De Gulden Passer. Jaargang 3
(1925)– [tijdschrift] Gulden Passer, De– Gedeeltelijk auteursrechtelijk beschermd
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[Nummer 2]Le jésuite mathématicien Anversois André Tacquet (1612-1660).André Tacquet naquit à Anvers, le 23 juin 1612, et y mourut le 22 décembre 1660. Bien longtemps on ne l'a connu que par ses ouvrages et par les jugements, presque toujours très avantageux, dont ils étaient l'objet. On appréciait le savant, l'homme restait ignoré. On pouvait croire celui-ci quelque peu lourd, guindé dans une raideur géométrique. La publication de plusieurs lettres de la correspondance de Christiaan HuygensGa naar voetnoot1) souleva un coin du voile et corrigea en partie cette prévention. A deux reprises, dans son Histoire du Cartésianisme en BelgiqueGa naar voetnoot2), et dans ses Correspondants Belges du grand HuygensGa naar voetnoot3), feu Mgr Monchamp mit en oeuvre ces nouveaux documents pour nous faire déjà voir un Tacquet bien différent de ce qu'on se figurait; mais il y a quelque temps, j'ai eu plus de chance, car en cherchant tout autre chose aux Archives Générales du Royame, j'ai mis la main sur une courte biographie contemporaine de Tacquet, d'un haut intérêt. Elle fait l'objet d'une lettre du P. François van der MerschGa naar voetnoot4), Recteur du Collège de la Compagnie de Jésus à Anvers, au P. Jean | |
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RenterghemGa naar voetnoot1), Provincial de Flandre-Belgique, et est écrite d'une plume très émue. Le Recteur a passé la nuit au chevet de son subordonné et vient de recueillir son dernier soupir. Rien du style officiel, raide, bref et froid qu'ont souvent les lettres mortuaires de ce genre. On sait que ces lettres se conservent en grand nombre aux Archives Générales. Ce n'est pas une perte ordinaire que le Collège vient de faire; c'est le savant en vue, qui était l'honneur de la maison, mais c'est aussi le religieux, qui par son caractère jovial, pieux et un peu enthousiaste, faisait le charme de la communauté. La lettre du P. van der Mersch est écrite sans le moindre apprêt et même avec une certaine négligence, qui la rend par moments difficile à traduire si l'on cherche à serrer le texte de près; mais elle est vivante. La voici telle quelle en entier, sans l'interrompre par des éclaircissements. Je reviendrai ensuite sur quelques-uns des faits qu'elle raconte, en tâchant de les préciser et de les compléter. C'est, bien entendu, un document qui n'a pas la prétention d'un morceau de littérature; van der Mersch eût été fort surpris, si on lui avait dit qu'il serait un jour publiéGa naar voetnoot2).
‘Révérend Père dans le Christ. ‘La paix de N.-S. ‘Le troisième mois de l'Ordre (le 3e mois scolaire) a été funeste pour ce collège. Il nous a enlevé cette nuit, pour le transporter au Ciel, nous l'espérons, le P. André Tacquet, qui avait reçu à temps tous les Sacrements de l'Église en présence des Pères et des Frères. ‘Né à Anvers, l'an 1611Ga naar voetnoot3), il était entré dans la Compagnie en 1629 et avait fait la profession des quatre voeux, le 1er novembre | |
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1646. Il enseigna les humanités pendant cinq ans. Le reste du temps qu'il passa dans la Compagnie fut en partie employé à étudier les Mathématiques, mais surtout à les enseigner, à Louvain et à Anvers, tant aux Nôtres qu'aux étrangers. Il le fit avec autant de succès que d'honneur pour la Compagnie, et compta des élèves bien formés recrutés dans la noblesse de Pologne, de Bohême, d'Allemagne, de France et d'autres nations. La réputation de son savoir le mit plus d'une fois en relations épistolaires avec les principaux mathématiciens de l'Europe, qui le consultaient sur des matières relatives à leur science. Les supérieurs de Rome et de Belgique le stimulaient à écrire, et il se préparait à publier un ouvrage remarquable, encore inédit, qui s'étendait à cette science tout entière. Il y avait préludé en mettant au jour divers opuscules sur la même matière. Dans leurs Préfaces, il manifestait toujours qu'il n'avait en vue qu'un seul but: diriger le coeur et l'esprit du lecteur vers Celui qui a tout fait avec nombre, poids et mesure. ‘Durant le cours entier de sa vie, il joignit la piété à la science. De sa jeunesse à son dernier soupir, son innocence et la délicatesse de sa conscience restèrent immaculées et à l'abri de toute espèce de souillure. Dès avant son entrée dans la Compagnie, son visage reflétait la candeur et la beauté virginale de son âme. Ses proches parents attestaient la supériorité de son talent. On ne le rencontrait qu'à l'Église et à l'École, fuyant dans les réunions toute mauvaise compagnie et tout ce qui avait l'apparence du vice. ‘Une conduite si irréprochable dans le monde faisait prévoir ce que serait sa vie religieuse. Il y montra toujours et avant tout le plus grand zèle pour la méditation, qu'il préparait soigneusement dès la veille. A plusieurs reprises, il avoua ingénuement qu'il ne l'avait jamais écourtée en rien; qu'il n'aurait pu s'endormir tranquille sans l'avoir faite, quel que fut d'ailleurs son état de santé. Pour s'y unir le matin plus intimement à Dieu, il avait soin, la veille, à partir du signal des LitaniesGa naar voetnoot1), de rejeter loin de lui toute préoccupation, toute pensée d'étude ou d'autres affaires. Pendant la journée, il entretenait de temps en temps le feu allumé dans la méditation du matin par de longues prières devant le Saint Sacrement. Elles le reposaient, et pour y vaquer il interrompait fréquemment son travail à certaines heures fixées d'avance. | |
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‘La bouche parle de l'abondance du coeur. Aussi, rien ne lui était plus ordinaire que de parler de ce Dieu, pour lequel il brûlait d'amour. Rien ne lui était plus agréable que les conversations sur Dieu et les choses qui le concernent. ‘Quant au zèle des âmes, il disait que si sa santé compromise par l'asthme et la phtisie le lui eût permis, il se serait dépensé en prédications, en catéchismes et autres ministères de la Compagnie, qu'il tenait en la plus haute estime et qu'il prônait chez les autres. Dans ses entretiens avec les Nôtres et avec les étrangers, il déployait ce zèle en y mettant non moins d'adresse que d'ardeur. Naguère, il eut l'occasion d'essayer d'amener à la Foi un savant fort réputé pour ses connaissances en Mathématiques, jouissant d'une grande autorité en Hollande, très entendu dans cette science, mais hérétiqueGa naar voetnoot1). Aussi bien par ce qu'il lui dit de vive voix, que par les lettres qu'il lui écrivit ensuite, il semble lui avoir touché à ce point le coeur, que cet homme causa plus tard une grande émotion chez les siens et jeta la semence assurée d'un grand nombre de futures conversions. ‘Il préconisait assiduement les livres de spiritualité, aimait surtout l'Institut de la Compagnie, était très fidèle aux règles, montrait nettement son déplaisir quand parfois il apercevait quelque relâchement dans leur observation, dans l'esprit primitif de la Compagnie, ou quand il le voyait souffrir en quoi que ce soit. Toujours il défendait ouvertement les décisions des supérieurs. S'il voyait quelque défaillance dans la pratique des règles, notamment quand il croyait qu'il y avait danger de porter quelque atteinte à la pauvreté de la Compagnie, mettant de côté tout respect humain, sans distinction de personnes, il manifestait, avec une liberté religieuse, sa vive désapprobation. ‘Très soucieux de la charité fraternelle, il détesta toujours la médisance, principale ennemie de cette charité. ‘C'est pendant sa dernière maladie qu'il fit surtout apparaître sa piété et la force de ses vertus. Unissant ses souffrances à celles du Christ souffrant, il répétait de temps en temps: Passion du Christ, fortifiez moi!Ga naar voetnoot2) Il remerciait avec beaucoup d'humilité ses con- | |
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frères pour les services qu'ils lui rendaient, leur répétant que c'était trop. Épuisé par une petite fièvre de sept jours qui se déclara et fit dégénérer l'asthme et le catarrhe en phtisie de poitrine, il expira très doucement vers onze heures de cette nuit, en pleine connaissance d'esprit, maître de lui-même, entouré d'un groupe des Nôtres. ‘Il y a trois jours, tandis qu'on lui administrait le Saint Viatique et qu'on lui donnait les Onctions pour le dernier combat avant l'Éternité, il demanda humblement pardon à ses frères; après quoi, plein d'une douce joie, il sembla s'affaiblir dans de derniers efforts pour rendre l'âme. Fondant abondamment en larmes et en arrachant aux autres, il répondait lui-même à chaque invocation. Puis, pendant des heures, il tint le Crucifix, l'étreignant de ses mains, le baisant, lui parlant, le suppliant, et lui répétant très souvent avec gémissements: Venez, Seigneur Jésus. Pendant ses derniers jours et ses dernières nuits, il redisait ces paroles en contemplant son Crucifix d'un visage souriant, le pressant de ses bras, multipliant de beaux actes de vertu, tels que ceux d'une charité parfaite et d'une vraie contrition; renouvelant ses confessions, car sa délicatesse de conscience étant extrême, il s'efforçait à mainte reprise d'effacer toute trace qui aurait pu rester de ses fautes anciennes. ‘Après Dieu et sa sainte Mère, auxquels il était profondément attaché, il mit, dans sa dernière agonie, toute sa confiance dans les Saints de notre Compagnie et surtout en saint François Xavier, auquel au milieu de ses souffrances il fit plusieurs voeux. Comme on lui apportait des reliques du saint, munies de l'approbation de l'Illustrissime [Archevêque] de Malines, il se redressa tant bien que mal à leur vue, les contempla d'un regard affectueux, les vénéra pieusement et demanda qu'on les déposât à son chevet en gage assuré pour un moribond. Il se montrait d'autant plus certain d'obtenir le patronage du saint au moment de son passage à l'autre monde, qu'il s'était fait pendant toute sa vie son client et son imitateur le plus fidèle. Nous espérons à bon droit, que sous les auspices d'un si grand Apôtre, il lui a déjà été permis, au delà de ces Orbes célestes sur lesquels il a composé un ouvrage si remarquable - auquel il a travaillé constamment de coeur et d'esprit - d'arriver à un séjour où il peut contempler de près ce qu'il n'a pu admirer que de loin pendant la plus grande partie de sa vie. ‘Si peut-être quelques fautes de la fragilité humaine empêchaient cependant encore chez lui la vue de ce spectacle. Votre Révé- | |
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rence voudra bien prescrire pour lui les suffrages ordinaires de la Compagnie. ‘Qu'elle daigne me recommander (à Dieu) dans ses saints Sacrifices. Anvers, 23 décembre 1660.
De Votre Révérence, le Serviteur dans le Christ, François van der MerschGa naar voetnoot1).’
Complétons cette lettre. Pour se conformer à une tradition de la Compagnie de Jésus, Tacquet en entrant au noviciat, donna sur sa famille et ses premières études, quelques renseignements écrits de sa main et consignés dans un registre nommé Album Novitiorum. Le registre de l'ancienne province Flandre-Belgique se conserve au Noviciat de Tronchiennes. Voici ce que nous y lisons: ‘Moi, André Tacquet d'Anvers, je suis né l'an du salut du genre humain 1612, au mois de juinGa naar voetnoot2), du mariage légitime de mon père Pierre Tacquet d'Anvers et de ma mère Agnès Wandelen de Nurenberg, autrefois négociants à Anvers, dont le premier a payé sa dette à la nature, mais dont la seconde survit encore et vit de ses propres rentes. J'ai fait sept ans d'études d'humanités au Collège des Pères de la Compagnie de Jésus. Quand enfin, embrasé du désir d'une vie meilleure, je me suis présenté à la Compagnie de Jésus, j'y ai été reçu à Anvers par le P. Jacques van der StraetenGa naar voetnoot3), Provincial de la province Flandre-Belgique de cette Compagnie, l'an 1629, au mois de septembre, le...,Ga naar voetnoot4) après l'examen préalable requis. Je suis arrivé au noviciat de Malines le dernier jour du mois d'octobre de l'an 1629. J'y ai été examiné par le P. Frédéric de | |
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TassisGa naar voetnoot1), Recteur du noviciat, conformément à l'Examen Général de la Compagnie....’ Suivent des clauses de chancellerie. ‘En foi de quoi, j'ai écrit et signé ceci de ma propre main. ‘Fait à Malines, dans la maison du Noviciat, le 7e jour du mois de novembre 1629. ‘C'est ainsi. ‘André Tacquet.’
Au bout de deux ans, Tacquet prononça ses premiers voeux, après quoi, il se rendit de Malines à Louvain, pour y commencer les études supérieures. En 1631-32, il est élève en Logique; en 1632-33, en Physique; en 1633-34 et en 1634-35, en Mathématiques. Ces deux années de Mathématiques étaient des années d'études supplémentaires ajoutées à celles que suivaient régulièrement les jeunes religieux de la Compagnie. Tacquet y eut pour professeur Guillaume BoelmansGa naar voetnoot2), l'un des plus brillants disciples de Grégoire de Saint-Vincent. Notre jeune anversois ne tarda pas à se distinguer dans les Sciences exactes. Il nous en reste une preuve. Les 8 et 9 août 1634, Boelmans présidait au Collège des Jésuites de Louvain une séance académique dédiée aux Mathématiques; Tacquet et trois de ses condisciples furent désignés pour y défendre l'enseignement de leur maîtreGa naar voetnoot3). La solennité se fit avec un éclat inaccoutumé. Une lettre | |
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du 9 août 1634, envoyée de Louvain par Erycius Puteanus à l'astronome Michel Florent van LangrenGa naar voetnoot1), nous apprend que Saint-Vincent lui-même avait cru devoir se déranger, et qu'il était arrivé de Gand assister à la séance pour la rehausser de sa venue. Après cette première période de quatre années d'études, Tacquet quitta Louvain et enseigna pendant cinq ans les Humanités. Les Annuaires officiels des emplois remplis par les Jésuites de Flandre-Belgique le renseignent en 1637-38 comme professeur de Grec au Collège de Bruges et en 1638-39 comme professeur de Poésie dans la même ville; mais j'ignore où il passa les trois autres années: les Annuaires qui auraient pu nous l'apprendre sont perdus. En 1640-41, Tacquet, rappelé à Louvain, y commença son cours de théologie, qui dura quatre ans; contrairement à l'usage, ce cours ne fut pas suivi d'une 3e année de probation, car au lieu d'être envoyé à Lierre avec ses condisciples, notre géomètre fut d'emblée nommé à Anvers pour y enseigner les Mathématiques. Il y resta jusqu'en 1648-49, date où il revint à Louvain pour y remplir le même emploi. Exception faite de la séance du mois d'août 1634, depuis plus de vingt ans que le brillant professeur avait franchi le seuil du Noviciat de Malines, sa vie tout entière s'était jusqu'ici passée dans l'ombre. La scène change à partir de 1650. | |
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Le 31 janvier de cette année, il présidait à son tour une séance académique, dans laquelle il faisait défendre par le jeune Philippe Eugène, comte de Hornes et d'Herlies, des thèses de physique-mathématique. Une grande feuille imprimée in-folio planoGa naar voetnoot1) donnait le programme de la fête. Une brochure in-4o de 42 pages le développait, en ajoutant notamment la démonstration des thèses, dont l'énoncé seul figurait au programme. Le Collège de la Compagnie à Louvain possède un exemplaire de cet opuscule rarissime. Sa valeur documentaire est considérable. Il est simplement intitulé Dissertation physico-mathématique sur le mouvement du Cercle de la SphèreGa naar voetnoot2); mais en réalité il est plutôt consacré, d'abord à l'étude du paradoxe de la roue d'Aristote, regardé jusque là comme insoluble, et en outre aux problèmes relatifs à la Cycloïde qui se rattachent à ce paradoxe. Pour nous, ces questions n'ont plus d'importance, car elles sont aujourd'hui parfaitement résolues; mais elles avaient fait l'objet d'ardentes discussions au Moyen Age, et Tacquet avoue que plusieurs d'entre elles lui paraissent encore inextricables. Aussi l'intérêt de son opuscule est-il plutôt d'ordre historique que d'ordre mathématique. Si on le rapproche de l'Histoire de la Roulette de Pascal, qui est de huit ans postérieure, on voit à quel point l'illustre écrivain français se trompe, quand il affirme que Mersenne fut le premier à remarquer la Roulette ou Cycloïde, courbe dont on s'occupait un peu partout depuis des siècles et des siècles. J'ai étudié ce sujet en détail dans un mémoire intitulé Pascal e les premières pages de l'Histoire de la RouletteGa naar voetnoot3). Le 29 mars 1651 se tint une séance analogue à la précédente et avec les mêmes acteurs. Tacquet préside le tournoi scientifique, Philippe Eugène de Horne et d'Herlies soutient les assauts. La lutte portait cette fois sur l'Optique, la Statique et la Balistique. Il | |
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y eut comme la première fois un programme imprimé distribué au public et une brochure destinée à perpétuer le souvenir de la fête. Ne les ayant jamais vus, je n'en puis dire davantage. Troisième et dernière joute publique, toujours du même genre, le 3 septembre 1652. Le héros est cette fois Théodore d'Immerselle. comte de Bouchove et du Saint-Empire. Comme toujours, il y avait un programme qui donnait les énoncés des thèses, et une brochure qui en développait les solutions. Je n'ai vu ni l'un ni l'autre. Mais il existe un exemplaire du programme, soit aux Archives Générales du Royaume, soit à la Bibliothèque Royale de Belgique. Mes regrettés confrères Charles Georges et Alphonse Lallemand l'ont eu en mains. Le P. Georges a transcrit les énoncés des thèses, le P. Lallemand y a ajouté la description des vignettes qui les encadrent. Je possède leur manuscrit, où ils ont malheureusement négligé d'indiquer la cote de la pièce originale et n'ont pas même précisé quel est celui des deux Dépôts qui la possède. Je n'ai pu jusqu'ici la retrouver, et je me sers de leur copie. Les thèses du 3 septembre 1652, assez peu nombreuses, diffèrent cependant beaucoup des précédentes par leurs sujets: l'Arithmétique, la Géométrie, l'Architecture militaire, la Cosmographie, la Statique, l'Optique et la Musique. Si elles méritent de nous arrêter un instant, c'est qu'elles furent l'occasion d'une première correspondance entre Tacquet et un jeune homme qui perçait déjà dans la Science, et qui y portera un jour l'un des plus grands noms de l'Histoire de la pensée humaine: Christiaan Huygens. C'est par Grégoire de Saint-Vincent que les deux savants virent se nouer leurs relations. Le vieux Jésuite brugeois vivait alors à Gand; mais il venait de publier à Anvers, chez les Meursius, son Problema AustriacumGa naar voetnoot1), | |
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immortel chef-d'oeuvre qui aux yeux de Leibniz élevait l'auteur, comme géomètre, au rang de Fermat et de Descartes. On sait cependant que, mal inspiré, Grégoire prétendait y démontrer dans le dixième et dernier livre la quadrature du cercle. Maladresse autrement grave, il annonçait avec éclat cette quadrature dans le titre et semblait en faire le but principal, voire unique, de l'ouvrage. Né à La Haye en 1629, Huygens n'était encore qu'un étudiant, quand le Problema Austriacum vit le jour; mais cet étudiant, d'une précocité extraordinaire, découvrit immédiatement les lacunes de la quadrature de Grégoire, et conçut aussitôt le projet d'en publier la réfutation. Le père de Christiaan, riche seigneur hollandais, l'humaniste Constantin Huygens, avait donné pour précepteur à son fils un géomètre éminent, François van Schooten: celui-ci, à l'époque qui va nous occuper, venait de succéder à son père, nommé François van Schooten comme lui, dans la chaire de Mathématiques de l'Université de Leyde. Constantin Huygens ne se fit pas trop prier pour consentir au désir de son fils. Il avait toujours suivi personnellement et de très près l'éducation de ses enfants. Aussi son oeil paternel veilla sur la plume du jeune débutant, pour en prévenir toute vivacité intempestive. L'Examen de la quadrature de Grégoire de Saint-VincentGa naar voetnoot1) est une merveille de discussion serrée et courtoise. Il était écrit avec tant de tact et d'habileté, gardait si parfaitement le ton d'une discussion de logique pure, que l'auteur n'hésita pas à l'envoyer à Saint-Vincent lui-même. Le Jésuite eut le bon goût de s'en montrer satisfait, et la courtoisie d'en remercier son sémillant contradicteur, mais sans se rendre aux arguments que celui-ci faisait valoir, et par conséquent sans avouer qu'il s'était trompé. Saint-Vincent ne se départit jamais de cette première attitude. Les communications étaient alors assez difficiles entre La Haye et la plupart des villes belges. Elle se faisaient souvent par Anvers, | |
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et les Jésuites y disposaient des bons offices d'un confrère toujours complaisant, Daniel Seghers, le peintre de fleurs que son talent d'artiste mettait en relations avec toutes les célébrités de l'Europe. C'est par les mains de Seghers que passaient leurs lettres pour La Haye. ‘J'espère vous voir montrer autant de libéralité que Monsieur Seghers met de zèle à nous faire parvenir les productions des autres,’ écrit Christiaan Huygens à GrégoireGa naar voetnoot1). Dès lors il comprit d'ordinaire Tacquet parmi les destinataires des envois qu'il faisait par l'entremise du grand peintre. Huygens ne se fit notamment pas prier pour faire hommage au professeur de Louvain d'un exemplaire de l'Examen. Nous avons encore l'accusé de réceptionGa naar voetnoot2). | |
D'André Tacquet a Daniel Seghers.‘Louvain, 6 février 1652.
Cher Frère dans le Christ.
Je vous remercie beaucoup pour le petit livre que vous m'avez envoyé. J'y ai remarqué plusieurs belles inventions, qui m'en font augurer encore bien d'autres d'un talent si capable. Je désire avoir l'occasion de pouvoir vous obliger et je me recommande instamment à vos bonnes prières. Louvain, 6 février 1652. Votre serviteur dans le Christ, André Tacquet’.
Seghers transmit ce billet à Huygens, qui le garda dans ses papiers, où il se trouve encore. Cette première correspondance entre Tacquet et Huygens en resta là. Quelques mois plus tard, elle reprit, par le même intermédiaire. Tacquet envoyait à Huygens plusieurs exemplaires du programme de la séance du mois de septembre 1652, en le priant de les distribuer à ses amis, parmi lesquels il désignait nommément François van Schooten. | |
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L'une des thèses de Géométrie intrigua singulièrement Huygens. Elle était conçue en ces termes: Nous prouverons par de nouveaux exemples empruntés à la Géométrie, que d'une proposition fausse il est parfois possible de déduire directement une proposition vraieGa naar voetnoot1). Toute la difficulté portait sur le mot directement; car déduire indirectement la vérité d'une proposition, en prenant pour point de départ une proposition fausse, c'est ce que les Mathématiciens font journellement dans les ‘démonstrations par l'absurde’. Mais peuton donner une forme directe à ce genre de raisonnement? Voilà ce qui embarrassait Huygens, et il est assez surprenant qu'il ne se soit pas rappelé qu'Euclide, dans la proposition 12 du livre IX de ses Éléments, lui en fournissait un exemple. Quoi qu'il en fût, la forte éducation donnée par Constantin Huygens à ses enfants avait fait de son fils Christiaan un savant modeste. C'est souvent la marque du vrai talent. En envoyant les thèses de Tacquet à son ancien précepteur, Christiaan le consulta sur la difficulté qui l'arrêtait. Voici un extrait de la réponseGa naar voetnoot2). | |
De François van Schooten a Christiaan Huygens.‘Leyde, 4 novembre 1652.
François van Schooten au très Illustre Sieur, Monsieur Christiaan Huygens, (Salut!) J'ai reçu votre lettre et celle que le Révérend Père Tacquet m'avait envoyée avec ses thèses enluminées de couleurs. Je vous en remercie beaucoup, vous et lui aussi; vous, pour la peine que vous avez prise de me les transmettre; lui, pour sa générosité en me les donnant. Je ne puis me refuser de répondre à vos questions. Par conséquent, quant à ce qu'il dit que la vérité peut se déduire directement d'une proposition fausse, je crois pour moi que vous le verrez facilement par les exemples donnés ici. Car si quelqu'un raisonnait comme suit: | |
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Toute pierre est un animal.
Tout homme est une pierre.
Donc tout homme est un animal.
Il déduirait directement de deux propositions manifestement fausses une conclusion vraie; car, il n'y a ici aucun défaut de forme dans le syllogisme, qui est de la première figure, et toutes les conditions requises s'y trouvent...’ Suivent d'autres exemples: ils ne sont guère mieux choisis, car ils sont pris dans l'Astronomie, l'Algèbre, etc., tandis que Tacquet disait explicitement qu'il s'agissait de la Géométrie. Schooten prend congé de son correspondant par cette phrase: ‘Faites parvenir à Monsieur Tacquet, je vous prie, la lettre cijointe avec la vôtre. Encore une fois, salut! Leyde, 4 novembre 1652’Ga naar voetnoot1).
Pareille réponse ne pouvait satisfaire l'ancien pupille du Professeur de Leyde. Il lui semblait, et il avait raison, que l'auteur des thèses avait eu en vue de vraies démonstrations géométriques; tandis que les exemples imaginés par son ancien maître n'étaient que des jeux d'esprit sans portée et tout à fait à côté de la question. Il prit donc le parti de s'adresser à Tacquet lui-même. Comme il lui devait une lettre de remerciements, il y joignit un billet séparé dans lequel il formulait ses difficultésGa naar voetnoot2). | |
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immédiatement distribuées de la manière qu'on m'avait indiquée. Voici la réponse de notre van Schooten qu'on vient de me remettre. Je n'ai pas voulu vous l'envoyer d'ici sans y rien ajouter. J'ai donc cru devoir y joindre les remerciements dûs à votre présent et mes excuses pour la modicité de celui qui vous est parvenu depuis longtemps par le même intermédiaire. Il ne méritait pas que vous vous en souveniez après tant de temps écouléGa naar voetnoot1). J'ai appris, par ce que vous avez écrit à cette époque au Père Seghers, que vous n'aviez pas hésité à prendre le temps de parcourir mes petites pages. Je n'ai pas su exactement le jugement que vous en aviez porté, si ce n'est qu'elles vous faisaient assez bien augurer, disiez-vous, du talent de l'auteur. Puisse-t-il un jour le prouver! Ceux qui ont pris connaissance de la seconde partie de mon petit livre me paraissent avoir été peu nombreux. Si vous en êtes, Très Illustre Monsieur, j'apprendrai volontiers le jugement que vous en portez, quel qu'il soit. J'ai su par ailleurs que van Gutschoven approuvait mon Examen de la quadrature, grégorienne. Je lui ai écrit une lettre, ci-incluse, pour qu'il voulût me confirmer lui-même ce que d'autres m'en avaient ditGa naar voetnoot2). Il y a quelques mois que j'ai rendu visite au P. Grégoire. Nous avons beaucoup discuté. Cet homme excellent était presque toujours hésitant. Tantôt il s'excusait en disant que ce n'était pas lui, mais ses élèves, qui s'étaient chargés de toute la disposition de son ouvrage. Tantôt il paraissait convenir que la première quadrature renfermait des erreurs, pour placer sa confiance dans les autres. D'après ce que ses paroles m'ont permis de conjecturer, sa réponse se fera attendre. Si elle paraît quelque jour, je crois que quiconque a pesé mes arguments peut prédire quelle en sera la valeur. Adieu. 4 novembre 1652.’ | |
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Billet ajouté à la lettre: ‘Il y a dans vos thèses, Très Illustre Monsieur, un point sur lequel j'ai interrogé van Schooten pour en comprendre la signification: c'est celui où vous dites que du faux on peut déduire directement le vrai. Il m'a longuement répondu sur ce sujet, m'a donné en exemple la Règle de faux et l'Algèbre elle-même; puis la diversité des hypothèses astronomiques et un syllogisme en forme dans lequel de prémisses fausses on tire une conclusion vraie. Tout cela me paraît étranger à la question et j'ai l'intention de le lui montrer. Je désire donc très vivement que vous m'expliquiez vous-même votre thèse. Signalez-moi au moins une proposition de Géométrie, où ce que vous affirmez se vérifie, car pour moi je suis d'un avis très contraire et je n'ai rien pu découvrir de semblable. Mais comme vous vous êtes adonné à cette science depuis très longtemps, il n'est pas étonnant que vous y ayez trouvé davantage. D'autant plus que vous appréciez toute chose avec ce jugement pénétrant et très sûr que vous montrez partout dans vos écrits. C'est pourquoi, Très Illustre Monsieur, satisfaites ma curiosité: cela vous est facile. Adieu!’ Les lettres d'Huygens et de van Schooten partirent pour Anvers avec ces lignes de politesse pour SeghersGa naar voetnoot1): | |
De Christiaan Huygens a Daniel Seghers.‘La Haye, 4 novembre 1652.
Au P. Seghers. Les thèses imprimées et ornées de vignettes en couleurs, que vous avez pris la peine de m'envoyer, me sont arrivées en bon état entre les mains, il y a quelque temps. Leur splendeur prouve en quel estime vous tenez les questions scientifiques. Pour vous répondre, j'ai attendu la lettre du professeur van Schooten, qui est jointe à la mienne. Je l'envoie au Père Tacquet avec la lettre de remerciements que je lui écris et dans l'espoir de faire plus ample connaissance avec lui. Vous voudrez bien la lui faire parvenir et m'obliger ainsi de plus en plus. Votre très humble etc.’ | |
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Fort absorbé par ses devoirs professionnels, Tacquet attendit près d'un mois pour répondreGa naar voetnoot1). | |
D'André Tacquet a Christiaan Huygens.‘Louvain, 2 décembre 1652.
Très Illustre Monsieur.
J'ai reçu votre lettre si courtoise qui m'a fait plaisir. Jusqu'ici diverses occupations m'avaient mis dans l'impossibilité d'y répondre; maintenant que j'ai un peu plus de loisir, je le fais très volontiers. Si l'exiguité et le peu d'importance de mon petit présent ne vous ont pas empêché de me remercier, c'est que vous l'avez regardé comme une sorte de devoir envers ceux qui aiment ici ces sciences et les connaissent. Quant à ce qui concerne la quadrature, dès que l'ouvrage vit le jour, j'ai fait à l'auteur diverses objections contre les propositions 5, 6, 7, 8, 12 et 39 de sa première quadrature et aussi contre ses autres quadratures. Je les lui proposai d'abord de vive voix, ensuite par écrit. Jamais íl ne m'y a répondu d'une manière satisfaisante; d'où je conclus qu'il n'a pas donné la quadrature. Je n'en ai pas moins toujours admiré et très fort vanté les autres parties de l'ouvrage, et toujours j'ai rangé l'auteur parmi les grands géomètres. J'estime qu'aucun de ceux qui l'auront lu ne sera d'un avis différent. Pour ce qui est de votre Examen, je l'ai lu attentivement il y a déjà quelque temps et je l'ai trouvé très bon. Vous avez raison d'exiger de l'auteur qu'il montre combien de fois le premier rapport contient le second, et le second le troisième; car s'il ne le fait pas, jamais il ne précisera ce troisième rapport, qui est inconnu, et par conséquent il n'a pas donné la quadrature, qui dépend de la connaissance de ce troisième rapport....Ga naar voetnoot2)’ J'interromps la traduction, car Tacquet entre dans des détails qui n'intéresseraient plus que les mathématiciens de profession. Passant ensuite à l'objet principal de sa lettre, il explique longuement ce qu'il entend par déduire directement un théorème vrai, | |
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d'autres théorèmes de Géométrie qui sont faux; thèse qui piquait si fort la curiosité de son correspondant. Remarquons, en passant, que le professeur de Louvain a parfaitement raison. Ce sujet continua à l'intéresser et plus tard il lui consacra encore l'important et curieux Appendice qui termine les premières éditions de ses Éléments de Géométrie. De nos jours plusieurs philosophes ont repris cette question, et pour n'en nommer qu'un seul, je citerai M. Léon Brunschvicg, de l'Institut de France, dans ses Étapes de la Philosophie mathématiqueGa naar voetnoot1). Tacquet clôt sa lettre par ce souhait, que son jeune correspondant reçut, à n'en pas douter, de bon coeur: ‘Daignez accepter tout ceci dans les sentiments où je vous l'ai écrit. Je n'ai été guidé que par l'envie de répondre à votre désir. D'ailleurs pour me servir des paroles du divin Prophète - je prie le Seigneur des Sciences, qui vous a donné un talent capable de pénétrer les choses les plus subtiles, de ne vous laisser ignorer aucune de celles dont dépend notre béatitude éternelle et notre salut. Adieu. Si la précipitation de ma plume m'a forcé de faire quelques ratures, veuillez les excuser.
Votre Serviteur dans le Christ, andré tacquet, de la Compagnie de Jésus.
Louvain, 2 décembre 1652.’
Huygens comprit-il tout ce que contenait le voeu final? J'en doute, car on y sent déjà percer l'espoir secret de ramener un jour le savant hollandais au catholicisme; illusion que Tacquet se fit de prime abord et dès ses premières relations avec lui. Les lettres qu'ils échangèrent jusqu'à la mort du Jésuite ont cependant, sauf en 1660, un caractère presque exclusivement scientifique. Mais, un séjour qu'Huygens fit à Anvers, du 28 juin au 6 juillet 1660, contribua grandement à entretenir les espérances de son ami; à tel point qu'il crut la chose à peu près faite, et qu'il parvint même - on l'a vu par la lettre du P. van der Mersch - à en convaincre ses confrères. Il était loin de compte. | |
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C'était cependant le désir de rencontrer Tacquet et de faire sa connaissance personnelle, qui avait déterminé Huygens à s'arrêter à Anvers. Les visites se multiplièrent, furent cordiales et confiantes, sans aller plus loin. Mais Tacquet avait un caractère qui lui faisait volontiers voir les choses telles qu'il les désirait. Du premier moment il fut séduit par le charme du jeune homme. Des Mathématiques et des Sciences, la conversation glissait souvent sur les questions philosophiques et religieuses. Huygens écoutait courtoisement et paraissait s'intéresser; mais il avait reçu dans son enfance une éducation sévère très confessionnelle, qui lui faisait accepter le Protestantisme sans examen et avec tout le respect qu'il croyait dû à l'autorité paternelle. Absorbé par d'autres préoccupations, rendu par son genre d'études peu accessible aux preuves historiques et morales, jamais il ne semble s'être préoccupé des origines de la Réforme; jamais il ne prit le temps d'étudier les fondements de ses croyances. Dieu, en le jugeant, aura eu pitié de son ignorance et de sa bonne foi. Revenons à Tacquet. En 1651, il fit paraître les quatre premiers Livres de son traité Des Cylindres et des Anneaux,Ga naar voetnoot1) auxquels il ajouta un cinquième Livre en 1659.Ga naar voetnoot2) Dans l'Appendice, il rééditait, avec quelques remaniements, l'opuscule qu'il avait publié l'année précédente sur le mouvement de la Sphère et la Cycloïde. Quetelet, en parlant de ces cinq Livres, dan son Histoire des Sciences mathématiques et physiques chez les BelgesGa naar voetnoot3), les regarde, non sans raison, comme l'ouvrage qui fait à Tacquet le plus d'honneur. L'historien belge reproche cependant à son compatriote d'affecter une rigueur d'après lui déplacée. Il est difficile de partager ce sentiment. Cavalieri venait d'inventer une méthode des indivisibles, qui donnait entre les mains du prestigieux italien des résultats merveil- | |
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leux; mais il avait le tort en les établissant de n'avoir pas grand 'souci de cette rigueur.Ga naar voetnoot1) Dans notre pays, Grégoire de Saint-Vincent, s'inspirant de Simon StevinGa naar voetnoot2), avait créé de son côtéGa naar voetnoot3) une méthode infinitésimale, assez différente de celle de Cavalieri, peut-être un peu plus lourde, mais d'une correction irréprochable. C'est celle que Tacquet avait adoptée, et à l'occasion le Géomètre anversois ne manquait pas de relever les points faibles de la méthode de Cavalieri. A ce propos on a trop peu remarqué le parti qu'avec son talent ordinaire, Pascal avait su tirer des Quatre Livres des Cylindres et des Anneaux. Lui-même nous apprend, dans la célèbre Lettre de Dettonville à CarcaviGa naar voetnoot4), qu'il connaissait l'ouvrage de Tacquet. L'étude qu'il en fait nous donne la clef d'une différence étrange que les historiens des Mathématiques signalent dans les démonstrations de l'illustre Clermontois, je veux dire, la manière encore confuse et embrouillée dont Pascal manie les indivisibles dans son Triangle Arithmétique, quand il n'a encore lu que Cavalieri, et la parfaite rigueur avec laquelle il les emploie dans ses écrits sur la Cycloïde, après avoir étudié TacquetGa naar voetnoot5). | |
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Dès que les quatre premiers Livres des Cylindres et des Anneaux eurent vu le jour, l'auteur, pour se conformer aux règles de la Compagnie de Jésus, en envoya un exemplaire à Rome. Le P. Goswin Nickel, récemment élu Général de la Compagnie, l'en remerciaGa naar voetnoot1):
‘Au P. André Tacquet à Louvain. Sitôt que j'aurai reçu l'ouvrage de Géométrie destiné à mon prédécesseur et les thèses qui y étaient annexées, je le considérerai comme un témoignage de la bienveillance de Votre Révérence envers moi, et je l'en remercie. D'ailleurs, elle ferait une chose qui me serait très agréable, chose dont je prends d'ailleurs l'initiative, en composant, comme d'autres l'y ont engagé, un cours de mathématiques, approprié à la méthode de nos classes. Ce serait bien mériter des Lettres. Que Dieu, vers qui tous nos travaux doivent être dirigés, lui donne pour cela les forces nécessaires. En attendant, je me recommande aux Saint Sacrifices de Votre Révérence. ‘(Rome) 23 juin 1652.’
Ces quelques lignes d'encouragement contiennent l'expression d'un voeu. Le destinataire de la lettre n'était pas homme à se le faire répéter. Incontinent, il se mit à l'oeuvre et, en 1654, il donnait ses Éléments de Géométrie plane et solide avec un choix de Théorèmes d'ArchimèdeGa naar voetnoot2), qui parurent à Anvers, chez Jacques Meursius. L'ouvrage écrit en latin eut de nombreuses rééditions en cette langue. Je n'en connais ni version française, ni version flamande, mais il fut traduit en anglais, en italien et même en grec. C'est en Angleterre que les Éléments eurent le plus de succès. Whiston, successeur de Newton dans la Chaire Lucasienne de Cambridge, leur fit donner une approbation officielle par l'Université, ce qui assura leur adoption, comme manuel scolaire, dans un grand nombre de collèges du Royaume-Uni, pendant tout le dix-huitième siècle. Comme beaucoup de manuels scolaires, quand ils sont longtemps en usage, les Éléments subirent des retouches et reçurent des addi- | |
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tions. Mais les trois premières éditions, qui parurent toutes à Anvers chez Jacques Meursius,Ga naar voetnoot1) n'ont que des remaniements typographiques, C'est à elles que s'appliquent nos remarques. Le corps de l'ouvrage se compose des Livres 1-4, 6, 11 et 12 des Éléments d' Euclide suivis, comme le dit le titre, d'un choix de théorèmes d'Archimède sur la mesure des volumes et des surfaces des corps ronds. Tacquet conserve le numérotage des propositions des Éléments, même quand il omet la démonstration de l'une ou l'autre d'entre elles; ce qui s'explique, car ce numérotage passait alors pour aussi intangible que ceux des articles de nos codes. Les démonstrations, toujours rédigées en style clair et concis, s'écartent parfois de celles d'Euclide. Le Livre V, qui traite de la théorie géométrique des proportions, est même entièrement refondu. Ce Livre V, l'admirable Livre des Proportions d'Eudoxe, était cependant l'un des plus purs chefs-d'oeuvre de la Mathématique grecque, mais il était difficile. Parmi les définitions du début, il contenait celle de l'égalité de deux rapports, qu'Euclide avait formulée de manière à la rendre générale et à l'étendre au cas des nombres irrationnels, comme on le fait encore aujourd'hui dans les cours d'Analyse ou d'Arithmétique supérieure. Cette généralité rebutait les débutants, qui, d'après Tacquet (et je l'en crois), la plupart du temps n'y voyaient goutte. A l'exemple de beaucoup d'autres, il chercha à faciliter la besogne. Dans ce but, il simplifia la définition en la rendant moins générale; mais les théorèmes qu'il en déduit ne valent que pour les rapports égaux, auxquels s'applique la définition ainsi restreinte. En 1655, Tacquet fut rappelé à Anvers dans une circonstance qui fit alors quelque bruit. Les Jésuites du Collège venaient d'apprendre qu'ils allaient avoir l'honneur de compter parmi leurs élèves Henri Jules de Bourbon, duc d'Anghien, fils du grand Condé. A cette occasion les supérieurs de la Compagnie envoyèrent à Anvers un personnel de choix, et Tacquet fut chargé de la formation scientifique du jeune prince. Cette nomination flatteuse ne semble | |
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pas avoir été bien absorbante, car elle n'empêcha pas le professeur de travailler à sa Théorie et Pratique de l'Arithmétique,Ga naar voetnoot1) qui parut en 1656 à Louvain, chez Goenestenius. L'ouvrage se divise en deux parties. La Théorie, qui comprend les Livres 7-9 des Éléments d'Euclide et que Tacquet rédigea d'après les règles qu'il avait adoptées pour sa Géométrie; et la Pratique, en cinq Livres, qui est la meilleure partie de l'ouvrage. Cette Pratique ne doit pas être entendue dans le sens du mot Problème: c'est une Arithmétique raisonnée, qui démontra, à ma connaissance pour la première fois, les opérations fondamentales de cette science. Euclide, dans ses Livres arithmétiques, ne s'occupe que de la théorie des nombres. La Théorie et la Pratique de l'Arithmétique parut la même année que l'Arithmetica Infinitorum de WallisGa naar voetnoot2). Tacquet partage avec le mathématicien anglais l'honneur d'avoir aussi le premier débarrassé de l'appareil géométrique, qui les alourdissait, certaines démonstrations de la théorie des proportions, en leur donnant une forme purement arithmétique. Il nous reste à dire quelques mots du massif in-folio des Opera mathematica, oeuvre posthume dont la lettre du P. van der Mersch au P. Renterghem faisait pressentir la publication. Elle eut une première édition en 1669Ga naar voetnoot3), chez Jacques Meursius à Anvers, et | |
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une seconde en 1707Ga naar voetnoot1), chez Henri et Corneille Verdussen en la même ville. Remarquons tout d'abord qu'on n'y trouve ni la Géométrie, ni l'Arithmétique, dont nous venons de parler; seuls, les Cinq livres sur les Cylindres et les Anneaux, avec leur Appendice sur Le mouvement de la Sphère et la Cycloïde, y sont réédités. En tête de la première édition se trouve un beau frontispice allégorique par Richard Collin (voir la planche); puis vient, à la page suivante, un portrait du cardinal Rospigliosi auquel le volume est dédié, gravure sur cuivre du même artiste. On a remplacé ce frontispice, dans la seconde édition, par celui que Corneille Galle junior avait gravé pour le Problema Austriacum de Grégoire de Saint-Vincent. Le titre est changé, mais en y regardant de près on voit encore les traces du titre primitif. La Dédicace au cardinal Rospigliosi est signée par Simon Laurent Veterani des comtes de Monte Calvo, qui défendit à Louvain en séance publique les doctrines contenues dans l'ouvrage de son maître. Toutes les parties des sciences exactes y sont représentées: l'Astronomie, l'Optique, la Catoptrique, l'Art militaire et la Géométrie pratique, celle-ci toute différente de la Géométrie que Tacquet avait jadis composée d'après les Éléments d'Euclide. L'Astronomie est en huit Livres, et Delambre lui a consacré quelques pages dans son Histoire de l'Astronomie ModerneGa naar voetnoot2). On a beaucoup remarqué, dans le huitième Livre les idées de Tacquet sur le système du monde. Il croit à l'immobilité de la terre, dit-il, mais uniquement pour des raisons théologiques et de peur d'errer dans la Foi, car les preuves scientifiques qu'on a essayé d'en donner sont sans force. Dans la séance de la Société Royale de Londres tenue le 11 janvier 1669, Henri Oldenburg, secrétaire de la docte CompagnieGa naar voetnoot3) | |
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lut devant la Société une longue analyse des Opera mathematica de Tacquet. En terminant, l'orateur s'excusa d'avoir peut-être abusé de l'attention de ses auditeurs, mais c'est qu'il s'agissait, dit-il, de l'un des meilleurs ouvrages qui existassent sur les Sciences mathématiques.Ga naar voetnoot1) Pareil éloge, prononcé devant pareille assemblée par une bouche aussi autorisée, nous dit suffisamment l'impression que produisit le volume de Tacquet lors de son apparition.
H. Bosmans S.J. |
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