décision. Il a pu lut répondre catégoriquement (grâce à la conclusion de contrat) qu'il ne voulait ni ne pouvait encore avoir des relations commerciales avec ceux de Lyon’. Les amis verraient ainsi combien le voyage de Balthazar à Madrid avait été nécessaire et combien heureux étaient les résultats obtenusGa naar voetnoot1). Le dernier acte de la mission de Balthazar allait avoir lieu à l'Escurial même. Il désirait faire bonne figure à cette visite cérémonieuse. Il savait d'ailleurs qu'il allait y rencontrer une société très distinguée de religieux dont un très grand nombre étaient des fils de ducs, de princes ou de comtesGa naar voetnoot2). ‘Je songé qu'il me faudroit un habit de campagne, écrit-il dans son diaire à la date du 15 Juin, le mien estant tres mal bati taché et en ordre (sic) pour comparoitre devant le Prieur et les autres Pères à l'Escurial. J'alloy donc ce jour voir chez un marchand francois à voir des etoffes et en pris une la plus nouvelle et plus belle que ie pouvois avoir et plus legere mais forte que j'y trouvois me faisant faire l'habit d'un tailleur francois, fait a la chambarge’Ga naar voetnoot3). | |
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Balthazar ne perdit pas de temps et déjà le 11 Juillet suivant il put faire sa visite à l'Escurial. Il en donne un compte-rendu très étendu à sa mère et aux amis anversois, dans une lettre flamande dont nous traduisons des passages: ‘Vers six heures du soir nous partîmes avec le Père de Alcorez et les autres délégués, dans un carrosse de la cour traîné par six beaux mulets blancs, accompagnés de plusieurs amis à cheval, vers l'Escurial, situé à sept milles de Madrid, où nous arrivions vers cinq heures du matin. Nous y fûmes reçus par tous les religieux et par les chefs avec des marques d'amitié et d'estime peu ordinaires. Nous sommes allés saluer le Révérendissime Père Prieur qui m'embrassa avec joie et bienveillance. Après lui avoir présenté vos hommages et ceux des amis nous avons pris un peu de repos. Entretemps toute la communauté s'est réunie au son des cloches pour délibérer sur les points conçus et accordés par le Père Nicolas de Alcorez, lesquels furent approuvés à l'unanimité après quelques éclaircissements. Le lendemain matin je me suis rendu à l'assemblée générale du Rme Père Prieur et de tous les “discrets” du dit couvent royal. Après que les contrats eurent été lus par le notaire, nous nous sommes mis d'accord sur leur contenu’. La signature de ce document était pour les deux partis et surtout pour les Moretus un événement de grande importance. Le R.P. Prieur ne manqua d'ailleurs pas de l'exposer ‘en termes très heureux’. Les rapports commerciaux entre la Maison anversoise et le couvent de l'Escurial n'avaient été jadis établis que sur simples lettres, sans aucun engagement ni contrat. Le Prieur remercia les ancêtres de Balthazar d'avoir dans de pareilles conditions, toujours fait preuve d'honnêteté et de loyauté dans leur négoce. ‘Les cloches sonnèrent à nouveau et tout le chapître se réunit pour entendre encore trois fois la lecture du contrat par le notaire. Le tout fut solennellement approuvé à l'unanimité. Les religieux se déclarèrent liés en leur nom et en celui de leurs successeurs et offrirent comme garantie leurs biens présents et à venir. Après toutes ces cérémonies, le Père Prieur, les “discrets” et les députés, et moi-même, nous prîmes la plume à la main pour signer les contrats qui furent copiés et enregistrés pour leurs archives’. Le Père de Alcorez se chargea de faire imprimer le privilège, de le faire passer par la Santa Cruzada, signer et timbrer, et de l'expédier aussitôt que possible à Anvers. Balthazar parle avec le plus grand éloge de son séjour à l'Escu- | |
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rial. ‘J'attendrai jusqu'à mon retour pour vous raconter avec quelle magnificence et avec quelles caresses, avec combien de civilité et de courtoisie Mr. du Pont, les autres amis et moi-même nous avons été pendant trois jours logés et traités dans ce couvent. Nous avons vu tout ce qu'il y a à voir là bas, des richesses et des objets rares comme je n'en ai jamais vus de ma vie. Le tout est décrit dans un livre que je vous ai envoyé par la voie des mers’. L'ouvrage dont Balthazar fait mention ici est la Descripsion breve del monasterio de S. Lorenzo el real del Escorial, de Francisco de los Santos (Madrid. Imprenta Real, 1657, in folio, avec gravures de P. de Villafranca). Le volume expédié d'Espagne par Balthazar se trouve encore toujours dans la bibliothèque du Musée Plantin-Moretus (B. 660). Balthazar avait accompli sa tâche à Madrid et avait hâte de revenir à la maison. La saison chaude n'était pas très favorable au voyage et il eût été probablement préférable de le remettre, comme la mère de Balthazar le lui avait recommandé par lettre. Mais celuici prétexta qu'il pourrait profiter maintenant de ‘la commodité des nuits fraîches’ qu'on ignorait dans les Pays-Bas. Il régnait en outre en Andalousie une maladie contagieuse qui semblait vouloir s'etendre sur toute l'Espagne, ce qui aurait pu présenter pour lui de plus graves inconvénients. Il y avait encore menace de guerre à cause des nouvelles prétentions de la France. Son désir de revoir les siens le rendait tellement impatient que Balthazar ne voulut pas entendre parler de retarder son voyage de retour. Le 24 Juillet il se mit en route ‘avec l'aide de Dieu’ pour entrer en France par la route de Bilbao, St Sébastien et Bayonne. A Angoulême il alla visiter M. Ysbrand Vincent, ami des Moretus et leur principal fournisseur de papier, et à Paris il attendit les ‘ordres et commandements’ de sa mère. Nous puisons ces détails dans une lettre que Balthazar envoya à Madame Moretus au moment de quitter Madrid. La fin de cette lettre est touchante et donne une idée très sympathique du caractère de l'imprimeur anversois. ‘Si par hasard, écrit-il, (ce dont dieu veuille me préserver) il m'arrivait malheur en route, je vous recommande du plus profond de mon coeur, à vous, ma mère, et à tous les amis, ma femme bien aimée et mes deux très chers enfants. Je vous supplie de toujours laisser croître l'amour et l'amitié que vous leur avez toujours témoignés et que vous leur témoignez encore. | |
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Ils sont l'objet de toute mon affection, de tous mes soucis, le plus grand trésor que j'ai sur terre’Ga naar voetnoot1). Pendant son long séjour à Madrid Balthazar Moretus s'etait montré toujours très préoccupé du sort de sa femme et de ses enfants. Il avait épousé en 1673 Anne-Marie de Neuf. Au moment d'entreprendre le voyage en Espagne il avait une fille, Anne Marie, (née en 1675) et un fils, Balthazar, (né en 1679). La fillette mourut le 5 Juillet, peu de temps avant son retour. Il en reçut la nouvelle à Paris et en fut profondément affecté. Voici en extrait de la lettre française qu'il écrit à ce sujet à Nicolas du Pont et à J. van Meurs à Madrid: ‘Il faut avouer qu'il n'y a point de douceur sans amertume, ni une si parfaite joye sans estre accompagné de quelque tristesse, j'en receus les coups, par l'afflicion qui me cause la perte de ma chère et unique fille, de laquelle je vous ay quelque fois recompté les petites qualités, agée seulement de cinq ans, j'eu receus les premières nouvelles a Paris et j'avoue que je l'ay resenti au dernier point mais j'ay sougé que ce sont des coups du ciel auquels rien ne saurait resister, j'ay veu que jestois obligé de me conformer a ses volontes avec l'espoir qu'il nous comblera de ses benedictions, en nous participant de nouveaux fruits que produisent le lien du mariage...’Ga naar voetnoot2), Ces bénédictions ne se firent pas attendre. Par après Anne de Neuf donna encore à son mari sept enfantsGa naar voetnoot3). La correspondance échangée entre Anne Goos et son fils pendant le séjour de ce dernier en Espagne, nous montre combien cordiales étaient les relations de famille chez les Moretus. Quand Anne Goos apprit que Balthazar était malade, elle fut prise de la plus vive inquiétude. Je ‘vous prie et vous ordonne de toute mon affection maternelle, lui écrit-elle, de prendre les soins tes plus sévères pour votre Santé’. ‘Je vous recommande entiérement à la protection de Dieu, qui en tout doit être votre guide et votre directeur’Ga naar voetnoot4). Elle s'efforce de le tranquilliser autant que possible sur l'état de sa femme et de ses enfants, qu'elle tâche de distraire par tous les | |
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moyens. ‘J'ai été avec votre Bien Aimée et toute la famille pour quelque temps à votre château de Stabroeck. J'y ai passé avec votre femme et vos enfants quelques journées récréatives et joyeuses. Je me propose d'aller encore ailleurs avec eux dans quelques jours, pour leur procurer pendant votre absence tout le plaisir possible, afin que vous puissiez avoir le coeur tranquille à l'étranger’Ga naar voetnoot1). Anne Goos qui dans l'intérêt de sa santé fit souvent une cure à Aix-la-Chapelle, s'en passa cette année a fin de pouvoir rester avec sa bru et ses enfants au château de Balthazar à StabroeckGa naar voetnoot2). Elle ne quitta pas Anvers un jour sans que la femme de Balthazar ne l'accompagnât. Elle se rendit entre autres en sa compagnie à Duffel pour visiter ‘certain Maître habitant dans les environs’ et duquel elle attendait ‘secours et profit’ pour sa guérisonGa naar voetnoot3). Une lettre de l'oncle Goos nous parle d'un autre séjour de la femme de Balthazar avec sa mère dans le polder de Lillo, où elles se ‘divertirent’ pendant quatre belles journées d'avrilGa naar voetnoot4). Anne Goos invita la famille de son fils également à Berchem, dans sa maison de campagne, où ils passèrent les jours de la Kermesse. ‘Je continue à procurer à votre Bien-aimée et à vos enfants toutes les récréations possibles. Nous avons passé les jours de la Kermesse de Berchem à ma campagne et nous y avons eu beaucoup de plaisir’Ga naar voetnoot5). Une autre fois Madame Moretus voulant être agréable à sa belle-fille, se proposait de l'emmener à Malines pour y voir l'ommegang. En 1680 on y fêtait le neuvième centenaire de St Rombaut et des préparatifs considérables y furent faits pour la célébration de cette solennitéGa naar voetnoot6). Elle avait déjà pris toutes ses mesures pour avoir un logement commode à Malines et manda à Balthazar qu'elle avait à sa disposition plusieurs chambres pour se loger et voir passer le cortège, et une écurie pour ses chevaux. ‘Le concours de monde sera énorme, écrit-elle à son fils, à cause des grands préparatifs tels qu'arcs de triomphe et autres qu'on y fait pour fêter le | |
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Jubilé. Il est à craindre qu'un grand nombre de personnes ne trouvent pas à se logerGa naar voetnoot1). A son grand regret Madame Moretus fut empêchée d'aller à Malines à cause d'un accident survennu à sa jambe. Elle espérait toutefois pouvoir s'y rendre avec la famille le dernier dimanche du JubiléGa naar voetnoot2). Balthazar était très reconnaissant à sa mère de toutes ces gentillesses. Dans sa première lettre de Madrid il écrit: ‘Je vous remercie de l'affection, de l'amitié et de la bienveillance dont vous comblez ma femme bien-aimée et mes deux chers enfants et je vous prie de bien vouloir persévérer dans cette bonté, pour laquelle ma famille et moi vous serons toujours très reconnaissants’Ga naar voetnoot3). Un peu avant son retour, le 10 juillet, il écrit avec la même cordialité: ‘J'espère pouvoir venir vous baiser les mains aussitôt que possible et vous remercier des marques d'amitié dont ma femme a pu profiter pendant mon absence’Ga naar voetnoot4). Il lui rapporta en cadeau un certain nombre de petites coupes d'argent et lui avait déjà fait parvenir quelques petits fûts de vin de Malaga 5). Nous nous représentons la scène qui s'est déroulée à Hal-lez-Bruxelles, où, après sa longue absence, sa mère, sa femme et les autres membres de la famille, venus d'Anvers à sa rencontre en deux carrosses à quatre chevaux, attendaient Balthazar. Seul le souvenir de la fillette défunte pouvait jeter une ombre sur le bonheur du voyageur. Pas un seul des actes, contrats, lettres et autres documents que nous venons d'examiner avec un intérêt toujours grandissant, ne nous apporte des révélations qui modifieront l'histoire politique ou économique. Ce n'est d'ailleurs pas ce que nous cherchions. A l'occasion d'autres recherches, nous avions pu constater que rien ne nous apprend mieux à connaître l'homme réel, ses sentiments, ses pensées et ses actes, ses mobiles intimes, que l'étude des lettres et des journaux dans lesquels il se montre tel qu'il est, dans toute sa sincérité. Et il en est aussi ainsi pour Balthazar Moretus III. Nous cherchions l'homme et nous l'avons trouvé. Dans le premier chapître de cette introduction nous l'avons vu | |
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jeune homme, faisant à peine son entrée dans la vie réelle, dans le second c'est un jeune père de famille de 28 ans, sur le point de reprendre la direction de l'industrie ancestrale et déjà très conscient de la lourde responsabilité qu'il portait sur ses épaules. De tout ce que nous avons pu voir, il ressort qu'il possédait toutes les qualités nécessaires pour remplir cette tâche avec honneur. C'est un homme d'affaires adroit, intelligent et prudent, consciencieux et plein de cet esprit pratique qui s'adapte facilement aux circonstances. On peut certainement le considérer comme le type du parfait marchand anversois du XVIIe siècle. Il y a quelque chose d'émouvant dans le grand amour qu'il porte à l'imprimerie plantinienne et à sa renommée déjà séculaire. Quand il songe aux dangers qui la menacent, nous partageons ses soucis et ses angoisses, tout comme nous ressentons sa fierté quand il parle de sa renommée dans toute la chrétienté. Comme fils et père de famille il fut un modèle de vertus bourgeoises. Vis à vis de sa mère, revêtue du pouvoir suprême dans les affaires, respectée comme une princesse règnante, il est soumis et affectueux, pas seulement dans les formules de politesse assez prolixes de ses lettres, mais en toute sincérité et dans toutes les circonstances de sa vie. Nous sentons combien il désire mériter son approbation. Son affection pour sa ‘femme bien-aimée’ et pour ses enfants n'est pas moindre. Ce négociant expert possédait un coeur tendre et délicat. Maurice SABBE. |
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