De Gulden Passer. Jaargang 4
(1926)– [tijdschrift] Gulden Passer, De– Gedeeltelijk auteursrechtelijk beschermd
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[Nummer 2]Le débat de félicité
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Bourgogne pour y poursuivre des négociations qui lui valurent à son retour en 1491, le titre de greffier de l'ordre de la Toison d'or. Le 15 novembre 1487, il signe avec Martin Steenberch, doyen de Sainte Gudule, l'inventaire des livres et joyaux de l'hôtel du roi à Bruxelles. Il serait mort en 1493. Un fac-similé de sa signature est dans Pinchart (Archives) II, p. 255.
On connait et on possède de lui deux et peut-être trois écrits. Le premier est une traduction en français du livre de Xénophon intitulé Hiéron. C'est le premier écrit de Soillot, comme il le dit lui-même dans la dédicace de cette traduction adressée à Charles le Téméraire et dans l'épître dédicatoire du Débat de félicité. On possède plusieurs manuscrits de cette traductionGa naar voetnoot1), mais elle ne parait pas avoir été imprimée. Nous n'en dirons rien de plus.
Le second ouvrage de Soillot est une oeuvre personnelle, intitulée: Le débat de félicité. Enfin, Soillot est peut-être l'auteur d'un petit poème composé de sept sixains suivis d'un verset avec le répons et d'une oraison en prose. Ce texte qui débute: Resjoy toy, fleur de virginité
Seule passant par ta grand dignité....
a pour titre: Les sept joies de Notre Dame. On le trouve joint, dans plusieurs manuscrits, au Débat de félicité. C'est une oeuvre médiocre à laquelle nous ne nous arrêterons pas davantage.
Le Débat de félicité, dont nous allons parler à présent, est une oeuvre de jeunesse, Soillot nous le dit lui-même. Il l'écrivit en 1462 alors qu'il était âgé de 28 ans, et, comme il l'avait fait pour sa | |||||||||||||||||||||||||
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traduction de Xénophon, c'est à Charles le Téméraire, alors comte de Charolais, qu'il l'a dédiée. On en possède plusieurs manuscrits, que nous indiquerons plus loin, mais jusqu'à présent on ignorait que cette oeuvre eût été imprimée. Nous avons eu la bonne fortune de rencontrer cette édition rarissime et nous avons pensé qu'il pouvait être intéressant en la décrivant, d'y joindre une courte notice sur l'oeuvre elle-même d'autant plus que dans l'imprimé, le texte présente quelques différences avec celui qu'on trouve dans les manuscrits.
Le Grand d'Aussy, le premier, nous a donné un aperçu du contenu du Débat de félicité, dans les Notices et extraits des manuscrits de la Bibliothèque nationale, t. V (an VII), pp. 542-545, mais son résumé est fort succinct, et nous croyons utile d'en faire ici une analyse plus étendue. Cette oeuvre se compose: 1o d'un premier prologue en rime; 2o de l'épître dédicatoire à Charles le Téméraire; 3o d'un second prologue en vers; 4o du Débat lui-même. Plus tard, après la mort de Charles le Téméraire, Soillot ajouta en tête de ces quatre parties, une nouvelle épître que, pour les besoins de la cause, il adressa, en y introduisant de légères modifications, tantôt à Philippe de Croy, comte de Chimay, tantôt à Louis de Bruges, seigneur de la Gruthuyse. Dans l'édition imprimée il la modifie encore.
Le premier prologue, en rime, se compose de six strophes de douze vers chacune. Il est adressé aux trois états: Eglise, Noblesse et Labeur, qui sont les trois personnages ou interlocuteurs du Débat. Il débute pas ces vers: Se aux Empereurs qui tryompher souloyent...
et se termine: Chose qui soyt en toy plus excellent.
Après ce premier prologue, vient l'épître dédicatoire à Charles le Téméraire, alors comte de Charolais, C'est là que Soillot nous dit avoir eu pour parrain Charles de Bourgogne, et nous apprend | |||||||||||||||||||||||||
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que son premier travail, fut la traduction de Xénophon, dont nous avons parlé plus haut. Pinchart (Archives des Arts, III pp. 50 et 51) a reproduit le commencement de cette épître. Elle est suivie d'un second prologue, en vers, où l'auteur entre en matière, en ces termes; Je, pervenu a mon florissant age
Et ja mes ans, attaindant le rivage
De vint et huit que en grant douleur passoye.
C'est pour se consoler d'un grand chagrin, qu'il se mit à écrire. Quel fut ce chagrin, il est malaisé de le dire, car le texte, après les trois premiers vers, présente selon les manuscrits et l'imprimé, des variantes assez nettes. Dans le manuscrit adressé à Louis de Bruges et dans le no 9083 de la Bibliothèque royale de Bruxelles, on lit: Pour le grief dueil qu'en mon cuer amassoie
D'une sinistre et tortue fortune
Qui lors souffloit adversité plus d'une
A ma dame de beauté tout ornee
De biens, de honneurs et de meurs atornee,
Plus que nulle qu'on peut voir de deux yeulx
Feindre ou penser, tant soit ou curieux.
Dans le ms. du Musée britannique au contraire et dans le no 9054 B de la Bibliothèque royale, ces vers deviennent: Pour le grief dueil qu'en mon cuer amassoye
De cette laide et tortue fortune
Alors soufflant adversité plus d'une
A mon seigneur tant paré de vertus
Remply donneur et de meurs revestu
Joye cerchay en ce temps adversaire
Pour debouter tristesse et son affaire.
Enfin dans l'imprimé, nouveau changement: Pour dueil sur deuil que en mon cueur amassoye
Par celle faulse, trayte et envieuse
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Angoisseuse, mauldicte et malheureuse
Mort, qui mamour mon ame et mon soulas
Mavoit tollue et attrait en ses las
Celle que avoye sur toute autre choysie
Pour la bonte, beauté et courtoisye
Et autres biens dont Dieu l'avoit dohee
Car de vertus tant l'avoit aornée
Que nulle plus on eust peu soubz les cieulx
Feindre ou penser quelque fort curieux
Que ont eust esté....
Ce dernier texte, qui se rapproche du premier que nous avons cité, fait supposer que ce fut un chagrin d'amour, et l'âge de l'auteur, 28 ans, s'accorde avec cette hypothèse, Est-ce ce chagrin qui amena Soillot à entrer dans les ordres, la chose est possible, mais au vrai, nous n'en savons rien. Quoi qu'il en soit, Soillot nous dit que: Pour debouter ceste triste pensee
Cestui malheur et cestui destinee
Qui iour et nuit me troubloit mon affaire
Devers estude alay la debonnaire
Ce second prologue, dans l'imprimé, se compose de 94 vers, mais à cause des variantes qu'on y trouve, le texte dans les manuscrits n'a pas la même longueur. Il finit par ces vers: Comment te metz en si folle avanture
De ainsi perdre chose qui tousjours dure?
Le débat lui-même qui succède au second prologue est mis en prose entrelassee de diverses rimes pour recreer l'entendement des lisans, ainsi que le disait Soillot dans l'épître à Charles le Téméraire. L'auteur commence par rappeler le violent chagrin que lui fit éprouver la mort d'une dame qu'il aimait, car seul estoit icellui amour ouquel me delitoye, seul ouquel prenoye tout mon plaisir, seul ouquel mettoye tout mon espoir et fiance. | |||||||||||||||||||||||||
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Il nous parle ensuite d'un ami qu'il avait connu au cours de ses études, un peu plus jeune que lui, et qui lui était très cher. Cet ami, alors en voyage à l'étranger, lui adressa une lettre dont Soillot donne le texte. Elle est ainsi datée: Escript a Boldoadre ou royaume de Frise, le premier jour de janvier: lan mil quatre cens soixante et trois. Cette date, disons-le en passant, semble avoir échappé à tous ceux qui jusqu'ici ont parlé du Débat de félicité. Elle est cependant importante, parce qu'elle permet, en l'absence de toute autre donnée, de déterminer l'année de la naissance de Soillot. Dans le second prologue en vers, l'auteur dit qu'il écrivait au moment où il venait d'avoir 28 ans. Comme la lettre est datée du premier janvier 1463, c'est de l'année 1463 qu'il faut soustraire le chiffre 28, âge de Soillot et l'on obtient 1434 qui est effectivement l'année de sa naissance. Dans cette lettre, l'ami de l'auteur expose que ses parents l'admonestent de choisir vocation et estat dont, dit il, je suis moult perplex. Car puisque j'en ay l'opcion voulentiers choisitoye le meilleur, et ouquel pourroye auoir plus de eur et de seurté. Mais il n'a aucune expérience et il s'adresse à son ami et ancien camarade Soillot, qui est en relations avec des hommes sages de l'entourage du comte de Charolais, et il le prie de lui donner conseil. Pris au dépourvu, Soillot est fort embarrassé de répondre et si ému, dit il, que ne povoye contenir le plourer, ains comme la vigne qui en mars se taille, larmes gettoye a habondance. Aussi pense-t-il à s'excuser auprès de son ami de son incapacité à répondre, mais il réfléchit que l'affection lui fait un devoir de ne pas se dérober, et, ne se fiant pas à ses propres lumières il invoque l'aide de Dieu. Sa prière achevée, il prend plume, encre et papier et subitement comme homme ravy d'entendement, me trouvay, dit-il, en ung pays obfusqué de drues et umbreuses tenebres, si comme la nuit, seulement enluminee de estoilles, desert de tout bien, et remply d'espines, ronses, hayes et buissons, si que aucunes fois oultre passer ne povoye, sans recevoir graffinure et dessire l'abit dont vestus estoye. Il finit cependant par découvrir un sentier qui le mène à une plaine ensoleillée où il trouve un palais construit en pierres précieuses. Il en gravit le perron, et dans la pièce où il pénètre, il trouve assise une moult belle et gracieuse dame vestue d'un habit tres plantureux. La grève departant les blonds cheveulx de son | |||||||||||||||||||||||||
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chief estoit parée d'un chappelet fait de diverses fleurs rendant odeur si doulce et soeve. que toute la plaine s'en sentoit. Soillot est d'abord très intimidé. Il ne sait qui est cette dame, qu'il croit cependant avoir déjà vue ailleurs, mais autrement vêtue. Elle l'appelle par son prénom et lui souhaite la bienvenue, s'étonnant toutefois qu'il ne l'ait par reconnue, car, dit-elle, je suis ta mère, et si souventes fois t'ay alaictié de ces doulces mamelles, qui ont entonné en ta bouche les parlers dont use ta langue. Sans doute a-t-il été bien malade et malheureux pour l'avoir à ce point oubliée. Et Soillot la reconnaît; c'est la Grammaire. Il se jette dans ses bras. Alors la dame lui montre une inscription tracée sur une porte, en lui disant de faire ce qui y est dit. Soillot lit alors ces cinq vers: O toy passant par devant ceste porte
Tes questions et doubtes céans porte
Hardy ty fay. Car peril n'y aras
Et aux dames du tout tu te rapportes
Car leur scavoir tout homme reconforte
Tant soit obscur, ou tant doubteux ton cas.
Soillot ouvre la porte et pénètre dans une salle, où sur des sièges de cyprès sont assises dix dames. Ce sont: Logique, Arithmétique, Géométrie, Musique, Astronomie, Philosophie, près de qui sont assis deux très beaux et très nobles damoiseaux jeusnes de age, mais tres anciens de sens; l'un d'eux est Droit civil, l'autre Droit canon. Il y a encore deux autres dames: Médecine et Théologie, celle-ci assise sur un plus haut siège, préside, ayant un sceptre en main. Devant ces dames, est une table couverte d'un drap de velours vert broché d'or, chargée de livres, écritoires, plumes et papier, et sur deux sièges, placés plus bas, sont deux greffières: Rhétorique et Poésie. L'auteur, en trois douzains, salue cette assemblée, où ne se trouve aucun fâcheux tels que Malebouche, Dangier, et Faux Semblant. Le messager de ces dames, nous devions nous y attendre, est Doux Regard. Bientôt dans la salle, pénètre un dame moult richement aornée d'une chappe vermeille brodée de larges orfrois, esquelz plusieurs menus personnages se représentent. Elle a, sur la tête, trois couronnes, l'une marchissant l'autre, surmontées d'une croix. Elle tient dans sa main un bâton terminé lui aussi d'une croix; une suite de | |||||||||||||||||||||||||
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personnages, les uns ayant des manteaux et chapeaux rouges, d'autres de blancs roquetz, l'accompagne. Une autre dame s'avance en même temps, richement vêtue aussi, tenant en sa main senestre une blanche rondeur en maniere de pomme, hors de la quelle s'eslevoit une assez grandelette croix; dans l'autre main elle a une épée nue. Une suite nombreuse est avec elle. Ces deux nouvelles venues sont Eglise et Noblesse. Eglise, prenant la parole, se plaint d'être méprisée par Noblesse, et, invoquant l'autorité des dames assises, elle leur demande de décider entre elles, afin que l'orgueil de Noblesse soit rabattu, et qu'il soit ordonné qu'elle devra reconnaître Eglise pour sa souveraine. Eglise énumère alors les raisons qu'elle a de se croire supérieure. Son autorité n'est pas seulement humaine, mais divine, et elle est l'intermédiaire entre le monde et Dieu; Noblesse au contraire est seulement temporelle et n'a pouvoir que sur les hommes. Une simple parole d'Eglise la rend plus redoutable que toutes les armures de Noblesse. Quant à la richesse, qui l'a aujourd'huy plus grande que moy? N'ay je pas or, argent, pierreries, joyaux, magniques maisons, beaulx chevaulx, haguenées, mules à freins dorez, riches utencilles, vestemens de pourpre, amples possessions, appetissans viandes, non seulement pour ma nécessité, mais jusqu'à mes tres grans deliz et exquis plaisirs? Elle parle encore de sa nombreuse famille: cardinaux, patriarches, évêques et prélats, chanoines, clercs et religieux de la vie desquelz n'est chose plus plaine de repos, plus douce, ne plus soeve, aussi dit-on avec raison qu'il n'est don que de pape. Les arts, les sciences et les lettres sont aussi de son domaine, dit-elle, et elle réclame comme siens Aristote, Tulle, Boece, Euclide, Pitagoras, Ptolomée, Ypocras, Galien, Solone, Ligurgue, Balde, Juvenal, Therence, Virgille, Seneque, Augustin, Jerôme et tant d'autres. Elle conclut comment puet ceste dame avoir celle oultrecuidance de se dire plus heureuse que moi. Noblesse parle à son tour et s'étonne des prétentions d'Eglise. O bon Dieu qui est-elle? qui fut elle? ne quelle cuide elle estre? Certes je ne scay, mais trop bien scay, qu'il n'y a que trois jours que on ne la cognoissoit. Car nagaires a esté instituee, au regard de moy, qui de tout temps ay esté, et seule loy doée, soustenue et gardée. | |||||||||||||||||||||||||
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Eglise est, dit elle, bien ingrate; c'est dans Noblesse qu'elle a d'abord recruté ses prêtres et prélats qui, chez les Hébreux sont Moyse, Aaron, Melchissedec et d'autres, chez les Egyptiens Mercure Trismégiste, chez les Romains Romulus, Numa Pompilius, Tullius Hostilius et plusieurs autres. Noblesse allègue pour cela l'autorité de Valère Maxime. C'est aussi de Noblesse qu'Eglise tient tous ses biens et, à l'appui de son assertion, elle cite la donacion de la cité et pays de Romme que jadiz fit Constantin premier empereur xprestien à Saint Silvestre premier pape confesseur et à ses successeurs. Noblesse affirme avoir, elle aussi, puissance de Dieu sur terre et comme preuve elle dit: Le roy de France ne garist il pas des escroelles. Celluy d'Angleterre de la crampe et maladies caduques, ce qu'il leur serait impossible se vertu divine n'estoit en eulx. Les princes ont, comme Dieu, droit de vie et de mort, et leur volonté est réputée pour loi. Quant à la richesse et plaisance mondaine: je en suis remplie jusques oultre bort. Elle se repose quand bon lui semble, prend son plaisir comme elle le veut, tous lui font révérence, l'aident dans ses besoins ou ses malheurs, de leurs personnes, de leurs biens et de leurs conseils. Tous la servent parce qu'ils savent qu'il n'est service que de Roy. Elle fait les rois, princes, ducs, marquis et comtes. Elle ajoute qu'il y a deux commencemens pour pervenir a grans estas, honneurs et richesses, Assavoir science de lettres et exercice d'armes. Elle les possède tous deux. Les princes encouragent les arts, sciences et lettres: N'est-ce pas partie de nostre recreacion de lire et veoir gestes, croniques, et histoires? d'apprendre tous bons enseignemens et doctrines? d'oyr les sept ars liberalles? et de en resolucions de sciences nous exercer? Certes, les gens d'église sont adonnés à la science, mais ils n'estudient et contendent fors a avarice, ambicion et cumulacion de benefices, par intérêt autrement dit. Outre la protection et la pratique des arts et des lettres, la noblesse s'exerce aux armes. Les chevaliers et gens de guerre ont des agréments et des profits qu'Eglise ne connait pas. Ils ont le droit de pillage aux assauts des villes et des forteresses et, tout ce qui leur est bon ou plaisant ou delitable, par droit de guerre le preignent. Ils voyagent, voient du pays, d'autres nations, divers meurs tant d'hommes que de femmes, dont véritablement rien n'est plus plaisant, plus joyeulx, ne plus recreatif en ce monde. C'est par cette chevalerie que l'on peut le mieux acquérir gloire et re- | |||||||||||||||||||||||||
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nommée dont les hommes sont si friands. Ay je tort, dit-elle en finissant, se je me dis la plus heureuse du monde? La cour des dames ordonne alors aux deux parties de se retirer, pendant qu'elle délibérera et l'auteur se cache lez une almaite pour pouvoir tout observer. Mais à ce moment survient une troisième dame qui demande, à grands cris, à être entendue à son tour. Et l'auteur nous la présente; Vestue estoit se j'en suis bien recors
D'ung gris habit qui lui couvroit le corps
Portant face, pale, flatrye, et perse
Bien resambloit avoir esté dehors
A pluye, à vent qui luy estoit amors
Enchamp fouyr, qui souvent se reverse
Ou soustenu avoit dure traverse.
Qui es-tu, lui demande la cour, toi qui semble vouloir te comparer à Eglise et à Noblesse? Je suis, dit elle, celle qui les noriz et soustiens, et dont tout leur bien, richesse et félicité leur vien. La cour reconnaît qu'elle a droit, en effet, à parler: Or dis ce que tu vouldras. Labeur déclare d'abord qu'elle ne prétend pas se comparer à Eglise et à Noblesse, ni faire son propre éloge à leurs dépens, mais elle a été blessée de ce que, dans leur querelle, ces deux dames ne l'ont même pas nommée, bien que des divers états mondains, elle soit certes des bien heureux. La vie de nous autres, dit-elle, qui laborons et cultivons les champs n'est elle pas aussi seure et joyeuse, voire plus, se sans reprise, le puis dire, que nulle autre? Son travail, ajoute-t-elle, lui procure assez de ressource pour vivre honnêtement et lui donner des satisfactions. Advisons premièrement la beauté et vertu de la terre. Peut on souhaidier chose plus joyeuse que de veoir croistre lez fruiz dicelle. Que de regarder continuellement produire nouvelles choses? Que ces arbres en yver comme tous mors, en printemps reveoir revivre et reflorir? Que ces prez aucunes foiz tous sectz, peuaprès tant merveilleusement verdoyer? Que ces montaignes et valees petit à petit getter leurs herbes et verdures? Que ces ruisseaulx et reluisantes eaux porter ces beaulx joncs et fleurettes? Et icelles mesmes norrir ces doulx et délicieux poissonetz? Elle vante encore l'agrément des forêts pro- | |||||||||||||||||||||||||
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fondes, de leur feuillage et de leur ombre propices au doux repos et qu'embellit le chant des oiseaux, les vignes, les moissons, les arbres fruitiers dont la récolte abondante pare aux besoins des cultivateurs et leurs donne d'autres profits. Elle parle des travaux de la ferme, et des troupeaux quant les endoctrinans de nostre palette, quand leur apprenons quelques dansettes, quant par la main y menons Margot ou Mariette. Elle vante les joies familiales, les repas savoureux et simples non suspects d'aucunes mauvaises mixtions de chose vénéneuse. Sans doute ses biens sont mesurés, mais elle fait fi de ces caduques honneurs, ces vaines gloires, ces orgueilleux fais d'armes, ces périlleuses negociacions, ces voyages maritimes et tous les plaisirs et satisfactions tant vantés par Noblesse et par Eglise. Est-il vie plus heureuse que la sienne! Soillot en douze tercets résume leurs arguments à toutes trois. La discussion est close à présent et Théologie, ayant pris l'avis de ses compagnes, rappelle les parties pour oyr droit. La cour déclare qu'en aucune des trois, prise séparément ou réunies, ne se trouve la félicité. Elles ne sont donc pas recevables en leurs prétentions et défense leur est faite de jamais soutenir le contraire, le croire, ou même l'imaginer. Ainsi finit le premier livre du Débat. Le second commence par quatre huitains:
Moityé gari, moityé malade
Moityé triste, moityé joyeulx
Voulant tixtre neufve balade....
L'auteur ne trouve rien de mieux que de fermer les yeux et de dormir. C'est le songe classique. Il croit alors entendre une sonnerie de cor qui appelle et rassemble divers personnages représentant Eglise, Noblesse et Labeur, parlant et se plaignant
Non pas en rime, mais en prose
du jugement qui a été rendu. Depuis lors le monde, disent-ils, s'est élevé contre eux; à leurs trousses se sont mis Calamité, Misère, Paour, Peine, Meschance et Maleurté dont les reproches leur sont pénibles, puisqu'il a été décidé que le bonheur ne se trouvait ni en Eglise, ni en Noblesse, ni en Labeur. Ils prient donc la cour d'adoucir sa sentence en faisant connaître, à tout le moins, les raisons de sa décision. La cour y consent. | |||||||||||||||||||||||||
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Pour être heureux, dit-elle, il faut ne manquer de rien de ce qui est nécessaire, ne rien désirer au delà, ne pas travailler par simple intérêt, n'avoir ni tracas, ni crainte, angoisse de coeur ou douleur corporelle. Eglise, Noblesse, Labeur ne remplissent aucune de ces conditions. Tous les hommes sont insatiables. Les plus pourvus veulent avoir davantage et se sentent indigents. Sans doute Eglise a de grands biens, mais elle n'a pas parlé du remords de conscience qui suit le mauvais usage de charges recherchées, acceptées et exercées en contradiction avec la vocation. Pour avoir ces dignités, ces prélatures et bénéfices, à quelles brigues ne se livre-t-on pas et une fois obtenus, d'autres intriguent, et bien avant la mort des bénéficiaires, pour se les approprier. Et en ce ressemblez les fremis, lesquelz tirent l'or hors de l'areine, pour l'usage d'autrui. Gens d'église, dit la cour, vous êtes voués au célibat et privés des joies réelles de la famille. Ains, qui pis est, se d'avanture avez enfans, veu que point ne sont legitimes, ne les osez pour tels nommer, ne aussi les povez faire ou constituer comme bien vouldriez, vos hoirs et heritiers de vos biens. Les titres qu'on vous donne et dont vous tirez vanité c'est à la flatterie que vous les devez, et c'est pour mieux vous piper. Vous craignez pour vos biens les larrons, et le poison pour vous mêmes si vous dînez hors de chez vous. Vous vivez pleins de crainte, d'angoisse et de souci et cela vous conduit souvent à une mort prématurée. Soillot invoque le témoignage de plusieurs auteurs et cite notamment le Curial d'Alain Chartier. S'adressant à Noblesse, la cour fait remarquer que ce qui a été dit à Eglise quant à la richesse, les dignités et l'exercice des lettres, s'applique également à elle. Vous avez fait état de la gloire et de la renommée, mais vous n'avez rien dit de votre cruauté, de vos rapines, de votre paresse, de vos prodigalités et d'autres vices détestables. Le respect, la déférence qui vous sont témoignés auraient une réelle valeur s'ils procédaient d'une franche volonté, mais trop souvent c'est par crainte seulement qu'on vous les prodigue. Vous n'avez pas parlé du souci que donnent le gouvernement et le soin des affaires publiques, soucis qui abîment votre santé. Si vous avez la guerre, vous devrez appréhender la défaite, si vous êtes en paix, la rébellion de vos peuples. Vous êtes en perpétuelle défiance de tous, même de vos parents et amis, vous craignez le poison, la prison, la mort. | |||||||||||||||||||||||||
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L'amitié vous est inconnue car elle n'existe qu'entre égaux, et vous prétendez dominer. Votre libéralité s'exerce souvent à tort et à travers et vous êtes la proie des flatteurs, des financiers et des médisants. La gloire est chose vaine. La guerre et le métier des armes sont pleins de dangers. Si d'aventure on n'y est pas blessé, fait prisonnier ou tué, on n'a guère de repos, on mange mal ou pas du tout, on est exposé à toutes les intempéries, on risque aussi de n'avoir pas la solde promise et, une fois mort, que vaut cette renommée? Vous ne pouvez pas non plus dire que vous avez félicité. Labeur s'abuse aussi; pourtant, dit la cour, vous osons dire qu'il n'est vie plus seure plus quoye, plus assouvye, ou de plus approuchant eur ou felicité que la votre. Vous travaillez avec courage et vous vous reposez ensuite. Vous avez assez des biens qui vous sont nécessaires, sans avoir à leur sujet les craintes et inquiétudes d'Eglise et de Noblesse. Mais si vous avez foy, preudomie, équité et constance, vous êtes en revanche envieux les uns des autres, peu loyaux, dépourvu d'amour pour le prochain, vous êtes injurieux et querelleurs et vous murmurez à propos de tout sans jamais voir que le petit côté des choses, votre seul intérêt personnel, vous êtes médisants, enclins à croire et à écouter ceux qui prêchent la discorde et la révolte. Vous avez, avec raison, vanté vos cultures, mais n'avez-vous pas la foudre, la grêle, la sécheresse ou l'inondation qui abîment vos travaux, la guerre dont les déprédations vous atteignent dans vos biens et vos personnes. Vous avez la vie familiale et ses joies si vraies, mais combien en y a il entre vous qui soient vrais continens ou qui ne soient rudes, cruels ou chegrineux à leurs femmes, et combien de femmes qui ne soient désagréables à leurs maris. Vos enfants ne sont pas toujours soumis, déférents et respectueux: ils sont parfois le chagrin de toute votre existence. Quant aux charges et dignités dont souvent sont revêtus les bourgeois, que vous réclamez comme étant des vôtres, elles ne sont pas toujours sans ennuis ni dangers. Or povez vous doncques maintenant bien cognoistre et clerement entendre... que l'eur et félicité dont vous avez tant débatu, n'est ou consiste, ne en grande dignité, ne en puissance, ne en auctorite, ne en richesses, ne en estude de lettres, ne en renommee, ne en gloire, ne en choses militaire, ne en labourage de champs, ne en | |||||||||||||||||||||||||
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autre chose inferiore et mondaine, et que pourtant grandement errez, de en cemonde querir on eslire seur estat ou eur. Les trois dames conviennent que c'est la vérité, mais alors, où se trouve la félicité? La cour ne pourrait-elle le leur dire? La cour répond qu'elle leur donnera cette satisfaction le lendemain, et ces paroles terminent le second livre.
Au début du troisième livre, l'auteur, dans un prologue de seize vers, raconte que se promenant dans son verger, l'odeur de la marjolaine qui y croissait lui monta si fort à la tête qu'il s'endormit, et, dans un songe il vit de nouveau les trois dames et la cour. Celle-ci, tenant sa promesse de la veille, entreprend d'exposer où se trouve la véritable félicité. Elle examine d'abord ce qu'ont dit là dessus les philosophes anciens tels que Calipho et Dymoniacus, Herilus, Zénon et les stoïques, enfin Aristote et les péripatétiques. Elle réfute les définitions qu'ils ont données du bonheur, puis venant à l'opinion des modernes et des théologiens: Lactance, Isidore de Séville et saint Augustin, elle conclut avec eux que la vraie félicité ne peut être de ce monde, parce que la vie humaine est une suite de douleurs, de soucis, de déceptions et de tristesses dont la mort est le terme, et que la vie étant sujette à la mort ne peut être heureuse. La félicité, dit-elle, consiste dans la fruicion et contemplation éternelle de Dieu et de la Vierge. L'homme ne peut y arriver, que, si dans sa vie terrestre, il dompte ses vices, ce qui lui est possible par devocion, sapience, espoir, foy, charité, pitié et vertu, et, sur une nouvelle et dernière demande qui lui est faite, la Cour ajoute que le siège de cette félicité, c'est le ciel même où Dieu règne. Cette déclaration satisfait complètement les trois dames qui s'en vont, et l'auteur se retrouvant seul ajoute: Si ay tout escript, com l'oy
Pour l'envoyer a sa bonté
Que puis nommer subz sa mercy
Le débat de félicité.
Il s'excuse enfin, en huit vers, auprès du lecteur, des erreurs qu'il aurait pu commettre dans son livre. | |||||||||||||||||||||||||
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On le voit, par cette analyse, le Débat de félicité de Soillot est une oeuvre médiocre et sans originalité. L'auteur nous avait bien dit que c'était un écrit de sa jeunesse, et l'on s'en aperçoit aisément. Les pièces de vers dont la prose est entrelassée n'ont pas de mérite. Ce sont, comme tant d'autres de cette époque, des vers de mirlitons. Les citations d'auteurs anciens sont faites uniquement, semble-t-il, d'après Valère Maxime, qui au moyen âge eut une vogue considérable. Parmi les modernes il ne cite guère qu'Alain Chartier, ce notable ef par toute ta France, renommé orateur, duquel on puet la langue, mesmes maternelle, équiparer à la latine éloquence de nostre avant dit beauparlier Tulle, c'est-à-dire, Cicéron. Lorsqu'il arrive au bout de son travail, Soillot ne parait plus se souvenir de son début. Il devait donner conseil à son ami et il l'a tout à fait oublié. La même aventure est arrivée à Soillot et on peut dire qu'il ne l'a pas volé.
La mort de Charles le Téméraire, survenue le 5 janvier 1477, privait Soillot de son meilleur et plus ancien protecteur. Il songea tout de suite à s'assurer l'appui et les bonnes grâces de quelque autre grand personnage. Il rédigea une nouvelle épître dédicatoire, où il dit avoir repris cette oeuvre de sa jeunesse, pour la corriger et l'amender, à l'exemple de Virgile, Cicéron, Sénèque et saint Augustin; ainsi améliorée il la présente à un homme à même d'en juger. Il ne faut pas prendre ces affirmations au pied de la lettre. Les corrections de Soillot se réduisent à peu de choses, et les plus importantes sont, semble-t-il, les modifications de plusieurs des vers du prologue, que nous avons indiquées. Comme elles se trouvent au début de l'ouvrage, elles pouvaient faire illusion à un lecteur qui n'aurait pas la patience de lire jusqu'au bout. Il en va de même pour le destinataire, puisque cette nouvelle épître se trouve adressée, dans les manuscrits, tantôt à Philippe de Croy, comte de Chimai, vicomte de Limoges, etc. premier chambellan de Maximilien, tantôt à Louis de Bruges, seigneur de la Gruthuyse. Elle servit ensuite pour l'édition imprimée, mais adressée cette fois aux papes, cardinaux, patriarches, archevêques, évêques, abbés, prévots, doyens,... aux empereurs, rois, ducs, comtes, marquis, aux bourgeois, marchands, etc., c'est-à-dire aux gens des trois états. | |||||||||||||||||||||||||
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Manuscrits. Dans l'épître qu'il ajouta à son livre après la mort de Charles le Téméraire, Soillot parlant, des exemplaires du Débat de félicité, dit que ja en a pluseurs par le monde, et les inventaires de la bibliothèque des ducs de Bourgogne, faits à Bruges, vers 1467, et à Bruxelles, le 15 novembre 1487, en mentionnent trois. Peut-être en existe-il d'autres dont la trace est perdue. Voici ceux que nous connaissons: Londres, Musée britannique, Ms. Arundell, 71. En vélin, 57 ff. avec 3 miniatures, il provient des religieux de Greenwich à qui Marguerite d'York, veuve de Charles le Téméraire, l'avait donné. Il a été signalé en 1866 par M. Van Bruysell,Ga naar voetnoot2) qui déclarait les miniatures comme étant de toute beauté, mais il semble bien qu'il a fort exagéré. Ce manuscrit ne contient que le Débat de félicité et n'a que l'épître dédicatoire au comte de Charolais.Ga naar voetnoot3) Bruxelles, Bibliothèque royale, Ms. 9054 B. En papier, 76 ff. (dont 8 blancs) 27 ll. Ne contient, comme le précédent, que le Débat de félicité, avec l'épître au comte de Charolais. Ms. 9083. En vélin 89 ff. 26 ll. avec une miniature assez ordinaire. Il contient le Débat et à la suite les Sept joyes de Notre-Dame. Il y a l'épître au comte de Charolais, ainsi que celle rédigée après la mort de Charles le Téméraire et adressée ici à Philippe de Croy, comte de Chimai. La miniature représente Soillot, offrant son livre à ce personnage. Le manuscrit a ensuite appartenu à Charles de Croy, ainsi qu'en témoigne cette note sur le dernier feuillet: C'est le débat de félicité traittant de tous estas et n'y a que une histoire, lequel est à Monseigneur Charles de Croy, comte de Chimay. Charles.Ga naar voetnoot1) | |||||||||||||||||||||||||
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Charles de Croy était un fervent bibliophile dont les livres ont été dispersés. La bibliothèque royale de Bruxelles, la bibliothèque nationale de Paris et d'autres possèdent aujourd'hui un certain nombre de manuscrits lui ayant appartenu. Le manuscrit du Débat, porte également l'ex-libris de Marie de Hongrie. Pinchart (Archives des arts, III p. 52-54) a parlé de ce volume et donné des extraits de la dédicace. Paris, Bibliothèque Nationale, Ms. français 1154. En vélin, 92 ff. 26 ll. avec une miniature assez ordinaire. Il contient le Débat et à la suite: Les sept joyes de Notre-Dame et l'Épître que S. Bernard envoya à Raymond, seigneur du Chastel Ambroise, laquelle est translatée de latin en cler francois, par Jean Mielot, chanoine de S. Pierre de Lille, le 10 octobre 1488. Outre l'épître au comte de Charolais, on trouve en tête du volume, celle que Soillot avait écrite après la mort du duc Charles, et qui est adressée ici à Louis de Bruges, seigneur de la Gruthuyse. La miniature représente Soillot présentant un livre à ce seigneur. C'est ce volume, alors relié en velours bleu (il est à présent en maroquin rouge aux armes de Louis XIV, et les armes de Louis de Bruges ont été recouvertes par celles de France), qui a servi, semble-t-il, à Legrand d'Aussy pour sa notice du Débat de félicité. Sur ce manuscrit, voir Van Praet. Recherches sur Louis de Bruges, seigneur de la Gruthuyse. Paris, 1830. in 8o, No LIV, pp. 164-168. Avant pp. 166-167, Van Praet reproduit une partie de l'épître à Louis de Bruges. Delisle (L.) Cabinet des Manuscrits, I, p. 143, III p. 317 et gl. L. No 7.
Édition. L'édition de Débat de félicité, dont il nous reste à parler, est demeurée inconnue, pensons-nous, à tous les bibliographes comme à tous ceux qui se sont occupés de Soillot. C'est un volume in-folio, sans aucune indication de lieu d'impression, de typographe ou d'année. Il se compose de 52 ffnc., avec signatures a8 b - e6 A6 B6 C8. On y trouve deux gravures à pleine page, que nous reproduisons et, dans le texte, des initiales gravées de deux grandeurs. | |||||||||||||||||||||||||
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L'impression est à longues lignes à raison de 37 par page entière. Nous identifions le caractère avec le type 11 (Haebler) de Gérard Leeu, à Anvers. Les types 8, 11 et 12 (de Haebler) dont a fait usage Gérard Leeu, nous paraissent avoir en commun les mêmes capitales. C'est par le bas de casse qu'ils diffèrent, et encore, il semble qu'entre les types 8 et 12 il n'y ait guère que la lettre h, qui permette de les distinguer. Ce sont des caractères gothiques. On en trouvera des reproductions dans les ouvrages suivants: pour le type 8: Holtrop, Monuments typographiques, 102(57)b; pour le type 12: Holtrop 102(57)c, 103(58)a, ll-1-4; Gordon Duff, Early english printing pl. XXXVI; Kruitwagen, Het Horarium van Gérard Leeu, dans Het Boek, 1913 et à part, p. 9; Kronenberg, Twee onbekende incunabelen in het archief Bergh dans Het Boek, planche, petit caractère; Gordon Duff, Fifteenth century english books. Londres 1917. (Bibliographical society, illustrated Monographs XVIII) pl. LII. Le type 11 est une batarde, aisément reconnaissable, parce que la haste des lettres f et s (s longue) descend au dessous de la ligne. Il y en a des facsimilés dans Gordon Duff, ouvrage cité, pl. XXXV; Type facsim. Society, 1902 XX; Kruitwagen, Het Horarium van G. Leeu, pp. 5 et 218; Duff (E. Gordon). Fifteenth century english books. (Bibliographical soc. illustr. Monographs XVIII, 1917) pl. L, et enfin dans notre planche III. La mesure de 20 ll. de ce type est de 99 mm. Gordon Duff qui avait rencontré ce caractère dans les impressions en langue anglaise, faites par Leeu, avait pensé qu'il avait dû être spécialement gravé pour exécuter ce genre de livre, mais c'est une erreur. En effet il semble bien, dans l'état actuel de nos connaissances, que Leeu n'a pas imprimé de livres en anglais avant l'année 1492, et le type 11 est employé par lui dès 1489 dans un livre d'heures. Nous l'avons trouvé également dans une impression en flamand et Leeu s'en est servi pour le Débat. Voici, telle que nous avons pu l'établir, et sans prétendre être complet, la liste des impressions de Gérard Leeu, où le type 11 a été employé. 1. 1489, 6 kal. Augustas (27 juillet). Horae secundum usum ecclesiae romanae. - Anvers, Gérard Leeu, Campbell 987; La- | |||||||||||||||||||||||||
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combe, Livres d'Heures, no 579; Kruitwagen, Het Horarium (déjà cité), qui donne la description la plus étendue, pp. 212-217, et la reproduction du colophon, p. 218. 2. s.d. [1489 décembre]. Die ordinancie van der Munten. - S. ind. typ. Cette ordonnance est datée de Bréda, 1489, 10 décembre. Campbell 1337 et suppl. 2 p. 25. 3. 1492, 2 juin. Le Fèvre (Raoul). The history of Jason. - Anvers, Gérard Leeu. Campbell 1093; E. Gordon Duff, Fifteenth century english books, no 246. 4. 1492, 23 juin. Paris and Vienna, trad. en anglais par William Caxton. - Anvers, Gérard Leeuw. Campbell 944 a. 2o suppl. E. Gordon Duff, Fifteenth century english books, no 338. 5. s.d. Salomon and Marcolphus, en anglais. - Anvers, Gérard Leeuw. Campbell 460; Proctor 9405; E. Gordon Duff, Fifteenth century english books, no 115. 6. s.d. Soillot. Le débat de félicité. - S. ind. typ. Peut-être le type 11 est-il celui d'un autre volume, sans ind. typographiques: Le Recueil des histoires de Troyes. Campbell 1094, que nous n'avons pas eu l'occasion de voir. Cette liste montre que Leeu s'est servi de ce caractère à la fin de l'année 1489 et qu'il l'employa jusqu'à sa mort prématurée survenue en 1493, dont l'édition des Cronicles of the land of England, imprimée cette année là (Campbell 511, Hain 5001, Proctor 9406 et Duff 100) fait mention. On est autorisé à dire par conséquent que le Débat de félicité a du être imprimé entre 1489 et 1493. Les initiales qu'on trouve dans le texte font également partie du matériel de Gérard Leeu. Elles appartiennent aux séries reproduites par Holtrop 104(59). Leur présence confirme l'attribution de cette impression à l'imprimeur d'Anvers. Les deux gravures (voir planches I et II) sont d'une exécution assez médiocre. Leur intérêt principal est d'avoir été spécialement exécutées pour illustrer le texte qu'elles accompagnent. La première mesurant 190 × 126 mm. se rapporte à la seconde dédicace de Soillot, placée ici, comme dans les manuscrits, en tête du volume. Elle est adressée, nous l'avons dit, aux trois états et a inspiré le dessinateur, soit qu'il ait lu le texte soit qu'il ait été guidé, peut-être par l'auteur lui-même. On y voit Soillot, la tête découverte et fléchissant le genou. | |||||||||||||||||||||||||
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De la main gauche il tient sa coiffure; de la droite, il présente sou livre fermé à un pape assis dans une chaire et tendant la main gauche vers le volume offert. Derrière le siège du pape se pressent les cardinaux, évêques, clercs et religieux. A la droite du pape, trois personnages debout représentent l'empereur, un roi, un duc. A sa gauche un groupe de sept personnages, debout aussi et tête découverte, nous montre les bourgeois et gens du peuple. L'autre gravure, placée au fnc. 4 vo, mesure 189 × 124 1/2 mm. Elle nous montre Soillot, dans la même position que dans la gravure précédente, offrant son livre au comte de Charolais assis sur un trône, ayant au cou le collier de la Toison d'or; à sa gauche 3 autres personnages dont l'un porte aussi le même insigne. Divers autres personnages debout se voient dans le reste de la gravure. Nous n'avons pas rencontré jusqu'ici ces deux gravures dans aucune autre impression du XVe siècle. Dans l'édition, on trouve à la suite du Débat de Félicité, un petit traité que nous n'avons pas rencontré dans les manuscrits. Il est ainsi indiqué sur le titre: La diffinicion de Honneur. Dans l'ouvrage de Barrois, Protypographie, que nous avons cité au début de cette étude, on trouve sous les nos 1006 et 1735, la mention de deux manuscrits intitulés: C'est le Débat d'onneur et le Débat de la noblesse et l'incipit et ainsi donné: Qui estoit chief et lumière du monde...., mais ceci ne s'accorde pas avec notre texte qui commence: Comme vray honneur soit fondé en aucune excellence de perfection.... et se termine: Comme le tesmoigne Saint Pol escripvant aux Rommains et disant Gloire et honneur soit à toutes personnes faisant bonnes oeuvres. Il est donc possible que le traité contenu dans les manuscrits cités par Barrois et celui qui se trouve dans l'édition du Débat soient complètement différents. Afin de permettre à d'autres d'examiner cette question, nous donnons la table des quatorze chapitres. Après l'avoir lu, nous pensons que cet écrit est de Soillot et ce serait son dernier ouvrage. Voici l'indication des chapitres:
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Il nous reste à donner la description bibliographique de cette édition du Débat de Félicité. Fnc. 1ro, titre. ll. courtes: ⁌ Le debat de Felicite compose par maistre || Charles Soillot Secretaire de monseigneur || le Conte de Charrolois.:. || Plus bas: ⁌ Item la diffinicion de honneur... || Fnc. 1 v. gravure (voir facsimilé n: 1: l'auteur offrant son livre à des personnages symbolisant Eglise, Noblesse et Labeur. Fnc. 2, signé aij, ro, épître dédicatoire, servant de préface: ⁌ Le prologue. || Plus bas: a Lamirable sanctite des papes, Reuerende pa || ternite des Cardinaulx Patriarches Arche- || uesques Euesques Abbez Prenotz Doyens || Chanoines Curez Moignes Religieux Her || mites et autres gens de nre mere fainte eglise || Excellente maieste des empereurs & des roys || Haulte dominacion des ducz Contes Mar- || quis et autres princes. Grande magnificence || des barons cheualiers et autres nobles hōmes. Bonne preudōmie || des bourgeois, marchans mecaniques et autres laboureurs, et ge- || neralement a tous autres daucun des trois estas de ce mortel mon || de. Charles Soillot humble clerc, disciple & loingtain imitateurs des || orateurs de la lengue francoise, honneur auec tresardent desir de || vostre eur & felicite.... Fnc. 3, signé a iij, ro, l. 6, explicit: tous entierement me submets. || | |||||||||||||||||||||||||
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I. - F. 1 verso (190 × 126)
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Plus bas (ll. courtes): ⁌ Autre prologue en rime || aux mesmes trois estas. ||
Premier prologue en rime: s E aux empereurs qui tryompher souloyent.
Fnc. 4, signé a iiij, ro, l. 13, explicit: Chose qui soit de toi plus excellente. ||
Fnc. 4 vo, gravure: l'auteur offrant son livre à Charles le Téméraire (voir planche 2). Fnc. 5 ro, épître dédicatoire de Soillot à Charles le Téméraire: ⁌ Au Duc lors Conte. || Plus bas: A Treshault et tresuertueux prince et mon tresredoub- || te seigneur. Monseigneur Charles vnique heritier || de la maison de bourgoingne. Conte de Charrolois. || Seigneur de chasteaubelin & de Bethune. Vrē tres- || humble et tresobeissant seruiteur & indigne Secretai || re Charles Soillot. Honneur auec tresardent desir de vostre felici- || te et affection de sernice. ⁌ Se considerant les honneurs et grans || biens par moy de vous receus.... Fnc. 5 vo, l. 29, explicit: plantureux don. || Fnc. 6 ro: ⁌ Lacteur. Premier liure. || Plus bas le second prologue en rime: 1 E peruenu a mon florissant age (Voir le facsimile 3)
Fnc. 7 ro, l. 22, explicit: De ainsi perdre chose qui toufiours dure? ||
Plus bas texte: ⁌ Lacteur. || En laquelle contemplacion moy estant ainsi occupe & feu - || let en mon corage reuoluant ces choses.... Fnc. 9, signé b j; ro, incipit: Car vng mien amy acquiz || Et exquis... Fnc 44 [B6] ro, l. 14, explicit: Se erreur ay boute
En cestuy debat
De felicite
.....
l. 21: En cestuy debat ||
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II. - F. 4 verso (189 × 124 1/2)
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III. - F. 6 recto.
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Plus bas (ll. courtes): ⁌ Explicit le derrenier liure || du debat de felicite.:.|| Fnc. 44, vo, traité de l'honneur: ⁌ Quelle chose est honneur. Premier chapitre. || Plus bas: HOmme vray honneur soyt fonde en aucune excellēce || de perfection a quoy appartient reuerence... Fnc. 52 vo, l. 7, explicit: aux rommains, et disant Gloire et honneur soit a toutes personnes || faisans bonnes oeuures || Plus bas: Amen || Fnc. 52, blanc.
Les impressions en langue française faites à Anvers au XVe siècle sont en très petit nombre. Campbell n'en énumère que cinq (no 177a, 941, 1091, 1094 et 1476) dont trois sortent des presses de Gérard Leeu. Il faudra désormais en compter une de plus à son actif.
M.-Louis Polain. |
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