Bijdragen en Mededelingen betreffende de Geschiedenis der Nederlanden. Deel 95
(1980)– [tijdschrift] Bijdragen en Mededeelingen van het Historisch Genootschap– Auteursrechtelijk beschermd
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Quelques réflexions à propos d'un mémoire de Raymond de Marliano et de la fiscalité à l'époque de Charles le Téméraire
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ses fieffés du Courtraisis à se tenir prêts pour le 5. Bien que renouvelé le 5 et le 19 avril, cet ordre n'avait pas été exécuté. Aussi le duc menaça de révoquer, le 4 mai, le bailli s'il ne fournissait pas dans un bref délai un état des effectifs sur lesquels on pouvait compter, ainsi que la liste des délinquants que l'on contraindrait à l'obéissance, par la saisie de leurs biensGa naar voetnoot6.. Ces sanctions n'eurent sans doute guère d'effet puisque le prince dut réiterer plusieurs fois ses instructionsGa naar voetnoot7.. Il est vrai que les récalcitrants bénéficièrent de l'appui des Quatre Membres de Flandre qui allèrent, en mars 1468, jusqu'à lier l'octroi d'un subside à la levée des saisiesGa naar voetnoot8.. Mais le Téméraire n'entendait pas laisser les fieffés se soustraire à leurs devoirs. Si on ne pouvait les forcer à remplir en personne leurs obligations, il fallait les faire contribuer d'une autre manière à l'effort de guerre. La première mesure en ce sens fut prise en juillet 1468. Donnant au maréchal de Bourgogne les instructions sur la défense du duché, le Téméraire tout en voulant mobiliser les fieffés admit pourtant que si l'un d'eux était incapable de servir à cause de ‘la débilitation de sa personne’ on pourrait se contenter de lui faire équiper, à ses frais, un remplaçantGa naar voetnoot9.. Le 27 mars 1470, le duc en étendant à la Flandre cette mesure, la perfectionna. Alors que les instructions au maréchal étaient peu précises, le nouveau mandement établissait une base chiffrée, à savoir, qu'un revenu de 200 l. de 40 gros de Flandre obligeait le fieffé à assurer l'armement d'un combattant. Partant de là on envisageait différents cas; on fixait par exemple des conditions plus sévères pour les fraudeurs et plus douces pour les veuves et les orphelinsGa naar voetnoot10.. Puis le duc étendit la mesure à d'autres principautésGa naar voetnoot11.. Cette décision provoqua ‘bruit et rumeur’ comme le constate le Téméraire lui-mêmeGa naar voetnoot12.. Cette opposition fut assez vigoureuse pour que Charles fût obligé d'en tenir compte. Pour obtenir de nouvelles aides il dut promettre, en particulier aux Flamands, de ne pas imposer aux fieffés, directement ou indirectement des obligations militaires. Mais en 1475, Charles sans se soucier du mécontentement qu'il allait provoquer, renouvela sa législation en la rendant plus efficace. Un mandement du 15 janvier obliger le fief- | |
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fé qui possède un revenu de 200 écus, soit 240 l. à fournir un homme d'armes à trois chevaux, tandis que s'il ne dispose que de 16 écus, il n'est redevable que d'un combattant à pied. L'acte envisage divers cas et permet notamment aux redevables de faire contribuer au paiement de la taxe ceux à qui ils versaient des rentesGa naar voetnoot13.. En juin d'autres patentes firent savoir que les fieffés ‘qui ne sont nobles ou tenans fiefs de haute justice’ pouvaient remplacer le service personnel par le versement du 6e denier, soit environ 16,5% du revenu de leur seigneurieGa naar voetnoot14.. Sous cette forme la taxe fut encore levée en 1476Ga naar voetnoot15., mais à en juger d'après les comptes que nous sont parvenus uniquement à Bruges, à Lille et dans le HainaultGa naar voetnoot16., sans doute parce que les receveurs s'étaient heurtés à la mauvaise volonté des redevablesGa naar voetnoot17.. Dans cette affaire, l'administration ducale avait montré son sens de l'efficacité. Comme le montre ce qui précède, elle n'avait cessé, de 1468 à 1475 de préciser les bases de l'impôt, mais elle avait amélioré également sa perception. En 1470, en effet, la procédure suivie en Flandre et en Brabant est très lourde. Elle débute par la publication et l'affichage des mandements relatifs au service des fiefs. Ainsi, les imposables sont avertis de leurs obligations, à commencer par la rédaction, dans un délai fort bref - un mois en Flandre, quinze jours en Brabant - de l'état de leurs biens. Partant de leurs déclarations des commissaires spécialement nommés, rédigaient un registre qu'ils envoyaient au duc pour vérification. Ce contrôle une fois exécuté par ceux que le prince avait désignés, le registre était transmis à un receveur qui levait la taxe directement ou par l'entremise de commis. S'ils se heurtaient à de la mauvaise volonté, ils requeraient l'aide des officiers de justice. La perception achevée, les receveurs suivaient les règles classiques dans l'administration ducale, ils effectuaient par exemple des paiements sur l'ordre du receveur général; ils achevaient leur mission en se soumettant au contrôle des cours des comptes. Les commissaires accomplirent un excellent travail, dans les Pays-Bas comme en Bourgogne. Soit dit en passant, les états féodaux qu'ils dressèrent, en 1474 dans le duché, constituent une source essentielle pour l'histoire des seigneuries et celle de leurs détenteurs. Grâce à ces outils de travail on put aller beaucoup plus vite en 1475. En Brabant et en Flandre, on ne demande plus de déclaration aux imposables, car les receveurs sont pourvus de copies des états féodaux. Bien documentés, ils peuvent se contenter de convoquer les redevables en leur indiquant la somme qu'ils doivent apporter avec eux. | |
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Mais si les taxes militaires représentent une opération techniquement réussie, il n'en alla pas de mème au point de vue politique. La question des fieffés fut un thème de discordes entre le prince et les Etats. Pour le duc en effet, le service d'ost était d'obligation divine ‘comme par l'histoire de Saül, tost après son institution au royaume d'Israël clairement apperé’ écrivait-il dans son manifeste du 19 décembre 1470. Et il ajoutait La disputoison d'abolir la suite en guerre des dits fiefs et arrière-fiefs n'est autre chose que vouloir enerver la seignourie de la plus juste, plus utile et plus droitière et raisonnable auctorité qu'elle aitGa naar voetnoot18., c'est du reste pourquoi il confia la perception du 6ème denier aux receveurs et généraux du domaine et non aux officiers des aides. Les gentilshommes d'épée partageaient sûrement cette opinion. Ainsi voit-on aux Etats-Généraux d'avril 1476 les nobles du Hainaut répondre au chancelier Hugonet qui leur demandait s'ils contestaient le service des fiefs, ‘que nenni’Ga naar voetnoot19.. Mais la mentalité des fieffés issus de la roture est autre. Ils répugnent, non seulement au service d'ost allant, en Flandre en 1468, jusqu'à nier leur obligationGa naar voetnoot20., mais même aux taxes destinées à le remplacerGa naar voetnoot21.. A leur yeux, elles ne doivent pas être levées automatiquement, mais ne peuvent être établies que compte-tenu des autres impôts. Aussi les Etats qui partagent cette manière de voir ne cesseront de lier la question du 6ème denier à celle des aides. Le 1er mai 1470 au duc qui leur demande 120.000 écus, les délégués des Quatre Membres répondent que s'il veut les obtenir il ferait bien ‘de déclairer...quel fruyt...ou descharge vosdits subjets, fiefvez et arrière fiefvez sentiront d'icelle subvencion’Ga naar voetnoot22.. En 1473 le Téméraire n'obtient des Etats-Généraux une aide de 3.600.000 écus que moyennant diverses concessions. Parmi elles figure la promesse de n'exiger aucune prestation des fieffés flamands ‘si ce n'est des feudataires expressément tenus de servir’Ga naar voetnoot23.. L'année suivant, pour obtenir la prolongation d'une autre subside Charles doit renouveler sa promesseGa naar voetnoot24.. Enfin, aux Etats-Généraux de 1476, le chancelier Hugonet et les députés distinguent dans leurs discussions, les nobles des simples pos- | |
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sesseurs de fiefsGa naar voetnoot25.. En somme les bourgeois détenteurs de seigneuries parvinrent, à plusieurs reprises, malgré la faiblesse de leur position en droit féodal, à obliger le pouvoir ducal à admettre leurs exigences.
Bien que les Valois de Bourgogne aient, dans l'ensemble, entretenu d'excellentes relations avec l'Eglise, il n'en reste pas moins que leurs conseillers aient parfois convoité ses richesses. A cet égard les réflexions émises à la fin du règne de Philippe le Bon par des maîtres des comptes lillois sont significativesGa naar voetnoot26.. Plus révélateurs encore sont les propos tenus quelques années plus tard à la cour du Téméraire. Le 12 décembre 1472 Luc de Tolentis qui représentait auprès de lui le pape, constatait qu'on parlait volontiers, dans son entourage, de la nécessité de réformer l'Eglise. Les favoris du duc l'accusaient d'être trop riche et comme sa fortune provenait, selon eux, de la générosité des princes, on devine au profit de qui il comptait réduire son opulenceGa naar voetnoot27.. Cette mentalité inquiétante pour les clercs n'eut pourtant pas de conséquences immédiates, le vote par les Etats-Généraux, en février 1473, d'une aide annuelle de 500.000 écus, rendant sans doute moins urgente la recherche de nouvelles ressources pour le tresor ducal. Mais l'accalmie fut d'autant plus courte durée que les relations du Saint-Siège et de l'Etat ducal s'étaient dégradées. Pour mettre au service du Téméraire la fortune ecclésiastique, ses conseillers décidèrent d'utiliser un procédé employé souvent en France mais auquel on avait eu recours moins fréquemment dans les possessions bourguignonnes des Pays-Bas, à savoir la taxation des biens immobiliers lorsqu'ils entraient dans le patrimoine des institutions religieusesGa naar voetnoot28.. Le 10 juillet 1474, le duc, par diverses lettres patentes chargea des commissaires de rechercher dans chaque province les biens acquis au cours des soixante dernières années, sans amortissement, par le clergé, ainsi que par les confréries et les métiers. Cette enquête, disaient les lettres, mettrait fin aux abus qui s'étaient développés ‘au grant préjudice et en diminucion de nostre haulteur et seigneurie’Ga naar voetnoot29.. Les commissaires qui s'étaient mis rapidement au travail se heurtèrent à l'opposition des gens d'Eglise. A Gand, les moines de Saint Pierre affirment ne rédiger leur déclaration que par respect pour le duc, mais être bien décidés à ne payer aucun ‘droit d'amortissement prétendu’ parce qu'il serait incompatible avec les privilèges que le Témérai- | |
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re avait juré de respecterGa naar voetnoot30.. A Louvain, les chanoines de Saint-Pierre déclarent de ne livrer l'état de leurs biens que pour éviter une amende. Ils ajoutent que leur réponse sera fatalement imprécise ‘car ilz ont cause de prétendre ignorance des dites acquisitions de ce loing temps comme de soixante ans’ et aussi parce que ‘les guerres ont esté souvent esdits pays’ ce qui a nui à la tenue de leur chartrierGa naar voetnoot31.. La collégiale de Namur s'exécute mais en protestant au nom de ‘la liberté et jurisdiction de notredite église’Ga naar voetnoot32.. A Bruxelles, les chanoines de Sainte-Gudule invoquent les droits que l'Eglise possède ‘humano et divino jure’ et les privilèges du clergé brabançon. Aussi n'hésitent-ils pas à qualifier de monstrueuses les sanctions qui menacent les récalcitrantsGa naar voetnoot33.. Sainte-Gudule et les autres institutions ecclésiastiques du Brabant ne se contentèrent pas de ces protestations dispersées. Elles s'unirent et firent présenter le 15 septembre 1474 au Grand Conseil une remontrance solennelleGa naar voetnoot34.. La rédaction en avait été confiée à un personnage d'importance, Raymond de Marliano. Comme d'autres Italiens, Raymond était venu chercher fortune dans les Etats bourguignons et avait enseigné à l'université de Dole, puis à celle de Louvain. Il était réputé pour sa connaissance des lettres antiques et sa science du droit. Devenu veuf en 1463, il était entré dans les ordres, et avait obtenu un canonicat à Saint-Pierre de Louvain. En somme, la cause de ses clients était aussi la sienne. Marliano était bien introduit dans l'entourage ducalGa naar voetnoot35.. A sa mort, en 1475, ce sera le chancelier Hugonet qui se chargera de lui faire élever un monument funéraireGa naar voetnoot36.. En faisant appel à lui les ecclésiastiques brabançons comptaient sans doute, non seulement sur son talent mais encore sur son influence. Cette hypothèse se renforce si l'on songe que la supériorité que l'on reconnaissait aux Italiens en matière d'éloquence latine, ne joua pas en faveur de Marliano puisqu'il rédigea son mémoire en français. Son travail mérite, croyons-nous, l'analyse car il offre un bon exemple de l'argumentation juridique du temps et à ce titre présente de l'intérêt pour l'histoire des idées comme pour celle des mentalités. Marliano invoquait, en faveur de ses clients, le droit romain et notamment ‘ce | |
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que Justinien l'Empereur escript à son chancelier’ et ce que Honorius et Théodose avaient commandé à ‘leur Président et Parlement’ au sujet des charges dont ‘seroient et debvoient toutes Eglises estre franches et exemptes’. Passant au moyen-âge il citait plusieurs monarques à commencer par Charlemagne qui, faisait-il remarquer habilement, était l'ancêtre du duc. Il affirmait que tous ceux qui avaient gouverné le Saint-Empire avaient toujours permis aux établissements ecclésiastiques d'acquérir des biens en toute liberté. Les ducs de Brabant avaient suivi la même règle. Ils avaient même accordé, en 1390, en 1446 et en 1451 des privilèges qui soustrayaient de la façon la plus claire l'Eglise à l'amortissement. Raymond ne dissimulait pourtant pas qu'à plusieurs reprises des clercs avaient demandé aux princes des lettres de confirmation pour les biens qui entrainent en leur possession. Le fait était gênant mais il eut été inintelligent de le nier puisque dans l'administration ducale on n'avait pas oublié que Philippe le Hardi, sans y recourir de façon systématique, n'en n'avait pas moins utilisé en Flandre le droit de nouvel acquêt et que son exemple avait été imité par ses successeurs Marliano se tirait de la difficulté en expliquant que, si parfois les clercs avaient fait amortir leurs biens par le souverain, ils n'avaient pas entendu par là renoncer à leur liberté d'acquérir mais ajouté une garantie à celles que leur assurait le droit commun. Puis il passait à d'autres arguments. Il soutenait que la fortune des églises provenant en grande partie de la générosité des princes, il était absurde de reprendre d'une main ce qu'on avait donné de l'autre. D'un autre côté l'amortissement était injuste, car au Brabant tous prélats et gens d'église sont tenus de relever leurs fiefs, faire tous services et payer tous droits en tout et partout comme ce lesdits fiefs estoient es mains de personnes laÿcs. Les clercs étaient encore soumis à d'autres impôts. Il aurait pourtant été équitable de les en dispenser puisqu'ils ne cessaient ‘en temps de paix et de guerre’ d'aider le prince par des prières et par l'exercice du service divin. Enfin leur charité incessante, en soulargeant les pauvres permettait à ces derniers de payer plus facilement l'impôt! L'introduction de l'amortissement entraînerait des conséquences déplorables. Il provoquerait des contestations qui, d'une part décourageraient d'éventuels donateurs et de l'autre conduiraient les ecclésiastiques à refuser les legs et par conséquent les empêcheraient ‘de prendre charge des anniversaires ou messes ou aultres offices’. Dès lors, ‘seroient les fondations des trepassés fort amoindries, et le nombre de deservans diminué et les provisions des povres et pieux lieux évidemment restraintes’. Ces inconvénients économiques méritaient la considération. Ils étaient pourtant peu de chose à côté d'autres malheurs qu'entraînerait l'amortissement. En effet, cet impôt inique provoquait la fureur céleste. Assez de témoignages montraient | |
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‘que, à l'occasion d'icelle et aultres semblables manières, le royaume de France, par l'indignation de Dieu eult assez à souffrir’. Le Téméraire ne l'ignorait pas puisqu'il était ‘prince, tant excellent et si bon justicier devotieux et catholique, autant et plus que nul autre’ et surtout parce qu'il aimait à se faire lire la Bible, les ‘histoires romaines’ et les ‘chronicques de tous royaulmes, pays et nations’. Or de ces livres se dégageait nécessairement la conclusion que Dieu protégeait les princes qui enrichissaient l'Eglise et respectaient ses droits. A cet égard rien n'était plus significatif que les succès connus ‘en guerres et batailles et aultrement’ par Romulus et ses pieux successeurs ‘nonobstant qu'ils ne adorassent point le vray Dieu’. Ouvrons une parenthèse. L'argument est curieux puisqu'il revient à dire que la dévotion aux faux dieux offre les mêmes avantages pour les souverains que leur fidélité à celui des chrétiens. Pourtant ce sera une erreur de voir là une marque d'irrévérence à l'égard de la religion. La référence faite par Marliano au paganisme se retrouve chez son contemporain, Antoine de La Sale. Dans le manuel qu'il écrivit à l'intention de ses élèves, les fils du comte de LuxembourgGa naar voetnoot37., il allègue à chaque instant, en l'honneur des vertus chrétiennes, des exemples paîens pour en tirer la conclusion que si les Romains respectaient leurs faulx Dieux qui estoient les dyables en ydoles, nous qui sommes ou devons estre vrays crestiens devont tant plus doubter...de couroucier le vray DieuGa naar voetnoot38.. Au fond, chez La Sale comme chez Marliano, cette argumentation s'explique par cet esprit d'anachronisme qui pousse le second à doter les empereurs romains d'un chancelier et d'un parlement. Mais pour comprendre de tels raisonnements il faut tenir compte d'une mentalité qui découvrait à chaque instant dans l'antiquité des signes de précurseurs du christianisme. Pour nous borner à un seul exemple, rappelons le rôle que jouent les sybilles, à Sienne, dans la décoration de la cathédrale. Revenons à l'amortissement. Marliano concluait en adjurant le duc de renoncer à son projet et en conséquence d'ordonner à ses commissaires de cesser leurs enquêtes et de libérer les biens qu'ils avaient déjà saisis. Si le Téméraire restait insensible à son appel, Raymond demandait qu'il fût au moins permis à ses clients de défendre leurs intérêts devant le chancelier et le Parlement de Malines. La requête du clergé fut appuyée par les deux autres ordres. Ils soutinrent qu'en | |
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obligeant l'Eglise à amortir leurs biens, on violait la volonté des donateursGa naar voetnoot39.. Les nobles et les villes s'élevèrent en particulier contre le projet de taxer les confréries et les métiers. La mesure était d'autant plus maladroite, soutenait-il, que les biens de ces institutions, tout en valant peu de chose n'en n'étaient pas moins indispensables à la ‘sustentation des povres et misérables personnes’. C'est pourquoi les représentants des deux ordres laïques souhaitaient être également entendus en justice. Le Conseil rendit à ces requêtes une réponse dilatoire. Comme le clergé ne produisait pas les originaux des privilèges qu'il invoquait et qu'en revanche le personnel ducal devait rechercher, dans les archives, les pièces qui justifiaient sa position, ce qui prendrait du temps, le Conseil estimait ne pouvoir aborder le fond du débat avant la prochaine Saint Michel, soit avant le 9 septembre 1475. Ce long délai - pratiquement un an - n'avait sans doute pas été choisi pour rendre une justice plus sereine mais bien pour permettre au clergé et à l'administration de négocier un compromis. On voit en effet les ecclésiastiques manifester pendant l'automne 1474, une activité fébrile. Leurs délégués se rencontrent à plusieurs reprises ‘pour trouver moyen et manière de demourer quictes des composicions’. Ils ont plusieurs entretiens avec le chancelier mais, restant insensibles à ses objurgations, ils ne rentrent pas le relevé de leurs acquêts, chose qui paraît d'autant plus grave aux trésoriers et généraux du domaine et des aides qu'elle risque de pousser à la résistance le clergé plus paisible d'autres principautésGa naar voetnoot40.. De fait les ecclésiastiques brabançons finirent par constituer un front commun avec leurs confrères de Malines et du Namurois, tandis que les commissaires ducaux continuaient leur mission en menaçant de graves châtiments ceux qui voulaient s'y opposer. Mais, en même temps les discussions se poursuivaient entre Hugonet et une délégation des trois clergés conduite par MarlianoGa naar voetnoot41.. Un compte de Saint-Rombaud montre que les clercs tentèrent de mettre dans leur jeu leurs interlocuteurs. Ils offrirent du poisson au président du Parlement, versèrent des sommes, modiques il est vrai, à des maîtres des comptes mais essayèrent surtout de se faire des amis dans l'entourage du chancelier. Il gratifie son chapelain de 5 escalins et accorde la même récompense à un serviteur qui les avait aidés à obtenir un rendez-vousGa naar voetnoot42.. Le chancelier bénéficia-t-il aussi de la générosité du clergé? La chose paraît vraisemblable vu les usages du temps mais le document reste muet | |
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sur ce point. Au surplus, ces cadeaux pouvaient conduire le duc et ses conseillers à renoncer à l'essentiel de leurs prétentions. De marchandage en marchandage on aboutit à un accord. Le clergé malinois accorda 1.000 l. mais en don gracieux et sans admettre la légitimité de l'amortissementGa naar voetnoot43.. Les Namurois donnèrent 600 l.Ga naar voetnoot44. et les Zélandais, qui paraissent avoir agi isolément, 2.000Ga naar voetnoot45.. Pour le Brabant on en arriva, le 8 juillet 1475, à une solution qui pouvait des deux côtés, passer pour un moindre mal. Le duc rappelait d'abord ses lettres patentes et les difficultés qu'avait provoquées leur application. Comme les Brabançons venaient de verser à ses officiers de finance 8.900 l., Charles entendait ‘user de bonne foy envers ceux dudit clergié’. Aussi promettaitil de ne plus taxer leurs acquêts des soixante dernières années. Il les assurait ‘de bonne foy et en parolles de prince’ qu'il les laisserait à l'avenir user paisiblement de tous leurs biens; qu'en outre il ferait lever les saisies et imposerait à leur sujet ‘silence perpétuel à nostre procureur général et à tous nos autres justiciers présens et advenir’. Mais le texte ne touchait pas au fond du débat. D'une part le duc réservait ses droits et ceux de ses successeurs sur les acquêts futurs du clergé, mais de l'autre, reconnaissait que les ecclésiastiques, en lui versant un subside, n'entendaient pas par là reconnaître l'amortissement comme légitimeGa naar voetnoot46.. Au surplus, des difficultés subsistaient dans l'immédiat. Une partie notable du clergé brabançon n'ayant pas contribué au subside, n'était pas protégé par l'accord. Aussi le duc se proposait-il de mater ces récalcitrants. Il renouvela avec de légères variantes les patentes du 10 juillet 1474 et les fit appliquer dans le quartier de Maestricht et dans les terres du Limbourg et d'Outre-Meuse qui étaient le centre de la résistanceGa naar voetnoot47.. De leur côté les trésoriers et généraux qui ne semblent jamais avoir été à court d'imagination, exigèrent des séculiers une nouvelle prestation sous prétexte qu'on avait négligé jusqu'alors les acquêts faits par des chapelles dépendant de collégialesGa naar voetnoot48.. Pour leur part, les commissaires mirent tant de zèle à exécuter les ordres du prince que le quartier de Maestricht se souleva. Le 12 janvier 1476 on y acheva la perception de sorte que le 31 mai Louis Quarré put clôturer le compte du Brabant. Il en alla vraisemblablement de même dans la plupart des provinces. Seule la Hollande fit exception. L' affaire y avait pourtant débuté comme dans les autres principautés. En octobre 1474 on y avait nommé un receveur des nouveaux ac- | |
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quêts, Pierre de Bins. Et comme ailleurs on avait en même temps commencé à négocier le remplacement de la taxe par un subside. Mais les Hollandais n'offrirent que 2.000 livres ce que le Téméraire trouva insuffisant. Impatienté il ordonna à Hugonet, le 27 avril 1475 de ne pas tenir compte des plaintes déposées en justice par les ecclésiastiques et de les contraindre à payer l'amortissement par ‘rigoureuses exécutions’Ga naar voetnoot49.. Le duc et son entourage espéraient sans doute que ces menaces amèneraient les hommes d'Eglise à resipiscence. Aussi voit-on, en juillet 1475, les trésoriers et généraux demander au Conseil de Hollande d'avertir les clercs de l'accord à l'amiable auquel on venait de parvenir en Brabant. Mais la nouvelle impressionna d'autant moins les ecclésiastiques qu'ils étaient soutenus par le représentant du pape ‘in Germania’ Alexandre, évêque de Forli. Prenant position publiquement le 8 août, ce légat proclama que les mesures prises par les Bourguignons étaient contraires au droit naturel, à la loi divine et aux privilèges de l'Eglise. Il invita le clergé à communiquer sa protestation aux fidèles et menaça les officiers ducaux de les excommunier s'ils ne cessaient leurs exactions. Il alla même, le 8 septembre jusqu'à citer à comparaître devant lui Antoine Haneron, Jean d'Halewyn et Gérard d'Assendelft qu'il tenait pour les principaux responsables. Les conseillers du Téméraire ne se laissèrent pas intimider. Tout au contraire le Parlement de Malines envoya en Hollande, pour y mater l'opposition, un de ces membres, Jean Lyon qui n'hésita pas à faire arrêter les chefs du clergé et à les faire transférer à Malines où, le 1er février 1476, ils furent condamnés à une amende pour ‘fol appel’. Les chroniqueurs attribuèrent ces rigueurs à la volonté des commissaires ducaux et notamment à Haneron. A.G. Jongkees avait estimé que l'examen des négociations menées entre le clergé et les commissaires démentaient cette opinionGa naar voetnoot50.. Un document inédit vient à l'appui de la thèse de l'éminent historien. Il s'agit d'un projet de réponse fait par les trésoriers et généraux, en décembre 1475 ou en janvier 1476, pour répondre à une lettre de leur collègue HaneronGa naar voetnoot51.. Cette minute montre qu'Haneron accusait ses correspondants de saboter sa politique. En effet négociant sans rélâche avec les ecclésiastiques hollandais, il était parvenu à organiser une réunion qu'il espérait décisive. Or, au moment où elle allait s'ouvrir à Leyde, il avait été abasourdi d'apprendre que sur l'ordre des trésoriers et géné- | |
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raux, on avait ‘prins et fait prisonniers aucuns desdits gens d'église, autres adjournés sur grosses peines à comparoir en personne au Parlement’, ce qui était absolument opposé à l'accord auquel il était parvenu avec ses interlocuteurs lors ‘de la journée de Schounehoven’. Aussi Haneron se plaignait avec amertume de n'avoir pas été tenu au courant de leur décision par ses collègues et en venait à se demander s'il désavouait la conduite qu'il avait suivie jusqu'alors. Les trésoriers et généraux répondirent qu'il avait suivie jusqu'alors. Les trésoriers et généraux répondirent qu'il y avait malentendu. Ils avaient toujours approuvé les ‘dilligences et labeur’ d'Antoine ‘touchant ceste matière’. Au surplus le duc averti par leurs soins avait été aussi ‘moult content’ de ce que faisait son ancien précepteur. Quant aux ‘emprisonnemens adjournemens et autres exploits dessus dits’ il n'y était pour rien. La responsabilité incombait aux légistes. On avait appris que les ecclésiastiques voulaient en appeler au pape. Dont tous les gens du Parlement ont fait bien grand extime contre lesdits appelants, comme de crismes de lèse- majesté et de sacrilège, pour entendre oster à nostredit seigneur sa souveraineté et haulteur et semble bien qu'ils sont fort arrestés...d'en avoir réparation. Les trésoriers et généraux déploraient que Lyon n'ait pas tenu Haneron au courant de ce qu'il allait faire. En conclusion ils invitaient ce dernier à poursuivre avec prudence ses négociations. On le voit deux politiques s'opposaient, celle des légistes et généraux. La première avait pour but d'assurer la prééminence de l'autorité civile sur l' Eglise mais aussi sans doute celle du Parlement sur le collège des trésoriers et généraux. La seconde visait avant tout des objectifs financiers. Elle était prête à payer par des concessions les ressources que réclamait le Téméraire pour payer son armée. On peut penser qu'on parvint à un compromis entre les deux tendances. En effet, le 15 mars 1476, Hugonet conclut à La Haye un accord avec le clergé du Pays de Delft. Les ecclésiastiques obtenaient la limitation de l'amortissement au quinzième denier du revenu annuel des biens concernés. Ils obtenaient en outre la libération de leurs délégués mais ils reconnaissaient l'autorité du Parlement et renonçaient à appeler à Rome de ses décisions. Dans d'autres parties de la Hollande et notamment à Leiden les clercs poursuivirent leur résistance jusqu'à l'automne de 1476, quelques mois avant la fin tragique du Téméraire. Les faits que nous venons de résumer montrent, croyons-nous, combien les réactions à l'amortissement ont différé de celles qu'avaient provoquées les taxes sur les fiefs. Dans chaque province le clergé s'opposa unanimement aux charges qu'on voulait lui imposer. Malgré les particularismes de principautés et d'obédiences religieuses, les gens d'Eglise parvinrent par delà des frontières à s'enten- | |
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dre. Les nonnes participèrent à la lutte comme le montre la lettre écrite par une réligieuse anversoiseGa naar voetnoot52.. Dans leur opposition les ecclésiastiques firent preuve d'un sens remarquable de la propagande. En Brabant, comme jadis en Bourgogne, ils réussirent à intéresser à leur cause les autres ordres. Le clergé, à commencer par les nonnes anversoises, fut aussi habile à persuader l'opinion qu'il était persécuté. Bien entendu les officiers ducaux firent preuve de maladresse, voire de brutalité. Mais leurs méfaits furent certainement exagérés. Pour évaluer la fortune ecclésiastique, ils usèrent des méthodes prudentes et sérieuses qu'ils avaient employées dans le cas des fieffés. Ils décidèrent de nombreuses saisies, mais dans la pratique cette sanction était moins grave qu'on pourrait le penser. Elle ne privait pas les ecclésiastiques de leurs biens mais les obligeait souvent à rendre compte de leur gestion à l'administration ducale. De même chaque fois que l'amortissement est remplacé par une composition, ce sont les délégués du clergé qui la répartissent parmi leurs mandants. Le talent mis par les ecclésiastiques à la défense de leur cause a même marqué l'historiographie. Alors que le conflit entre le duc et ses fieffés n'est pratiquement connu que par des documents d'archives, ses démêlés avec le clergé tiennent une place d'autant plus considérable chez les chroniqueurs qu'ils étaient souvent hommes d'Eglise. Pour Molinet Rien ne dénigra tant la renommée du duc Charles que de ajouster credence à aulcuns malvais espertiz, enflamméz d'ardant convoistise qui...soufflèrent en l'oreille de prendre sur les bénéfices, chapelles et cantuaires non amortis les revenus de III années pour subvenir à ses affaires. Et durant ceste espace, cessa le service de Dieu en aucuns lieux contre l'intention des fondateurs et dient aucunes gens de cler entendement que oncques puis ne prospera et que pour punission de ce délict, que par tous ses pays ossy grand qu'ils sont, n'a esté...oy, célébrer, synon à Gand, ung service solennel pour l'âme de lui, comme l'on est tenu de faire pour son prince et seigneur naturelGa naar voetnoot53.. D'autres auteurs vont beaucoup plus loin. Pierre Impens dénonce l'amortissement comme une innovation scandaleuse et après avoir longuement énuméré les abus qui en étaient résultés parle brusquement de la mort du duc comme si elle était la conséquence de son irrespect pour les clercsGa naar voetnoot54.. Thomas Basin s'afflige élo- | |
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quemment des atteintes portées au droit de l'Eglise et stigmatise les prêtres qui ‘spe predandi’ ont persécuté leurs confrères, reproche qui vise notamment Haneron. Il attribue, lui aussi, la chute de Charles au fait que Dieu voulait le punir pour avoir persécuté l'EgliseGa naar voetnoot55.. Enfin chez Guillaume Heda, les officiers ducaux prennent figure de blasphémateurs. Ne montre-il pas Jean de Boschuysen procédant à une saisie, défier le Christ de l'en empêcherGa naar voetnoot56.. En définitive si la taxation des nouveaux acquêts améliora pour un temps les finances ducalesGa naar voetnoot57., le souvenir qu'elle laissa grâce aux historiens ecclésiastiques influença au détriment du Téméraire l'image qu'il a laissée à la postérité. |
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