Het Boek. Serie 3. Jaargang 37
(1965-1966)– [tijdschrift] Boek, Het– Auteursrechtelijk beschermd
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Eugénie Droz
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ignorent encore dans quelles bibliothèques ils se trouvent, la date et le lieu d'impression, le sens de ces textes et leur auteur. Si nous ne pouvons répondre avec certitude à toutes ces questions, du moins aurons-nous jeté un peu de lumière sur des productions hérétiques qui intéressent l'histoire typographique et religieuse des Pays-Bas et même de la France. Le chemin qui nous a mené à la solution est long et tortueux; comme toujours en pareil cas, le hasard nous a aidé, et M. le prof. H. de la Fontaine Verwey, avec son obligeance bien connue, nous a guidé en nous signalant des travaux hollandais que nous ignorionsGa naar voetnoot1. Pour en revenir à ces quatre volumes, je dirai qu'ils ont été le sujet d'une thèse de la Faculté de théologie protestante de Paris, présentée par Georges Jaujard, Essai sur les libertins spirituels de Genève d' après de nouveaux documentsGa naar voetnoot2, qui a malheureusement brouillé toutes les recherches; il n'est pas question ici de Genève où les libertins n'auraient pu vivre et imprimer leurs traités sans alerter le Conseil ou le Consistoire, mais d'oeuvres d'édification et de propagande de David JorisGa naar voetnoot3, le chef de l'anabaptisme mystique et irénique. Depuis longtemps, ces traductions françaises ont été signalées: en 1892, par Ferdinand Buisson dans sa thèse sur Castellion, et en 1912, par Théophile Dufour, le rédacteur du catalogue de la bibliothèque Gaiffe. Et ce ne sont que deux exemples destinés aux lecteurs de langue française.
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Ces publications se présentent sous la forme de livres de poche qui, bien qu'ils sortent tous de la même officine, diffèrent tant soit peu de grandeur, les deux premiers sont à peine plus petits que les suivants. Les reproductions qui suivent donnent une idée du matériel dont disposait le typographe: la petite italique (20 ll. = 81 mm.), la petite romaine, qui l'accompagne, exactement de même grandeur, une plus grosse romaine pour les titres et explicits (20 ll. = 116 mm.) et quatre corps de capitales romaines. Tout ceci est propre, fondu sans bavures, mais guère original et ne permet pas une identification. Par contre, dans la Brieve explication, on relève au fol. 41 quelques mots néerlandais (heylich, heyl, salich, sat, sadicheit) imprimés en médiane flamande, premier indice que nous pourrons utiliser. Dans les quatre volumes, les | |
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1o. Complainte, Doctrine & Instruction de Sapience à manifestation des Doctes... Mis en lumière le 20. d'Octobre, en l'An 1544 (peu après l'arrivée de Joris à Bâle). In-16, 1 fol. de titre + 94 ffc. de texte, fol. 94 vo et fol. 95 blancs. Genève, Bibliothèque publique et universitaire, rés. Bc 3361, anc. Gaiffe-Stroehlin no. 555 du catalogue. Traduction du texte flamand cité par Van der Linde, op. cit., no. 21, 25 lignes à la page pleine + titre courant + signature = 100 mm. de haut sur 50 mm. de large.
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2o. Une belle et clere demonstration... sans date. In-16, 5ffnc. signés a-av + 53 ffc. 1 à 53. Genève, Bibliothèque publique et universaire, rés. Bc 3360, anc. Gaiffe-Stroehlin no. 554 du catalogue. Trad. de van der Linde, no. 194. 25 lignes à la page pleine, même justification et dimension que la Complaincte
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3o. Colloques chrestiens de trois Personnes, assavoir, entre ung Apprins de Dieu... In-16, 4ffnc. signés A-Aiiij, et 136 ffc.
Genève, Bibliothèque publique et universitaire, rés. Bc 3186, don de P. de Loriol Le Fort; Paris, Bibl. de l'Arsenal, 8o T 9728 rés. Trad. de van der Linde, no. 216 (lequel est sans date). Au fol. 135 ro: Mis en lumiere en l'An 1548 28 lignes à la page pleine + titre courant + signature = 120 mm. sur 64 de large. | |
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4o. Brieve explication de la pate-nostre.... In-16, 1 fol. de titre + 134 ffc.
Paris, Bibl. de l'Arsenal, 8o T 9729 rés. Trad. de van der Linde, no. 207. Mêmes dimensions que le volume précédent. | |
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préfaces ou textes commencent par de grandes initiales de civilitéGa naar voetnoot1 que Plantin et Silvius employaient à Anvers, 1570-1580. Nous voici, par conséquent, orientés vers la Flandre des trente dernières années du siècle. De son côté, le papier nous dirige vers la vallée du Rhin, car il sort des moulins bâlois des Heusler ou de leur successeur Hiltenbrandt et porte très clairement en filigrane le grand griffon avec l'écu à la crosse épiscopale de Bâle et les lettres H H au dessousGa naar voetnoot2. Les ornements typographiques sont au nombre de trois: deux feuilles de lierre, l'une de 10 mm, l'autre de 13; et un fleuron calligraphique de 49 mm. de long sur 36-37, qui rappelle ceux gravés par Amé Tavernier à Anvers. J'ai dit que le travail était très proprement exécuté, mais comment ne pas être surpris par la façon d'insérer les notes, à la fois dans la marge et dans le texte? Elle nous mène loin de Paris ou de Genève, très loin du domaine français et de ses habitudes typographiques. Puisque l'identification de l'imprimeur s'avérait impossible par la seule étude des caractères, il fallait aborder le problème par un autre biais, par celui de David JorisGa naar voetnoot3 (l'auteur des textes) et des ateliers clandestins qui travaillèrent pour lui; or ces officines et leurs ouvriers étaient des foyers qui diffusaient l'hérésie anabaptiste, et l'inquisition les recherchait pour les punir par la torture, la pendaison, la décapitation et le bûcher, après interrogatoire, procès et jugement. Les bibliographes néerlandaisGa naar voetnoot4 n'ont pas manqué d'utiliser ces précieuses sources d'archives et il ne me restait qu'à retrouver le ou les typographes qui avouèrent avoir imprimé les très nombreuses oeuvres de l'hé- | |
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résiarque de Delft, et à les comparer avec les quatre plaquettes françaises. Or, nous savons que l'édition originale du T'WonderboeckGa naar voetnoot1, qui apporta les révélations visionnaires du nouveau prophète anabaptiste, parut à Deventer chez Dirck van den Borne, en 1542. Nos plaquettes ne ressemblent pas à cette magnifique édition in-4o. Du reste, elles lui sont bien postérieures puisque les dates 1544 et 1548 ne sont pas celles de la publication, mais de la ‘révélation’, c'est-à-dire de l'édition originale, et elles furent répétées jusque vers les années 1620. Par contre, dans un recueilGa naar voetnoot2 de quatorze opuscules en flamand de Joris, tous in-4o, sans nom de typographe ni de lieu, nous retrouvons l'italique (trois lignes au titre du no. 6), la petite romaine, la
médiane flamande, les initiales de civilité, le fleuron calligraphique, les notes dans le texte et le papier bâlois au griffonGa naar voetnoot3.
M. Jor. 3 (3)
M. Jor. 3 (5)
Les brochures en français sortent du même atelier que les quatorze flamandes, atelier qui s'était | |
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M. Jor. 3 (7)
M. Jor. 3 (8)
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spécialisé dans la réimpression des livres du prophète, quelque trente ans après sa mort. De plus, il possédait le Texte flamand et la Bible flamande gravés par Henri du TourGa naar voetnoot1 avant 1580, et un caractère de civilité qui n'a pas été reproduit par les bibliographes modernesGa naar voetnoot2. On aimerait identifier l'imprimeur du Wonderboeck dit de 1551, livre certainement antidaté d'environ trente ans. Deux typographes ont avoué; d'abord, Jan Canin, de Dordrecht, qui fut banni de la ville pour avoir publié à plusieurs reprises cet ouvrage à l'instigation du pasteur Herman Herberts en 1580Ga naar voetnoot3. Ensuite, Dierck MullemGa naar voetnoot4, typographe de Rotterdam qui passa trois ans, de 1583 à 1585 environ, dans la ville libre de VianenGa naar voetnoot5, où il fit pas mal de livres suspects, et fut soumis à un interrogatoireGa naar voetnoot6 tardif le 30 avril 1596, où il reconnut avoir imprimé à Vianen, il y a onze ans (donc en 1585), une réplique à un libelle diffamatoire et scandaleux intitulé David Georis etc. entrepris de sa propre initiative et sans faire de bénéfice. Cette plaquette est connue, c'est Tegenbericht op een Laster en scheldt boecksken, réimpression d'un pamphlet de 1559 qui répondait aux attaques de l'université de Bâle; l'édition de MullemGa naar voetnoot7 est datée de 1584. Pressé de questions, il avoua encore qu'il y a douze ou treize ans (vers 1583?), toujours à Vianen, le grand ouvrage de Joris, T'Wonderboeck, sortit de ses presses à la demande et aux frais d'un certain Henrick Jacobz, marchand habitant rue de la Digue à Emden, à qui tout le tirage fut remis, sauf six exemplaires que lui, Mullem, vendit ou donna. Le 1er mai suivant, nouvel interrogatoire: comment l'imprimeur s'était-il procuré le texte du Wonderboeck? Il prétendit l'avoir acheté à Vianen, à un marchand venu avec différents livres, qui n'a pas dit son nom, ni d'où il venait. Nous savons ce que valaient ces interrogatoires et de quelle façon on arrachait les aveux aux suspects. Les dates sont peut-être fausses, mais elles correspondent aux années passées dans la ville libre. N'est-il pas surprenant que plusieurs éditions du Wonderboeck, dit de 1551, aient paru presque en même temps, les unes chez Canin à Dordrecht, et l'autre chez Mullem à Vianen, et que les deux typographes aient oeuvré à l'instigation du pasteur Herman Herberts? Van der Linde ignorait les documents d'archives auxquels nous faisons allusion ici, mais | |
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il a décritGa naar voetnoot1 soigneusement deux éditions qui se distinguent par de nombreuses variantes. Pour ma part, j'ai relevé dans le volume V.H. 2007 de la réserve précieuse de la Bibliothèque Royale de Belgique, que le papier vient de chez Heusler à Bâle, et que le feuillet de garde porte le magnifique griffon à la crosse épiscopale. Dans l'état de nos connaissances, il paraît raisonnable d'imaginer que Jan Canin, obligé de quitter Dordrecht après 1580, devint l'un des collaborateurs de Mullem à Rotterdam et à Vianen, à qui il apporta les planches gravées par Jérôme Wiericx; et que toute l'entreprise fut patronnée par le pasteur HerbertsGa naar voetnoot2, admirateur passionné de Joris et peut-être remanieur du Wonderboeck (éd. en 4 parties). Les réponses de Mullem sont adroites: le tirage, dit-il, fut livré à Emden en Frise orientale; cette ville était un repaire d'hérétiques de toute couleur, où mennonites, familistes, joristes et même adeptes de Sébastien Franck voisinaient avec des calvinistes orthodoxes. Des familiers de Joris, qui vécurent avec lui en Suisse, y avaient trouvé refuge après sa mortGa naar voetnoot3. Et les Bâlois, qui crurent détruire cette hérésie en brûlant le cadavre de ce curieux visionnaire en même temps que le stock de ses livres, en furent pour leurs frais, car ses oeuvres continuèrent à être copiées et imprimées, revues et augmentées pour de nombreux fidèles qui, de Livonie à Orléans, en passant par le Holstein, le Danemark, la Frise orientale, les Provinces Unies, la Westphalie, la Picardie et Paris, attendaient les révélations du ‘troisième David’Ga naar voetnoot4. Les impressions de Mullem cataloguées par M. KossmanGa naar voetnoot5 sont au nombre de vingt-sept, auxquelles il convient d'ajouter de très nombreuses publications clandestines. Parce qu'une partie du matérielGa naar voetnoot6 des plaquettes que j'ai décrites se retrouve dans le WonderboeckGa naar voetnoot7 dit de 1551, on peut attribuer ce gros livre à Mullem, qui fut l'un des grands diffuseurs des écrits de David Joris à la fin du XVIe siècle.Ga naar voetnoot8 |
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