Bijdragen en Mededelingen van het Historisch Genootschap. Deel 74
(1960)– [tijdschrift] Bijdragen en Mededeelingen van het Historisch Genootschap– Auteursrechtelijk beschermd
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Les traits essentiels du règne de Philippe le BonMesdames, Messieurs et chers Confrères,
L'Historisch Genootschap, qui m'avait fait l'honneur déjà il y a quelques années de m'accueillir dans son sein, vient d'y ajouter celui de me demander de prendre aujourd'hui la parole au cours de son assemblée annuelle. Qu'il me soit permis avant tout de l'en remercier et de dire combien j'apprécie l'invitation qui m'a été ainsi adressée de parler devant une société dont la réputation s'étend largement dans les Pays-Bas et au dehors, par suite du rôle qu'elle joue depuis longtemps et ne cesse de jouer dans le développement de la recherche historique: l'importance de ses publications l'atteste, tant du point de vue qualitatif que du point de vue quantitatif. La demande qui m'a été faite par le Bureau de la Société de parler de Philippe le Bon est pour moi plus flatteusse encore, puisqu'elle prouve que les travaux que j'ai consacrés au troisième des ducs Valois de Bourgogne ont reçu quelque audience en Hollande. Mais, demande aussi quelque peu embarrassante, car elle m'a obligé à constater que je n'ai guère, venant d'y consacrer des publications récentesGa naar voetnoot1, de révélations à vous apporter sur la personnalité de Philippe le Bon, ni sur les événements de son règne. Dans ces conditions, il m'a semblé que le mieux que je pourrais faire serait d'essayer de dégager les traits qui, dans ce règne, me paraissent véritablement essentiels.
Pour les déterminer, partons de cette constatation, qui est, je pense, fondamentale: avec le recul de l'histoire, Philippe le Bon apparaît avant tout comme le fondateur de l'Etat bourguignon, Imperii Belgici conditor, ainsi que l'a déjà appelé au XVIe siècle le premier historien de cet Etat, Pontus Heuterus de DelftGa naar voetnoot2, à l'époque duquel Belgicus ne peut signifier évi- | |
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demment belge, mais a le sens actuel de néerlandaisGa naar voetnoot1. Fondateur donc du vaste Etat néerlandais du milieu du XVIe siècle, de ces Pays-Bas de Charles-Quint, dont les Etats de Benelux représentent aujourd'hui encore, sur la carte de l'Europe, la survivance. Cette constatation faite, il convient de se poser aussitôt cette question: ce rôle de conditor, de fondateur d'un Etat nouveau, Philippe le Bon a-t-il, devant l'histoire, ambitionné de l'assumer? Question paradoxale, impertinente même, dira-t-on. Pourquoi la poser? C'est tout d'abord qu'elle est provoquée par une autre, touchant à la personnalité même de Philippe le Bon: le ‘grand duc’ a-t-il eu une action politique personnelle? a-t-il voulu autre chose, cet amateur de femmes et de beaux livres, que jouir des privilèges que lui valait sa naissance ou tout au plus rehausser par des cérémonies et des fêtes fastueuses son prestige et celui de sa cour? En d'autres termes, n'a-t-il pas été simplement ‘un superbe figurant’Ga naar voetnoot2? Telle était l'opinion de votre grand historien HuizingaGa naar voetnoot3. A elle s'oppose celle d'un autre historien, non moins notable, Henri PirenneGa naar voetnoot4. Des témoignages des contemporains, il ressort que le duc ne s'intéressa guère aux détails de l'administration et que plus | |
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spécialement tout ce qui touchait au domaine financier lui était étranger: la seule chose qu'il fit jamais personnellement en cette matière fut de dépenser sans compterGa naar voetnoot1. Il résulte naturellement de là que le rôle des conseillers sous son règne fut considérable et surtout celui des plus influents parmi eux: le chancelier Nicolas Rolin et le premier chambellan Antoine de CroyGa naar voetnoot2. On constate cependant que lorsque des affaires politiques importantes se présentaient, le duc siégeait au conseilGa naar voetnoot3. Et c'est lui qui, les avis entendus, prenait la décision finaleGa naar voetnoot4. Il faut en conclure que son règne porte, dans une large mesure, la marque de ses conceptions politiques personnelles. Pour en revenir à la question que nous nous étions posée, il importe donc grandement, pour savoir si Philippe eut la volonté et l'ambition d'être le fondateur d'un Etat nouveau, de se demander si sa mentalité devait l'orienter dans cette voie. Or cette mentalité, au cours de son existence entière, se manifeste avant tout, à mon sens, comme celle d'un prince français ou plus exactement d'un prince apanagé du sang royal français. Ce qui implique, d'une part, attachement au royaume des fleurs de lys, mais aussi, d'autre part, des intérêts aristo- | |
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cratiques propres, ou communs aux autres grands du royaume, en opposition avec les tendances monarchisantes de la royauté. Dans le cas de Philippe le Bon, il importe particulièrement, car ce peut être une source d'erreur, de ne pas confondre les actions et réactions provoquées par ces intérêts aristocratiques avec des tendances à l'indépendance. Ce n'est point, en tout cas, dans de telles tendances que Philippe a pu être élevé. Sans doute, et il n'en pouvait être autrement, du temps déjà des premiers ducs Valois ses prédécesseurs, du temps de Philippe le Hardi, son grand-père, comme du temps de Jean sans Peur, son père, les intérêts du roi et ceux des princes avaient-ils pu s'opposer. Encore faut-il, avant de conclure, en l'espèce, se montrer prudent: c'est ainsi que l'on donne couramment comme exemple de l'utilisation par Philippe le Hardi du pouvoir royal aux propres fins du duc de Bourgogne l'expédition qu'il sut déterminer Charles VI à mener en Gueldre afin de soutenir indirectement la politique bourguignonne de pénétration en BrabantGa naar voetnoot1. Sans doute est-ce réellement un des aspects des choses. Mais du point de vue de la royauté française était-il tellement indifférent de s'assurer une position de prestige en dehors des frontières du royaume, tant en Brabant qu'en Gueldre, dans cette ancienne Lotharingie, objet quasi constant des convoitises françaises? Et que l'on n'oublie point que le second fils de Philippe le Hardi, Antoine, devenu duc de Brabant, mais gardant le souvenir de ses origines, devait tomber dans les rangs français à Azincourt. La complication nouvelle qui s'introduit dans les événements avec l'éclosion de la guerre civile entre Bourguignons et Armagnacs, comme avec la reprise de la guerre de Cent Ans, ne doit pas, elle non plus, donner lieu à des interprétations abusives. Quelles qu'aient pu être notamment les tractations de Jean sans Peur avec les Anglais, il les a menées comme chef d'un parti français et non, par conséquent, dans l'intention de retrancher ses possessions patrimoniales du royaumeGa naar voetnoot2. Les visées à l'autonomie des princes apanagés ne doivent donc nullement être confondues avec des visées à l'indépendance, qui auraient eu pour but final le morcellement du royaume. | |
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Elles le doivent d'autant moins que ce que souhaitent ces princes c'est, tout en réduisant autant que possible l'autorité royale dans leurs terres, participer dans une mesure toujours plus large au gouvernement de la France afin de s'en assurer le plus de profits possible. Et M. Pocquet du Haut-Jussé, en des articles fort suggestifs, a montré à quel point les deux premiers ducs avaient su ainsi se faire octroyer par le roi dons et pensionsGa naar voetnoot1. Telle est l'atmosphère politique dans laquelle grandit le troisième duc. Il devait en rester pénétré jusqu'à son dernier souffle.
Certains historiens ont cru cependant que Philippe, dès son avènement, avait inauguré une politique qui ‘le détournerait de la suzeraineté de la couronne’. Tel était l'avis d'Henri Pirenne, qui croyait en trouver la preuve dans l'alliance conclue avec les Anglais par le jeune duc aussitôt après l'assassinat de son pèreGa naar voetnoot2. Je me suis efforcé, dans mon ouvrage intitulé Du meurtre de Montereau au traité de TroyesGa naar voetnoot3, de montrer à la lumière des textes contemporains que cette interprétation ne répondait pas à la réalité. Ce que ces textes nous révèlent au contraire, c'est un Philippe s'efforçant de reprendre la succession de son père, non seulement comme prince territorial, mais comme chef d'un parti français. Loin de vouloir sortir du royaume de France et s'opposer à celui-ci en souverain étranger, une de ses premières revendications est celle de la lieutenance générale du royaumeGa naar voetnoot4. Certains de ses partisans à Paris vont plus loin encore en mettant | |
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en avant sa candidature à la succession de Charles VIGa naar voetnoot1. Si Philippe ne s'engagea pas plus loin dans cette voie, c'est que ses ambitions se heurtèrent à des ambitions rivales: celle de la reine Isabeau de Bavière, d'une part, qui venant d'être affranchie de la tutelle de Jean sans Peur, essaya d'échapper à celle de son jeune successeurGa naar voetnoot2; celle du roi d'Angleterre Henri V, d'autre part et surtout, lequel profita des circonstances pour tenter de réaliser son rêve d'une ‘double monarchie’ anglo-française sur laquelle il règneraitGa naar voetnoot3. C'est ainsi que, dominé à la fois par la crainte des Armagnacs et de leur collusion éventuelle avec les Anglais, l'appréhension d'une conquête totale du royaume par ceux-ci et l'inquiétude provoquée par les réticences de la cour de TroyesGa naar voetnoot4, Philippe en vint à parfaire avec Henri V les accordsGa naar voetnoot5 qui, quelques mois plus tard, devaient conduire à la conclusion du célèbre traité de TroyesGa naar voetnoot6. Tout cela, on le voit, s'explique exclusivement par des préoccupations de prince français, désireux de pratiquer une politique du moindre malGa naar voetnoot7. Le jeune duc a soin de porter sur le plan juridique sa volonté de venger son père: il ne veut pas donner à son action politique un caractère personnelGa naar voetnoot8. On a invoqué aussi, il est vrai, pour expliquer ces accords avec Henri V, le désir qu'aurait eu Philippe de donner satisfaction à ses sujets flamands, soucieux de leurs relations commerciales avec l'Angleterre. Mais cette explication n'est pas à retenir: les Flamands, en effet, bénéficiaient déjà de trêves marchandes, dont on pouvait espérer la prolongation sans aller jusqu'à la négociation de paix. Car - contrairement à l'opinion courante - à la fin de 1419, c'étaient les Anglais qui attendaient le plus de profit du renouvellement de ces trêvesGa naar voetnoot9. A son avènement, le jeune Philippe le Bon se présente donc | |
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à nous comme un prince français, comme le chef d'un parti soucieux de maintenir sa place, une place éminente, dans le royaume.
Les choses ont-elles changé par la suite? Philippe - faut-il le rappeler? - resta allié aux Anglais jusqu'en 1435. En cette année, par le traité d'Arras, il se réconcilia avec Charles VII. C'est qu'entretemps s'était produite l'intervention de Jeanne d'Arc: conduit à Reims par la Pucelle, le ‘gentil dauphin’ y avait reçu l'onction royale. Dieu luimême semblait ainsi s'être prononcé. Celui qui en 1419 n'était que le chef, ou plutôt l'instrument du parti armagnac, apparaissait de plus en plus, la faveur des armes aidant, comme le véritable roi de France. A l'occasion de cette réconciliation, le duc de Bourgogne, assure-t-on parfois, aurait manifesté un souci d'indépendance peu compatible avec la persistance de sentiments français. On allègue essentiellement pour le prouver, cet article du traité d'Arras par lequel Philippe se fit dispenser d'hommage envers le roiGa naar voetnoot1. Mais cette clause permet-elle réellement pareille interprétation? traduit-elle le désir du duc de Bourgogne de soustraire ses fiefs français à la mouvance royale et d'en faire un Etat independant? Il suffit de la lire sans prévention pour constater qu'il n'en est rien: son objet se limite à exempter Philippe d'hommage à titre strictement personnel et envers Charles VII seulementGa naar voetnoot2. Il faut très certainement rapprocher pareille exemption de ces dispositions du traité par lesquelles le roi s'engageait à | |
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faire amende honorable pour le meurtre de Jean sans Peur et promettait d'en faire poursuivre les coupablesGa naar voetnoot1. Philippe n'était pas disposé à pousser la réconciliation avec Charles VII, dictée par la conjoncture politique, jusqu'à piétiner ses sentiments les plus intimes en allant s'agenouiller devant celui qu'il tenait, non sans raison d'ailleursGa naar voetnoot2, pour responsable de l'assassinat de son père. Ce sont ces mêmes sentiments sans doute qui expliquent que jamais par la suite Philippe ne devait rencontrer personnellement celui qu'il acceptait cependant de reconnaître pour son souverainGa naar voetnoot3. Cela ne peut s'expliquer autrement, puisqu'il consentait à faire après la mort de Charles VII hommage à son successeur. Ce qu'il fit d'ailleursGa naar voetnoot4. On a dit aussi que rien dans le traité d'Arras ne traduisait la volonté de Philippe le Bon de jouer un rôle de premier plan dans la politique françaiseGa naar voetnoot5. Les raisons qui furent débattues dans les conseils ducaux avant de prendre la décision finale sont cependant en grande partie des raisons touchant à la position du duc dans le royaume: par exemple, la désaffection éventuelle envers lui de ses partisans en France et plus spécialement à Paris, ou encore l'attitude qu'adopterait Charles VII à son égard après la réconciliationGa naar voetnoot6. Il faut tenir compte aussi de l'intervention dans les pourparlers qui aboutirent à cette réconciliation d'autres représentants de l'aristocratie française, tels le connétable de Richemont et le duc de BourbonGa naar voetnoot7. Enfin une des dispositions annexes du traité - restée sans | |
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doute verbale tant elle était exorbitanteGa naar voetnoot1 - permet au duc de Bourgogne de nommer douze conseillers au parlement de ParisGa naar voetnoot2.
Les nombreuses et importantes acquisitions territoriales réalisées par Philippe dans l'ancienne Lotharingie sont-elles la manifestation d'une politique visant à la création d'un Etat indépendant entre la France et l'Empire, au détriment de l'une et de l'autre? Rappelons tout d'abord les acquisitions dont il s'agit: achat du comté de Namur au comte Jean III en 1421 et entrée en possession en 1429; héritage en 1430 de son cousin Philippe de Saint-Pol, duc de Brabant et de Limbourg; acquisition définitive en 1438, après une longue lutte contre Jacqueline de Bavière, des comtés de Hainaut, Hollande et Zélande et de la seigneurie de Frise; achat en 1441 à Elisabeth de Görlitz de ses droits sur le Luxembourg, suivi de la conquête de ce pays. Remarquons ensuite que, dans son principe, cette politique d'acquisition territoriale n'est pas originale. Elle n'a eu nullement pour point de départ, comme Pirenne le croyait, l'intention de reconstituer l'ancienne Lotharingie. Elle se rattache, au contraire, à la politique de pénétration en Lotharingie pratiquée par les comtes de Flandre dès le XIe siècle et qui aboutit dès lors à la formation de la Flandre impériale; politique dont la continuation se retrouve encore à la fin du XIVe siècle chez Louis de Male, ainsi que chez son successeur Philippe le HardiGa naar voetnoot3. Car, ne l'oublions pas, Philippe le Bon, au début de son règne apparaît avant tout, dans les régions qui par la suite vont former les Pays-Bas, comme un comte de Flandre: la Flandre étant certainement sa possession la plus importante dans ces pays, tandis qu'en Lotharingie, sauf la Flandre impériale, il ne possédait que la seigneurie de Malines, précieuse sans doute à divers égards, mais minuscule du point de vue territorial. | |
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Or il importe de le souligner, c'est parce qu'il était le chef de sa maison que Jean de Flandre, comte de Namur, se tourna vers Philippe le Bon lorsqu'il voulut régler sa succession au mieux de ses intérêtsGa naar voetnoot1. C'est comme bénéficiaire au second degré, si je puis dire, de la politique brabançonne de Louis de Male et de Philippe le Hardi qu'il obtint l'héritage du Brabant et du LimbourgGa naar voetnoot2. C'est aussi à la suite de la politique de rapprochement menée par Philippe le Hardi avec la maison de Bavière que le Hainaut et la Hollande finirent par lui revenirGa naar voetnoot3. Toutes ces acquisitions, on ne saurait trop y insister, ne furent d'ailleurs rendues possibles que par une série vraiment extraordinaire de hasards: absence de descendants légitimes du comte de NamurGa naar voetnoot4; stérilité de sa cousine Jacqueline de Bavière qui favorise non seulement l'acquisition du Hainaut et de la Hollande, mais aussi celle du Brabant - Jacqueline, en un de ses quatre mariages, ayant été l'épouse du duc Jean IV -; mort prématurée enfin de Jean IV lui-même et de son jeune frère et successeur Philippe de Saint-Pol, tous deux sans descendance légitime. Tant de hasards heureux n'ont pas été même sans susciter la suspicion, puisque Philippe le Bon fut accusé d'avoir fait empoisonner Philippe de Saint-Pol. Il semble bien cependant que sa mémoire doive être lavée de cette accusationGa naar voetnoot5. Le hasard encore continue à le favoriser par la stérilité d'Elisabeth de Görlitz, qui non seulement comme seconde femme d'Antoine de Bourgogne n'a pas donné à celui-ci d'héritiers en Brabant, mais n'eut pas d'enfants non plus d'un autre mariage avec Jean de Bavière, l'oncle de Jacqueline. Ainsi la succession en Hainaut et Hollande se trouve-t-elle facilitéeGa naar voetnoot6; ainsi l'occasion s'offre-t-elle de l'acquisition du Luxembourg. Sans doute, cette occasion Philippe a-t-il su la saisir et a-t-il | |
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su pour cela, comme lorsque le cas l'avait requis pour les acquisitions précédentes, recourir à la double persuasion des armes et de l'argentGa naar voetnoot1. Mais, malgré tant d'interventions opportunes, il n'en reste pas moins que, réalisé en grande partie à la faveur du hasard, le rassemblement de territoires effectué par Philippe n'a pu être que dans une mesure très relative une entreprise systématique. Il n'empêche évidemment point que le duc ait pu s'inspirer, soit dès le début, soit à un moment donné, du désir de constituer un Etat nouveau. Mais, pour soulever cette question, encore fautil que quelque raison y incite. Car, on pourrait, à la fin du moyen âge, trouver pas mal de princes qui, par le jeu des successions, ou par leur action personnelle, ou encore par la combinaison de l'un et de l'autre, ont réuni entre leurs mains un nombre plus ou moins impressionnant de principautés, s'étendant parfois sous des souverainetés différentes: on n'en saurait donner de meilleur exemple que le comte de Flandre Louis de Male, déjà cité, qui à sa mort possédait dans le royaume de France, outre le comté de Flandre, ceux d'Artois, de Nevers et de Rethel, et dans l'Empire, en plus de la Flandre impériale, la Franche-Comté de Bourgogne, Anvers et Malines. Personne cependant ne l'a jamais soupçonné d'avoir voulu créer un Etat indépendant entre la France et l'Empire. Pour Philippe le Bon existe-t-il des raisons de le faire? A cette question, il faut répondre incontestablement par l'affirmative. Au cours de négociations menées avec le roi des Romains Frédéric III en 1447 afin de régulariser les acquisitions faites par le duc dans l'ancienne Lotharingie - acquisitions dont jusqu'alors l'autorité impériale avait refusé de reconnaître la légitimité, - on voit apparaître un projet d'effectuer cette régularisation en accordant à Philippe un titre de roi et l'on voit le duc demander que le royaume qui serait ainsi créé pour lui comprenne tous ses pays ‘de par deça estans en l'Empire’. Revendication excluant donc la Franche-Comté, mais englobant, par contre, expressément la Frise orientale, dont le roi des Romains soutenait la résistance contre le duc. Celui-ci souhaitait en outre que soient subordonnées, par un lien de vas- | |
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salité, au royaume à créer toutes les principautés laïques situées ‘en basses Allemaignes’, depuis le duché de Lorraine au sud, jusqu'à celui de Gueldre au nord et au comté de la Marck à l'est. Pour justifier ces vastes prétentions est évoqué le souvenir de l'ancienne Lotharingie. Il l'est de façon plus précise encore pour obtenir que le nouveau royaume devienne indépendant de l'Empire. En osant présenter au roi des Romains pareilles propositions qui ne visaient à rien moins qu'à un large démembrement de l'Empire au profit de la maison de Bourgogne, Philippe le Bon se leurrait certainement, tant sur la possibilité pour Frédéric III d'obtenir de la diète impériale un pareil renoncement que sur la volonté même du roi des Romains de pousser à ce point sa condescendance à l'égard de Philippe, fût-ce pour obtenir le mariage de l'héritier de celui-ci, Charles de Charolais, avec une princesse autrichienne. Frédéric refusa donc, mais proposa à Philippe l'érection du Brabant en royaume vassal de l'Empire. Les pourparlers ne furent pas poussés plus loinGa naar voetnoot1 et une histoire qui ne tiendrait compte que des réalisations effectives ne leur accorderait aucune importance. Par ce qu'ils nous apprennent sur les intentions politiques de Philippe le Bon, ils sont, au contraire, d'un intérêt primordial. Aussi convient-il de soumettre à un examen serré les documents qui nous les rapportent. L'érudit autrichien Jos. Chmel, au moment où ils furent mis à jour, voici plus d'un siècleGa naar voetnoot2, les interpréta en ce sens que c'est à la suite d'une demande de Philippe le Bon qu'il fut question pour lui d'un titre royal et que, si cette demande fut formulée par Philippe, c'est que celui-ci avait conçu l'érection de ses Etats en royaume comme l'achèvement de son oeuvre de rassemblement territorialGa naar voetnoot3. On ne manqua pas par la suite, de mettre cette revendication en rapport avec l'origine lotharingienne prêtée à la politique territoriale de PhilippeGa naar voetnoot4. | |
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Telle n'est pas à mon sens l'interprétation valable. Tout d'abord, c'est en se fondant sur une simple vue de l'esprit que Chmel a attribué à Philippe le Bon l'initiative de demander une couronne royale. Mais cela est contraire à une déclaration formelle de la chancellerie bourguignonne disant que ‘cest chose ne procede point du mouvement de mondit seigneur’. Rien n'autorise à mettre en doute cette affirmationGa naar voetnoot1. Aussi bien, M.A. Grunzweig a-t-il rendu très vraisemblableGa naar voetnoot2 l'hypothèse que l'initiative partit d'un intermédiaire, le roi d'armes des Ruyers, Henri de Heessel, qui était à la fois au service de Frédéric III et de Philippe le Bon. C'est Heessel, personnage pas trop sérieux, semble-t-ilGa naar voetnoot3, qui dut suggérer au chancelier de l'Empire, Gaspard Schlick, de proposer à Philippe le Bon un titre royal rattaché soit au Brabant, soit à la Frise, ce que Schlick s'empressa de faire, car il s'attendait - et Heessel aussi sans doute - en cas de réussite, à être richement récompensé par le ducGa naar voetnoot4. Ce qui frappe, d'autre part, dans les revendications de celui-ci, c'est l'évocation du précédent lotharingien. Jusqu'alors, nous l'avons vu, la politique de pénétration bourguignonne dans l'ancienne Lotharingie n'apparaissait que comme la continuation de celle menée précédemment par les comtes de Flandre. L'évocation de la Lotharingie représente donc un élément nouveau. Il ne faut pas hésiter à mettre son apparition en rapport avec l'acquisition du duché de Brabant, dans les milieux dirigeants duquel les traditions lotharingiennes étaient restées vivaces: les ducs de Brabant, en effet, étaient les héritiers des anciens ducs de Basse-Lotharingie et ils continuaient, d'ailleurs, à porter parmi leurs titres celui de duc de Lothier (dux Lotharingiae). Après que ce titre eut perdu toute valeur effective, les princes brabançons s'étaient efforcés avec une remarquable continuité de rétablir leur autorité, de l'une ou l'autre manière, sur l'ensemble des territoires ayant formé l'ancien duché, c'est-à-dire sur toutes les principautés s'étendant entre le Brabant et le | |
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RhinGa naar voetnoot1. Il est donc significatif de voir Philippe le Bon en 1447 réclamer une souveraineté sur les mêmes régions. Il l'est aussi que, pour développer ses prétentions en la matière, il s'en remit à son garde-chartes de Brabant, Adrien van der EeGa naar voetnoot2. Remarquons cependant que Philippe en réclamant l'indépendance de ces régions allait plus loin que n'avaient jamais été les ducs de Brabant. Cela aussi est significatif, car cela prouve qu'à l'égard de l'Empire ce que souhaitait avant tout Philippe c'était d'en sortir. C'est ce que corrobore le manque d'intérêt avec lequel il accueillit les propositions qu'on lui fit de le porter à la dignité de roi des RomainsGa naar voetnoot3. Et ce qui achève de le démontrer, c'est que la proposition d'ériger le Brabant en royaume vassal de l'Empire ne fut pas retenue par lui: elle aurait eu l'inconvénient de resserrer les liens qui rattachaient cette principauté à l'Empire, alors que dans la pratique ils étaient réduits à rienGa naar voetnoot4. Autre constatation encore à propos de ce projet de royaume indépendant: c'est que dans celui-ci ne devaient être comprises que des principautés situées dans l'EmpireGa naar voetnoot5. Les possessions de Philippe dans le royaume de France ne devaient, par conséquent, pas en faire partie. Cette différence est également significative: elle prouve que Philippe entendait bien rester un prince français. On peut croire que ce n'était pas seulement par sentiment, mais aussi parce qu'il ambitionnait toujours de jouer dans le royaume un rôle analogue à celui qu'y avaient tenu son père et son grandpère. Remarquons, en effet, que la possession d'un royaume indépendant aux frontières de la France n'eût pu manquer de renforcer encore son prestige en France mêmeGa naar voetnoot6. Sa position par | |
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rapport à la France n'eut-elle pas été comparable à celle dans laquelle se trouva par rapport à l'Allemagne l'électeur de Brandebourg après qu'il fut devenu roi de Prusse? Cette reconstitution d'un royaume lotharingien allait-elle pour autant être désormais un des objets primordiaux de la politique ducale, allait-elle devenir une des ‘grandes pensées du règne’? Nullement, lorsque douze ans plus tard, des négociations sont reprises au sujet du statut des fiefs impériaux de Philippe, si celui-ci fait encore allusion à la Lotharingie, ce n'est plus pour demander sa reconstitution en royaume indépendant, c'est beaucoup plus modestement pour justifier ses droits sur ces fiefs: il y attribue à une survivance lotharingienne ce que l'on nommait le jus brabantinum, c'est-à-dire l'hérédité des fiefs en ligne masculine. Ainsi s'affirme encore l'origine brabançonne de ces traditions lotharingiennesGa naar voetnoot1.
Que Philippe le Bon, par contre, n'ait pas voulu rendre ses fiefs français indépendants se marque nettement aussi sur le plan des institutions. A cet égard la subordination de ces principautés au royaume se traduisait par la juridiction d'appel qu'y exerçait le Parlement de Paris. On a dit que Philippe aurait voulu faire cesser cette sujétion pour la Flandre, afin de comprendre ‘cette principauté avec celles de l'ancien Lothier dans une armature d'institutions, de manière à créer... un état monarchique sur le modèle... de la monarchie française’Ga naar voetnoot2. Rien n'est moins exact: jamais Philippe n'a voulu supprimer la juridiction du Parlement de Paris sur la Flandre. Il s'est borné à en contester la légitimité dans certains casGa naar voetnoot3. Aussi | |
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bien, résulte-t-il, de l'étude, entreprise par mon collègue gantois M. Van Caenegem, de l'ensemble des appels de Flandre au Parlement de Paris que ces appels ne furent jamais aussi nombreux que sous le règne de Philippe le BonGa naar voetnoot1.
L'épisode de la fuite du dauphin Louis, qui en 1456 vint se réfugier dans les Etats de Philippe le Bon, permet de constater combien, à cette date encore, les questions politiques françaises primaient chez le duc. Celui-ci faisait campagne à ce moment pour imposer son bâtard David comme évêque d'Utrecht: après avoir recueilli la soumission de la ville d'Utrecht, il assiégeait Deventer et se proposait ensuite, dit Chastellain, de marcher à la conquête de ‘son royaume de Frise’Ga naar voetnoot2. Cette conquête d'un ‘royaume’Ga naar voetnoot3 dans l'Empire, Philippe la sacrifie en décidant, malgré un premier avis défavorable de ses conseillers les plus influents, Rolin et Croy, d'accueillir le dauphinGa naar voetnoot4. Est-ce par esprit chevaleresque, comme le suggère le même Chastellain, ou parce que, dans les préoccupations du duc, les affaires de France continuaient à primer toutes les | |
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autres? L'intention ouvertement proclamée par le duc de se poser en médiateur entre Charles VII et son fils ne laisse guère de doute sur la réponse à faireGa naar voetnoot1. Quand, cinq ans plus tard, meurt Charles VII, le rêve de Philippe paraît se réaliser: il reçoit les ‘révérences’ de l'Université et du Parlement de ParisGa naar voetnoot2; préside à Reims à l'organisation du sacre de Louis XIGa naar voetnoot3 et, en qualité de doyen des pairs, pose la couronne sur la tête du nouveau roiGa naar voetnoot4; puis, il le suit à Paris, fait une entrée triomphale dans cette ville et va se réinstaller, au quartier des halles, où une ‘multitude de monde... avoient une ancienne faveur envers lui’, en cet hôtel d'Artois où logeaient ses ancêtresGa naar voetnoot5. Le gouvernement de la France semblait revenu aux mains des Bourguignons, comme à la veille du meurtre de Jean sans Peur. Mais ce n'était qu'apparence. Louis XI n'était pas homme à se laisser ainsi mener à la lisière. Tandis qu'il n'accorde à son ‘bel oncle’ aucune influence réelle, il le comble de bonnes paroles et d'honneurs. Mais c'est pour mieux l'incliner à ses propres vuesGa naar voetnoot6. Profitant du désir du vieux duc d'accomplir enfin la croisade contre les Turcs qui avait été une des préoccupations constantes de sa vieGa naar voetnoot7, jouant habilement de la désunion régnant depuis quelques années entre Philippe et son fils, le comte de | |
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CharolaisGa naar voetnoot1, ayant su s'assurer à la cour bourguignonne l'appui précieux des seigneurs de Croy, Louis détermine le duc en 1463 à accepter le rachat des villes de la SommeGa naar voetnoot2. Mais le duc, son consentement accordé, avait presque aussitôt regretté de l'avoir donnéGa naar voetnoot3. Cette cession, qui diminue dans le royaume sa position vis-à-vis du roi, ne va-t-elle pas droit à l'encontre précisément de son rêve de domination bourguignonne en France? Cette crise de conscience de Philippe aura finalement pour suites la disgrâce des Croy, la réconciliation avec Charolais et l'alliance avec les autres princes français dans cette guerre du Bien Public dont l'objectif est d'assurer à ceux-ci le gouvernement du royaumeGa naar voetnoot4. Elle offrait en outre à Philippe l'occasion de reprendre les villes qu'il se reprochait d'avoir abandonnées. Après Montlhéry, le comte de Charolais en obtint effectivement la restitutionGa naar voetnoot5. Malgré ce dernier succès, c'est, somme toute, si l'on voit les choses de plus haut, comme un échec que nous apparaît le règne de Philippe le Bon en ce qui lui tenait le plus à coeur. Un échec, il le connut aussi dans cet autre projet, dont il conviendrait maintenant de montrer - mais ce serait abuser de votre patience - combien il lui était cher: la croisadeGa naar voetnoot6. Qu'il suffise de constater qu'il ne fut jamais possible à Philippe de l'entreprendre personnellement, avec toute sa puissance et porteur de la bannière de FranceGa naar voetnoot7, comme il l'aurait voulu, et qu'il dut se contenter d'interventions réduites. | |
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C'est par contre, dans un autre domaine, que le succès favorisa ses entreprises: celui des acquisitions territoriales. Il serait contraire à la vérité, sans doute, de dire que c'était là pour lui objet secondaire. Ces acquisitions ont certainement eu une très grande place dans ses préoccupations. Mais elles paraissent bien, tout compte fait, avoir représenté pour lui des accroissements de ressources et de puissance destinés à lui permettre d'atteindre ces buts qui lui semblaient supérieurs: le gouvernement de la France, la défense de la chrétienté contre le Turc. Cela peut, avec le recul des siècles, nous paraître étonnant, mais s'explique aisément, si l'on tient compte de l'éducation de Philippe, nourrie des conceptions françaises de la primauté du royaume des fleurs de lys d'une part, de la précellence des vertus chevaleresques de l'autre. Aussi lorsqu'il prête hommage à Louis XI, lui promet-il le ‘service’, non seulement des terres qu'il tient du roi, mais, ajoute-t-il, ‘de tous mes autres pays que je ne tiens point de vous’Ga naar voetnoot1. Philippe n'avait rien assurément d'un fondateur d'Etat moderne. On le constate particulièrement dans le domaine des institutions, qui ne l'intéressait guère et où, à la différence de ce qui devait se produire sous son successeur, passionné d'organisation, rien de systématique ne fut fait pour doter les diverses possessions ducales d'institutions communes, réserve faite de la Toison d'Or, exception qui s'explique d'elle-même et confirme la règleGa naar voetnoot2. Ce n'est donc pas un des moindres paradoxes de l'histoire que, pour la postérité, Philippe le Bon apparaisse avant tout comme le conditor imperii Belgici, le fondateur des Pays-Bas.
De discussie wordt geopend door Prof. Jansma, die een inlichting vraagt over de rol, die door de ‘Grand Conseil’ gespeeld is, met name met betrekking tot het beroep op het Parlement van Parijs. Prof. Bonenfant antwoordt, dat het stand- | |
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punt, dat de ‘Grand Conseil’ heeft ingenomen, niet altijd gelijk geweest is aan dat van Philips de Goede, zoals aan de dag getreden is na de vlucht van de Franse dauphin naar Bourgondië. Over het beroep op het Parlement van Parijs kan spr. zich niet uitspreken, daar hij de bronnen niet bestudeerd heeft. Prof. van Caeneghem denkt deze uit te geven. Op een vraag van Prof. Verbist, of Philips de Goede ondanks zijn jagen naar levensgenot terecht ‘très pieux’ genoemd is, antwoordt Prof. Bonenfant met een verwijzing naar het overgangskarakter van de tijd, waarin de vorst geleefd heeft. Grote tegenstrijdigheden in het optreden hebben zich daarbij voorgedaan. Verder bevestigt spr. een opmerking van Prof. Verbist over het streven naar een koningskroon door Karel de Stoute. Deze heeft in tegenstelling met zijn vader een politiek van ‘los van Frankrijk’ gevolgd, getracht zich tot Rooms Koning te laten verkiezen en zich zo de successie in het Rijk te verzekeren, en over zijn landen wel gesproken als ‘royaume de Bourgogne’. Prof. Post vraagt, of Philips zich ten aanzien van de Franse dauphin niet méér heeft laten leiden door ridderlijke ideeën, zoals Huizinga gesteld heeft, dan door politieke. Prof. Bonenfant wil het ridderlijke element niet uitsluiten, doch acht dit niet primair. De beraadslaging met zijn raadgevers betrof de te volgen politiek. De Heer Van Voorst tot Beest stelt een vraag naar het tijdstip, dat Philips de bijnaam de Goede ontvangen heeft. Prof. Bonenfant antwoordt, dat deze onder Maria van Bourgondië opgekomen is. Na de geboorte van haar zoon is haar verzocht deze Philips te noemen ter herinnering aan de goede hertog. Diens regering stak gunstig af bij die van Karel de StouteGa naar voetnoot1. De Heer Goslinga ontvangt op de door hem gestelde vraag het antwoord, dat Brussel in de tijd van Philips nog niet als de hoofdstad beschouwd kan worden. Het regeringscentrum verplaatste zich met de vorst. In de laatste jaren van zijn leven heeft deze echter wel vaak te Brussel vertoefd. De Voorzitter dankt na afloop van de discussie de spreker zeer hartelijk voor zijn voordracht en schorst daarna de vergadering.
Na de heropening te 2 uur geeft de Voorzitter het woord aan Prof. Dr. I.J. Brugmans, die op zich genomen heeft te spreken over: |
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