Bijdragen en Mededelingen betreffende de Geschiedenis der Nederlanden. Deel 100
(1985)– [tijdschrift] Bijdragen en Mededeelingen van het Historisch Genootschap– Auteursrechtelijk beschermd
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Historiens étrangers et historiographie de l'expansion belge aux XIXe et XXe sièclesGa naar voetnoot*
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pansion coloniale, en cherchant à marquer l'évolution de la perspective dans laquelle les historiens se sont situés. | |
I. L'expansion non colonialeL'historiographie de l'expansion non coloniale de la Belgique ou, si l'on préfère, des présences belges dans le monde, n'a toujours pas fait l'objet d'une étude générale en décrivant les fondements, la dynamique, les formes et les agents. En revanche, il existe une quantité appréciable de travaux qui s'intéressent à des ‘épisodes’ plus ou moins longs et importants de cette expansion. Ces travaux portent quasi exclusivement sur la période 1830-1914. Si on adopte un critère géographique et un critère financier, l'expansion de la Belgique durant cette période s'effectue en deux temps. De 1830 jusqu'au début des années 1880, l'expansion est marquée par un trés lent développement de la présence économique belge en Europe et plus particulièrement dans les pays limitrophes, en même temps que par l'échec de nombreux projets de colonisation formelleGa naar voetnoot3.. A partir des années 1880 et jusqu'en 1914, la présence belge s'affirme - parallèlement à la réussite du projet léopoldien - dans le monde entier, tant du point de vue économique que culturel et social. Du point de vue de l'apport des historiens étrangers à la connaissance de l'expansion durant les deux tranches chronologiques précitées, il y a lieu de relever deux points forts. Le premier est la contribution à l'histoire de l'expansion économique belge dans certains pays tels que la FranceGa naar voetnoot4., l'AllemagneGa naar voetnoot5., l'ItalieGa naar voetnoot6., l'EspagneGa naar voetnoot7., la RussieGa naar voetnoot8. | |
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ou l'EgypteGa naar voetnoot9., pour citer quelques exemples significatifs. Le deuxième concerne la capacité des Belges à profiter - essentiellement durant les années 1895-1914 - selon des modalités qui varient, de situations nées de l'impérialisme des ‘grands’, soit pour tirer avantage de leurs rivalités en utilisant l'image de la ‘petite Belgique neutre et industrieuse’ qui rassure - comme en PerseGa naar voetnoot10. - les autorités des pays menacés par les appétits impérialistes; soit pour participer à la curée - comme au MarocGa naar voetnoot11. ou dans l'Empire OttomanGa naar voetnoot12. - par le biais d'opérations financières internationales qui sont parfois montées, il faut aussi le souligner, sous pavillon belge. A cet égard, précisons que ce sont essentiellement des historiens français, marqués par le renouvellement des perspectives en matière d'histoire des relations internationales qui ont apporté, depuis une vingtaine d'années, les contributions les plus intéressantes à la problématique des formes économico-diplomatiques de l'expansion belge à la Belle Epoque. Ceci dit sans oublier que des historiens belges ont eux aussi traité ce genre de questionsGa naar voetnoot13.. | |
II. L'expansion colonialeLe regard porté sur l'entreprise léopoldienne puis sur la colonisation belge jusqu'au choc, voire le traumastisme pour certains, de la décolonisation politique du Zaïre, a suscité une énorme littérature. Du côté étranger, il faut souligner d'amblée l'importance de l'apport anglais et américain dont la nature a fortement varié dans le temps. En effet, bien qu'il ne s'agisse pas d'oeuvres d'historiens, il nous semble impossible de négliger la production polémique du début du XXe siècle attaquant le régime léopoldien. Outre que cette littérature a laissé des traces sur lesquelles nous reviendrons, elle peut apparaître comme un des motifs expliquant jusqu'à la fin des années 1940, l'existence - dans le petit monde des historiens belges de la colonisation - d'une apologie du régime cotoyant la nécessité de ‘flétrir avec vigueur les étrangers indignes qui avaient osé s'(y) attaquer’Ga naar voetnoot14.. | |
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A cette longue période d'exaltation de l'aventure coloniale par les Belges, succède, dans la décennie 1950, et plus encore après 1960, un enthousiasme dans la recherche portant sur l'EIC et son chef mais aussi sur l'entre-deux-guerres ainsi que sur la décolonisationGa naar voetnoot15. qui, la problématique du sous-développement aidant, porte les auteurs à centrer leur démarche sur le Zaïre et non plus uniquement sur la Métropole. L'influence des Anglais et des Américains a donc été importante, nous l'avons dit. Voyons à présent le détail. Dans un premier temps, des auteurs, anglais pour la plupart, ont violemment attaqué Léopold II et son régime. La ‘campagne anti-congolaise’ a fortement marqué les esprits et, en Belgique, fait l'objet d'une attention toute particulière pour ce qui se disait et s'écrivait sur l'EIC et son chef, vingt, voire quarante ans après les faits. Nous prendrons deux exemples de cette attention exacerbée. En 1938, tout d'abord, Hervé de Gruben, diplomate belge en poste à Washington s'inquiète de ce que les accusations relatives aux ‘atrocités commises par les Belges au Congo ont pris le caractère de chose admise’Ga naar voetnoot16. et de s'indigner, en compagnie de J.G. Whiteley, consul général de Belgique à Baltimore, qui avait par ailleurs joué un rôle dans la propagande en faveur de l'EIC aux Etats-UnisGa naar voetnoot17. de la manière dont Frank CanaGa naar voetnoot18. présentait l'histoire de l'oeuvre léopoldienne aux lecteurs de l'Encyclopaedia BritannicaGa naar voetnoot19.. Et de Gruben de proposer une intervention auprès de la vénérable institution en vue de faire modifier l'image de la colonisation belge en Afrique centraleGa naar voetnoot20.. Cette intervention, dans l'esprit du diplomate, n'était pas destinée à rester isolée puisqu'il souhaitait, en général, que les encyclopédies, et les manuels ... s'ils ne veulent pas modifier leur point de vue sur l'administration de l'Etat Indépendant, consentent à ajouter une appréciation favorable sur la colonisation belge proprement dite, telle qu'elle s'exerce depuis trente ansGa naar voetnoot21.. | |
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Nous ignorons si de Gruben passa de la parole à l'acte mais cette anecdote est significative des préventions qui existaient à l'égard de ce qui pouvait sortir de la plume d'auteurs anglais ou américains à propos du Congo. Notre deuxième exemple illustre quant à lui le fait que quand ils en avaient l'occasion, les Belges se montraient des adeptes de la censure active. En 1948, en effet, le journaliste américain Tom MarvelGa naar voetnoot22. qui avait séjourné au Congo belge à la fin de la seconde guerre mondiale, publie à New York un ouvrage intitulé The New CongoGa naar voetnoot23.. Ce livre fut traduit en français par R.J. Cornet - un des principaux historiens de la colonisation belge - et V. de RidderGa naar voetnoot24.. Le moins qu'on puisse dire est qu'il aurait répondu à l'attente formulée par De Gruben. Mais certaines choses ne plurent pas aux traducteurs puisqu'on peut constater qu'en plus de la suppression d'un chapitre de l'édition originale qui traitait des expéditions de Stanley, la traduction française des pages consacrées à la campagne anticongolaise pratique des coupures qui vont d'un membre de phrase à un paragraphe entierGa naar voetnoot25.. La prévention qui régnait à l'égard des auteurs anglais et américains n'avait cependant pas empêché le progrès de la recherche historique dans le monde anglosaxon. C'est ainsi que A.B. Keith avait inauguré, dés 1919, la longue série des travaux qui portent sur l'histoire de la Conférence de Berlin et la naissance de l'EICGa naar voetnoot26.. Si le livre de Keith ‘était malheureusement en grande partie de seconde main’Ga naar voetnoot27., R.S. Thomson, en 1933, donne ‘le premier grand ouvrage d'histoire universitaire fondé sur l'examen des sources’Ga naar voetnoot28.. Autrement dit, ce livre, comme le souligne J.-L. Vellut, ‘échappe au ton épique et à l'apologie du système colonial’Ga naar voetnoot29.. Moins de dix ans plus tard, en 1942, S.E. Crowe publie un travail qui ‘reste toujours essentiel’Ga naar voetnoot30.. A la fin de la seconde guerre mondiale, ce sont donc des travaux anglais et américain qui font autorité. Depuis lors, d'autres historiens étrangers ont apporté leur pierre: soit dans le cadre d'une réflexion générale sur le ‘partage’ de l'Afrique, soit par le biais de monographies étudiant plus particulièrement la politique de tel état européen. Le | |
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trés bon petit livre d'Henri Brunswick intitulé Le partage de l'Afrique noireGa naar voetnoot31., de même que les contributions de W.R.LouisGa naar voetnoot32. appartiennent à la première catégorie. Dans la deuxiéme catégorie, nous citerons trots auteurs. F. Latour da Veiga Pinto a étudié l'attitude portugaise vis-à-vis du Congo de même que l'enjeu que celui-ci représenta dans le cadre des relations entre Paris et Lisbonne au XIXe siècleGa naar voetnoot33.. H.L. Wesseling, pour sa part, a livré dans un article stimulant les résultats d'un séminaire tenu à l'Université de Leiden au sujet de l'attitude des Pays-Bas face au partage de l'AfriqueGa naar voetnoot34.. Enfin, il faut signaler - avec des réserves quant à la finalité de l'étude - qu'un historien soviétique a fourni quelques éléments intéressants sur la politique russe à la Conférence de Berlin en utilisant les instructions du ministère russe des Affaires étrangères au Comte Kapnist, représentant du Tsar à la ConférenceGa naar voetnoot35.. L'étude des aspects diplomatiques de la naissance de l'entreprise léopoldienne ne doit pas faire oublier les nombreuses autres facettes de l'histoire de l'EIC, à commencer par la biographie de son fondateur, ‘the King incorporated’ pour reprendre le titre de l'ouvrage de N. AshersonGa naar voetnoot36.. Partagé entre ‘le Royaume et l'Empire’Ga naar voetnoot37., Léopold II s'est, d'une part, efforcé de défendre, en même temps que d'accroître, les frontières de son Etat et, d'autre part, d'en tirer profit selon des méthodes qui furent et demeurent jugées scandaleuses. D'un point de vue général, il existe quelques présentations d'ensemble dues à des historiens étrangers. Citons la décevante étude de Gann et DuignanGa naar voetnoot38., qui s'inscrit dans une collection consacrée aux ‘rulers’ coloniaux, et celle, beaucoup plus stimulante, de R. SladeGa naar voetnoot39.. En ce qui concerne des points particuliers de l'histoire de l'EIC, plusieurs monographies méritent de fixer l'attention. | |
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A propos de l' ‘impérialisme partageux’, il faut d'abord mentionner le livre important de R. AnsteyGa naar voetnoot40., qui met bien en lumière les efforts déployés par le gouvernement britannique jusqu'en 1890 pour sauvegarder dans le Bas-Congo, sans jamais y faire acte d'occupation, les intérêts essentiels de la Grande-Bretagne; de même que les efforts déployés par l'initiative privée - et plus particulièrement par Mackinnon et Hutton, ce dernier étroitement lié à Léopold II, en vue de faire du Congo ‘a new preserve for British industry, British capital and British Enterprise’. 1890 qui marque le terminus ad quem de l'étude de Anstey est aussi la date de la fin de la conférence de Bruxelles sur la traite des esclaves dont S. Miers a analysé le détail dans un livre qui vaut surtout par sa deuxième partie qui aborde les résultats de la conférenceGa naar voetnoot41.. En déclarant l'esclavage hors-la-loi, la conférence justifiait la course à l'occupation de la haute vallée du Nil où Anglais, Français et Belges entrèrent en compétition. A cet égard, il faut renvoyer aux travaux de G.N. SandersonGa naar voetnoot42. et R.O. CollinsGa naar voetnoot43. qui couvrent ensemble la période 1882-1909. Par ailleurs, la conférence de Bruxelles justifie pleinement la présence de missions religieuses au Congo. Les historiens étrangers s'y sont intéressés en privilégiant les missions protestantes dans le cas des Anglais, des Américains et des Scandinaves, ce qui n'exclut pas que les historiens zaïrois notamment apportent leur pierre à l'histoire des missions catholiquesGa naar voetnoot44.. L'histoire des missions protestantes soulève souvent, directement ou indirectement, la question de savoir quelle fut leur part de responsabilité dans la dénonciation des atrocités commises par l'EIC. R. Slade a donné, en 1959, une étude d'ensemble sur les missions de langue anglaise dans l'EIC entre 1878 et 1908Ga naar voetnoot45.. D'autres historiens ont étudié une société missionnaire protestante en particulier. Tel est le cas de D. Lagergreen au sujet des relations entre l'American Baptist Missionary Union, la Congo Balolo Missi- | |
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on et l'Etat entre 1885 et 1903Ga naar voetnoot46., et de S. Axelson qui s'intéresse à la centaine de missionnaires scandinaves présents au Congo jusqu'à la fin du XIXe siècleGa naar voetnoot47.. Quant à S. ShaloffGa naar voetnoot48., il a étudié, dans un livre dont le titre est ‘une pure absurdité’ car ‘il ne correspond pas au contenu’Ga naar voetnoot49., l'histoire de l'American Presbyterian Congo Mission entre 1890 et 1920 environ, et plus particulièrement ses activités au Kasai. Le système léopoldien a conduit, on le sait, à de grandes campagnes d'opinion contre les abus qu'il provoqua. Si l'histoire détaillée de ces campagnes reste à écrire, on dispose toutefois de contributions décisives sur ‘la question congolaise’ et ses conséquences dans le domaine politique. Une première ‘affaire’ a provoqué un vif émoi en Grande-Bretagne. Le 15 janvier 1895, Charles Stokes, citoyen britannique et ancien missionnaire protestant est pendu au poste de la Lindi après une procédure expéditive pour commerce avec les esclavagistes et trafic d'armes et de munitions. Présenté longtemps par l'historiographie belge comme un aventurier sans foi ni loi ayant mérité la mortGa naar voetnoot50., Stokes a fait l'objet d'un procés en révision par deux historiens étrangers. W.R. Louis, tout d'abord, a publié en 1965, un article important sur l'affaire Stokes et l'origine de la campagne anti-congolaiseGa naar voetnoot51.. Anne Luck, ensuite, a publié une biographie de Stokes qui permet de nuancer fortement l'image par trop négative du personnageGa naar voetnoot52.. Ses recherches sur les origines de la campagne anti-congolaise ont ensuite conduit W.R. Louis à s'intéresser au déroulement de celle-ci et plus particulièrement au rôle de Casement, d'une partGa naar voetnoot53.; de Morel, d'autre partGa naar voetnoot54.. Publié en 1968, en collaboration avec J. Stengers, E.D. Morel's History of the Congo Reform Movement est un livre remarquable. En plus de l'édition scientifique du manuscrit de Morel, on y trouve une série de contributions scientifiques destinées à permet- | |
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tre la confrontation entre le témoignage et la réalité historique. Celle-ci montre notamment que contrairement à ce qu'une certaine littérature érigea en dogme, le gouvernement britannique ne chercha pas dans la question congolaise le prétexte à une appropriation du Congo. En revanche, ce que le gouvernement de Londres encouragea, ce fut la reprise par la Belgique. A partir de quand? Les réponses divergent mais on tient pour acquis, après le livre de S.J.S. CookeyGa naar voetnoot55. que l'idée de la ‘solution belge’ avait été envisagée par Grey dès le mois de juin 1904, c'est-à-dire beaucoup plus tôt que ne le pense W.R. LouisGa naar voetnoot56.. Enfin, ajoutons aux travaux que nous venons de citer, ceux de R. Anstey en R. HarmsGa naar voetnoot57.. Avec la reprise du Congo par la Belgique, on est tenté de dire qu'une période s'achevait et qu'une autre commençait. Mais les avis divergent car s'il est vrai qu'un changement s'opère du point de vue institutionnel, plusieurs auteurs, se plaçant dans une perspective économique déplacent volontiers le moment de la transition vers les années 1910-1920, qui correspondraient au début de la ‘mise en valeur’ de la colonie, autrement dit à la naissance de l'âge d'or de l'impérialisme colonial. A cet égard, il faut notamment renvoyer au discours colonial proprement dit que J. Schipper a étudiéGa naar voetnoot58. sur la base d'un dépouillement de la presse spécialisée en matière coloniale. Le rôle des grandes sociétés, de même que celui des autres agents de la colonisation ont fait l'objet de travaux relativement nombreux depuis l'indépendance du Zaïre et plus encore depuis une dizaine d'années. D'un point de vue général tout d'abord, on doit citer plusieurs ouvrages qui embrassent la période coloniale belge dans son ensemble. Le livre de M. Merlier, Le Congo de la colonisation belge à l'indépendanceGa naar voetnoot59. est considéré par certains comme ‘the best history of Zaïre’Ga naar voetnoot60.. Mais ce livre stimulant, écrit dans une perspective marxiste doit être manié avec prudence car il contient de sérieuses erreurs quant aux faits historiquesGa naar voetnoot61.. L'ouvrage de R. Anstey, King's Leopold LegacyGa naar voetnoot62., dont la moitié est consacré aux années postérieures à 1945, a reçu un accueil chaleureuxGa naar voetnoot63.. L'auteur, outre qu'il comblait une lacune de l'historiogra- | |
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phie, y montre que l'empreinte léopoldienne a marqué la colonie belge jusqu'en 1960 dans le domaine de l'administration et de l'économie. A cet égard, il faut souligner ici que D.K. Fieldhouse a illustré la thèse de Anstey en étudiant l'exemple des Huileries du Congo Belge, une société liée à Unilever, qui exploitait d'énormes plantations dont l'Etat lui avait accordé la concessionGa naar voetnoot64.. Le rôle de l'Etat - dont la politique coloniale dans son ensemble a été traitée par R. LemarchandGa naar voetnoot65. tandis que J. Lutumba s'intéressait à l'histoire de l'administration centrale du ministère des ColoniesGa naar voetnoot66. -, des grandes sociétés et, aussi, de l'Eglise, avait inspiré à R. Slade, en 1960, une petite étudeGa naar voetnoot67. qui, par ailleurs, insistait sur le fait que les Belges avaient cherché à isoler leur colonie du reste de l'Afrique quand on commença à parler de décolonisation. Celle-ci intervenant de manière précipitée en 1960 en provoquant les ‘tragiques événements’ qu'on sait a justifié, dans les années soixante, la production d'un nombre relativement élevé de travaux consacrés à l'ex-colonie en vue de chercher dans le passé les racines de l'effondrement de la colonie ‘modèle’ pour les uns; les causes du sousdéveloppement du Zaïre pour les autresGa naar voetnoot68.. La recherche de ces racines, autrement dit de l'existence d'une dynamique dans et de la société coloniale relève de l'ethnocentrisme qui caractérise la démarche de certains historiens depuis les années soixante. En effet, quoi qu'il en paraisse aujourd'hui, on était loin de l'évidence, jusqu'à un passé relativement récent, que les sociétés africaines s'inscrivent dans une évolutionGa naar voetnoot69.. Celle-ci est manifeste quand on se penche, comme l'on fait plusieurs auteurs, sur l'industrialisation du Haut Katanga. C'est dans le secteur de l'histoire économique, plus que dans celui de l'histoire sociale qui en est encore aux balbutiementsGa naar voetnoot70. que des progrès importants ont été accomplis dans la voie de la connaissance de l'évolution à laquelle nous venons de faire allusion. Et c'est ici le lieu de souligner l'apport des Notes sur l'histoire socio-économique du Congo (1880-1960) de B. JewsiewickiGa naar voetnoot71. qui inaugurait une | |
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série de travaux sur lesquels nous reviendrons. Comme le notait J.-L. Vellut à propros du livre de E. BustinGa naar voetnoot72. - un juriste belge qui tout en utilisant les archives aborde les problèmes de l'administration coloniale dans une perspective plus juridique qu' historienne - auquel il reprochait de n'être pas attentif à cette problématique, l'application dans la région Lunda de la politique indigène belge des débuts de l'administration indirecte jusqu'à la décolonisation a ruiné l'économie africaine de traite de manière ‘délibérée’. Et d'ajouter que le rattachement de la région Lunda à la province du Katanga en 1912’ ne prend son sens que si on la situe dans le vaste dessein qui vise à transformer le pays Lunda en un ‘grenier de main d'oeuvre’ pour l'industrie minière du Haut-Katanga’Ga naar voetnoot73.. Le développement de cette industrie minière ne s'est pas réalisé du jour au lendemain. C'est ainsi que la création de l'Union Minière du Haut-Katanga (UMHK) en 1906 résulte d'un compromis entre Léopold II et Robert Williams, personnage clé dans l'histoire du contrôle financier sur les transports vers et en provenance du CopperbeltGa naar voetnoot74.. Et c'est encore Williams qui jusqu'au passage effectif de l'UMHK sous direction belge vers 1920 joue un rôle important dans la mise en valeur des ressources minérales katangaises. Cette mise en valeur exigeait, comme le soulignait J.-L. Vellut, le recours à une main d'oeuvre abondante et ‘stabilisée’, Cette politique n'alla pas sans mal comme l'a notamment montré Ch. Perrings dans un article consacré au recrutement d'Angolais par l'UMHK entre 1917 et 1921Ga naar voetnoot75.. La mort et les désertions provoquent en effet des coupes claires dans la main d'oeuvre. Il faudra dès lors que les grandes sociétés, avec l'aide de l'Etat et de l'Eglise, développent le contrôle de ‘quasi tous les aspects de la vie de (leurs) travailleurs africains’Ga naar voetnoot76. pour qu'on assiste à leur stabilisation. La mise en place de la base industrielle s'est effectuée entre la fin des années 1920 et la fin des années 1930, c'est-à-dire de la veille à la fin de la ‘grande dépression’. D'où la question des conséquences de celle-ci sur l'économie et la société coloniales. Nous sommes ici au coeur d'une recherche en train de se faire. Depuis une dizaine d'années, J.-L. Vellut en Belgique, de jeunes historiens au Zaïre et plusieurs spécialistes ailleurs s'interrogent sur cette période. Le livre complexe et | |
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difficile de Perrings consacré au CopperbeltGa naar voetnoot77., les études de B. JewsiewickiGa naar voetnoot78. - notamment son article très riche du point de vue de la documentation sur La contestation sociale et la naissance du prolétariat au Zaïre au cours de la première moitié du XXe siècleGa naar voetnoot79. - et A. WirzGa naar voetnoot80. sont des jalons essentiels de cette recherche. L'intérêt porté à l'industrialisation du Haut-Katanga, qui marque par ailleurs la naissance d'un duallisme économique au Zaïre - a maintenu jusqu'à présent certaines questions à l'arrière-plan. II s'agit notamment de celle de l'hinterland des zones industrielles et de celle de l'agricultureGa naar voetnoot81.. A signaler aussi que certains secteurs ont déjà fait l'objet de travaux - c'est le cas de l'urbanisationGa naar voetnoot82., de la petite entrepriseGa naar voetnoot83., de la question des évoluésGa naar voetnoot84. - mais qu'on reste en attente d'études qualifiées généralement de définitives. L'histoire économique et sociale qui a permis d'enregistrer des progrès specta- | |
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culaires du point de vue de la connaissance historique ne sont toutefois pas les seuls secteurs qui ont rentenu l'attention. Parmi les problèmes qui ont suscité des travaux, nous en signalerons deux. Le premier concerne le Congo belge en tant qu'enjeu du contrôle des consciences. On assiste en effet à une lutte d'influences entre l'Eglise catholique et les missions protestantesGa naar voetnoot85. tout au long de la période coloniale. Le deuxième type de question que nous évoquerons a trait à la situation du Congo dans le concert international. La colonie a en effet attiré l'attention des grandes puissances, soit en tant qu'objet de convoitise déclaréeGa naar voetnoot86. ou beaucoup plus discrèteGa naar voetnoot87., soit en tant que monnaie d'échange, dans les années trente, à l'égard de l'Allemagne nazie, dans le contexte de la politique britannique d'AppeasementGa naar voetnoot88.. Mais on sait ce qu'il advint de cette politique. Engagé dans le second conflit mondial, le Congo belge y joue un rôle non négligeable. L'effort de guerre fourni au profit des Alliés entraîne une série de conséquences qui vont de la rupture momentanée de la charte coloniale à la réorientation du commerce extérieur de la colonie en passant par un malaise social. Fournisseur de matières premières stratégiques, parmi lesquelles l'uraniumGa naar voetnoot89., le Congo fait l'objet de l'attention de la Grande-Bretagne et des Etats-Unis. Si F.W. Sakon, dans une thèse inédite, aborde largement l'histoire des négociations anglo-belgo-américaines au sujet du Congo durant la guerreGa naar voetnoot90., il faut souligner qu'on ne dispose pas encore d'un travail sur la place du Congo dans les plans anglais et américains relatifs à l'avenir des colonies. Le peu qu'on en sait grâce au magistral ouvrage de W.R. LouisGa naar voetnoot91. devrait inciter à de plus amples recherches. Du point de vue de la charte coloniale et du point de vue politique, économique et social, il reste beaucoup à faire bien que de jeunes historiens zaïrois aient contribué efficacement à l'étude de l'impact du conflit dans différentes régions du | |
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Zaïre. Mais ces travaux sont malheureusement restés inéditsGa naar voetnoot92. à l'une ou l'autre exception prèsGa naar voetnoot93.. Au sortir de la guerre, le Congo, colonie ‘modèle’, fait l'objet d'une Progressive remise en question qui débouche sur l'élaboration d'une politique coloniale entendant notamment accorder une place plus importante aux Noirs en vue de les préparer à l'émancipation dans un avenir indéterminé. Mais cette politique qui ne devait porter ses fruits qu'au terme d'un fort long processus, dérape, à partir de 1958-1959, vers une décolonisation ‘précipitée’. L'explosion de 1960 a suscité une littérature impressionnante où les témoignagesGa naar voetnoot94. cotoient l'histoire immédiate, des réflexions d'ensemble mais aussi quelques travaux à caractère historique cherchant à en repérer, comme il a déjà été dit, les racines. Parmi les travaux étrangers, signalons tout d'abord les pages que R. von Albertini consacré au ‘paternalisme belge au Congo’ dans son célèbre ouvrage sur la DécolonisationGa naar voetnoot95.. D'une toute autre ampleur, le livre de C. YoungGa naar voetnoot96. traduit en français mais dans une version abrégéeGa naar voetnoot97. s'intéresse à la mise en place du système politique zaïrois, de la marche vers l'indépendance jusqu'aux premiers lendemains de celle-ci. Comment les Noirs vécurent-ils la rapide évolution des années 1958-1960, c'est ce que R. Merriam a analysé sur la base d'une enquête à chaud dans un petit village du Kasai entre le mois d'août 1959 et le mois de juin 1960Ga naar voetnoot98.. Mais les conclusions de eet auteur pour qui la population fut extrêmement passive ne peuvent sans doute pas être étendues à l'ensemble du Zaïre. D'autres travaux pourraient encore être citéGa naar voetnoot99., dont l'existence ne fait que renforeer l'impression qu'une bonne partie de l'histoire du Zaïre récent a été écrite par des spécialistes étrangers. Ceux-ci, mettant en pratique les méthodes des Sciences politiques ont souvent livré des travaux stimulants et utiles qui pêchent cependant, aux yeux de l'historiën, par l'absence de recours aux sources. Ceci étant, l'appréciation générale qu'on peut porter sur l'apport étranger à | |
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l'historiographie de l'expansion belge aux XIXe et XXe siècles concerne essentiellement les historiens. Le principal mérite des historiens étrangers - qui ne doivent pas masquer l'existence d'historiens belges - est, d'une part, d'avoir insisté, le plus souvent sur la base d'archives conservées dans leurs propres pays, sur maints aspects internationaux de l'expansion belge, qu'il s'agisse du caractère international d'entreprises industrielles et financières ou, dans le cas du Congo, du personnel de la colonisation. A eet égard, on ne saurait assez souligner qu'on a assisté à une véritable redécouverte du rôle des missions protestantes qui avait été soit ‘oublié’, ou dénigré du côté belge. Mais l'apport, que nous jugeons fondamental, de l'historiographie étrangère est sans aucun doute celui de la lecture de la colonisation belge en Afrique centrale en terme économiques et sociaux. Des historiens étrangers, marxistes ou non, ont publié depuis les années 1970 plusieurs contributions essentielles proposant notamment une interprétation de la mise en place de la base industrielle au Zaïre dés le début des années 1920. La mise en perspective à laquelle se sont livrés ces historiens est fondamentale car elle rompt d'avec une histoire de la présence économique belge en Afrique centrale marquée du sceau de l'héroisme individuel - voir les travaux de R.J. Cornet - en même temps qu'elle débouche sur une série de points de réflexion qui ont eu et ont encore l'immense mérite de provoquer un débat. Or, celui-ci est indispensable au renouvellement de l'historiographie. Que ce renouvellement soit en partie dû à des spécialistes étrangers n'est guère surprenant. D'autres secteurs de l'historiographie témoignent de la même caractéristique. |
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