De Gulden Passer. Jaargang 7
(1929)– [tijdschrift] Gulden Passer, De– Gedeeltelijk auteursrechtelijk beschermd
[pagina 110]
| |
Un poète florentin a Anvers en 1668
| |
[pagina 111]
| |
Le prince Cosme de Médicis arriva à Anvers le 22 janvier 1668; il n'y resta qu'un seul jour et, le 24, le yacht delftois l'emmena à Bruxelles. A Anvers, ville belle et un peu moins grande qu' Amsterdam, les voyageurs remarquèrent les églises superbes d'architecture, riches d'oeuvres d'art. Celle des Jésuites les surpasse toutes par ses décorations, ses ornements. Leur couvent est beau et grand et contient un très grand nombre d'étudiants. Ils admirèrent les rues de la ville, larges, droites et assez longues, toutes pavées et propres, les vastes places et les maisons d'architecture gracieuse. Les habitants d'Anvers sont jugés très polis et les femmes assez grandes et fort belles. Enchantés d'être arrivés dans une ville catholique, la première qu'ils eussent trouvée depuis longtemps, ils consacrèrent leur attention aux églises, ce qui ne les empêcha pas de visiter l'imprimerie de Balthazar Moretus, comme à Amsterdam ils avaient visité celle de Bleau, à Utrecht et à Leyde celles d'Elzevir. Quelques jours après, le 28 janvier, le prince de Toscane fit un second séjour dans la belle ville de l'Escaut. Il visita plusieurs ateliers d'artistes, notamment celui du peintre Jean Van Kessel qui excellait dans les tableaux de fruits et d'animaux. Il visita aussi des ateliers de tapisseries et, rentré à Florence, il chargea Spinola de faire fabriquer, par les tapissiers Albert Auwerc et Guillaume Van Leefdael des panneaux représentant la chasse de Diane. Mr. Hoogewerff a publié, avec la relation du voyage, de précieux documents concernant ce sujet et l'achat des tableaux.Ga naar voetnoot1) Cosme, comme on le sait, était accompagné de plusieurs gentilshommes de la meilleure société florentine, parmi lesquels le comte Lorenzo Magalotti, poète élégant, diplomate de valeur, savant, qui parlait plusieures langues, et Giovanni Andrea Moniglia, médecin, littérateur, poète, connu non seulement par ses drames mais aussi par les polémiques violentes qu'il soutint et les inimitiés et la haine dont il fut l'objet pendant sa longue et active existence. Moniglia naquit à Florence en 1625 de parents génois; il fréquenta les écoles des Pères des Scuole Pie, puis des Pères Jésuites et suivit, à l'Université de Pise, les cours de médecine. Il exerça sa profession à Florence; jeune, plein de talent, spirituel, ambitieux, il se lia avec des hommes qui le présentèrent à la Cour et, ayant gagné la protection du Cardinal Charles de Medicis, mécène de | |
[pagina 112]
| |
tous les sans souci, il entra à son service en qualité de médecin personnel. Il avait à peine 30 ans. Ensuite il fut médecin de la grande-duchesse Victoire de la Rovere et après la mort du grand savant François Redi (1698), proto-médecin du grand-duc Cosme III, Moniglia fut appelé à le remplacer. Déjà, en 1667, il avait été nommé professeur adjoint à l'Université de Pise et, en 1681, il reçut la chaire de morbis mulierum qu'il occupa jusqu'à sa mort. Il faut reconnaître que Moniglia travailla beaucoup. Ses publications scientifiques sur la médecine ne sont pas dépourvues de valeur; mais il sé consacra surtout au théâtre et écrivit de nombreux mélodrames, graves et plaisants ainsi que des ballets. Ses drames applaudis à Florence, à Bologne, à Venise furent même traduits en allemand et représentés à Vienne. Il est certain que Moniglia occupa, parmi les poètes burlesques et satiriques du XVIIe siècle, una place importante.Ga naar voetnoot1) Moniglia fut un railleur mordant par disposition naturelle et par désir effréné de briller. Il avait le don de saisir les ridicules des gens et des choses; il s'en moquait avec une verve hardie et inépuisable, souvent méchante. Il possédait, a-t-on dit, la hardiesse impudente et l'indomptable violence de l'Arétin, sans toutefois en posséder le talent. Il dut à son caractère et à ses sarcasmes d'innombrables ennemis, acharnés mais impuissants, à cause de la grande protection de la Cour. Parmi les polémiques que Moniglia eut, citons celle avec l'abbé Lanci de Rome, qui, écrasé par les atroces railleries du terrible médecin, se sauva de Florence, quitta l'Italie et mourut pauvre et désespéré en Allemagne. Les médecins Valentini, Bellini-Orsacchi, les poètes Menzini et Nomi perdirent leur chaire à l'Université à cause de lui. Pierre François Minacci, le chanoine Tozi, le médecin Bertini, professeur à l'Université de Pise; Cinelli, soutenu par le savant Magliabechi, bibliothècaire du grand-duc, et plusieurs autres eurent des querelles avec lui: il eut toujours le dernier mot. Il ne faut pas croire toutefois que Moniglia était un véritable diable et ses adversaires des naïfs, calmes, modérés; les littérateurs florentins de ce temps-là étaient d'ardents polémistes et pamphlétaires, qui ne pardonnaient à personne; mais il ajoutait aux qualités | |
[pagina 113]
| |
de ses adversaires, une audace sans limites, car la protection grande-ducale lui assurait l'impunité absolue. Si Moniglia a été loué par des écrivains florentins, le nombre de ses amis était très limité et quand, le 21 septembre 1700, une attaque d'apoplexie le foudroya, un choeur de malédictions, sans respect et sans mesure, l'accompagna à sa dernière demeure. Menzini dans sa deuxième et sa cinquième satire avait qualifié Moniglia de ‘fieffé coquin, charlatan, canaille, savantasse, philosophiste, avare, voleur, hypocrite, usurier, corrupteur de jeunes-filles, ruffian, cocu’.Ga naar voetnoot1) Magliabechi, le célèbre bibliophile florentin, qui avait demandé inutilement au grand-duc la punition de Moniglia, n'oublia pas, aussitôt qu'il connut la mort de son adversaire, d'écrire que le médecin littérateur ‘était mort comme un cochon des efforts faits pour rendre le trop qu'il avait mangé et bu’. La haine du médecin Annibale Maria Testi et du poète Federigo Nomi, qui, de son vivant, l'avait flétri du nom de Curculione ne fut même pas apaisée par sa mort.Ga naar voetnoot2) Quant au père Zuccherini il écrivit un éloge funèbre tout à fait spécial, que nous voulons rapporter pour montrer à quel point en arrivaient les hommes de lettres de ce temps-là.: ‘Lugete verveces salubres, pulcri arietes et vos hirci barbigeri, lugeant denique omne cornutum armentum. Franciscus Bimbi advena, qui Florentia in via ubi nundinae celebrantur in festo divi Martini ad domum suam abitabat, gloria vostris gregis extinctus est. Exultate candidi cuniculi, lepores timidi, innocentes agni. Post hac Francisci Bimbi e viculo ad Genuenses ripas oriundus cornu vos non feriet. Nam mors aequa illius nocua, maximeque procera (cervinis enim altiora gestabat) cornus fugit.’Ga naar voetnoot3) Nous avons insisté sur Moniglia, parce qu'il appartenait, comme nous l'avons dit, à la suite de Cosme III, pendant son voyage; cette circonstance seule serait dépourvue d'intérêt, mais Moniglia com- | |
[pagina 114]
| |
posa un poème in terza rima sur son voyage: longue narration de Florence à Olmutz, dans laquelle on retrouve son esprit moqueur, critique et souvent méchant. Moreni, dans sa bibliographie de la ToscaneGa naar voetnoot1) et d'autres écrivains après lui, citent ce poème. Récemment, dans une intéressante étude sur Moniglia, plusieurs parties du poème ont été publiées, y compris celle qui se rapporte à Bruxelles; mais les vers sur Anvers sont inédits.Ga naar voetnoot2) Le poème de Moniglia révèle encore une fois sa nature, nous l'avons dit. D'Inspruck, il promettait d'envoyer des lettres d'Allemagne ‘lettres qui, d'après les habitudes du pays, seront peu propres et très sales.’ Charmant compliment pour le pays qu'il allait visiter!. On ne pouvait s'attendre à moins de la part d'un Moniglia! A Augsbourg le poète voyageur trouva ‘des femmes belles’ mais Vertingh lui parut ‘effreuse et noire’, et les habitants ‘des sortis de l'hôpital ou des phtisiques au dernier degré’. Norling est ‘pleine de paresse et de mélancolie’. A Rottembourg ‘il y a deux églises, et une pharmacie, trois sénateurs et quatre prédicateurs, cinq légistes et une demi-bibliothèque, un médecin, un barbier, trois marchands qui possèdent, tous ensemble, y compris leur, richesse mobilière et immobilière, un florin et sept ou huit sous’. App, Bisciafsen, Mittimbourg, sont ‘désolées et misérables’. Selinghestat ‘tient de l'hospice du péché’. Nous avons rapporté ces appréciations pour montrer l'esprit de Moniglia qui, heureusement, fut satisfait d'Amsterdam qu'il définit ‘la ville plus riche du monde entier’. Il admira les habitudes simples des habitants, les qualités des femmes de toutes classes, bonnes ménagères. Il remarqua la propreté, mais sa nature moqueuse tourneGa naar voetnoot3) | |
[pagina 115]
| |
en ridicule la passion des habitants d'Amsterdam pour le nettoyage et, ironiquement, il demande si ‘même le bois à brûler est lavé’. A Rotterdam, près du monument élevé à Erasme, il manifesta grossièrement son mépris pour ‘ce tyran impie, traître à la religion catholique, mais humaniste célèbre’. Il arriva finalement à Anvers, après neuf jours de navigation à travers les orageuses eaux de l'Escaut, content d'avoir quitté le pays des ‘hérétiques’ et d'entrer dans une ville catholique. Nous ne devons pas croire que la joie de se trouver dans une ville catholique soit sincère. Pendant son voyage il s'est toujours moqué des prêtres et des frères catholiques qu'il a rencontrés; il les qualifie ‘ivrognes, sales, dépravés, grossiers, ignorants, hypocrites’ parce qu'il partage généreusement entre les amis et les adversaires les beaux mots de son dictionnaire spécial. Mais le clergé catholique recevait toujours le prince de Toscane en grande pompe; Cosme était très flatté de ces réceptions, en harmonie avec son caractère, et Moniglia louait en bon courtisan. Anvers, ville d'activité et de commerce accueillit le prince et sa suite avec enthousiame; les chefs de la ville, l'évêque et le clergé reçurent solennellement les voyageurs. Le poète, peu observateur, ne trouve rien à critiquer. Beaux sont les palais, riches les églises, célèbres les ateliers de tapisseries, bien élevés et gentils les habitants, honnêtes et de noble aspect les femmes, sincères et probes les marchands. Seule la condition misérable des soldats frappe Moniglia, comme elle frappait tous les voyageurs qui visitaient la Belgique. Mais laissons parler le poète: Ma già d'Anversa il popolo curioso
per riverire il Principe Toscano
sopra le sponde l'applaudia festoso.
L'invitó l'Alamanni col sovrano
ordine di quel gran Governatore
ad alloggiare in corte; ma fu in vano
il disegno, volendo il mio Signore
goder sua libertade, e gentilmente
ringraziô sua Eccellenza dell'onore.
Correva intanto per le vie la gente
| |
[pagina 116]
| |
in turba numerosa, e in ordinanza
i cocchi ne venian pomposamente.
Dentro dell'osteria comoda stanza
trovossi, e gl'artigiani e i cavalieri
disinvolti, modesti, e con creanza.
Cortesi in volto, e nel trattar sinceri
sono i mercanti e verso i pellegrini
pietosi i ricchi ed umili i guerrieri.
Stan le donne ristrette entro i confini
di nobile onestade, e sono i tempî
frequenti in celebrare atti divini.
Onde noi che veniamo allor dagl'empî
eretici d'Olanda, oh quanti, oh quali
di religiosi doveam pigliare esempi.
Ricche le chiese son, contro gli strali
dell'infame Calvin, sol la pietade
del Sovrano motor rende immortali.
Alti sono i palazzi, e la Cittade
circondata di muro, e con bell'arte
son disposte, e piazze, e ponti, e strade.
Ma l'orgoglioso Franco in quella parte
troppo è severo, e d'ogni intorno freme
l'inesorabile strepito di Marte.
Tralle piaghe novelle ancora geme
la Fiandra, e in essa riconosce appena
del falso Ispano le reliquie estreme.
Quivi accolse sua Altezza con serena
fronte il Senato e 'l Vescovo, persona
di cortesia, di santità ripiena.
Non è falsa la fama che risuona
fabbricarvisi arazzi i più squisiti
che v' è di ció la maestranza buona.
E nemmeno è bugia, ch 'i Giesuiti
v'abbian gran libreria, ricco Convento
essendovi ben visti e assai graditi.
| |
[pagina 117]
| |
In veder le milizie, oh qual tormento
ci nacque in seno, i miseri soldati
van mendicando pan, vesti et argento.
Dugent'Ungheri lor furon donati
dal mio Signore, a carità sî vasta
nell'avventarsi fur lupi affamati.
Perdono le città nè si contrasta
contro l'impeto ostil, poichè la fame
ne i propri alberghi a debellargli basta.
Quel non veder mai in viso oro, nè rame
e star tra ferro e piombo, Ercole ancora
farebbe divenir vigliacco, e infame.
Voici la traduction de ce poème:
Déjà le peuple d'Anvers, curieux, rangé sur les bords, saluait joyeusement le prince de Toscane, en applaudissant. AlamanniGa naar voetnoot1), par ordre du Gouverneur,Ga naar voetnoot2) invita Cosme à loger à la Cour; mais le prince qui voulait conserver son entière liberté, refusa gracieusement et remercia son Excellence de l'honneur qu'elle lui faisait. Pendant ce temps le peuple se pressait nombreux dans les rues, et les carrosses se déplaçaient en grande pompe et en bon ordre. Nous trouvâmes un logement commode à l'hôtel.Ga naar voetnoot3) Les artisans et les nobles d'Anvers sont francs, modestes, bien élevés. Les marchands ont l'air aimables et honnêtes en affaires, les riches sont très affables avec les étrangers, les soldats sont modestes. Les femmes sont très honnètes. Dans les églises on célèbre de multiples offices. Combien d'exemples de piété nous sont offerts, à nous qui venons de chez les hérétiques de Hollande! Les églises sont riches et seul l'amour du maître-ordonnateur du monde les rend invulnérables au dards de l'infâme Calvin. Les maisons sont élevées, toutes la ville est entourée de murs; les places, les rues, les ponts sont disposés avec art. Mais les Fran- | |
[pagina 118]
| |
çais orgueilleux sont en cet endroit trop sévères, et autour d'eux frémit l'inexorable bruit de Mars. La Flandre gémit encore sous de nouvelles plaies, qui lui font oublier les anciennes, celles de l'Espagnol faux. Son Altesse fut reçue avec joie par le Sénat et par l'Évêque, prélat très aimable et très pieux. Anvers, qui jouit d'une juste renommée pour la fabrication de tapisseries exquises, possède vraiment d'excellents maîtres ouvriers. La bibliothèque des Pères Jésuites est, dit-on, riche; le couvent même est grand et opulent et les Pères sont aimés et très appréciés. Mais quel chagrin n'avons-nous pas ressenti à la vue de la milice! Les soldats sont dans un état misérable, ils mendient du pain, des habits, de l'argent. Mon Maître, le prince, leur donna deux cents ducats de pourboire, et ils se précipitèrent comme des loups affamés sur la copieuse aumône. Ces soldats sont incapables de défendre et de garder une ville, ils n'ont pas la force de s'opposer à l'assaut de l'ennemi, parce que la faim suffit pour les vaincre. Hercule même, s'il était, comme eux, condamné à rester toujours sans argent et toujours obligé à vivre entre le feu et le sang, deviendrait lâche et infâme. Bruxelles, octobre 1928. Mario BATTISTINI. |
|