De Gulden Passer. Jaargang 6
(1928)– [tijdschrift] Gulden Passer, De– Gedeeltelijk auteursrechtelijk beschermd
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[Nummer 4]Séjour de l'humaniste Nicolas Heinsius en Belgique: mai-octobre 1644.Le 18 mai 1644Ga naar voetnoot1), le jeune humaniste hollandais Nicolas Heinsius - il n'avait pas encore 24 ansGa naar voetnoot2) - fils du Gantois Daniel Heinsius qu'‘on célébrait comme l'honneur de l'Université de Leyde, le prince des hommes de lettres, l'ornement de son siècleGa naar voetnoot3)’, partit pour Spa sur les conseils de ses médecinsGa naar voetnoot4). Il avait hâte d'aller faire la cure qu'ils lui avaient prescrite et aussi de voir la localité dont on lui avait vanté les délicesGa naar voetnoot5). Si Bruxelles avait mis plus d'empressement à lui envoyer son passe-portGa naar voetnoot6), Heinsius aurait déjà commencé sa cure au début du mois de maiGa naar voetnoot7). Mai était, en effet, le premier des mois sans ‘r’, les seuls pendant lesquels les Hollandais buvaient les eaux de SpaGa naar voetnoot8). | |
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Mensibus in quibus ‘r’ non debes bibere ‘water’ disait un adage bilingueGa naar voetnoot1) qui avait la prétention de représenter un hexamètre dactylique. Avant de se mettre en route, Heinsius adressa un voeu aux fontaines de Spa (Votum ad Fontes Spadanos)Ga naar voetnoot2). Dans les sept distiques élégiaques où il le forma, il leur demanda la guérison pour un poète malade qui venait du lointain rivage des Bataves. ‘Eloignez de moi’ dit-il, une vieille maladie qui m'engourdit. Si les forces disparues regagnent ma poitrine, si la vigueur perdue revient à mes membres alanguis, j' élèverai aux Nymphes un autel de marbre et J' attesterai la vertu de l'eau sacréeGa naar voetnoot3) (par cette inscription): ‘En souvenir de la guérison qu'il a obtenue, Heinsius vous dédie ce monument. Naïades, divinités de ces eaux’Ga naar voetnoot4). La maladie dont souffrait Heinsius et qui se caractérisait par un affaiblissement général des forces et une langueur extrême, était attribuée par les médecins de l'époque à la surabondance des humeurs dont son corps était rempliGa naar voetnoot5). On sait que les anciens médecins admettaient l'existence de quatre humeurs dans le corps humain: le sang, le phlegme ou pituite, la bile et la bile noire ou mélancolie ou atrabileGa naar voetnoot6). Lesquelles de ces humeurs les médecins diagnostiquaint-ils en surabondance chez Heinsius? Il est permis de supposer que c'était la bile et surtout l'atrabile. Le biographe de Heinsius, | |
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UNE SOURCE A SPA AU XVIIe SIÈCLE
(D'après la gravure de Wenzel Hollar.) | |
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P. Burmann junior, nous apprend, en effet, qu'au cours de son premier voyage en Italie (1646), Heinsius eut, par suite de la vie sédentaire qu'il avait menée à Paris pendant l'hiver 1645-1646, une rechute de l'obstruction de la rate, maladie dont il avait déjà souffert auparavantGa naar voetnoot1). Or, parmi les nombreuses maladies que les eaux de Spa guérissaient autrefois, figurait l'obstruction du foie et de la rateGa naar voetnoot2). J.-Fr. Gronovius, l'éminent latiniste hollandais, alors professeur à Deventer, avait demandé à Heinsius de lui écrire souvent pendant son séjour à Spa, s'engageant, de son côté, à lui répondre de suiteGa naar voetnoot3). Il est probable que les deux amis auront échangé à cette époque plusieurs lettresGa naar voetnoot4), mais aucune d'elles ne figure dans le Sylloge de P. Burmann, et n'a été publiée ailleurs, à notre connaissance. C'est regrettable. On aurait aimé savoir avec quels personnages de marque Heinsius s'est rencontré dans la cité des Bobelins en 1644, s'il y a vu notamment Descartes qui vint aussi boire les eaux de Spa cette année-làGa naar voetnoot5). Les documents où Heinsius nous parle de son séjour à Spa sont postérieurs à son retour à Leyde. C'est, d'une part, une élégie Ad Fontes Spadanos; d'autre part, une longue lettre à son ami Gronovius.
L'élégie Ad Fontes SpadanosGa naar voetnoot6) se compose de trente distiques élégiaques. Heinsius y chante les eaux limpides qui jaillissent de toutes parts des bois rocailleux et qui domptent la mort. Les pieuses | |
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divinités de ces eaux ont pris en pitié un malheureux poète et lui ont rendu la vie alors qu'on le croyait déjà perdu. Lui-même, las de voir la maladie consumer sa jeunesse, avait souhaité la mort à diverses reprises. Maintenant que les eaux de Spa et aussi les encouragements que sa chère LisaGa naar voetnoot1) n'a cessé de lui prodiguer, lui ont fait reprendre goût à la vie, il reconnaît qu'il était à peine sain d'esprit lorsqu'il adressait de tels souhaits aux divinités du Styx et il les prie de ne pas les exaucer. Heinsius gardera toujours, gravé au fond de son coeur, le souvenir des lieux aimés, du séjour paisible, où ses forces se sont ranimées, et il espère y revenir bientôt. Au début de sa lettre à GronoviusGa naar voetnoot2), Heinsius se félicite du succès de sa cure à Spa, succès qui a dépassé son attente. Sa santé est maintenant dans un bien meilleur état que depuis plusieurs années. Elle n'est pas encore parfaite, aussi retournera-t-il probablement à Spa l'été prochain. Heinsius ne revint pas à Spa en 1645, mais alla faire une cure à Aix-la-ChapelleGa naar voetnoot3). On ignore pourquoi Heinsius, qui avait déjà annoncé dans deux lettresGa naar voetnoot4) son prochain départ pour les Fontes Spadanos à son ami Gronovius, changea d'avis au dernier momentGa naar voetnoot5).
La suite de la lettre constitue en quelque sorte un rapport sur le voyage scientifique que Heinsius fit dans le pays de Liège, à Aix- | |
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la-Chapelle et surtout dans le Brabant avant de rentrer à Leyde. Nous allons analyser ce rapport qui constitue la partie la plus importante de la lettre, en le commentant un peuGa naar voetnoot1).
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De Spa, Heinsius se rendit à Liège. N'ayant pas d'amis dans le pays de Liège pour lui faciliter l'accès des monastères, il ne put visiter qu'une ou deux bibliothèques. Les quelques manuscrits qu'il eut alors l'occasion de voir, lui firent supposer qu'il devait s'en cacher beaucoup d'autres à Liège et dans le pays de Liège, et il se promit d'avoir soin de se ménager l'appui d'amis s'il y revenait un jourGa naar voetnoot2). Croyant qu'il trouverait beaucoup de manuscrits dans une ville aussi ancienne qu'Aix-la-Chapelle, Heinsius s'y transporta. Sa stupeur fut très grande lorsqu'il constata, en visitant les bibliothèques, que les manuscrits faisaient défaut. L'année suivante - nous avons vu qu'il vint faire une cure à Aix-la-Chapelle en 1645 - Heinsius se plaignit de nouveau de ce qu'il appelle la ‘barbarie’ de cette villeGa naar voetnoot3). ‘Il n'y a pas “écrit-il à Gronovius” dans toute l'Europe un endroit plus dénué de culture’Ga naar voetnoot4). Malgré son élégance, son charme, et tous les divertissements de la vie qu'elle offrait, elle était sordide aux yeux de Heinsius, parce que les Muses n'y séjournaient pasGa naar voetnoot5), | |
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c'est-à-dire parce que l'étude des lettres anciennes n'y était pas en honneur. D'Aix-la-Chapelle, Heinsius gagna le Brabant qui comprenait alors, comme on le sait, non seulement la province de Brabant actuelle, mais encore celle d'Anvers. Il séjourna surtout à Louvain et à Anvers. A Louvain, dont il vante la douceur du climat, il put utiliser ad satietatem ce qui restait du Musaeum Torrentianum, c'est-à-dire de la bibliothèque que l'ancien évêque d'Anvers, Torrentius, avait léguée aux Jésuites en 1595Ga naar voetnoot1). Mais il ne put être admis à la Bibliotheca Buslidiana, c'est-à-dire à la bibliothèque du collège des Trois-Langues, en raison de l'absence du préfet, qu'au moment où il allait quitter Louvain. Il y examina, mais en partie seulement, faute de temps, un manuscrit de Claudien, n'était pas fort ancien, et y vit un très ancien manuscrit de la Thébaïde de Stace. La plupart des manuscrits de cette bibliothèque, remarque Heinsius. s'étaient perdus par suite de l'incurie des conservateurs. Heinsius tenait de Gevartius, l'humaniste anversois dont nous parlerons plus loin, que deux manuscrits de Claudien y étaient conservés quelques années auparavant: or, il n'y avait trouvé qu'un seul manuscrit, de date récente. Gronovius, qui travaillait à ce moment à sa grande édition de Tite-LiveGa naar voetnoot2), avait prié Heinsius d'examiner tous les manuscrits de cet auteur qu'il découvrirait, notamment le Codex Buslidianus d'où Juste Lipse avait tiré beaucoup de bonnes leçonsGa naar voetnoot3). Heinsius ne vit pas ce manuscrit à Louvain, et n'osa pas affirmer qu'il existait encore. Le professeur de Deventer l'avait aussi chargéGa naar voetnoot4) de lui gagner les bonnes grôces des nombreux savants qui florissaient en Belgique, et en tout premier lieu celles d'Erycius Puteanus ὁ πάνυ (le fameux). Il lui avait demandé de remettre à celui-ci, s'il l'avait sous la main, un exemplaire de son traité de SestertiisGa naar voetnoot5), ajoutant qu'il espérait | |
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LE MONT CÉSAR
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bien que cet optimus vir ne s'offenserait pas parce que, sur quelques points, il n'était pas d'accord avec luiGa naar voetnoot1). Gronovius rappela à cette occasion qu'il avait écrit quelques années auparavant à Puteanus sur les conseils et par l'intermédiaire de son fils dont il avait fait la connaissance au cours d'un voyage de la Haye à Delft. N'ayant pas reçu de réponse à sa lettre, il se demandait si elle était arrivée à destinationGa naar voetnoot2). Aussi était-il prêt à renouveler ses hommages, si Heinsius le lui conseillaitGa naar voetnoot3). Heinsius salua Puteanus de la part de Gronovius et ne manqua certainement pas d'en parler avec éloge aux savants que Louvain comptait alors. Gronovius avait écrit à Heinsius, avons-nous vu, qu'il y avait beaucoup de savants en Belgique, Heinsius estime, au contraire, que les savants y sont rares, même à LouvainGa naar voetnoot4). Comme savants de premier rang qu'il vit à Louvain en 1644, il énumère tout d'abord Puteanus, puis Tuldenus, Plempius, Valerius et Vernulaeus. Tous ces savants catholiques, dont le moins âgé avait dépassé la quarantaine, accueillirent avec la plus grande affabilité le jeune humaniste protestant, petit-fils du calviniste Nicolas Heinsius qui avait préféré renoncer à sa charge de greffier du Conseil de Flandre et s'ex- | |
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patrier plutôt que d'abjurer ses convictions religieusesGa naar voetnoot1). Mais l'accueil du vieux Puteanus - il était septuagénaire - aura été particulièrement affectueux. Il se sera fait une joie de recevoir dans l'Arx Palladis - c'est de ce nom que Puteanus avait baptisé l'ancien château des ducs de Brabant sur le Mont César où il résidait depuis trente ans - le fils de Daniel Heinsius, avec lequel il entretenait depuis longtemps des relations d'amitié, que la mort seule put briser. Nicolas Heinsius garda le meilleur souvenir de Puteanus. Il suffit pour s'en convaincre de lire les trois distiques suivants que nous empruntons à la poésie qu'il a dédiée à l'Arx PalladisGa naar voetnoot2). v. 3.[regelnummer]
Incolit augustos Puteanus in arce penales,
Tota domus domini numine plena sui est.
v. 11.[regelnummer]
Quid molem spatiumque domus mirare situmque?
Ampla licet, dominum non capit illa suum.
v. 21.[regelnummer]
Tu quoque, spectator, mecum vixisse negabis
Nobiliorem animam nobiliore loco.
C'est-à-dire: v. 3.[regelnummer]
Puteanus habite sur l'Arx d'augustes pénates,
Toute la demeure est remplie de la majesté de son maître.
v. 11.[regelnummer]
Pourquoi admirer la masse, les dimensions et la situation de la demeure?
Bien qu'elle soit vaste, elle ne contient pas son maître.
v. 21.[regelnummer]
Toi aussi, spectateur, tu reconnaîtras avec moi que jamais une âme plus noble n'a vécu dans un lieu plus noble.Ga naar voetnoot3)
De Louvain, Heinsius se rendit à Bruxelles. Il n'y fut en rapport qu'avec deux savants: l'historien et jurisconsulte Nicolas de Bour- | |
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gogne auquel il donne le titre de Regius consiliariusGa naar voetnoot1) et Albert Rubens, le fils du grand peintre. Albert Rubens (1614-1657) remplissait alors à Bruxelles les fontions de secrétaire du Conseil privé du roiGa naar voetnoot2). C'était un homme ‘instruit d'une façon merveilleuse dans les belles lettres’Ga naar voetnoot3). Il préparait alors, dit Heinsius, un commentaire sur le laticlave et d'autres ouvrages relatifs à l'habillement. Les travaux d'Albert Rubens ne devaient pas paraître de son vivantGa naar voetnoot4). Miné par le chagrin que lui avait causé la mort atroce de son fils uniqueGa naar voetnoot5), il descendit un an et quelques mois après lui dans la tombe (1 oct. 1657). N. Heinsius pleura la mort prématurée d'Albert Rubens dans une longue élégie qu'il dédia à GevartiusGa naar voetnoot6), auquel P.-P. Rubens avait confié, comme à ‘son meilleur ami et au grand prêtre des Muses’, l'éducation de son fils aînéGa naar voetnoot7). | |
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N. Heinsius avait songé à se rendre à Gembloux s'il pouvait y parvenir commodémentGa naar voetnoot1). Il faut croire qu'un voyage à Gembloux n'était pas chose aisée en 1644, ni de Louvain ni de Bruxelles, car de Bruxelles, Heinsius passa à Malines, tournant ainsi définitivement le dos à Gembloux. Il est regrettable que Heinsius n'ait pas visité la bibliothèque de l'abbaye fondée par Saint Guibert en 922. Il n'aurait pas écrit à son ami Gronovius qu'on ne pouvait pas se faire une idée de la pauvreté de toutes les bibliothèques de Belgique en fait de vieux livres, c'està-dire de manuscritsGa naar voetnoot2). Il aurait vu, en effet, à Gembloux de nombreux et excellents manuscrits latins, notamment un manuscrit des Fastes d'Ovide, actuellement le Bruxellensis 5369, qui est, après le fameux Reginensis du Vatican, le meilleur manuscrit de ce poème d'Ovide. Heinsius connut ce manuscrit une quinzaine d'années plus tard, non pas directement, mais indirectement, par une collation notée par un humaniste du XVIe siècle dans un exemplaire interfolié de la 3e édition Aldine d'Ovide, et sans savoir que cette collation avait été faite d'après un manuscrit de Gembloux. Il trouva cette collation en 1657 à Amsterdam dans la bibliothèque de Constantin Huygens, seigneur de Zulichem, qui en avait fait l'acquisition quelques années auparavant à Bruxelles. Il lui donna, d'après le nom de son nouveau propriétaire - la collation en question avait appartenu précédemment à Juste Lipse - le nom de codex Zulichemianus, nom sous lequel le manuscrit de Gembloux a été connu pendant près de quatre sièclesGa naar voetnoot3). A Malines, Heinsius ne trouva qu'un seul savant qui cultivât les études qui lui étaient chères. C'était le secrétaire du grand Conseil, Johannes-Franciscus van Slingelandt. Heinsius nous apprend que Slingelandt était son parentGa naar voetnoot4), qu'il avait vécu six ans à RomeGa naar voetnoot5) et qu'il était bien connu par son amitié avec Naudé et AllatiusGa naar voetnoot6), | |
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qui avaient inséré plus d'une fois son nom dans leurs oeuvresGa naar voetnoot1). Il ajoute que Slingelandt était un homme d'une culture universelle et verum Belgii nostri delicium. Heinsius resta tout au plus deux jours à Malines, puis il alla à Anvers. Il travailla à Anvers dans les deux bibliothèques qui possédaient seules des manuscrits: celle des Jésuites et celle de Balthazar Moretus typographorum hujus aevi facile antesignanus. Balthazar Moretus mit un certain nombre de manuscrits à sa disposition. Heinsius n'eut pas le temps de les examiner tous: l'hiver approchait et il devait rentrer à Leyde. C'est ainsi qu'il ne put pas collationner quatre manuscrits des Métamorphoses et deux manuscrits des Epîtres (Héroïdes) et des TristesGa naar voetnoot2). Parmi les manuscrits dont Heinsius nota les variantes avec tout le soin qu'il apportait à ce genre de travail, figurent ceux des Fastes d'Ovide. La bibliothèque de Balthazar Moretus en contenait trois; deux sont encore conservés aujourd'hui au Musée Plantin-Moretus, l'un porte le no 68 et l'autre le no 115; le troisième est la propriété du British Museum depuis 1841Ga naar voetnoot3), mais a probablement disparu longtemps avant cette date du célèbre musée d'Anvers. Le plus ancien des deux manuscrits des Fastes que le Musée Plantin-Moretus possède encore, le no 68, du XIIe siècle, présente une particularité qui semble propre à ce manuscrit: il donne la stichométrie ou nombre de vers de toutes les oeuvres d'Ovide qu'il contient, c'est-àdire de toutes les oeuvres de ce poète, sauf les MétamorphosesGa naar voetnoot4). Heinsius fait remarquer que les savants sont aussi très rares à Anvers. Il n'en cite que trois: Lud. Nonius, Hemelarius et Gevartius. Lud. Nonius, à la fois médecin, naturaliste, littérateur et poète latin, devait être très âgé en 1644, s'il est né, comme on le suppose, | |
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vers 1553Ga naar voetnoot1). L'année de sa mort étant inconnue, la lettre de N. Heinsius à Gronovius fournit, à défaut d'une date précise, un terminas post quem dont on n'a pas tenu compte, semble-t-il, jusqu'ici. Hemelarius était âgé à cette époque d'environ 64 ans. Il était chanoine de la cathédrale d'Anvers, s'occupait beaucoup de numismatique et cultivait avec distinction les belles-lettres. Mais c'est avec Gevartius, un vieil ami de son père, que N. Heinsius aura surtout été en rapport à Anvers. Gevartius était le dernier des grands humanistes belges. Il était très estimé à l'étranger - surtout en France et en Hollande, où il comptait beaucoup d'amis - bien qu'il eût cessé de produire depuis le jour où il avait assumé les fonctions de greffier de la ville d'Anvers (1621). Gevartius engagea instamment Heinsius à donner une édition de Claudien, poète que l'humaniste anversois estimait beaucoupGa naar voetnoot2) et qu'il connaissait pour ainsi dire tout entier par coeurGa naar voetnoot3). C'est probablement sa prédilection pour ce poète qui amena Gevartius à considérer Manlius Theodorus, dont Claudien avait chanté le consulat, comme l'auteur des Astronomica, à la place de M. Manilius, un contemporain d'Auguste. Gevartius avait trouvé l'orthographe Manlius dans un vieux manuscrit de GemblouxGa naar voetnoot4). mais il n'avait pas tenu compte que les mots Manlius poeta, sur lesquels il s'appuyait, avaient été a outés sur le premier feuillet du Gemblacenis par une main du XV siècleGa naar voetnoot5). Gevartius annonçait depuis 1618 un commentaire de Manilius. En 1647, il l'avait enfin remis sur le métier, piqué au vif par la vio- | |
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lente attaque dont il venait d'être l'objetGa naar voetnoot1). Mais l'année suivante Heinsius prédit à Gronovius que le commentaire de Manilius ne paraîtrait jamaisGa naar voetnoot2). Heinsius fut bon prophête: le cunctator summusGa naar voetnoot3) que Gevartius était aux yeux de Heinsius ne publia jamais son commentaire de Manilius bien qu'il eût annoncé à plusieurs reprises qu'il s'imprimait et qu'il allait paraître incessamment. Pendant son séjour à Anvers, Heinsius eut souvent de longues discussions avec Gevartius à propos de certains passages difficiles de Claudien. Un jour Gevartius déclara à Heinsius qu'une correction qu'il proposait pour un vers ce poète n'était par du latin. L'observation de l'humaniste anversois dut blesser le jeune philogue hollandais dans son amour-propre. Il demanda l'avis ou plutôt l'approbation de Gronovius, après avoir justifié longuement sa correctionGa naar voetnoot4). Il signala à cette occasion à son correspondant le grand défaut de Gevartius qui était aussi celui de tous les Anversois. Nous traduisons le passage in extenso à cause de l'intérêt qu'il nous paraît présenterGa naar voetnoot5). ‘Je voudrais que tu saches qu'il (Gevartius) est, outre mesure, jaloux de sa renommée, plutôt par suite d'un défaut de la race dont il est issu (c'est-à-dire des Anversois) que par suite d'un défaut personnel. En effet, la plupart des gens souffrent là (à Anvers) de la maladie τη̑ς ϕιλαντίας (amour de soi-même). Déjà prédisposés à celle-ci par leur caractère, ils y sont poussés davantage au contact journalier des Espagnols, dont ils ont adopté peu à peu les moeurs, bien qu'ils les haïssent et les détestent beaucoup’Ga naar voetnoot6). | |
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On peut se demander si l'opinion exprimée par N. Heinsius dans ces lignes ne remonte pas en partie à Puteanus ὁπάνυ. Puteanus ne devait pas aimer les Anversois. Il s'était élevé, en 1608, dans un opuscule publié à Louvain, contre le luxe des repas. Les Anversois se croyant visés - ils aimaient la bonne chère - protestèrent avec indignation: ils réclamèrent la condamnation à l'amende de l'auteur et de l'éditeur, et, dans leur colère, ils brûlèrent sur la place publique quelques exemplaires de l'ouvrage qui les avait offensés. Effrayé, Puteanus écrivit ‘au magistrat de la métropole pour protester de la pureté de ses intentions et de son estime pour le caractère et les habitudes des Anversois’Ga naar voetnoot1). L'affaire finit par être étouffée, grâce à l'appui de deux hauts magistrats, mais Puteanus dut garder rancune aux ‘seigneurs’ d'Anvers, qui lui avaient causé de graves ennuis au début de sa carrière professoraleGa naar voetnoot2). N. Heinsius rentra à Leyde dans le courant du mois d'octobreGa naar voetnoot3). M.-A. Kugener. |
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