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et mécaniques, à ses élans vers l'air et la lumière. Visuellement, le mouvement par ses rythmes, ses droites et ses courbes, nous associe à une vie complexe, que sans le cinéma nous ne connaîtrions pas dans sa tragédie.
Ainsi chaque découverte technique cinématographique a un sens bien déterminé: elle améliore l'impression visuelle. Le cinéma cherche à nous faire voir ceci, à nous faire voir cela. Constamment, dans son évolution technique, il s'adresse à notre oeil pour toucher notre compréhension et notre sensibilité. Il semble donc, dans sa vérité scientifique, devoir s'adresser uniquement à la vue comme la musique s'adresse uniquement à l'ouïe.
Je répète à tout instant ces mots ‘visuel, visuellement, vue, oeil’, Or, il existe un fait contradictoire. Si de par sa technique le cinéma est uniquement visuel, il se trouve que de par son esthétique morale, il dédaigne ce qui est purement visuel: l'image, pour ne s'attacher qu'à reproduire des expressions où l'image tient peutêtre une place, mais non la plus importante.
Par exemple le cinéma enregistre des clichés photographiques, non pour émouvoir ‘visuellement’ mais pour raconter ou embellir des anecdotes qui n'ont pas été essentiellement créées pour être vues, mais pour être lues ou entendues. Et au lieu de s'attacher à la valeur de l'image et à ses rythmes, les oeuvres actuelles s'attachent à servir la continuité glissante d'une action dramatique arbitraire.
Confusion des valeurs. Deux artistes se parlent au cours d'une scène. Erreur. Les expressions silencieuses de leur visags seules seront visuelles. Or, dans le cinéma dramatique comptent, hélas, plus les faits que les expressions.
Donc, l'instrument cinégraphique dans ses possibilités scientifiques est conçu pour un but, l'inspiration cinégraphique classique et commerciale en poursuit un autre. Où se trouve la vérité? Je le pense, dans I instrument qui a créé le septième art.
Mais pourquoi, me direz-vous, cette qualité de but? Par l'erreur fondamentale qui a présidé aux premiers scénarii imbus du préjugé qu'une action dramatique ne saurait se développer autrement qu'à la manière d'un roman ou d'une pièce de théâtre, c'est-à-dire par des faits précis plus que par la suggestion des expressions.
D'où provient la stagnation du cinéma. D'où vient que le septième art, mode d'expression ample, magnifique et nouveau, semble frappé de stérilité dans ses spectacles habituels, et nous remplit de désillusion et parfois d'amertume. C'est que l'écran, loin de capter sur la surface blanche de sa toile des ‘vibrations visuelles’, se plaît à ne refléter que des formes, si j'ose dire ‘antivisuelles’.
Etre visuel, atteindre la sensibilité par des harmonies, des accords d'ombre, de lumière, de rythme, de mouvement, d'expressions de visage, c'est s'adresser à la sensibilité et à l'intelligence par l'oeil.
Un être sourd ne saurait entendre autre chose que la musique intérieure qui chante en lui, et ne peut en aucun cas percevoir les ondes sonores envoyées de l'extérieur et y trouver une joie.
De même un aveugle ne saurait logiquement être frappé par les formes visuelles étrangères à sa connaissance antérieure. Or, j'admets très bien, dans la forme actuelle du cinéma, qu'un aveugle puisse prendre plaisir a une oeuvre filmée. Que quelqu un, placé à ses côtés, lui explique le sens actif des images. Voici le jeune premier, il est blond, il est grand, il est assis dans un jardin au clair de lune, il est seul et semble attendre quelqu'un. Voici lajeune premiére qui entre en courant. Elle s'approche. Etreinte. Non loin, dans le jardin le traître guette. Je puis vous assurer que l'aveugle, en écoutant le récit, goûtera le sens du film, c'est-à-dire qu'il suivra l'histoire et prendra au spectacle au moins cinquante pour cent d intérét sur les cent pour cent qu'il aurait eu à le voir.
Or, un vrai film ne doit pas pouvoir se raconter puisqu'il doit puiser son principe actif et émotif dans des images faites d'uniques vibrations visuelles.
Dans l'élaboration du film, on prône d'abord l'histoire et l'on place en second plan l'image c'est-à-dire, que l'on préfère le théâtre au cinéma. Quand le rapport sera renversé le cinéma commencera dès lors à vivre selon sa propre signification. Lutte de l'image prise au sens profond de son orchestration, contrè l'erreur littéraire et dramatique.
Tout le problème du cinéma est dans ce mot ‘visualisation’. L'avenir est au film qui ne pourra se raconter.
Le septième art, celui de l'écran, c'est la profondeur rendue sensible et visuelle, qui s'étend au dessous de l'histoire, analogue à l'insaisissable musical. Cette conception amène nécessairement à une révision des thèmes cinégraphiques.
Et, ‘la Coquille et le Clergyman’ ressort de ce souci. Par exception ce film a été fait sans concession, il est sincère. Pas d'histoire. Des idées, des sensations qui doivent naître de la seule suggestion des images.
Quelques-uns d'entre vous verront peut-être dans ce film un songe et ses conséquences psychanalytiques, d'autres un bercement poétique de tous les rêves inavoués refoulés, ou inconscients