De Gulden Passer. Jaargang 6
(1928)– [tijdschrift] Gulden Passer, De– Gedeeltelijk auteursrechtelijk beschermd
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Guy le Fèvre de la Boderie et la polyglotte AnversoiseNous savons que Guy Le Fèvre de la Boderie a pris une large part aux travaux de la Bible Polyglotte publiée par Plantin à la demande de Philippe II. En mars 1568 l'érudit orientaliste envoya à Plantin le texte syriaque du Nouveau Testament transcrit en caractères hébreux avec une traduction latine. Trois mois après, en juillet 1568, Plantin, inspiré par Arias Montanus, fit venir à Anvers Guy Le Fèvre ainsi que son plus jeune frère Nicolas, son meilleur élève. Depuis ce moment jusqu'à l'achèvement du grand ouvrage les deux Le Fèvre ont séjourné en Belgique, consacrant tout leur temps à la célèbre entreprise de Plantin. Dans l'Apparatus, au tome VI, on a la grammaire chaldéenne et le dictionnaire syriaque-chaldéen de Guy Le Fèvre, et le tome VII contient une traduction interlinéaire du texte hébreu de l'ancien testament par Guy et Nicolas Le Fèvre. Dans une lettre à Çayas, datée du 6 avril 1569, Arias Montanus rend indirectement hommage à la science des Le Fèvre. Il y dit, sans les nommer, que cinq correcteurs l'assistent dans ses travaux. Ce sont F. Raphelengius, C. Kiel, Th. Kemp, A. Spitaels et les Le Fèvre qu'Arias Montanus distingue des autres en disant qu'ils connaissent toutes les langues. Ces détails nous sont fournis par M. RoosesGa naar voetnoot1). Les autres auteurs qui ont étudié la vie et les oeuvres de Guy Le Fèvre de la Boderie ne nous renseignent pas plus amplement sur sa collaboration à la Polyglotte. C'est pourquoi nous croyons bien faire en attirant l'attention sur quelques strophes d'un poème où Guy nous entretient des principaux événements de sa vie. Il chante d'abord le lieu de sa naissance, Sainte Honorine-la-Chardonne dans la Basse-Normandie, où s'élève encore le vieux manoir de la Boderie, berceau de sa famille. Ensuite le poète parle de son séjour à Anvers et des | |
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hommes qu'il y apprit à connaître. Il y définit assez exactement ses rapports avec Arias Montanus, Raphelengius et Plantin et il nous y met en garde de ne pas exagérer la part prise par le théologien-orientaliste espagnol à la grande oeuvre commune. Jusqu'ici l'importance de ces appréciations semble avoir échappé aux historiens de la Polyglotte Anversoise.Ga naar voetnoot1) Nous ne connaissons que Mr Félix Nève qui en fasse usage, d'une façon assez discrète d'ailleurs, dans son ouvrage: La Renaissance des lettres et l'essor de l'érudition ancienne en Belgique.Ga naar voetnoot2) Nous publions ces renseignements dans la forme poétique que Guy Le Fèvre de la Boderie leur a donnée. Le poème auquel nous empruntons ces strophes a paru dans les Meslanges poétiques, publiés à Paris en 1582, chez Robert le Magnier (p. 19). Seine et l'Escauld porteront tesmoignage
A nos nepveux, qu'en la fleur de mon âge,
J'ay mis au jour des peuples d'Orient
L'antique honneur en langues variant,
Et que d'icy mon génie et bon ange
Me conduisit en une terre estrange,
Pour advancer avec tous mes efforts
Des livres saincts les plus rares trésors,
Où j'ay vacqué mainte et mainte année
Accompaigné de l'âme à tout bien née
D'un frère mien, lequel a mérité
D'avoir honneur de la postérité,
Tant que la gent de la superbe Espaigne,
Qui de la Gaule est seconde compaigne,
Fera voller un nom par l'univers
Gravé dedans les grandz Bibles d'Anvers.
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Autant sera si l'espoir ne me trompe,
Poussé ton nom avec la brave trompe
De renommée aux deux termes égaux
Où le soleil va borner ses travaux.
Mais il ne fault que l'Espaigne se vante,
Quoy qu'elle soit et pollie et sçavante,
D'emporter seule entre toutes les pris
En ce labeur en Flandres entrepris.
Il est bien vray qu'en la Gaule Belgique,
Dessouz l'adven du prince catholique
Fut imprimé cest oeuvre en tout divin,
Heureusement par plusieurs mis à fin.
Mais l'imprimeur des imprimeurs le prince,
Qui orne tant la Belgique province,
Et a donné à cest oeuvre le cours,
Doit sa naissance à Touraine ou à Tours.
Et RanlengienGa naar voetnoot1) son docte et soigneux gendre,
Qui a voulu son labeur y despendre
Pour corriger presque par tous endroictz
N'est Espaignol, ains Valon ou Gaulois.
Quand aux docteurs qui ont mis leur censure,
Pour approuver nostre entreprinse dure,
Les uns François, les autres sont Flamens,
Et Flandres est des Gaulois ornemens.
Donc qu'Arias l'Espaignol ne s'enyvre,
Tout seul pour tous de l'honneur de ce livre,
Seul plus que tous il est d'authorité.
Mais plus que tous il n'a pas mérité.
Rends avec moy grâce à Dieu et l'Eglise,
Et à son roy dont le nom authorise
L'oeuvre parfaict, mais recongnoisse aussi
Que mes labeurs sont libres, Dieu mercy.
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A mes despens j'entreprins ce voyage,
J'y despendy et ma peine et mon âge
Avec mon frère et mes labeurs donné.
Sans estre en rien pour cela guerdonné.
Je ne me plains, et d'honneur m'en despense,
Que de Plantin, je n'ay eu récompense
De mes travaux, son coeur entier et bon
Par moy congneu m'est un ample guerdon.
A juste droict il peut faire complaincte
Du mal, du tort, de la peine, et la craincte.
Qu'il a receu par ceste fière gent,
Au sac d'Anvers tout espuisé d'argent,
La gent qu'il a d'honneur toute comblée,
Luy a esté plus barbare et troublée
Que ne servit quelque Scythe inhumain
Rendant le mal pour un bien souverain.
Mais justement je me puis et dois plaindre
Sans l'Espaignol, ny quiconque autre craindre,
Que trop ingratz se montrent envers moy
La gent d'Espaigne, et d'Espaigne le roy.
Je suis né franc, au royaume de France
L'Espaigne n'a sur moi nulle puissance
Si donc orné j'ay son roy terrien
Elle me doit, et ne luy dois rien.
Maurice SABBE. |
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