Dietsche Warande en Belfort. Jaargang 107
(1962)– [tijdschrift] Dietsche Warande en Belfort– Auteursrechtelijk beschermd
[pagina 342]
| |
Michel de Ghelderode
| |
[pagina 343]
| |
de couleurs inconnues, bourré de poésie et de revendications, maître à votre bord et ne craignant rien et voyant très loin, qui compreniez avant même qu'on parlât et tombiez dans des méditations qui semblaient séculaires! Vous l'avez bâti, ce Vlaamsche Volkstooneel, vous l'avez pavoisé, illuminé, lancé sur les routes - et c'était à la fois un navire à roues, un char de la Renaissance, une caravane barbare et joyeuse jaillie de l'âge Elisabéthain, c'était tout un monde emportant avec soi son tumulte, ses feux, ses hardes magnifiques, ses éloquences, ses cris et ses danses, avec toutes les misères et servitudes qu'on divine, avec tout l'idéal et toute la foi! La Flandre possédait son Théâtre, enfin! Ce prodige correspondait d'ailleurs à une immense espérance, partout dans le monde, au lendemain du premier grand massacre, et nul alors n'eut osé croire encore aux guerres, ailleurs que sur les planches et dans les tragédies antiques! Oui, l'homme cherchait et retrouvait sa dignité, on parlait de Culture, et les meilleurs d'entre nous songeaient non pas à jouir de cette euphorie née d'une victoire sur la bestialité, les meilleurs se demandaient où se trouvaient leurs devoirs. Hélas! en eurent-ils le temps! Et notre Volkstooneel eut-il pu vivre plus longtemps, quelques années équivoques de plus, puisque la peur vite renaissait, l'angoisse - puisque l'ombre remontait des profondeurs, comme dans les tableaux inoubliables du ‘Lucifer’ de Vondel, où grouillaient des démons de cuivre et d'acier, affreusement beaux et dangereux, aux antennes électrisées... Mais oui, ce magistral Théâtre d'hommes jeunes avait accompli sa course, atteint les sommets; mais oui, il en va de la sorte avec toutes les entreprises humaines qui naissent, culminent et déclinent! Que le Volkstooneel ait vécu si longtemps et donné tant d'oeuvres de façcon exemplaire, c'est le miracle, n'est-ce pas? Et eut-il survécu, il fut devenu une académie, un museum, une chose vieillissante et bonne à dynamiter! On vit agir, dans ces ultimes années, le sage, taciturne Anton Vandevelde, cette âme forte, ce poète aux aspirations nobles, prendre en charge ce Théâtre livré au désordre, aux vents du dehors qui menaçaient la société tout entière. Pour être moins glorieuses, les derniers combats de la troupe d'avantgarde, car le Volkstooneel fut bien une troupe de combat, ne furent pas les moins utiles: le successeur de Johan de Meester, lassé d'un trop gigantesque effort, laissa une empreinte profonde, par le pays de Flandre et ailleurs. Il faut le dire, et cette influence se trouve en dehors de Belgique de nos jours encore, le Vlaamsche Volkstooneel a rempli sa mission et, le théâtre démonté, a continué de rayonner à travers le temps! Il a fait école. D'autres vous le diront, plus qualifiés que moi, pauvre écrivain, qui eut la chance de faire mes premières armes dans ces batailles contre les préjugés, la mauvaise foi, le moindre effort et la bêtise. Et notre fils Barabbas court toujours, bien loin même, ce Barabbas écrit pour | |
[pagina 344]
| |
les foules de chez nous et qui, parce que le coeur y était, se fait comprendre aux hommes de partout. Oui, d'autres que moi vous diront l'influence de ce Théâtre unique - le cher Camille Poupeye, critique éminent et supporter farouche, dont la plume d'or fit merveille - le cher Herman Teirlinck, ce grand narquois qui cache si finement son émoi, un peu diable mais niché parmi les pigeons et les anges, en haut du beffroi d'où il contemple le siècle, et cette Flandre dont il demeure le premier dramaturge de classe internationale! Et que me pardonnent les autres fidèles et fervents, que, dans ma fatigue, j'arrive à oublier... A tous, aux anciens qui trouveront leur repos ailleurs, comme aux jeunes qui nous écoutent; à ceux de la veille comme à ceux du lendemain, je repète: aimons l'art, recommençons l'aventure de ce Théâtre qui exalte et grandit l'homme, dans un temps où le matérialisme le dégrade, où la personnalité humaine est hideusement niée. Je salue le Volkstooneel futur!... |
|