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Emile Magne
Remy de Gourmont bibliophile
In het weinig bekende tijdschrift Imprimerie Gourmontienne. Bulletin trimestriel consacré a Rémy de Gourmont et rédigé par ses amis, No. 5 1922 vonden wij het volgende opstel, dat wij onze lezers niet willen onthouden, hoewel wij het met de bibliophiele opvattingen van Gourmont niet in alle punten eens kunnen zijn.
Quand le temps était beau, on ne trouvait point Remy de Gourmont au Mercure, où il avait coutume de venir d'ordinaire, chaque jour, entre cinq et sept heures. En humeur de promenade, il s'en allait bouquiner sur les quais. Il était une vieille connaissance des marchands qui tiennent boutique sur les parapets de la Seine. On le rencontrait presque toujours aux environs du pont des Arts, en face de eet Institut de France qui n'eut pas l'honneur de l'accueillir sous sa coupole. Une bonne vieille, maigre et taciturne, un petit bourgeois au visage rond et couperosé qui ouvraient leurs boîtes côte à côte, recevaient de préférence sa visite.
Il n'y avait pas de bouquineur plus méticuleux que lui. Il examinait avec un soin grave les rangées de livres poussiéreux et les paperasses maculées. Il ne souffrait point de ramasser la malpropreté de ces résidus de salles de vente. Tout l'intéressait. Peu lui importait que l'ouvrage choisi par lui fût enlaidi par des souillures ou par une couverture en lambeaux. L'important c'était son contenu.
Lorsque, pas hasard, il avait déniché quelque volume dont les pages, lues sur place longuement, l'avaient enchanté et lui paraissaient capables d'alimenter le sujet d'une de ses promenades, son visage respirait un contentement ingénu. Il avait hâte d'en absorber la substance intellectuelle. Il ne cherchait pas davantage. Sa patience était récompensée.
Cet homme qui, avant de se lier avec un autre homme, l'observait en silence pendant de longs mois, et souvent sans lui accorder la plus petite marque de sympathie et même de politesse, lui témoignait, quand il l'avait adopté, mille aménités et prévenances. Volontiers, devant les boîtes où se détachait sa silhouette caractéristique, il interrompait, pour l'entretenir, sa méditation. Il racontait lentement ses ivresses de bibliophile.
De tout temps, et à une époque où rares étaient les explorateurs
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de cette région des quais prodigue d'intempéries, il rechercha cette solitude aux harmonieux paysages et dont les horizons colorés magnifiaient les dentelles de pierre. Il y goûtait à la fois une délectation des yeux et une délectation de la pensée. Et puis, quelles délices éprouvés dans la découverte!
Les bouquinistes des temps révolus n'étaient pas avertis sur la valeur des livres par mille bibliographies. C'étaient de pauvres d'esprit, voués par leur métier de plein air à la tuberculose, accommodants, multipliant, entre deux crises de toux, les bouffonnes sottises. Leur seul mérite consistait à sauver des marchandes des Halles ces tonnes de papier; mais ils ne marquaient pas plus qu'elles de considération à la chose écrite. Ils la donnaient quasiment au poids. Remy de Gourmont se plaisait à dire comment, dans ce fatras, il avait amassé peu à peu, les achetant pour un décime pièce, les éditions originale des classiques et tous ces poètes de la Pléiade auxquels les romantiques, exaltant leur génie, ne parvinrent pas, sans le secours de l'Université, à rendre leur gloire tombée en poussière.
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Maintes fois Remy de Gourmont nous reçut dans son cabinet des quais, devant son immense bibliothèque en plein vent et nous initia à la curiosité de pur intellectuel avide de connaître. Et enfin, un jour, il nous convia à visiter le logis où il assemblait ses trésors.
Il occupait, dans une antique maison de la rue des Saint-Pères, un petit appartement donnant sur la cour. Il répondait lui-même à l'appel de l'arrivant. Revêtu d'une robe de bure, le chef couvert d'une calotte, il s'encadrait, souriant avec douceur, dans l'huis fait, semblait-il, pour sa stature.
La retraite du philosophe était rapidement explorée. Sur une petite antichambre rectangulaire s'ouvrait une cuisine exiguë où l'on apercevait des étagères chargées de livres. Le fourneau luimême soutenait un faix de bouquins. Au bout d'un long corridor, une pièce qui dut être, dans les temps passés, une salie à manger, était, vers la gauche tapissée de rayons. Une table, sur laquelle reposait une statuette de bronze, en occupait le milieu. Quelques sièges la meublaient et, à droite, une bibliothèque curieusement marquetée, offrait ses vitrages bariolés de bizarres décorations florales.
Vers le fond de cette pièce bâillait une porte conduisant au cabinet de travail. Celui-ci formait une sale carrée également envahie
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par les livres. Les murailles en étaient accablées. Fauteuils et chaises aux velours jaunes fanés en portaient des charges mal équilibrées. Beaucoup dormaient à terre, pêle-mêle, dans le clairobscur. Une petite bibliothèque noire en contenait de précieux, voisinant avec les propres ouvrages du maître.
Les livres constituaient tout l'ornement de ce lieu. Aucune recherche d'art. Point de tableaux et de bibelots. Remy de Gourmont ne se souciait point d'agrémenter de formes esthétiques le cadre de sa vie. Assis dans un fauteuil, devant sa table de travail surmontée d'un pupitre d'acajou, encombrée d'objets disparates et de paperasses, aspergée de parfums par une gerbe de fleurs inclinée sur une haute coupe de cristal, il n'apercevait. à travers la fenêtre ouverte à sa gauche, qu'un pan de muraille vétuste et, circonscrit par les toitures, un triangle de ciel.
Une atmosphère de mélancolie indicible régnait sur eet appartement. On y sentait souffrir on ne savait quoi, peut-être l'ême de l'habitant. Les disciples que la mort devait amenez en foule n'étaient pas encore venus. L'admiration était offerte avec parcimonie au solitaire drapé dans sa fierté et cultivant avec une soin minutieux ses parterres d'idées.
Gêné peut-être par une légère difficulté de parole, Remy de Gourmont d'était pas bavard. Il haïssait d'ailleurs les diseurs de riens tout autant que les écrivains de galimatias; mais la taciturnité n'excluait point chez lui l'affabilité. Lentement, mesurant ses phrases, les accompagnant d'un sourire, il entraînait son interlocuteur sur un terrain immédiat d'entente. La conversation prenait alors une allure de haute sérénité. L'impression de mélancolie s'effaçait. Une grande quiétude gagnait l'esprit.
Ce jour-là nous ne prolongeâmes point la causerie, car Remy de Gourmont se leva bientôt pour nous faire les honneurs de sa cité des livres. Nous allâmes tout d'abord dans la salie à manger désaffectée. Devant les rayons l'auteur de la Physique de l'Amour manifesta tout de suite un enthousiasme imprévu. Il nous expliqua qu'il ne possédait point de fichiers. Les livres étaient placés à l'aventure. Méthode excellente, car si, l'employant, on ne retrouvait jamais le volume dont on avait immédiatement besoin, du moins on mettait la main sur quelques autres dont on avait oublié jusqu'à l'existence. On se sentait ainsi plus riche qu'on ne le croyait. On inventoriait plus avant les rayons. On refaisait un voyage de découverte d'où Pon tirait un divertissement.
Remy de Gourmont nous passait les livres un par un. C'étaient
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des livres souvent calamiteux, rongés par les vers, embellis de calligraphies puériles et dont l'humidité ternit les ors; mais ils contenaient une matière sublime. Leur pensée intérieure rachetait la pauvreté de leurs robes. Desportes, Marot, Ronsard étaient là et leurs chants semblèrent s'élever dans le silence pâle du crépuscule urbain. Du fastueux Vendômois, Remy de Gourmont possédait une belle et rarissime édition de la Franciade.
Quelques poètes dont le ton pastoral plut au solitaire, Nicolas Frénicle, entre autres, voisinaient avec ces illustres. Les libertins revivaient dans le Cabinet satyrique et dans l'OEuvre de leur maître Théophile de Viau. Avec les Maximes de La Rochefoucauld et les Caractères de La Bruyère le pessimisme hautain dormait aux côtés du pessimisme agressif. Corneille, Molière, Racine formaient le centre de cette collection. D'eux surtout, Remy de Gourmont tirait vanité, car soit en in-quarto, soit en in-douze, il en conservait toutes les éditions originales, et d'autres, plus modestes, parées de lourds culs-de-lampe, et d'autres, plus déliées, plus fines, venues des presses elzéviriennes. Hélas! ces OEuvres prônées n'étaient point revêtues de maroquin aux armes. Des mains de bourgeois, à travers le temps, avaient dû les feuilleter et y inscrire précaution- neusement les prix d'achat.
Malicieusement, Gourmont nous soulignait comment le hasard rapproche dans la mort des gens qui ne purent se supporter dans la vie. Un dogmatique Malherbe, annoté par Ménage le pédant, reposait, en effet, sur les rayons, à côte de Saint-Amant, le bon goinfre, dominé par le format in-octavo de ce dernier. C'est à l'aide de ce Saint-Amant que le philosophe avait composé, pour le Mercure, une gerbe de Plus belles pages. Un Magnard goguenardait non loin, avec ses poèmes parfaits, ses sonnets semblables à de fins camées, ses épigrammes incisives, enfermés dans un in-quarto tout frais, semblant acheté la veille, au Palais, à la Palme, chez Augustin Courbé. Il représentait, parmi les poètes, les bons biberons qui exaltèrent la vie, le verre en main, raillant les précieuses, leurs alcovistes, leur phOEbus, leur métaphysique puérile.
Visiblement, Remy de Gourmont avait goûté les anthologies du grand siècle, sentant obscurément qu'en elles se rencontraient, sous ses formes réelles, l'esprit public, toutes les images de la ruelle et qu'elles étaient le reflet de mOEurs et de coutumes tombées en désuétude. Il en possédait de nombreuses, sorties des boutiques de Sercy, de Chambondry, de la Veuve Loyson et autres. Quelquesunes étaient des supercheries curieuses, des refontes d'invendus
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publiées avec des titres nouveaux, de escroqueries d'éditeurs luttant contre la mévente.
Un volume: Les Satires de Boileau (1667-1668), réimprimées clandestinement en Hollande sur l'édition de Paris, était particulièrement précieux à Remy de Gourmont. Il l'avait payé 1 sol au bouquiniste qui le lui vendit. Tout en nous contant sa bonne fortune, le philosophe caressait avec volupté un Rabelais du seizième siècle, imprimé en caractères minuscules et qui formait un indouze rebondi. C'était un de ses joyaux. Tandis qu'il en parlait, on sentait quel plaisir il avait éprouvé à méditer, dans ce vieux bouquin, la pensée optimiste du bon Chinonnais.
Il nous tendit ensuite, en éventail, dans ses mains poussiéreuses maintenant, comédies, tragi-comédies, tragédies de maints auteurs qui furent de l'Academie française: Desmarets de Saint-Sorlin, Boisrobert, ou de l'Académie de la vicomtesse d'Auchy, comme l'abbé d'Aubignac. Il les avait lues patiemment, cherchant en elles des tracés de talent, un beau vers, une période digne de survivre, ou encore, le mystérieux secret de leur réussite.
Remy de Gourmont n'avait même pas dédaigné les élucubrations, souvent étonnantes, des révérends-pères. Sur ses rayons, des poèmes subsistaient où la mystique se mélangeait bizarrement de sensualité. Les ouvrages latins d'humanistes, traitant de matières étranges, l'un, par exemple, consacré à l'étude des pierres précieuses, s'entassaient aux côtés de poésies italiennes. L'Adone du cavalier Marin s'alignait auprès de la Divine Comédie de Dante, frustement reliée par un artisan du seizième siècle. Plus clairsemés étaient, sur ces tablettes, les écrivains du dix-huitième siècle. Pourtant, un Delille portant encore des signets de papier montrait que le maître avait aimé les descriptions du poète bucolique.
Accroupi par terre, Remy de Gourmont, les mains de plus en plus noircies par ses recherches, inventoriait les derniers rayons, heureux quand nous lui précisions la particulière rareté de ses opuscules. Enfin, n'ayant plus rien rencontré qui fut digne d'une remarque, il se leva péniblement. Il ouvrit un placard voisin de la petite bibliothèque décorée de fleurs. Là, s'accumulait une collection énorme de ces brouchures, habillées de couvertures saumon, dites brochures de colportage. Parmi elles, nous distinguâmes une réimpression de la Marianne de Tristan Lhermite.
Nous nous étonnions de la tendresse que notre hôte accordait à ces publications d'aspect vulgaire. Il ne nous révéla point quel profit intellectuel il comptait en tirer. Elles contenaient surtout
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des chants et complaintes populaires et c'est à elles qu'il emprunta, en partie, la matière des Trois Légendes du moyen âge publiées après sa mort.
Son cabinet de travail recélait bien d'autres merveilles, mais principalement des livres modernes, histoire, littérature, Sciences, que nous n'examinâmes point. La nuit était d'ailleurs tout à fait tombée. Il fallut allumer la lampe. Remy de Gourmont nous montra encore des brochures de Verlaine, comme Les Amies, acquises en stocks, à l'époque où l'OEuvre du poète, reléguée dans les boîtes à deux sous, ne trouvait pas de chalands. Puis il sortit, avec précaution, d'un carton où elles étaient enfouies, des collections d'antiques tapisseries vénitiennes aux couleurs vives, rehaussées d'or. Il formait le projet, aux jours lointains peut-être, où la fortune daignerait lui sourire, d'habiller ses livres de ces papiers somptueux où les maîtres décorateurs italiens donnèrent naissance à une flore de rêve.
Ravi de sa bienveillance, nous quittâmes le maître, le laissant luimême tout épanoui d'aise de notre promenade livresque. En somme, sa bibliothèque se signalait plutôt par sa variété que par sa richesse. Elle était l'image de eet esprit universel, curieux de tout, étendant patiemment sa connaissance, alimentant ses synthèses à mille sources et dont les spéculations audacieuses s'étayaient sur des bases solides de Science. Bibliophile, il l'était réellement, mais point bibliomane. Si son goût d'artiste le portait vers les beaux papiers, les impressions fastueuses, les reliures ornées, ses tendances de penseur l'inclinaient plus volontiers vers les textes exubérants d'idées, prêtant à la réflexion.
Une grande partie de son OEuvre littéraire, scientifique, philosophique est sortie des lectures faites dans ce cabinet silencieux. On rencontrait, en effet, fort rarement Remy de Gourmont à la Bibliothèque nationale. Nous ne nous rappelons l'y avoir vu qu'une fois en dix ans, au temps où, préparant les plus belles pages de Cyrano, il consulta le manuscrit original du prestigieux libertin. Il avait choisi, parmi les écrivans anciens et modernes, ce qu'il considérait, dans leur OEuvre, comme l'essentiel d'une culture intégrale et il s'en était entouré. Sa fantaisie seule le détermina à ajouter à ces poésies et proses quelques volumes de pure curiosité. Tel que nous l'avons connu, au cours de maintes autres visites amicales, il nous apparaît comme un humaniste débarrassé du fatras inutile, comme un humaniste à la façon de Ronsard, déterminé à sacrifier davantage aux grâces qu'à l'érudition pure.
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