De Gemeenschap. Jaargang 1
(1925)– [tijdschrift] Gemeenschap, De– Gedeeltelijk auteursrechtelijk beschermd
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Le Père ClérissacGa naar voetnoot1)Le Père Humbert Clérissac naquit à Roquemaure, le 15 Octobre 1864. Il fit ses études au collège des Jésuites d'Avignon. A seize ans, il prit la résolution d'entrer dans l'Ordre de Saint-Dominique. La lecture de la Vie de saint Dominique, par Lacordaire, lui avait révélé quelle serait sa famille surnaturelle, Il exécuta aussitôt son dessein, avec une très grande fermeté; sa mère étant dans son secret, il quitta la maison paternelle, et partit pour la Suisse, à Sierre, où il commença son noviciat. Il acheva ses études à Rijckholt, en Hollande; fit profession le 20 août 1882. Il prêcha beaucoup en France, plus encore en Italie, à Rome, à Florence (il y prêcha souvent le Carême français), et en Angleterre, à Londres surtout; et partout Dieu lui donna de ramener des âmes à l'Eglise. Lors de la dispersion de 1903, il partit pour Londres, où il espérait faire une fondation dominicaine française. Cette fondation, à laquelle il avait travaillé longtemps et ardemment, échoua au dernier moment; le P. Clérissac revint en France. Tout en continuant son labeur apostolique, notamment la prédication du Carême en Italie, il préférait prêcher des retraites aux communautés religieuses, où il trouvait des esprits plus aptes à le comprendre, et un milieu où son âme à lui pouvait s'épanouir. C'est ainsi qu'il fut bien souvent l'hôte de Solesmes, qu'il aimait tendrement, et qui lui rendait bien son affection. C'était aussi une grande joie pour lui de séjourner à Rijckholt, où, l'une des dernières fois, il présida à l'entrée dans le Tiers Ordre dominicain d'Ernest Psichari, qu'il avait reçu dans l'Eglise en février 1913. La dispersion de son Ordre lui avait fait une blessure inguérissable, il avait besoin de la vie de choeur, et de cette commune habitation fraternelle qui est si bonne et si joyeuse, au dire de David, et qui forme comme une image abrégée de l'Eglise. Mais, si le monde et le contact du monde le faisaient cruellement souffrir, lui il était plus que jamais étranger au monde, plus que jamais occupé de Dieu seul; son âme s'élevait dans les régions de la paix, elle se cachait dans la lumière, selon le mot de Dante. Au moment où, parvenu à la plénitude de sa maturité, l'on pouvait croire qu'il allait donner toute sa mesure devant les hommes, il fut soudain retiré d'ici-bas. Après une courte maladie, qui lui permit encore de célébrer la messe le jour de la Toussaint, il mourut dans la nuit du 15 au 16 novembre 1914, | |
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d'une de ces morts très humbles que Diet semble garder pour ses plus proches amis. Toujours il a été, en conformité de cette vocation religieuse à laquelle il fut si parfaitement fidèle, réservé à Dieu. Dieu était bien sa part, et il était bien la part de Dieu. Aussi sa vie extérieure et ses travaux apostoliques, dont on sait d'ailleurs mal le détail parce qu'il n'en parlait jamais, n'ont-ils pour le faire connaître qu'une importance secondaire. On dirait que Dieu, aidé, si je puis ainsi parler, de sa propre humilité, voulait tenir tout cela dans l'ombre, et même dans ce qu'on peut appeler un insuccès relatif, si l'on songe à l'influence qu'une âme aussi grande aurait dû, semble-t-il, exercer. Mais c'est d'une façon plus profonde et plus mystérieuse que cette âme agissait, - par l'invisible rayonnement de son être même, de la lumière surna-turelle dont elle était toute pénétrée.
Ce qui frappait dès l'abord dans le P. Clérissac, c'était la noblesse de sa physionomie et l'intelligence presque redoutable à force de pénétration, qui brillait dans ses yeux. De là, les premières fois qu'on le voyait, une sorte de crainte, et le sentiment qu'il savait trop bien, lui aussi, quid esset in homine. Ce sentiment disparaissait plus tard, quand on le connaissait mieux, et qu'on avait pu apprécier son amour pour les âmes, et la grande douceur de sa bonté. Mais ce qui faisait vraiment son caractère propre, c'était cette merveilleuse pureté d'esprit et de coeur qu'il aimait tant en saint Dominique, et dont Dieu lui avait fait large part. Pureté, intégrité, virginale vigueur de l'âme, voilà, croyons-nous, ce qui marquait le plus profondément toute sa vie intérieure et extérieure. Il avait de la Pureté et de la Sainteté divines une idée si forte et si vraie qu'il se réveillait parfois la nuit, nous disait-il, tout tremblant à la pensée de paraître devant cette lumière sans aucune ombre. Configetimore tuo carnes meas. Il savait bien, il savait sérieusement et pratiquement que la crainte de Dieu est le commencement de la sagesse. Il n'aimait pas qu'on fût sansgêne avec Dieu. Il méditait volontiers sur la divine transcendance de Celui que nous ne connaissons que par analogie. Lorsqu'il pensait aux saints, son âme se portait toujours vers les grandes purifications que leur ont fait subir les suprêmes épreuves intérieures, où Dieu, retirant tout sentiment et toute lumière, veut la pure adhésion de la volonté nue. Il voyait dans ces grandes épreuves une des marques distinctives de la mystique divineGa naar voetnoot1). Noli me | |
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tangere, il allait à Jésus d'un élan tout immatériel, ne voulant rien qui ne fût Jésus lui-même. De cette exquise pureté de coeur venait son humilité profonde. Il disait, avec une énergie singulière: ‘La soif des honneurs et des charges est un signe de réprobation.’ Il mettait dans ses relations avec les hommes la plus vigilante et la plus délicate réserve, se tenant caché à tout ce qui n était pas Dieu. Il aimait la vérité de toute son âme. Sa principale attention était de conserver son regard pur de toute souillure d'erreur. Il aimait la vérité, il aimait l'intelligence, parce qu'il en vivait. ‘La vie chrétienne, répétait-il souvent, est à base d'intelligence.’ Il chérissait saint Thomas, chez qui il trouvait sans cesse de nouvelles joies et de nouvelles merveilles. Vivre la vérité, faire sa pratique de la doctrine et de la théologie, c'est ce qu'il admirait le plus chez quelques-uns de ses maîtres, et ce qu'on trouvait réalisé chez lui. Le centre de son activité était dans la contemplation de la vérité. ‘Avant tout, Dieu est la Vérité, allez vers lui, aimez-le sous cet aspect’, disait-il souvent, en commentant le mot de saint Augustin sur la béatitude éternelle: gaudium de veritate. Il aimait l'Eglise de toute son âme. Ce qu'il demandait à ceux, qui venaient à lui, c'est d'adhérer pleinement au mystère de l'Eglise; pour cela il pensait que la raison et la foi ont besoin du secours d'une vive tendresse de charité, qui seule peut apprendre à l'âme ce qu'est vraiment l'Epouse de Jésus-Christ. Et il croyait qu'une certaine sécheresse de coeur et un certain amourpropre, obscurcissant, l'esprit sur ce point, étaient la principale cause de l'égarement de quelques-uns dans l'erreur du modernisme. Il avait la fierté de l'Eglise. Il aimait la grandeur de l'Eglise. Il ne souffrait pas, qu'on attaquât saint Grégoire VII ou Boniface VIII. | |
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Toute diminution des droits de Dieu et des droits de l'Eglise, et toute lâcheté à revendiquer ces droits, le blessaient cruellement. J'ai toujours oru que Benson, qui le connaissait bien, avait pensé à lui en dessinant le personnage du Pape dans le Maitre de la Terre. Comme il aimait l'Eglise, il aimait l'état religieux, et rien ne lui était tant à coeur que la dignité de cet état. Rectifiant certaines erreurs courantes, il expliquait volontiers que ce qui fait la valeur propre des voeux de religion, c'est l'intervention de l'Eglise qui, les acceptant publiquement, et consacrant officiellement la personne humaine à Dieu comme un calice ou un autel, constitue celle-ci dans un état (status perfectionis acquirendae) indispensable à la pleine vie du Corps mystique du Christ. Sur le rôle providentiel, le caractère essentiel et la mission de chacune des grandes familles religieuses, il développait une magnifique doctrine; il montrait l'Ordre monastique archiviste et témoin vivant de l'antiquité ecclésiastique, voue à perpétuer le type de la primitive et parfaite communauté chrétienne tout ordonnée à la louange divine; les Frères Prècheurs, missionnés pour maintenir l'Intelligence chrétienne dans la lumière de la Contemplation et de la Théologie; les fils de saint François, pour faire rayonner dans la vie chrétienne la Pauvreté, la Simplicité, l'esprit et les vertus de l'Evangile; les pères de la Compagnie de Jésus, envoyés pour assurer, en l'adaptant aux conditions de vie des temps modernes, la discipline ascétique de la Volonté chrétienneGa naar voetnoot1). Et sans cesse il rendait grâce à Dieu de l'avoir mis dans la famille de saint Dominique, à cause de l'amour de cet Ordre pour la doctrine et de sa fidélité à la pure vérité. Ah! comme il aimait que ses frères gardassent sans altération leur race intellectuelle ainsi qu'il disait!
On devine sans trop de peine tout ce qu'une telle âme a dû souffrir à l'époque où nous vivons. Il souffrait en silence, mais avec une profondeur et une intensité singulières, et c'est seulement dans certains por- | |
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traits du grand Pie X que j'ai cru retrouver une ressemblance de ses tristesses. Les moeurs de notre régime laïque et démocratique n'étaient pas seules à l'affliger; il se faisait des exigences de la vie religieuse et de la vie sacerdotale une idée redoutable, à laquelle la réalité rencontrée çà et là ne répondait pas toujours; et le sentiment de la responsabilité du sel de la terre dans l'histoire du monde pesait douloureusement sur lui. Il croyait que la diminution de la foi, la disparition de toute reconnaissance publique des droits de Dieu, et enfin l'affaiblissement de la raison dans les temps modernes, marquaient un des niveaux les plus bas auxquels le monde pût descendre.
La Messe, disait saint Vincent Ferrrier, est la plus haute oeuvre de contemplationGa naar voetnoot1). Je n'ai jamais assisté, et je n'assisterai jamais plus, je le crois bien, à des messes célébrées avec autant de perfection, d'exactitude, d'amour purement recueilli, de souveraine et presque terrible majesté, que ces messes du P. Clérissac, que j'ai eu le bonheur de servir pendant une année. Il prononçait les paroles de la Consécration d'une manière inoubliable, d'une voix basse, lente, mais étonnamment distincte, et dont l'accent avait tant d'énergie qu'elle semblait percer le coeur de Dieu. Le sacrifice de la Messe était vraiment pour lui la consommation de toutes choses, l'Action par excellence. Il conseillait de s'y unir de telle manière qu'on mît, pour ainsi dire, toute sa vie dans le calice du Prêtre, l'offrant avec lui pour les quatre fins principales de cette oblation de Jésus-Christ, par laquelle, chaque fois qu'elle est renouvelée, s'accomplit l'oeuvre de notre rédemption.Ga naar voetnoot2) Il répétait que la communion est avant tout la conséquence du sacrifice et l'union au sacrifice, et il regardait comme une diminution de la vérité la tendance de certains à mettre, si l'on peut ainsi parler, la communion au-dessus de la Messe, ou à dire que la Messe n'est que pour la communion. Il disait l'office très simplement, sans aucune tension, mais lentement, en se nourrissant de chaque parole. ‘O altitude! O Bonitas! L'Eglise n'en finit pas, écrit-il, de passer de l'une à l'autre’, et luimême il faisait comme l'Eglise. Il ne travaillait pas sans s'interrompre à tout instant pour prier; et lorsqu'il passait quelque temps chez moi, j'entendais, de la pièce voisine, reprendre constamment le bourdonnement béni de sa prière. Les chants de l'Eglise lui étaient chers, | |
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comme les cantiques de la patrie dans la terre d'exil; il aimait à les chanter, notamment le trait de la Messe des Docteurs Quasi stella matutina, ou le répons In pace in idipsum, qui, dit-on, faisait pleurer saint Thomas ... Il avait en horreur l'ostentation de la pauvreté; mais il avait à un très haut degré l'esprit de pauvreté, et l'austérité de sa vie etait extrême. Bien qu'il se plût à raconter l'histoire de saint Thomas malade demandant, comme on cherchait ce qu'il pourrait manger avec appétit, un de ces harengs frais dont il avait mangé en France, et voilà que par miracle (car ce produit du Nord était introuvable en Italie), ouvrant une des corbeilles d'un marchand qui passait avec une provision de sardines, on la trouva remplie de harengs frais,Ga naar voetnoot1) - il refusait presque toujours lorsqu'il était dans son pays natal, ces beaux fruits du Midi qu'il décrivait avec un enthousiasme si jeune. Sa conversation était pleine de charme et de vie, il s'exprimait avec une très grande éloquence naturelle et dans un langage d'une pureté classique; il aimait tout ce qui est beau, vivant, franc. Il relisait constamment Dante, il s'entourait des plus belles images de l'Angelico. Mais c'est au Dialogue et aux Lettres de sainte Catherine de Sienne qu'allait sa prédilection; il avait une dévotion profonde à cette grande Contemplative, que l'Eglise loue d'avoir servi le Seigneur comme une diligente abeille, sicut apis argumentosa ... Il était dévot aussi à sa Provence, et surtout à la Sainte-Baume. Deux autres pèlerinages lui étaient chers: le Laus, où un jour, tandis qu'il allait donner la communion, la sainte bergère Benoîte lui avait fait sentir les parfums de son tombeau; et la Salette, où il retourna une dernière fois en 1912. Il parlait toujours avec une profonde émotion des larmes que la Sainte Vierge y avait répandues, pour nous rappeler, disait-il, à toutes les exigences de la vie surnaturelle et à la compunction du coeur. Il honorait avec joie dans la Sainte Vierge la Reine des Esprits angéliques, le Trône de la Sagesse. Il était heureux qu'on vénérât la splendeur de son intelligence, comme faisait le moyen âge, quand il la représentait, sur un portail de Chartres par exemple, entourée des sept Arts libéraux qui ornaient son esprit. Il croyait, me dit-il un jour, que sa méditation habituelle devait porter; mais avec quelle profondeur divine! sur les plus simples vérités de la foi sur la grande loi de la Croix en particulier. | |
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Comment faire compendre quel guide incomparable il était dans la vie spirituelle? Je dirai seulement ici qu'il s'inspirait toujours des deux maîtres de son coeur: saint Paul et saint Thomas, et de l'antiquité chrétienne. Le défaut qu'il poursuivait sans cesse était ‘l'esprit réflexe’ comme il disait, l'esprit de retour sur soi, de préoccupation de soi. Il poursuivait également sans pitié l'individualisme, comme la tendance à faire prédominer soit la sensibilité, soit l'activité extérieure. Plus l'âme s'élève, disait-il, plus elle devient universelle. La voie droite pour aller à Dieu, c'est de se tourner vers Lui, et de voir; de garder les yeux fixés sur la vérité divine, et puis de laisser faire Dieu. Plus que les exercices ascetiques il estimait l'esprit de prière et de contemplation, l'esprit d'union à l'Eglise. L'échelle dont il se servait pour les ascensions de son âme avait pour ses deux montants la doctrine et la liturgie. Les définitions purement extérieures qu'on donne souvent de la liturgie ne le satisfaisaient point. La liturgie, pour lui, était la vie même de l'Eglise, sa vie d'Epouse et de Mère, le grand sacramental qui fait participer les âmes à tous les états de Jésus-Christ. Il trouvait absurde qu'on opposât la liturgie et l'oraison privée. Mais il pensait que d'une part, au point de vue de la contemplation, l'opus Dei est le moyen par excellence qui forme l'âme à l'oraison, et que d'autre part, dans l'ordre de la vertu de religion, l'oraison privée, comme le vigilate simper, est pour préparer l'âme à prendre part dignement à cette oeuvre souveraine de la Liturgie, en laquelle se répand la charité de l'Eglise. ‘La participation à la vie hiératique de l'Eglise apparait presque comme une fin, ou du moins comme le moyen par excellence, pour les états d'oraison particuliers, puisqu'elle est la sûre entrée dans les états du Christ. Prétendre trop simplifier par là la discipline individuelle de la vertu serait illusion et témérité, sans doute; mais ce reproche, même justement encouru, ne prouverait point que toute la vie de l'Eglise se terminât à l'ascétisme individuel. Il prouverait que toute participation aux états de l'Eglise et du Christ suppose certains résultats déjà acquis dans l'ordre des vertus, et confère précisément à la vertu individuelle son excellence, la perfection de son efficacité et de sa joie.’ Enveloppant tous les saints d'une même dilection très tendre, variée toutefois dans ses couleurs et ocellée d'intelligence, et que ne diminuait pas, mais enrichissait au contraire l'amoureuse délicatesse des préférences, le P. Clérissac s'appliquait à discerner la façon dont chacun avait pu mériter d'être dit ‘sans pareil à conserver la loi du Très-Haut’. S'il fallait formuler l'un des grands thèmes, - mais proposés plutôt qu'affirmés, et indéfiniment nuançables, - auxquels sa pensée aimait à revenir, je dirais qu'à ses yeux l'histoire de la perfection chrétienne, telle qu'on peut la lire dans la vie des saints comme dans | |
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celle des institutions, relevait pour une part d'une sorte d'accommodation providentielle aux besoins du monde qui descend, pour une part des lois de croissance et de progrès organique du Corps mystique du Christ. A vrai dire, il ne pouvait s'empêcher d'admirer advantage la grandeur, la simplicité, la spontanéité divine des saints des premiers âges, plus proches du Vendredi-Saint et de la Pentecôte de la plénitude indivisée de la grande effusion d'où l'Eglise est née. Il préférait le Christ pantocrator des Byzantins au crucifix plus douloureusement humain de notre moyen âge. Il pensait qu'on n'insistera jamais assez sur l'importance historique et la sublimité spirituelle des Pères du Désert. Lui qui aimait tant saint Thomas, qui trouvait sa joie à enchâsser dans la Somme la lecture de l'Evangile, il se plaisait à répéter que la sagesse de saint Paul, toute en jaillissement, toute d'inspiration, est plus purement divine-que la sagesse scientifiquement élaborée de la Somme théologique. Il ne doutait pas que la pensée authentique de sainte Thérèse sur les voies de l'union à Dieu fût substantiellement identique â la pensée des anciens, il savait que la sainte qui eût ‘donné sa vie pour la moindre cérémonie de l'Eglise’ était bien fille de la grande tradition monastique, dont elle voulait faire revivre l'esprit en restaurant la règle du B. Albert: parlant ‘en simple femme’ d'ailleurs, comme elle le dit elle-même si souvent, plutôt qu'en théologien, si elle a dû entrer dans des descriptions psychologiques et des analyses que les anciens négligeaient, c'est que sa mission providentielle était de fixer de cette manière, en raison des besoins de l'intelligence moderne, la mystique séculaire de l'Eglise. S'agissait-il pourtant de caractériser dans leur signification générale les diverses formes que la condition des temps a fait revêtir à la spiritualité, il écrivait (lettre à une oblate de Saint Benoît): ‘Sainte Thérèse vous a captivée. Cela est tout naturel, et il est bon d'être quelquefois rappelé à la notion de la vertu acquise et de l'effort positif par l'exemple de ces Saints de l'âge réflexe, que Dieu a suscités sans aucun doute pour montrer que tout ce qu'il y a de bon et de vrai dans l'individualisme n'échappe pas à sa Grâce et relève d'elle, en partie aussi par pitié condescendante pour les hommes quand la simple vie de l'Eglise ne leur a plus suffi, - enfin par un effet de justice vindicative à l'égard des infidélités des anciens Ordres qui laissaient pâlir le flambeau entre leurs mains, hélas! Mais n'oubliez pas que vous êtes des mérovingiens, des féodaux, que dis-je? des primitifs. N'oubliez pas qu'il faut en venir â laisser la divine Grâce tout opérer en vous, et à tenir à peu près pour rien les produits de votre activité ...’ Il voulait que tout ce qui concerne la vertu d'obéissance fût envisagé d'une manière très purement surnatu- | |
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relle. L'ordre ou le conseil reçus d'un supérieur agissant dans le domaine de son autorité légitime peuvent être en euxmêmes manifestement mal fondés, inopportuns, nuisibles aux intérêts qu'ils devraient servir: il y faut pourtant déférer, - à moins que l'acte prescrit ne soit peccamineux, - parce qu'ils nous arrivent comme des messagers boiteux de Celui auquel seul nous obéissons à travers toutes les hiérarchies créées, et qu'ils dépendent de ce gouvernement général et obscur de la Providence qui fait servir les pires infirmités humaines à un bien plus grand. Le P. Clérissac assurait que toujours, même lorsqu'un précepte exprès n'intervient pas, il est possible de dégager la pure ligne spirituelle selon laquelle la direction marquée d'en haut s'impose à la vertu d'obéissance. Ajoutant qu'une telle déférence à l'autorité exige d'ailleurs les plus délicats discernements, selon les degrés et les espèces de subordination et de mandat; car elle se rapporte à une vivante et libre docilité du jugement pratique, non à une exécution servile et mécanique. Si attaché qu'il fût à ses convictions monarchistes, il déplorait par exemple que les catholiques français eussent si mal obéi, disait-il, à Léon XIII, et il blâmait également les uns d'être restés en deçà, les autres de s'être portés au delà de ce qu'exigeait une intelligente et filiale déférence. Combien d'autres exemples aurait-il pu donner de tels manquements à l'obéissance en esprit et en vérité aux volontés du Pape! Ces délicatesses de l'obéissance, cette discrétion, ces réserves, cette chasteté du vouloir, c'est à Dieu d'abord qu'il les dédiait. Il a été l'homme des grands désirs, et Dieu se plaisait tant, semble-t-il, au spectacle de ces purs désirs, qu'il permettait très peu qu'ils fussent satisfaits. Je vois maintenant qu'autant les réalisations immédiates lui furent refusées, autant il a agi par delà l'instant présent, - de cette action absolument mystérieuse d'instrument de la Causalité divine, qui perce l'espace et le temps. Je l'entends encore me parler de ces choses, comme nous passions un soir devant la cathédrale de Versailles, noire et belle dans la nuit claire. Jacques, me disait-il, il ne suffit pas qu'une oeuvre soit très certainement utile au bien des âmes pour que nous nous précipitions à la réaliser. Il faut que Dieu la veuille pour ce moment-là (alors pas de délai); et Dieu a le temps. Elle doit passer d'abord par le désir, s'enrichir de lui, s'y purifier. Elle sera divine à ce prix. Et qui sera chargé de l'exécuter ne l'aura peut-être pas le mieux conçue. Les réussites humaines trop entières et trop belles, craignons qu'une malédiction n'y soit cachée. N'allons pas plus vite que Dieu. C'est de notre soif et de notre vide qu'il a besoin, non de notre plénitude. Les derniers sermons du P. Clérissac, en France du moins, avaient été | |
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ceux d'un mois de Marie prêché en 1914 à Notre-Dame-de-Lorette. Je ne puis décrire l'impression de douceur, de simplicité, de sainteté, de tendresse surnaturelle, qui se dégageait de ces sermons; c'était un pur effort de l'àme pour faire pénétrer jusqu'au fond des coeurs la connaissance et l'amour de Dieu et de la Sainte Vierge. Dans ces dernières années, il semble qu'il ait encore grandi en charité, en mansuétude, en recueillement. Une des dernières fois que je le vis, il me dit que sa pensée se reportait avec une singulière douceur aux jours de son noviciat, que c'était un grand tort pour un religieux de vouloir ‘s'émanciper’ des pratiques du noviciat, qu'il fallait rester fidèle aux plus humbles de ces pratiques, pour garder toujours envers Dieu l'attitude de l'enfance, et maintenir dans l'âme la disposition à la prière. ‘Si l'on savait ce que c'est que prier! ajoutait-il. Il est si rare qu'on prie vraiment! Lorsqu'on s'est bien recueilli, qu'on a un certain sentiment de la présence de Dieu, qu'on a des élans vers lui, on croit qu'on prie; on n'en est encore qu'aux préréquisits de la prière ...’ Son âme s'était adoucie comme un fruit mûr, le temps de la cueillir était venu. Et cum produxerit fructus, statim mittit falcem, quoniam adest messisGa naar voetnoot1)
Le P. Clérissac avait écrit deux volumes qui, malgré leur valeur, ne pouvaient pas, à cause de son excessive réserve à se livrer, donner l'idée de ce qu'il était: L'âme saine et De saint Paul à Jésus-Christ, puis une plaquette sur Fra Angelico; plus tard il publia, hors commerce et à un très petit nombre d'exemplaires, un triduum, riche d'une admirable doctrine, sur sainte Jeanne d Arc, ‘Messagère de la politique divine’, comme il disaitGa naar voetnoot2); enfin un sermon sur l'Amourpropre dans l'étude et dans la vie. Beaucoup de monastères gardent de précieuses notes prises à ses instructions. Une retraite Pro Domoet Domino, sur l'Ordre de Saint Dominique, prêchée à Londres vers 1904, et publiée en 1919 dans une traduction italienneGa naar voetnoot3), a été récemment éditee en français, sous le titre: L'es- | |
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prit de saint DominiqueGa naar voetnoot1). De ce beau livre ardent nous citerons ici une page où nous retrouvons un écho des idées auxquelles le P. Clérissac tenait le plus. Parlant de la grande doctrine de l'élévation de l'homme à l'ordre surnaturel. ‘L'utilité pratique de cette doctrine, écrivait-il, apparait aussi dans le fait qu'il est a peine possible de comprendre le sens littéral de certains textes évangéliques, et certainement impossible d'en pénétrer le sens intérieur, si l'on n'a pas présente à l'esprit la distinction du naturel et du surnaturel. Quand Notre-Seigneur nous dit que ceux qui le connaissent possèdent la vie éternelle; que personne ne va au Père sinon par lui, et personne à lui sinon sous la conduite du Père: quand il exige tels grands renoncements de ses disciples; quand il maudit l'esprit du monde; toutes les fois qu'il parle de la lumière, sans pourtant faire la moindre allusion aux sciences de la nature; quand il promet le bonheur au prix de la persécution et du sacrifice; enfin quand on voit que, depuis son temps, l'Eglise et l'influence de l'Evangile ont si peu changé l'ordre naturel des choses, alors nous prenons contact avec une vie impliquée dans notre vie présente, et qui non seulement s'y ajoute, mais qui la transcende absolument, comme elle transcende tons nos espoirs humains et toutes nos aspirations humaines. Si nous enlevons à ces idées la lumière qu'y projette la notion du surnaturel, elles perdent leur force et cessent de s'accorder avec le mystère initial de l'Incarnation. Si l'on élimine le surnaturel de l'exégèse, les écrits de saint Paul sont ceux d'un fou.’ Le Mystère de l'Eglise contient le dernier travail du P. Clérissac. En le publiant nous accomplissons un devoir de piété dont la douceur se mêle de tristesse, car ce précis, très substantiel, mais presque trop condensé, sur le Mystère de l'Eglise, n'a pu être mis au point par son auteur, et demeure inachevé Nous avons cependant la confiance que plusieurs âmes trouveront, dans cette haute Méditation interrompue par la mort, la nourriture dont elles ont besoin.
JACQUES MARITAIN. | |
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HENK WIEGERSMA de aanbidding der herders (schilderij)
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JAZZ-BAND ontwerp glasraam door joep nicolas
‘De wereldziel is oud - en altijd jong gebleven: De stof wordt staeg vernieuwd, tot voeding van dit leven’. |
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