Dietsche Warande en Belfort. Jaargang 92
(1947)– [tijdschrift] Dietsche Warande en Belfort– Gedeeltelijk auteursrechtelijk beschermd
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Maxime Deswarte
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avec lui l'odeur de la terre; servi par une nature trop généreuse, comme son peuple d'ailleurs, il est heureux et inconscient, pris d'un besoin d'évasion, il quitte la vallée de la Nèthe avec Pallieter, y revient avec l'enfant Jésus et la sainte Famille, y mène une vie d'effort et de travail comme Wortel, le héros de ‘Psaume Paysan’. Nous songeons alors à cette réalisation énorme de travail, accomplie par tout un peuple, à ce labeur qui est devenu une prière, où se mêlent des jouissances et surtout des deuils, eux-mêmes vite oubliés parce que la terre pour vivre réclame un soin incessant, le peuple uni à la terre oublie ces maux; mais d'autres y ont pensé longuement pour lui, c'est Jérôme Bosch, c'est Pieter Brueghel; Timmermans s'est souvent attardé devant leurs tableaux où il retrouvait son peuple; il fut charmé par ces bonshommes, il n'a pas été sans soupçonner leur grandeur, mais il en a détaché ou plutôt reproduit quelques-uns; à cause de son éducation trop folklorique et surtout grâce à son tempérament exubérant il a estimé que moins grands ils pouvaient encore vivre honnêtement d'une vie terre à terre, pleine de sève et de santé; il en a bien senti le caractère tragique, épique et mystique, mais lui ne pouvait aller aussi loin, il s'arrêtait à mi-chemin. Alors les personnages du Grand Brueghel ont mis pied à terre, ils se sont retrouvés dans la plaine, dans le giron maternel, jamais encore ils n'avaient ri, cette fois-ci ils éclatèrent de leur bon rire franc, comme s'ils assistaient à leur propre enterrement à la façon de Mr Pirroen dans ‘Anne Marie’ et comme Mr Pirroen ils ne sont pas morts. Fini le silence suffoquant, ‘Zwijgen dat ge zweet’; ils sont en extase devant la belle nature et la chantent à leur façon: ‘Dans les fossés ils ne manque que du lait et du miel’Ga naar voetnoot1). Ils prêtent une oreille attentive à l'histoire de l'Ezeltje Sch...tgeld, l'âne qui lève la queue pour donner des lingots d'or. Voilà un avion au ras du sol: ‘les vaches qui ruminent calmement couchées par terre se lèvent d'un bond en grand désordre, il y en a qui déménagent en urinant les pattes écartées et la queue en l'air’. Pallieter monte dans l'avion et plante là sa dulcinée. En plein été, sous l'orage c'est la chevauchée des Walkyries, mais sur un troupeau de vaches: ‘'t is schooner dan schoon!’ La neige est une fête pour Pallieter, il dirige son tir sur Marieke, Charlotte, et la girouette et s'en va prendre le café, ‘mais avant d'entrer, Pallieter pisse son nom dans la neige’. Pieter Brueghel habite la ‘Terre Promise’ et quand il éternue il perd sa culotte; sa mère est à la mort, le coeur navré il va jouer aux cartes avec Maigre Louis, il s'échauffe soudain et songe à son beaupère: ‘si je ne me retenais pas, dit-il, je prendrais un marteau et lui enfoncerais sa gueule de Tomate jusque dans son ventre, afin qu'il puisse regarder par son nombril comme par un trou de serrure’. Il goûte la bière c'est ‘een bier van Kyrie eleison’. Saint François et le chevalier borgne échangent leurs vêtements, ‘ils se cachent chacun dans un bosquet et ils se jettent leurs habits | |
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geboeid door huiselijk genoegen
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in zijn woning voor het open raam
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à mesure qu'ils s'en dépouillent.’ Même quand l'écorce est rude, ces personnages cachent une âme tendre et dévote. Maigre Louis, le meunier, n'oublie jamais la prière de l'Angélus: ‘il prie et crache vigoureusement par la porte restée ouverte. Pierre crache et prie comme lui.’ Ils se trouvent gênés devant ‘Mijnheerken God’ comme devant un grand Monsieur, mais les chapelles de la Vierge sont leurs temples; quand Schrobberbeek sort de la ‘Petite sirène’, il s'arrête devant chacune d'elles, il y a un regret sincère de ses péchés, ‘mon âme est noire comme mes pieds’. Tous croient en la vie et en un au-delà qui est tout près d'eux, ils ont la foi ‘tot in het staartje van hun ziel’.
Timmermans s'amuse follement à voir évoluer ses personnages et pour les rendre encore plus comiques il les affuble de toutes sortes de coloris, il est un metteur en scène spécial, son rôle commence quand la grande tragédie vient de se terminer, elle a sans doute été jouée par les Maigres, l'effet a été décisif, il ne s'agit surtout pas de relever le rideau pour une comédie qui vous fait admirer et réfléchir pendant des jours et des mois, comme la kermesse du Louvre de Rubens, non, l'auteur et le public aussi exigeants l'un que l'autre sont partis, c'est le moment de la détente, on vide les dernières bouteilles en attendant que d'autres arrivent, les acteurs sont encore grimés, ils arrangent leurs déguisements, les complètent évidemment en puisant dans la vieille réserve folklorique de Timmermans, et toutes lumières allumées, sans qu'intervienne la perspective de la salle, on fait jouer le Reuzenlied, c'est la grande sarabande qui commence, ‘En de groote klucht begon’ (Boudewijn): ‘Là dessus, Stans rabroue son enfant et le petit se met à hurler feu et flamme. Stans, ouvrant son corsage, en sort un gros sein blanc, qu'elle fourre dans la bouche barbouillée de cerises de son gosse. L'enfant s'y cramponne de ses deux petites mains grasses et se met à têter. Immédiatement le rouge du petit museau se colle sur le sein blanc. On devient expansif. Pallieter, qui sent à côté de lui Mariette, la belle enfant, la prend par la taille, et de sa bouche encerisée lui met un baiser sur la joue, où reste un petit rond rouge, et immédiatement toutes les femmes sont embrassées par les hommes. Il y a des rires et des criaillements, accompagnés par le gosse qui piaule. Stans oublie de remettre le sein dans son corsage et il se met à balloter et à sursauter avec des hoquets de rire de son gros corps. Des verres se brisent et des bouteilles roulent à terre. Le soleil baisse. Mais voici, sur une civière, deux hommes apportant les grandes platées de riz au lait. C'est de cette fin de menu que tout dépend. Chacun y va d'un dernier effort. Une sorcière maigre et Pallieter, seuls, vident leur assiette... On doit tirer à la courte paille entre Mr le Curé, Mariette, Charles Verlinden et Charlotte. Il y a une impatiente attente. Tout le monde se tient autour de Pallieter, silencieux et nerveux et un grand rire part quand le gros marchand de beurre tire la courte paille. Mais le gros paysan s'enfuit: “Attrapez-le!” crie Pallieter. | |
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“Charlotte, approche le plat.” Les convives empoignent Charles, qui se débat comme un cochon et Charlotte arrive avec l'énorme plat (dans lequel le perdant doit s'asseoir le derrière tout nu). Mais elle rit si fort qu'elle urine dans ses jupes et laisse tomber à terre le plat, qui se brise en mille morceaux. Charles Verlinden danse de bonheur, les bras au ciel. Tout le monde se tord à en attraper une hernie et Pallieter roule par terre.’ Approchons de cela certains autres détails de fête: la grande tasse, décorée d'un perroquet rouge de Pallieter, l'uniforme vert-pâle d'un militaire du 9eième dragons, la petite charrette bleue tirée par le chien Loebas, où Pallieter commence son voyage de noce, ou bien Mr Pirroen en frac pourpre et en chapeau blanc. Tout cela peut être très amusant. Toutefois ne nous laissons pas induire en erreur par des citations ou par ce qu'aurait dû être Timmermans. Nous ne sentons pas chez lui un amour frénétique pour un peuple fort, mais une sympathie très tendre pour la foule qu'il essaie d'animer grâce à une accumulation de détails, une mosaïque de couleurs; ses personnages ne sont pas détachés de l'ensemble; cette foule Timmermans la devine joyeuse dans le brouhaha des kermesses et des foires, au milieu des stands d'alimentation, dansant au son de la musique foraine et des chansons populaires, si charmantes en Flandre, jouées par des accordéons et des carillons et alors Timmermans sort ses trombonnes à coulisse tout verdis et ses tambours plus ou moins décorés. Il entrevoit les Pierrots qui s'avancent en rangs serrés traversant la foule qui chante, Timmermans est charmé, mais tout cela il ne le constate pas réellement, il n'en a pas la sensation présente, c'est pour lui un mirage chatoyant de tableautins folkloriques, pour lesquels il ressent de la volupté, trait typique chez lui, comme la scène amoureuse l'est d'un genre de roman en France ou le geste tragique dans certaines oeuvres italiennes. Pour la nature flamande Timmermans ressent une tendresse égale, exprimée avec des effets de couleur qui nous charment ou nous étonnent; n'y a-t-il pas là deux arts qui chevauchent l'un sur l'autre, la peinture et la littérature? L'écrivain ne souffre-t-il pas d'une incapacité de s'exprimer avec des mots et des phrases? Trouverait-on chez lui quelque chose de cette impureté tant reprochée par Nietzsche à Wagner dans le domaine de la musique? Timmermans offre un cas assez spécial, son vocabulaire est riche, mais ici plus qu'ailleurs l'écrivain est doublé d'un amateur avec son aimable sourire, Timmermans a parcouru toute la Flandre, il a même été jusqu'à la Mer du Nord, on sent qu'il est à la recherche du rare et du précieux, il cueille en passant une expression des plus heureuses sur la bouche du peuple: ‘Après midi le ciel était devenu un marché aux moutons’. Ou encore: ‘Le froid donnait à la bouche une saveur de métal’. Mais il y a chez lui de la préciosité, il se complaît dans le rare, la perle, le camée dont il jouit avec la sensualité d'un sybarite flamand. Lisons plutôt: ‘La Nèthe était haute et portait, claire comme l'air, les nuages du ciel’. ‘Quand Pallieter vit cette grande eau vide qui, à l'autre bord, reflétait si | |
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pures, les fleurs jaunes et pourpres, l'apaisement se fit en lui, et il redevint tranquille comme un homme après une ardente prière’. ‘L'élément liquide clapotait puissamment en lui; une, deux, trois, et il fut nu, piqua dans la Nèthe au milieu d'un grand rejaillissement de perles d'eau irisées, et nagea vers les fleurs’. Ailleurs: ‘Pieter Brueghel partit et passa le pont en pierre, mais tout le village le suivait comme une réverbération dans une boule en verre: toutes les saisons, les gens, les fenêtres, le clocher, les intérieurs estompés, les jeux d'enfant, les chansons, les nids d'oiseaux, les petites filles et les proverbes, toutes les odeurs et les couleurs, tout l'accompagnait, net et juste, comme le panache d'une comète’. Il connait tous les oiseaux par leur nom, leur plumage, la couleur de leurs oeufs, il célèbre le corbeau et la pie, la belle neige, la lune sous tous ses aspects, il aime ces perspectives dans le lointain, malheureusement il a oublié que dans les peintures flamandes ces échappées sur la nature font partie de l'arabesque du tableau, elles ont un effet plastique et ne sont pas mises ià pour être regardées à la loupe; dans ses oeuvres elles se trouvent un peu isolées, comme ‘ce berger bossu, seul, tout seul, qui fait comme les enfants le pauvre, et joue aux cartes avec lui-même.’
La même observation vaut pour les personnages; descendus des tableaux ils devaient bien conserver leur originalité, mais leurs gestes, leur déformations ont perdu leur raison d'être. Timmermans en est réduit à ne donner que des silhouettes, souvent frappantes, mais ses personnages manquent de lest; différents de l'homonculus ils plânent comme lui et nous revenons au bijou, au médaillon où nous retrouvons certaines limites de Timmermans, son amour du bibelot, son incapacité de détacher ses personnages de la foule, mais aussi ses qualités: près du peuple il a été sauvé par la langue et le tempérament flamands qui aiment les choses positives, réelles, précises et jusqu'à la vie intime avec ces choses, ‘de innigheid’. On trouve alors ces expressions savoureuses: ‘Je le traitai avec ménagement, comme un oeuf’, et ces silhouettes vivantes, comme le Paysan et Staf au début du recensement de l'Enfant Jésus en Flandre: Paysan: ‘Voila déja six jours que je suis en chemin loin de ma ferme et de mon travail. Il m'a fallu traverser des forêts où hurlaient les loups, marcher à travers des champs gelés et cela avec mes rhumatismes et mes pauvres guiboles toutes tordues. En quoi cela peut-il bien lui (Hérode) être utile de savoir combien il a de sujets. S'il osait seulement, Staf, crois-moi, s'il osait s'y risquer, il oserait bien noyer dix-mille flamands.’ Staf: ‘Les temps sont mauvais, une comète est apparue dans le ciel. A Malines il est tombé une pluie de sang.’ Il y a ici un peu de Van der Goes qui dans les ‘Bergers à la crèche’ réussit parfaitement: les trois bergers, le boeuf et l'âne. Rappelons encore cet inoubliable Jan Nagel, un des frères cadets d'Ulespiegel, | |
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Fien la première femme de Wortel (Psaume Paysan). Citons ce petit tableau omis dans la traduction française de Pieter Brueghel: ‘Les habits déchirés et le coeur amer, il était assis près de l'Escaut large et léger, autour de lui vingt pourçeaux grognants. Il se voyait lui-même là assis, sâle et maigre, son genou encroûté et en pointe traversant sa culotte, son petit veston rouge en haillons, où son épine dorsale découpait tous les grains de son gros chapelet’. Quelle illusion si nous pensons à cette autre phrase qui nous avait fait rire auparavant: ‘Sous la protection de Saint Christophe il se lança dans le vaste monde, vers le pays où la soupe grasse clignote dans votre assiette’. Emotion, touches légères, intimité avec les choses, rire bouffon, voilà les qualités qui font de Timmermans un conteur populaire hors ligne, ce terme ‘vertelsel’ revient souvent sous sa plume: ‘hij luisterde naar den regen als naar een oud vertelsel.’ L'auteur devait avoir une prédilection pour Kruisduit de ‘l'Enfant Jésus en Flandre’. Pour soutenir l'attention inconstante de son auditoire Timmermans utilise le mouvement, c'est un metteur en scène infatiguable et systématique: ‘Une alouette grimpait à la corde de sa chansonnette, piet, piet, pierewiet’. Il se distingue ainsi de beaucoup d'auteurs flamands. Ils est très près d'un autre art populaire: le cinéma. Avec quel abandon candide il devait se laisser prendre par le film de Blanche-Neige, avec toute sa féerie et sa poésie.
Au milieu de cette succession rapide de vues cinématographiques on découvre une sorte de constante qui se précise toujours davantage: le voisinage du réalisme et du mysticisme; cette juxtaposition curieuse nous surprend par moments. Timmermans multiplie les détails truculents et soudain quand la saynète est près de passer, il souligne d'une note mystique comme il ajoutait un détail triste à une démonstration de grande joie. Sans doute on peut lui tenir rigueur de faire croire trop souvent que la grosse gaieté et même une certaine rudesse sont l'apanage du peuple flamand, mais passons sur ce détail et pardonnons à l'auteur comique. On peut voir là aussi l'expression d'une vie débordante; quand on a cette impression chez Timmermans, il fait penser alors à Jordaens, malheureusement Timmermans n'est pas peintre, on ne peut pas lui en vouloir, mais surtout il est trop conscient; de même que sa douleur ne sort pas des fibres de son être, n'est pas un cri du coeur, sa prière n'est pas l'aspiration insatiable et active d'une âme pleine de vie qui éprouve un besoin toujours plus grand de Dieu; nous touchons ici à un des côtés du mysticisme flamand qui n'est pas un mysticisme de pénitent ni cette perception qui fait suite à une longue investigation d'une intelligence très fine comme chez Bremond, mais l'exigence d'une vie débordante faisant naître non pas une nouvelle vision du monde mais donnant une vision sur l'autre monde. Timmermans aurait pu faire un Jordaens à sa manière; lui non plus ne serait pas arrivé à cette grande transposition qui consiste à s'éloigner du réel toujours trop anecdotique, à faire le contraire d'un Grünewald, pour entrer dans le monde mystérieux du | |
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mythe, du style, du signe, peu importe d'ailleurs le mot, pourvu que le signe ne devienne jamais abstrait mais remplace la chose signifiée de façon à lui donner une vie nouvelle et transcendante; nous pensons aussitôt aux toiles mouvantes de vie de Rubens, aux personnages presque immobiles, méditatifs et rayonnants de Rembrandt. Si nous avons soulevé ce problème c'est que deux oeuvres en valent la peine: L'Enfant Jésus en Flandre et Psaume Paysan.
En nous y mettant à plusieurs nous avons essayé de traduire la pièce ‘L'Enfant Jésus en Flandre’ de Timmermans et Jacobs et de la faire jouer par nos élèves. Cette transposition est une merveille; l'arrivée du curé dès la première scène soulève l'étonnement de toute la salle. Cette révolution fait songer à celle de J. Anouilh pour Antigone, une pièce rare à condition de supprimer les scènes secondaires, les mièvreries avec la nourrice. - Quels sont nos sentiments en ce qui concerne ‘L'Enfant Jésus en Flandre’? - D'abord cette pièce nous repose de bien des considérations fades et de réflexions incolores, enfin du réel, une réalité un peu stylisée pour l'optique théâtrale qui doit nous introduire dans le domaine de la poésie, il faut que ce chevauchement du réel et du mystère soit non pas factice mais une vibration poétique et si nous étions arrivés au mystère devenu vivant, incarné, c'est à dire si aucun faux commentaire, rien d'accessoire ni d'anecdotique ne nous empêchait plus de le voir là sous nos yeux, l'oeuvre serait grandiose, toutefois le mystère dont nous parlons ici spécialement n'est plus humain, mais il est de l'ordre divin, peut-il être mis dans la réalité? Il n'y a pas de merveilleux chrétien, disait Boileau. Le Moyenâge s'est heurté à la même difficulté. En tous cas nous supposons que Timmermans ne soit pas arrivé à cette grande perfection. Quels moyens de réalisation nous offre-t-il? En premier lieu des décors que nous avons bien soignés; nous avons cherché des couleurs en harmonie avec les tableaux, une sorte de ‘kleurklank’ avec les scènes, nous n'avons peut-être pas assez soigné les détails secondaires qui aident à créer l'impression de réel, bien que nous ayons amené sur la scène un vrai géant des Flandres; nous avons regretté de n'avoir pas connu la mise en scène du Vlaamsche Volkstooneel. Nous avons persuadé d'avance nos jeunes acteurs de l'importance du message; les gestes et les attitudes sont à étudier de très près et doivent ajouter aux paroles ce qui leur manque; au cours de la traduction il m'est arrivé de chercher un mot dans Shakespeare, j'ai été vivement frappé par la différence des deux textes; la raison n'est pas difficile à comprendre; certains de nos tableaux ont été trouvés charmants, par ex. l'arrivée des bergers à la crèche; personnellement j'ai été surpris par l'intensité de vie que renfermait un passage comme celui des dons offerts par les bergers à Saint Joseph. Il est difficile de porter un jugement d'ensemble sur la pièce, Timmermans est indéfini. Il est probable que nous reprendrons la pièce, en y apportant certains changements, en donnant par ex. aux scènes d'Hérode un décor et des costumes qui les mettent plus près de nous, les situent mieux dans la vie. ‘Psaume Paysan’ est sans doute la grande oeuvre. Le héros est une figure | |
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encore imparfaitement dessinée. Tout paysan qu'il soit, il appartient au peuple qui a dressé ses fiers beffrois en signe d'indépendance; Wortel se libère de tous les asservissements, même de celui du curé; les deuils affluent, il s'en dégage en parlant à la terre, la terre est devenue le personnage principal et Timmermans chante ce peuple de la terre, il n'est plus conteur, enfin il a oublié son public. Nous perdons de vue ces chatoiements crées par un homme qui a du goût, trop de goûts, qui aurait magnifiquement réussi à créer l'habit de Lucifer. Ici Timmermans chante comme David, il entonne un psaume; grâce à la terre son personnage s'approche du domaine ineffable de Perceval, où les hommes deviennent purs, où ils jouent leur être avec plus de vérité que sur terre; c'est dans ce monde là que Saint François est d'abord entré, c'est là qu'accède le vrai Brueghel non pas en délivrant son corps de l'emprise des ‘gras’ mais en libérant son âme dans ses tableaux; c'est encore là qu'évoluent les personnages de Streuvels. Ce Wortel si simple, Timmermans pouvait-il l'élever davantage? Croyons plutôt que l'auteur qui a illustré la Flandre, son peuple, ses horizons, ses peintures, s'est étonnamment dépassé lui-même.
Pour toutes ces raisons Timmermans devient extrêmement intéressant. Il nous charme par sa bonhommie, sa sympathie à l'égard du peuple et des choses de Flandre, son hilarité désarmante; il fait penser à Daudet et à Pagnol. Il a été le héraut de la Flandre et des incomparables richesses de son peuple et de son art auprès d'un public non averti. Il a écrit mainte page digne de Rabelais, souhaitons que ce pionnier ouvre la voie à un fulgurant successeur. Il soulève de multiples problèmes auxquels on apporte des solutions divergentes. Une formule qu'il a trouvée lui-même pourrait peut-être lui convenir: ‘'t Geen da' ge peinst is 't nie’. La définition que nous lui donnerons ne sera jamais exacte. |