Dietsche Warande. Jaargang 9
(1871)– [tijdschrift] Dietsche Warande– Auteursrechtvrij
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Bulletin périodique de la ‘Dietsche Warande’.
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Mais M. Wessels connaît trop bien l'axiome qui dit: qui bene distinguit, bene docet (avec une soeur il n'y pas d'impolitesse à parler un peu de latin), pour ne pas établir une immense différence entre les choses bonnes et les choses mauvaises, et il croit très sérieusement qu'un bon roman vaut mieux qu'une mauvaise orange, quelque excellent que se dessine ce fruit, surtout pendant les mois qui précèdent les fraises. Du reste l'auteur traite surtout de l'histoire du roman, et il conduit celle-ci jusque vers l'époque de Richardson. M. l'avocat Van den Biesen, que vous connaissez bien - le coeur le plus généreux et le plus honnête du royaume - m'a fourni quelques éléments pour une notice sur la fameuse ‘Bessie van Meurs’ de menteuse mémoire. Vous serez charmée d'apprendre que cette pauvre ‘Bessie’ n'est rien moins qu'une menteuse, rien moins qu'une vieillotte. L'histoire légendaire, nouvellement découverte, lui donne le nom de Eva Vliegen, la fait naître dans la ville de Meurs et la représente comme un personnage doucement mystique, qui ne se nourrissait que de parfums de fleurs et, comme une petite abeille, du miel, qui après son déjeûner, si frais, si fragrant et si sobre, lui entourait les lèvres. J'ai même pu donner son portrait. Dans un autre article je dépose une réclamation contre le cher directeur du petit séminaire de Voorhout, l'estimable M.G.-F. Drabbe, qui a porté une accusation mal fondée contre notre grand Vondel. Je regrette que la part que j'ai prise à la réhabilitation de la mémoire de ce grand poëte et de ce chrétien hors ligne m'ait forcé à dire des choses peu agréables à l'excellent M. Drabbe, mais je dirais presque: ‘que, diable, allait-il faire dans cette galère!’ Le rév. Père Van Lommel continue, avec grand zèle et la perspicacité qu'on lui connaît, ses fouilles dans nos archives. Il m'a fourni, pour la présente livraison, encore quelques précieuses notices. Rien n'est plus intéressant que ces fragments pittoresques qui un jour, comme les pierres de Cadmus, se dresseront et marcheront en véritables chapitres d'histoire. Et maintenant, chère soeur! à votre seconde demande. Donnezmoi un peu, dites-vous, une définition de l'Art, tel que vous l'entendez. De grand coeur je vais tâcher de vous satisfaire: mais | |
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le sujet est vaste, et difficile à traiter. Cependant je ferai un effort et je tenterai une réponse aussi simplement qu'il me sera possible. Qu'est-ce que l'Art? L'art, dans le sens général, c'est l'aptitude, le talent, la profession d'un être humain, qui exprime, sciemment, une pensée dans une forme. Une forme est un mode d'existence, saisissable soit par la vue, soit par l'oreille, soit par le toucher. L'art, dans un sens plus resserré, c'est l'expression de la beauté dans la matière, par l'intermédiaire de la pensée humaine. C'est ainsi que les théoriciens de la Renaissance (environ de 1480 à 1830) ont donné le nom de Beaux-Arts aux arts du dessin (surtout à la peinture, à la sculpture et à la gravure) ainsi qu'à la musique. Mais on ne se sert plus avec convenance de cette expression. Elle isole trop l'action du sculpteur et du peintre des créations incessantes de tout être pensant. L'art n'est pas une aristocratie; c'est une monarchie patriarchale et très-populaire. Dieu en est le souverain. C'est de lui qu'émane la beauté. Il est la voie, la verité, et la vie. Il est la voie: cela veut dire qu'il est la force, qu'on lui doit la pratique, qu'il est la source de tout ce qui est bon et utile (le bon s'appelle quelquefois le beau moral - zedelijke schoonheid). Il est la vérité; cela veut dire qu'il est l'essence de tout être - ik ben die ben, l'existence par excellence - geen schijn maar wezen, geen geschapen of eindig wezen, maar het Wezen van alle eeuwigheid en het onderpand van het eeuwig voortbestaan der zielen naar zijn beeld en gelijkenis geschapen. C'est pour cela qu'on donne le nom de vérité au rapport harmonique qui existe entre la représentation et la chose représentée. La représentation et la chose représentée ne sont pas identiques; car alors toute comparaison serait impossible: on ne peut pas dire, dans le sens propre, cette chose ressemble à elle-même. On dit qu'une personne est vraie quand ses paroles, ses gestes, etc. correspondent à son intérieur. On dit cette thèse est vraie, quand la formule répond au type du vrai que nous avons dans l'âme. Maintenant un philosophe a dit: ‘La beauté est la splendeur du vrai.’ Cela veut dire que, quand la vérité ne reste pas seulement à l'état d'esprit où de pensée, mais qu'elle révêt des formes (en d'autres termes, qu'elle s'exprime pour la vue, pour l'oreille, | |
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pour le toucher) la beauté apparait. C'est ainsi que quand, dans l'ordre le plus élevé, Dieu s'est fait homme, l'Écriture n'omet pas de dire que Jésus-Christ ‘était beau entre les fils des hommes’. St Augustin dit même: Filius est ars patris; le Fils est l'art du Père. J'ai dit plus haut que l'art c'était la beauté s'exprimant dans la matière, par l'intermédiaire de la pensée humaine. Cette clause est une condition. Parce que quand la beauté de Dieu se manifeste directement, comme dans les belles créatures, les beaux paysages, l'océan majestueux, la rianté vallée, la verdure de Mai, le gazouillement des petits oiseaux, les flocons de neige, les stalactites de la grotte de Han, les membranes des fleurs et des feuilles, on l'appelle la nature, par opposition à la beauté se manifestant dans l'art. Pas d'art sans artiste humain; il faut un penseur. Par application on pourrait, il est vrai, dire que Dieu est l'artiste de la nature. Peut-être aussi que le langage est une création directe de Dieu. Ce n'est pas l'homme qui invente les langues. Elles lui sont imposées: Naturwuchs; création divine, disons-nous. Le style, par contre, est la création de l'homme. Dieu fait les mots, l'homme fait les phrases, - sauf que c'est toujours Dieu qui, dans cette seconde action encore, inspire le poëte, l'artiste. Les différentes branches de l'art correspondent à nos différents organes. C'est surtout au moyen de la vue, de l'ouie et du toucher, que nous nous communiquons nos pensées; c'est par là que nous recevons les impressions, que notre coeur est ému, notre esprit enchainé, meublé, enrichi, fécondé. La vue embrasse les grandes et belles proportions de l'architecture: elle mesure les arcs, les flèches des églises, elle est éblouie par l'éclat du sanctuaire, elle est mystérieusement arrêtée par sa pénombre. La vue saisit les harmonies de la peinture, elle transmet à l'àme les émotions que le peintre a déversées sur sa toile. Elle fait le tour d'un objet de statuaire, elle établit une infinité d'ensembles de profils (la peinture n'en donne qu'un). La vue embrasse la beauté d'une cavalcade, d'une scène dramatique, d'une mimique pleine d'expression, d'une danse caractéristique, soit aux guirlandes, soit aux épées. Le toucher coöpère à l'intelligence des objets de sculpture où d'architecture. L'ouïe fait passer à l'âme la langue parlée, la poésie, la musique, les bruits | |
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multiformes de la nature, traduits quelquefois dans un ensemble d'effets artistiques. Un soupir s'exhalant du coeur de David, ou de Marie Madeleine est tout aussi bien de la poésie, que les psaumes du roi-prophète et la parole émouvante de Jésus-Christ noli me tangere. Car Jésus-Christ, a consenti à être artiste, comme tous les hommes le sont. Il n'est pas besoin d'une théorie, d'un système, pour être artiste. Quand l'âme humaine, avec quelque mesure de conscience, s'énonce, l'art surgit. Partout où vous voyez, où vous entendez, une forme, une action, une parole humaine se manifestant dans des proportions analogues à son principe vital - c'est l'art que vous retrouvez. L'art se retrouve partout. Étendez la main: vous touchez un arbre - c'est la nature; vous touchez une chaise - c'est l'art. Cette chaise a des formes, qui ne sont pas seulement nées de la nécessité animale ou instinctive: l'Ahnung du comfort, la fantaisie, la richesse d'invention ou la simplicité s'y manifestent - la pensée, l'ame de l'homme est là: vous avez l'art. Thomas à Kempis, en parlant de la consécration, que la participation de Jésus-Christ à l'action humaine y rattache, se réjouit de ce que cette prérogrative est échue en partage à l'art d'écrire (qui de son temps tenait encore lieu de l'imprimerie). ‘Ah, que bénis soient les doigts, qui se prêtent à la conduite de la plume,’ dit-il. - ‘Notre Seigneur Jésus-Christ lui-même a daigné écrire, quand il a formulé un précepte de la plus divine des vertus, quand il a prêché la charité à ceux, qui voulaient lapider la pauvre pécheresse.’ Maintenant il est bien naturel qu'en soi aucune forme de l'art n'est blâmable (en soi les lignes, les couleurs, les notes musicales, les éléments de la langue, les proportions géométriques ne sauraient être immoraux) et que la combinaison de différents arts, par cela seulement que c'est une combinaison, ne l'est pas non plus. Or la manifestation la plus complexe et la plus complète de la beauté dans l'ordre non de la nature, mais de l'art c'est l'art dramatique, l'alliance de la poésie à la musique des notes et des gestes, perfectionnée encore par les ressources que présente l'art de l'architecte, du peintre, du décorateur, du costumier. Mais plus cet art est parfait et noble, plus il est déplorable qu'on en abuse et détourne les dons de Dieu, reçus au profit de notre bonheur intellectuel, moral et physique, de leur | |
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destination légitime. Essentiellement il n'y a pas de différence entre le sublime trio chanté le Vendredi Saint à l'autel, en commémoration de la Passion de Jésus-Christ, et la Passions-Schauspiel de Ober-Ammergau. Essentiellement cette Passions-Schauspiel est du domaine de l'art dramatique, comme tout le théâtre de Racine et de Corneille, comme toutes les pièces de ces tristes êtres dégradés, qui abusent des dons de Dieu pour gagner des adeptes au malin esprit, qui tint le fameux dialogue avec notre doux Sauveur sur la haute montagne. Voici, chère Soeur, quelques pensées un peu éparses. L'unité que je vois dans les arts et que j'y prêche, l'ubiquité (de alomtegenwoordigheid) qu'on ne saurait que difficilement y méconnaître, n'a pas été découverte par moi; mais était généralement entrevue et sentie à l'époque du moyen age. La Renaissance, le Paganisme dissolvant et destructeur, a mis la discorde entre les arts, ‘heeft scheyding gemaakt’; c'est à notre époque de rétablir leur unité. Permettez-moi de me recommander dans vos prières et de me dire, avec les sentiments de la plus sincère amitié, Votre frère en J.C.
Amsterdam,
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