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1899 - 18 mei - 1949
Rede, gehouden in de Ridderzaal bij de herdenking van de eerste Vredesconferentie
Mijnheer de Vertegenwoordiger van de Koningin. Excellences, Mesdames, Messieurs.
Le Gouvernement de Sa Majesté la Reine mon Auguste Souveraine a voulu qu'ici même, dans la Salle des Chevaliers, au centre du Binnenhof, où, depuis la fin du 13e siècle, se sont déroulés les grands événements du pays, fût commémoré le cinquantenaire de l'ouverture de la Première Conférence de la Paix. - Le 18 mai 1899 marque en effet une étape tout à fait spéciale dans l'évolution d'un monde qui aspirait à devenir une communauté d'états, une société de nations, dans laquelle régnerait le droit, ‘the rule of Law.’
Certes, des nuages se dessinaient déjà à l'horizon. Mais on vivait encore dans une ère relativement calme, très calme même si on la compare à celle qui commencerait quinze ans plus tard et que la plupart d'entre nous ne connaissent que trop bien.
Les cent ans qui séparent le Congrès de Vienne de la première guerre mondiale constituent, après tout, ce qu'on pourrait appeler un siècle prédestiné à préparer une organisation juridique du monde digne de cette dénomination.
Je ne perds pas de vue que ce siècle a connu, lui aussi, ses révolutions; mais combien leurs proportions paraissent restreintes à considérer ce qui s'est passé depuis. Ce siècle a également connu ses guerres, sanglantes souvent, mais ressemblant plutôt à des duels entre forces armées, quand on les compare à l'anéantissement en masse de pays et de populations entiers qu'ont été les guerres formidables du 20e siècle.
Il existe peu d'évolutions juridiques intéressantes à un aussi haut degré que le développement persistant et d'abord souvent inaperçu et méconnu, du droit international au cours du 19e siècle. C'était une ère de liberté sous bien des rapports. À quelques exceptions près on circulait librement de pays à pays. Il en était de même pour les capitaux, les devises et les marchandises. Si, à la fin du siècle, les droits de douane accusaient, après une baisse considérable, un redressement, on restait quand-même fort éloigné d'une politique d'autarchie économique. Les lois différentielles
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de la navigation furent abolies. Les idées et les idéologies circulaient tout aussi librement que les personnes. Du reste cesidées et ces idéologies n'étaient pas tellement différentes les unes des autres qu'on eût voulu les arrêter à la frontière. Il existait en effet quelque chose qui s'approchait sensiblement de ce qu'on appelle aujourd'hui l'esprit européen, esprit qui n'était nullement limité, au seul continent européen. Un contact culturel très suivi n'avait pas besoin d'être stimulé par des accords de Gouvernement à Gouvernement. L'internationalisme était une réalité avant la lettre. Le français était non seulement la langue diplomatique, mais aussi la langue internationale que tout le monde civilisé comprenait.
Cet ancien régime, libre sous tant de rapports, se prêtait remarquablement au développement juridique persistant auquel je viens de faire allusion. Les exigences pratiques de la vie internationale lui frayèrent le chemin. Bientôt la science se rendit compte que ce chemin conduisait à une organisation plus riche, que ne comportaient les seules relations d'Etat à Etat, qui, jusqu'à cette époque, avaient retenu l'attention.
Des conférences, d'ou résultent souvent des conventions multilatérales, donnent lieu à un droit international concernant toutes sortes de communications, comme la poste et le télégraphe, touchant la protection de la propriété de l'esprit, la protection contre certaines maladies etc. Et la science s'accoutume à en comprendre l'importance pour le développement du droit international en général. Plusieurs de ces conventions mettent sur pied des Unions d'Etats dont l'organisation contient les germes d'une administration, d'une législation et d'une juridiction, parfois même d'une police internationale. Dans la sphère des relations privées entre individus de nationalité différente, en d'autres termes dans la sphère du droit international privé, l'activité scientifique prépare une activité pratique des Gouvernements, et celle-ci débute d'une façon qui permet de prévoir une internationalisation fort poussée de ce droit privé.
Cet exemple appelle l'attention sur un phénomène des plus heureux et qui sera de plus en plus caractéristique pour le 19e siècle:la collaboration entre la science et les hommes d'Etat qui établissent le nouveau droit international. Sous ce rapport il faut citer en tout premier lieu l'Institut de Droit International. Celuici réunissait les hommes de science les plus compétents qui, avec leur grand savoir et une profonde conviction - c'est un point essentiel - préparaient sous forme d'avant-projets de conventions le droit international futur. A côté de l'Institut, la ‘Inter- | |
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national Law Associations’ préparait le terrain et, ensemble avec de nombreuses associations de pacifistes, l'Union Interparlementaire ne cessa de souligner que le but devait être un état de paix, qui pourrait se réaliser si les états voulaient seulement se résoudre à solutionner leurs différends par des moyens pacifiques, notamment par l'arbitrage.
Les quelques faits que je me suis permis de vous rappeler semblent suffire pour illustrer que tout, à cette époque, tendait vers un droit international nouveau; que les temps mûrissaient.
Ici je dois vous faire part du regret que nous autres néerlandais éprouvons si souvent du fait que notre langue est si peu connue à l'étranger. Je m'explique. L'homme qui a le mieux compris la portée de ce développement persistant sur toute la ligne du droit international et partant de l'Organisation du monde international à laquelle devait aboutir ce développement, a été un jeune néerlandais: van Vollenhoven! celui-la même qui, devenu professeur à l'Université de Leyde et mû par une profonde compréhension de ce qu'on pourrait nommer l'âme de l'Indonésie, a décrit et fait comprendre de façon inégalée pour aucune région pareille du monde, le droit coutumier indonésien si multiple et si diffèrent du droit européen. La synthèse qu'il a donnée, une année avant la première Conférence de la Paix, de l'ensemble du droit international, ressemble par le génie au fameux livre de Grotius de 1625. Mais presque personne à l'étranger la connaît.
Toutefois il ne suffisait pas de préparer des avant-projets et d'écrire la synthèse de l'état présent de l'organisation internationale.
Ce qui manquait encore, c'etait l'acte d'un chef d'Etat, qui convoquerait les autres Etats en vue d'entamer la réalisation de la nouvelle organisation internationale dont les éléments constitutifs ne demandaient que d'être coordonnés, précisés et arrêtés. L'appel nous vint de Sa Majesté l'Empereur de toutes les Russies. S'inspirant d'idées de son aïeul, l'Empereur Alexandre I., le Tsar s'adressa aux vingt-cinq Gouvernements dont les représentants diplomatiques se trouvaient accrédités à St. Petersbourg. De même pria-t-il Sa Majesté la Reine des Pays-Bas de bien vouloir convoquer la Conférence à La Haye.
Le monde entier a suivi d'une attention passionnée la réunion qui, pendant deux mois, a siégé dans le petit Palais de la Reine, dit la Maison du Bois. En ouvrant la première séance notre Ministre des Affaires Etrangères, M. de Beaufort, proposa de déférer la Présidence au Premier Délégué de la Russie, l'ambassadeur à Londres, M. Staal. Je ne vous énumérerai pas tous les
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autres délégués qui ont illustré de leur savoir, de leur vision, de leur circonspection, de leur foi, la réalisation de la grande oeuvre entreprise, mais je ferai une exception pour l'homme qui possédait au suprême degré le rare don d'écouter et qui, lorsqu'une discussion risquait de sombrer dans une confusion générale, intervenait, rétablissait la clarté de main de maître, et rédigea des textes devenus classiques: j'ai nommé le grand jurisconsulte français, Louis Renault.
Or, en quoi consiste l'importance exceptionnelle de la Conférence? En quoi se distingue-t-elle des nombreuses conférences au sujet des matières les plus variées, qui l'ont précédé, au cours du 19e siècle notamment?
Je crois qu'on peut le dire en quelques mots.
La Conférence a été la première réunion d'un grand nombre d'Etats qui, en pleine paix, se sont délibérément attaqués au grand problème de l'organisation internationale dans son ensemble, en tâchant, d'une part, de fortifier la paix, et, d'autre part, d'amoindrir par là et par d'autres moyens, tant le danger lui même que les rigueurs de la guerre. Ces autres moyens consistaient en la mise d'un terme aux armements et dans une réglementation des lois et coutumes de la guerre, pour le cas ou celle-ci éclaterait quand-même.
Je m'arrête seulement au principal instrument issu des travaux de la Conférence. Il s'agit de la fameuse convention pour le règlement pacifique des conflits internationaux. En vue de prévenir autant que possible le recours à la force dans les rapports entre les Etats, cette convention donne des règles pour les bons offices, la médiation, les commissions d'enquête et l'arbitrage, et elle organise la Cour Permanente d'Arbitrage. Cette Cour, dont le siège est toujours au Palais de la Paix et dont un grand nombre de ceux auquels j'ai l'honneur de m'adresser constituent, sous la Présidence du Ministre des Affaires Etrangères des Pays-Bas, le Conseil administratif permanent, a rendu de très grands services à la cause de la justice internationale, notamment dans les années entre 1899 et la première guerre mondiale. En vue de la constitution du Tribunal Arbitral qui doit se faire pour chaque cas spécial, les Gouvernements s'adressèrent souvent aux mêmes personnalités. Cette pratique heureuse a déjà pu assurer au fonctionnement de la Cour d'Arbitrage une certaine permanence. C'est dommage que les Gouvernements semblent avoir oublié le chemin qui mène à cette Cour: sa juridiction présente des avantages très réels. La partie en quelque sorte la plus intéressante de la Convention c'est son préambule. Je me per- | |
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mets de vous en lire quatre alinéas, qui du reste sont très courts.
Les souverains et Chefs d'Etat etc. ‘Animés de la ferme volonté de concourir au maintien de la paix générale.’ Voilà le but principal de toute organisation internationale; elle vise au maintien de la paix.
Autre considérant: ‘Reconnaissant la solidarité qui unit les membres de la Société des nations civilisées.’ Voilà la reconnaissance d'une chose qui par la suite nous est devenu très familière par l'institution de Genève.
Triosième motif: ‘Voulant étendre l'empire du droit et fortifier le sentiment de la justice internationale.’ Voici la Conférence proclamant la nécessité que l'organisation internationale soit une organisation, que régisse le droit, le ‘rule of law’.
Et enfin: ‘Estimant, avec l'Auguste Initiateur de la Conférence Internationale de la Paix, qu'il importe de consacrer dans un accord international les principes d'équité et de droit sur lesquels reposent la sécurité des Etats et le bien-être des peuples.’ Voilá la sécurité que nous retrouverons dans la fameuse triade de Genève: désarmement, arbitrage sécurité, et dont abondera la Charte des Nations Unies, tout comme cela est le cas du bienêtre des peuples.
Voilà en deux mots, à côté de la réduction des armements, l'organisation internationale à laquelle on aspirait: maintien de la paix de la Société des nations par l'empire du droit et garantissant par là la sécurité des Etats et le bien-être des peuples.
Je crois que les quelques points de l'oeuvre de 1899, que je me suis permis de relever, suffisent pour mettre en lumière que c'est en effet par la Première Conférence de la Paix que les premiers jalons d'une vaste organisation internationale ont été posés.
Les auteurs des accords de 1899 l'ont compris. C'est ainsi que l'Acte final de la Conférence prévoit une prochaine conférence dont elle trace le programme. Cette Deuxième Conférence de la Paix s'est rèunie en 1907, ici même dans la salle des Chevaliers. Elle se composa des délégués de quarante-quatre Etats. Son Acte final prévoit à son tour une troisième conférence dont la tâche serait facilitée d'avance par un comité préparatoire. Vous le voyez: l'organisation internationale permanente est en marche.
Le comité préparatiore s'étant à peine mis à l'ouvrage, l'organisation internationale se révéla trop faible pour sauvegarder la paix. Soudain la guerre de 1914 éclata et les voix qui proclamaient la fin du droit des gens ne furent pas rares. Mais par un revirement magnifique de la conscience humaine le fil des conférences de 1899 et de 1907 fut repris, et la troisième Conférence de la
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Paix prit corps dans celle qui, à Versailles, a créé la Société des Nations. Le préambule du Pacte reprend le devoir ‘d'observer rigoureusement les prescriptions du droit international, reconnues désormais comme règle de conduite effective des Gouvernements.’ La catastrophe de '14 s'est renouvelée en '39 et on proclama la faillite de la Société des Nations. Mais les hommes d'Etat éclairés comprirent de suite que notre planète ne peut plus se passer d'une organisation commune et bientôt l'Organisation des Nations Unies reprit la tâche de la Société des Nations, et ceci comme une nécessité que personne ne mettait plus en doute.
En rappelant ces faits que nous connaissons tous, nous nous sommes bien éloignés de la Première Conférence de la Paix.
Mais avant de terminer j'ai à coeur de vous soumettre encore une réflexion.
Diamétralement à l'encontre de ce qu'avait dit Grotius, la pratique des gouvernements suivie par la théorie générale du droit des gens, a longtemps considéré le droit de recourir à la guerre comme un droit fondamental des Etats. La Première Conférence de la Paix a commencé, nous l'avons vu, à rétrécir la faculté d'user de ce droit. Le Pacte de la Société des Nations prescrit d'accepter certaines obligations de ne pas recourir à la guerre, et, depuis la fameuse convention à laquelle resteront attachés les noms de Briand et de Kellogg, la guerre reste uniquement licite si elle s'oppose à une agression ou un autre acte illicite. La convention condamne tout recours à la guerre pour le règlement des différends internationaux et proclame la renonciation à la guerre en tant qu'instrument de politique nationale.
Cette modification fondamentale d'une règle du droit des gens, considérée longtemps comme un axiome, ou, si vous voulez, ce retour à la conception de celui qu'on appelle le Père du droit des gens, voilà un fait éminemment important: la guerre exclue comme instrument politique.
C'est beau; c'est même magnifique!
Mais ce n'est pas suffisant tant que ceux qui sont appelés à appliquer le droit, font de la politique en la présentant comme étant le droit. Il se pourrait qu'il en fût ainsi de l'organisation internationale elle-même. Je me demande en toute sincérité si les Nations Unies ne risquent pas de dégénérer en instrument de politique et de prendre ainsi la place que la guerre a dû laisser vacante. Ce danger a été signalé dès le début de la nouvelle Société des Nations et, par la suite, il s'est révélé très réel. Enpersistant à se considérer comme des instruments politiques, même là où leur
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tâche est d'appliquer le droit, l'Assemblée et le Conseil de Sécurité se départiraient singulièrement du but poursuivi par la Première Conférence de la Paix, savoir de faire règner l'Empire du droit.
La commémoration qui nous réunit ici nous procure l'occasion de nous rappeler la vérité: que l'organisation internationale doit être une institution de droit, ou règne le ‘rule of law’. Restons fidèles à cette conception dont la Conférence de 1899 a entamé la première réalisation.
Van Eijsinga
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