s'affirme encore davantage, de même que dans la “Sainte Anne” et le “Saint François de Borgia”. Pour moi, si, tout ignorant que je sois des choses de l'art, - tout au moins au point de vue des Salonniers et de leur critique technique, - je devais attribuer la palme à une oeuvre de Lybaert, c'est à la “Vierge à l'enfant” que je la donnerais. J'ai pu voir, de près, dans l'atelier du maître, cette oeuvre surprenante, et je l'ai étudiée longuement. Ce n'est pas une toile, mais un panneau de dimensions moyennes, et ce serait un prestigieux pendant à la fameuse Vierge de Botticelli. La figure se détâche, en bas, sur une draperie de brocart d'une incroyable richesse de coloris, en haut, sur un panorama de la ville de Gand, amas confus de maisons au milieu d'une plaine verte et fertile, d'où surgissent les clochers de Saint-Bavon, de Saint-Nicolas et le beffroi, avec, au premier plan, une porte urbaine et son pont sur le fossé, accostée d'une tour trapue à machicoulis. Le feuillage d'un jeune arbre encadre ce fond lumineux, se silhouette avec finesse sur le ciel d'un bleu gris d'opale des pays du Nord. La Vierge n'a rien du type conventionnel et banal. Ses cheveux noirs, cerclés d'une mince bandelette et d'un nimbe diaphane, s'épandent librement sur ses épaules, et son visage, empreint de douceur, de fermeté, d'intelligence, - il y a des peintres qui n'ont voulu faire Marie que très belle! - apparaît sous un léger voile de gaz. Les draperies sont traitées avec un art que j'oserai dire classique. L'enfant divin, blond, n'a rien de mignard, ni de poupon: c'est un roi dans les langes, mais c'est le Roi. De la main qui ne bénit pas, il serre une rose sur sa poitrine. Rien de plus majestueux et de plus gracieux à la fois que ce groupe, très loin du convenu vulgaire et qui ne le cède en rien pour la tenue et la main aux travaux analogues des seuls peintres qui aient connu l'art religieux, avant l'invasion du protestantisme.’