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Chronique 1975
Erik Vandewalle
Izegem (B)
La région Nord - Pas de Calais, comme on l'appelle officiellement en France, n'est pas connue pour être attrayante, que ce soit du point de vue touristique, industriel ou culturel. Cette mauvaise réputation semble même s'être étendue au delà des frontières nationales, excepté en Flandre où, dans la mesure où on parle des Pays-Bas français ou de la Flandre française, un certain intérêt subsiste, limité pourtant au Westhoek. La raison essentielle de cet intérêt réside évidemment dans le fait qu'en Flandre française, il subsiste un dialecte néerlandais. Mais pour la masse, cette région demeure inconnue. Cette chronique vise à susciter un intérêt fondé et à nuancer quelque peu cette évaluation négative.
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Activités culturelles.
Il est clair que dans ce domaine, nous devons nous limiter, c'est pourquoi nous parlerons de culture dans le sens traditionnel, avec une connotation quelque peu artistique.
Les musées datent pour la plupart du 19e siècle. Ils sont fort nombreux et très riches. Outre le Musée des Beaux-Arts de Lille, exemple d'un musée encyclopédique et le plus grand musée provincial de France, il y a une multitude de musées de valeur secondaire dans les petits centres. Presque tous, même les plus importants d'entre eux, sont mal équipés, inadaptés, mal entretenus et inconnus.
L'exposition Trésors des Musées du Nord de la France - Peinture française 1770-1830 et l'édition d'un très bon catalogue constituaient un événement important; c'était une initiative des conservateurs régionaux sous la direction d'Hervé Oursel du musée lillois. L'exécution de ce projet fait entrevoir les énormes possibilités qui existent dans ce domaine. L'exposition comportait une sélection de 80 tableaux, venant de 10 musées régionaux; d'abord installée à Calais, puis à Arras et à Douai, au début de l'année 1976, elle ouvrit ses portes dans la capitale régionale, Lille.
En dehors de Lille se passent donc également des choses importantes dans le domaine des arts plastiques. Nous songeons au centre artistique de Bondues, Septentrion, créé par un mécène de l'industrie textile, où les meilleurs artistes de la région exposent régulièrement et où cette année même s'est tenue une importante exposition de Chagall. De temps en temps, d'autres centres organisent des événements artistiques importants,
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comme c'était le cas à Valenciennes, où naquit Jean-Baptiste Carpeaux, et où fut consacré une exposition à ce sculpteur et dessinateur baroque à l'occasion du centième anniversaire de sa mort.
A la fin de 1975, le public lillois a pu profiter dans son Musée des Beaux-Arts d'une exposition illustrant les aspects de la peinture moderne en Flandre occidentale. L'exposition était organisée dans le cadre de l'Automne belge et groupait les oeuvres sélectionnées autour de trois générations, commençant par Ensor, Spilliaert et Permeke.
1975 fut aussi la première année où la France mit fin au monopole des émissions télévisées que détenait l'ORTF. Les nouvelles stations TF 1, A 2 et FR 3 n'ont pourtant pas apporté la solution à tous les problèmes; les difficultés autour de l'Orchestre Nord-Picardie, jadis attaché à l'ORTF, et jouissant d'une grande renommée, ont longtemps subsisté. Ce n'est qu'à la fin du mois d'avril que le Ministre de la Culture a pris les mesures nécessaires pour faire subsister cet ensemble. Le Conseil régional s'est occupé du reste. Jean-Claude Casadesus devint le nouveau chef d'orchestre. Pourtant, cela ne signifiait point le renouveau immédiat: l'orchestre était devenu incomplet du fait que de nombreux musiciens, inquiets de l'avenir de l'ensemble, avaient quitté l'orchestre. Il n'est même pas exclu qu'actuellement les effectifs nécessaires de 75 personnes ne soient pas atteints. D'ailleurs, pendant l'année 1975 l'orchestre a continué à porter ce fardeau que constituait le nom d'Orchestre ex-ORTF.
Cette année-ci, l'orchestre assumera sans aucun doute une tâche importante dans ce qui en 1975 a constitué l'événement musical le plus saillant: le Festival de Lille. C'est un ensemble de manifestations artistiques (du 30 octobre au 7 décembre) avec du cinéma, de la chorégraphie, du théâtre, de l'opéra et surtout des concerts, organisées par le Conseil municipal de Lille. A ce propos, les manifestations dans le cadre de l'hommage à Olivier Messiaen ont constitué un événement important. Il serait d'ailleurs souhaitable, comme d'autres l'ont dit avant nous, que le Festival de Lille parvienne à une certaine collaboration avec le Festival van Vlaanderen (Festival de Flandre). Dans cette perspective, ce n'est pas l'apport belge qui manquait (le Ballet du XXe siècle sous la direction de M. Béjart, l'Orchestre de Liège, le Théâtre national de Belgique et l'organiste Joseph Sluys).
Des deux grandes troupes professionnelles, le Théâtre de la Salamandre, sous la direction de Gildas Bourdet, de Tourcoing, et le Théâtre populaire des Flandres, appelé aussi TPF et dirigé par Cyril Robichez, seule la première a participé au Festival de Lille. Toutes deux elles ont comme tâche de contribuer à ce qu'on appelle la décentralisation culturelle: elles vont de ville en ville et cherchent à gagner les bonnes grâces des autorités centrales et locales subsidiantes. Il n'empêche que la dernière de ces troupes traînait longtemps ses difficultés financières. Pour ce qui est du TPF, les mauvaises années semblent passées puisqu'en 1975 il acquit un statut financier intéressant et fut consacré officiellement Centre Dramatique National, anciennement un honneur réservé uniquement au Centre de Tourcoing.
Mais Lille et sa région s'intéressent toujours davantage à l'opérette et à l'opéra traditionnels. Le Théâtre Sébastopol et l'Opéra de Lille se voient verser chaque année près de dix millions de subsides en francs français, venant du budget de la ville. Les nombreuses représentations d'opérettes et d'opéras attirent sans aucune peine le public lillois, ce qui est révélateur pour la vie culturelle.
Qu'est-ce qui se passe au niveau culturel dans le Westhoek, où le dialecte néerlandais se maintient toujours dans les régions rurales? Le Volkstoneel
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voor Frans-Vlaanderen (Théâtre populaire pour la Flandre française) a encore prouvé, l'hiver dernier, combien ce dialecte est vivant. Cette troupe d'amateurs de Westouter, dirigée par le régisseur, arrangeur de textes et premier acteur Flor Barbry, en est à sa vingtième saison en Flandre française. Le public des villages et des petites villes comprend les représentations et ne cesse de se retrouver dans les figures populaires idéalisées de la scène.
Que ce théâtre populaire n'ait toujours pas de successeur en Flandre française même constitue néanmoins un mauvais signe pour l'avenir
Une remarque analogue peut être faite concernant la vieille musique populaire en Flandre française, pourtant à la mode actuellement. C'est encore un Flamand de Belgique, Alfred den Ouden, qui fit sortir un disque avec des chansons conservées par les soins d' E. de Coussemaker et qui a chanté à plusieurs reprises en Flandre française.
Le Cercle Michiel de Swaen, fondé en 1972, a fait revivre certains espoirs. Il a pour but la défense et la promotion de la culture flamande dans la région. L'organisation de cours du soir de néerlandais et la participation à ces cours constitue un effort réel dans ce domaine.
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La Flandre française et les pays de langue néerlandaise.
Quels sont les rapports?
La façon dont la presse en Flandre française donne des informations concernant les pays voisins de langue néerlandaise (Flandre belge et Pays-Bas) n'est pas fort différente de celle dont l'étranger en général est pris en considération. Et bien qu'à l'occasion de certaines manifestations sociales, industrielles ou commerciales on souligne les rapports existants, il n'y a pas de véritable politique d'information.
Et dans l'autre sens?
Depuis de nombreuses années, nous suivons de près la presse flamande dans ses informations concernant la Flandre française, informations marginales ou inexistantes dans bien des cas, et il s'avère que nous devons constater exactement la même chose de notre côté. On peut même se poser la question de savoir s'il y aurait encore quelque attention pour la Flandre française sans l'impact du Comité pour la Flandre française, existant depuis plus de 25 ans, et organisant la journée culturelle de Waregem. L'Automne belge à Lille, aurait-il apporté quelque changement à cette situation? De toutes façons, la presse régionale a abondamment commenté cette série de manifestations culturelles, folkloriques, sportives, touristiques et commerciales organisées par le Consulat de Belgique en automne 1975; mais il est évident que les résultats d'une telle manifestation ne se font pas sentir directement.
Il faut pourtant signaler l'initiative de la Stichting Ons Erfdeel et de la Maison Saint-Exupéry à Lille avec leurs conférences sous le titre Les régions de langue néerlandaise. Flandre. Pays-Bas, tout simplement parce que le domaine linguistique néerlandophone a été présenté pour la première fois comme un ensemble culturel cohérent. Les premiers conférenciers, à la fin de 1975, étaient Sadi de Gorter, directeur de l'Institut néerlandais à Paris, qui a parlé des 700 ans d'histoire d'Amsterdam (le 4 décembre 1975) et le professeur W. Thijs, professeur de néerlandais à l'université de Lille III, sur l'enseignement du néerlandais en France (le 16 décembre 1975).
Indépendamment de ces initiatives, on peut se poser la question de savoir dans quelle mesure la langue néerlandaise en tant que langue d'un pays voisin est connue ou peut être apprise. Un arrêté ministériel du 14 septembre 1970 a permis d'enseigner le néerlandais dans l'enseignement secondaire en France. Il suffit que cinq parents introduisent une demande
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pour que des leçons de néerlandais soient données. Durant l'année scolaire 1975-'76 il n'y a, dans toute la région, qu'une seule école qui a profité de cette mesure, un lycée de Rosendael-Dunkerque. C'est pour le moins un anachronisme quand on sait qu'il s'agit ici d'une département contigu à la Belgique!
Le cercle vicieux (pas d'enseignants - pas d'intéressés) que constitue l'enseignement du néerlandais doit être brisé d'une façon ou d'une autre. Il suffit de comparer cette situation à celle de la région de langue néerlandaise en Belgique où, à tous les niveaux, existe la possibilité - et où elle est exploitée! - d'apprendre le français: il est évident que les habitants des départements septentrionaux de la France sont désavantagés par rapport à leurs voisins. Pourtant, il y a quelque espoir.
A douze endroits différents sont organisés des cours du soir ou des cours de formation permanente en néerlandais. Les étudiants de l'université de Lille III, se spécialisant en anglais ou en allemand, peuvent choisir le néerlandais comme branche à option. Depuis peu, ils peuvent étudier le néerlandais comme matière principale et d'obtenir un DEUG (Diplôme d'Etudes Universitaires Générales) de néerlandais.
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Les données socio-économiques.
Par le passé, la prospérité relative des départements du Nord et du Pas-de-Calais reposait sur trois pilliers: le textile, le charbon et l'acier. Au cours des dernières décennies, ces secteurs ont éprouvé des difficultés très sérieuses. Une politique de reconversion, qui allait pourtant donner quelques résultats assez spectaculaires, n'a pas pu écarter définitivement les difficultés. La crise économique a littéralement freiné la reconversion si bien que l'année passée a représenté, une fois de plus, une régression. A ce propos, les résultats du recensement de 1975 sont clairs: au cours des sept dernières années, la région présente un solde de migration négatif de 111.800 unités.
L'année 1975 n'a pas connu de mouvements spectaculaires d'inquiétude ou de mécontentement sociaux. Une exception, la grève relativement longue aux mois d'avril et de mai chez Usinor à Dunkerque, qui pendant plusieurs semaines occupait la une des journaux. Mais ce calme relatif et apparent masque l'inquiétude permanente concernant le chômage, les licenciements partiels et les bruits au sujet d'entreprises en difficultés ou sur le point de déménager.
Récemment, le préfet de la région, André Chadeau, a prouvé combien il y avait urgence: à l'occasion d'une manifestation où il a posé la première pierre d'un nouvel hôpital, il a formulé les faits suivants (entre parenthèses les chiffres figurant la moyenne nationale): mortalité infantile: 11,1 o/oo (10,7 o/oo), âge moyen de l'homme et de la femme 65/72,8 (67,5/75), nombre de lits d'hôpitaux: 45 o/oo (65 o/oo). Il a encore souligné que les hôpitaux de la région étaient trop vieux, mal équipés et géographiquement mal répartis.
Les difficultés concernant la situation sociale et économique réapparaissent en marge de la catastrophe à la mine de Liévin. Le 27 décembre 1974, 42 mineurs ont trouvé la mort lors d'un coup de grisou. L'année 1975 n'a pas vu passer un seul mois sans déclarations, prises de position ou rapports concernant les causes et les responsabilités. En résumé on peut dire qu'il y a deux thèses diamétralement opposées: la catastrophe était imprévisible (Service des Mines) - la catastrophe est due à une mauvaise application des mesures de sécurité.
Le 7e Plan ne prévoit rien de particulier en matière de travaux d'infrastructure ou pour attirer de nouvelles industries, ce qui ne plaide pas en faveur de la reconversion (contrairement à ce qui avait été prévu par
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le passé). La ville de Calais et la région entière ont essuyé des coups durs cette année-ci. Au début de 1975, le gouvernement britannique a décidé d'arrêter les travaux du tunnel sous la Manche. En outre, le Ministre de l'Equipement, Robert Galley, déclarait que pour ce qui était de la construction de la nouvelle autoroute Calais-Dijon, il ne pouvait garantir aucune date de début des travaux. Enfin, tout ceci a réellement été ressenti comme une défaite par la région lorsque le Président annonçait en novembre dernier que toute priorité en matière d'aménagement des voies navigables serait donnée à la jonction entre le Rhône et le Rhin. Il est clair dès lors que toutes ces circonstances ont créé parmi la population une certaine méfiance envers les promesses faites par les divers ministres à l'occasion de visites officielles à la région, telle la promesse du Secrétaire d'Etat au Commerce extérieur, Norbert Ségard, qui est originaire de la région, que les 2 départements, avec 8% de la population française, allaient profiter de 10% des crédits de l'Etat.
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L'actualité politique.
Apparemment rien ne semble s'être passé au niveau politique. L'absence d'élections pourrait faire supposer un certain calme, mais il n'en est rien. Il suffit de prendre en considération les rapports entre les partis communiste et socialiste, qui par le passé, ont semblé très difficile dans la région. Lors des élections législatives et présidentielles, respectivement en 1973 et en 1974, la collaboration et le programme commun avaient donné des résultats excellents. L'année 1975 a sans aucun doute mis à l'épreuve cette collaboration. Gustave Ansart, leader du P.C. régional, n'a pas cessé d'ennuyer le socialiste Pierre Mauroy et d'attaquer e.a. sa coalition centre-gauche lilloise (existant aussi à bien d'autres endroits). Les partis majoritaires, eux aussi, se sont manifestés. La visite officielle à la région de premier Jacques Chirac (avril '75) avait une valeur politique importante. Elle a signifié pour Norbert Ségard, Secrétaire d'Etat au Commerce extérieur, qui l'assistait, une promotion comme leader de la majorité et comme candidat futur à la mairie de Lille en 1977. L'ensemble de l'actualité politique régionale a d'ailleurs été coloré par des disputes politiques entre Pierre Mauroy et Norbert Ségard.
Au sein du Conseil régional, créé par la loi du 5 juillet 1972, Pierre Mauroy a été réélu avec succès comme président, ce qui souligne davantage son autorité régionale en tant que leader politique. On attendait de lui qu'il soit capable de satisfaire aux besoins régionaux, et qu'il dispose de l'autorité politique pour s'opposer au préfet régional et au gouvernement central afin d'obtenir le maximum pour la région. Or, qu'est-ce qui a été réalisé? Les obstacles sont nombreux: d'une part il y a une majorité de gauche, confrontée elle-même avec des difficultés entre le P.C. et le P.S., et d'autre part les moyens très modestes dont dispose la région, sans oublier aussi que le pouvoir exécutif est aux mains d'un préfet régional apparemment très habile et très dynamique, appartenant à la majorité gouvernementale.
Pourtant, le 14 mars le président du Conseil régional a réussi à mener à bonne fin une initiative importante: l'organisation d'une journée nationale à Lille groupant tous les présidents régionaux de France, tant de la majorité que de l'opposition, et clôturée par une déclaration commune en faveur d'une autonomie régionale plus grande
Sept mois plus tard, c'était la déception totale, lorsque le Président Giscard d'Estaing défendait une autonomie au niveau communal, au détriment des régions. Tout ceci illustre combien le pouvoir de décision en matière politique et économique réside toujours à Paris, en dehors de la région. |
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