Bijdragen en Mededelingen van het Historisch Genootschap. Deel 73
(1959)– [tijdschrift] Bijdragen en Mededeelingen van het Historisch Genootschap– Auteursrechtelijk beschermd
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La correspondance commerciale au XVIe siecleMonsieur le Président, Mesdames, Messieurs et chers Confrères,
Vous ne serez pas surpris que je considère comme un honneur de faire la conférence annuelle d'ouverture de vos travaux. Je vous remercie de m'y avoir invité. J'aurais mauvaise grâce à m'appesantir sur votre crédit, sur votre audience dans notre monde des historiens, où vous représentez avec autorité la sérieuse et distinguée école hollandaise. Indépendamment de cet honneur, je ressens un plaisir sincère à retrouver bon nombre de collègues avec qui les occasions de rencontre sont trop rares, malgré le réseau de vives sympathies qui nous relie. Dois-je ou puis-je, comme tous les conférenciers, comme le colporteur qui ouvre sa hotte, comme le messager du XVIe siècle qui ouvrait la ‘bottelette’ suspendue à sa ceinture, vanter le sujet que je dois traiter devant vous? Il est minime en apparence: le courrier des marchands, - des feuilles volantes d'autrefois. Comme d'aujourd'hui. Mais ne s'agit-il pas de l'un des moteurs essentiels de l'activité économique? Au XVIe siècle comme de nos jours. Songez aux effets d'une grève des postes: le commerce et bientôt toute la production industrielle tombent en léthargie.... Pour nous, historiens, un point particulier s'offre à nos curiosités. Comment le courrier se transmettait-il au XVIe siècle? Quelles étaient son intensité et sa régularité? Comment soutenait-il, stimulait-il le labeur commercial? Dans quelle mesure commandait-il le rythme des affaires, son propre mouvement commandait-il le leur? Un important historien économiste américain, le Professeur Gras, a déclaré: ‘le marchand sédentaire écrivait beaucoup de lettres’: ce n'est pas douteux. Un de mes amis, largement connu pour sa spécialité, déclarait naguère: ‘le marchand restait dans son comptoir et, de même qu'il envoyait ses marchandises par les rouliers ou les capitaines de navires, il donnait ses ordres au loin par lettres’: ceci est une simplification optimiste. Elle se comprend, en grande partie à cause de l'abondance même de la littérature sur le sujet, qui remplirait des pages entières. Sur le seul domaine dont je m'occuperai plus spéci- | |
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alement, les échanges aux Pays-Bas mêmes et entre eux et la France, un peu aussi l'Italie, je veux simplement citer des publications de correspondances particulières par M. Grünzweig, Mme Edler-de Roover, M. Verlinden et, assez à part, M. Battistini. Un travail de M.J. Devos a traité de la poste diplomatique entre les Pays-Bas et l'Espagne; un ouvrage général, remarquablement documenté, de M. Eug. Vaillé, est pour la France un livre fondamental, destiné à durer longtemps. Dans ces deux derniers travaux, les auteurs ont été entraînés par les résultats très intéressants de leurs recherches: par de brèves échappées, pour eux accessoires, sur les facilités offertes aux marchands par les postes publiques, ils ont justifié parfois les idées favorables au développement de la correspondance commerciale qui sont généralement admises. Je laisse de côté ici la composition, la forme habituelle des lettres, les modes matériels des envois et la durée précise des transmissionsGa naar voetnoot1.
Les transports du courrier pouvaient se faire par des messagers privés, le plus souvent individuels, et par des services collectifs, inégaux et de destinées différentes. Ces méthodes très variées aboutissaient à des résultats efficaces, dans une intense confusion, dont l'ensemble fut pourtant marqué par un progrès certain. | |
ILes transports privés du courrier étaient le fait ou des marchands eux-mêmes ou des messagers de profession. Il est bien connu que les grands marchands, les maisons de commerce à filiales avaient depuis des siècles leurs propres messagers. Les Italiens furent sur ce point, comme pour tant d'autres techniques commerciales, des initiateurs dès le coeur du Moyen Age. Les Medici, Francesco di Marco Datini, de Prato, entretenaient une correspondance abondante avec leurs facteurs et associés: les archives du second contiennent au moins 140.000 lettres. Celui qui, à la fin du XVe et au début du XVIe siècle, porta ce genre d'organisation à son plus haut degré | |
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fut Jakob Fugger, l'homme le plus riche de son temps: son réseau de renseignements était mieux agencé que celui de Maximilien lui-même, au service de qui il le mit fréquemment. Les Affaitadi, d'Anvers, disposaient vers 1540 d'une organisation dont nous ne connaissons pas le détail, mais qui pouvait dépasser leurs intérêts propres. Des marchands moins en vue, mais encore importants, étendirent peu à peu ce système au cours du XVIe siècle. Pendant sa première moitié, les Van der Molen, d'Anvers, étaient en contact plus ou moins régulier avec leurs associés italiens, - comme, d'ailleurs, avec leurs correspondants flamands. De grands marchands lillois, unis à Anvers de 1560 à 1566 dans un même effort d'accaparement des grains, étaient renseignés chaque jour à certains moments par des courriers rapides entre Amsterdam et le port de l'Escaut. A la fin du XVIe siècle, les facteurs de Van Adrichem, de Delft, lui écrivaient de la Baltique, en particulier de Dantzig, aussi souvent qu'ils le pouvaient. Habituellement les marchands confiaient des lettres soit aux charretiers - ainsi des lettres de Lyon pour l'Angleterre en 1549, de préférence aux ‘conducteurs’ de grandes firmes internationales, par exemple, en 1542, du même Lyon pour Anvers -, soit à des capitaines de navires, - de Bordeaux, de La Rochelle vers Anvers et inversement. Des groupements semi-publics de marchands pouvaient aussi disposer librement d'un service de messagerie. A l'exemple de l'Arte di Calimala florentine dans le passé, à Anvers, ‘la nation des Italiens’ - dont l'unité contraste avec les ‘nations’ traditionnelles - disposait, au moins à partir de 1538, certainement de 1561 à 1577, d'un même messager attitré. Naturellement, en cas de nécessité, tous les marchands envoyaient ou faisaient envoyer des messagers exprès: en 1568, le facteur à Anvers d'une branche des Welser envoyait en France un ‘messager à cheval’, ancien serviteur de grands marchands; en 1575, à la suite d'un incident de navigation, un marchand faisait porter de Roscoff à Rouen un message qui était transmis ensuite à Anvers par les messagers ordinaires. A côté de ces envois directs, un usage tout à fait courant jette un jour intéressant sur les moeurs commerciales du temps:Ga naar voetnoot1 | |
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les marchands se confiaient mutuellement leurs lettres. Tantôt ils profitaient du départ d'un messager de grande maison: en 1538, des lettres des Van der Molen étaient envoyées les unes à Lyon, les autres à Rome ‘per posta sotto gli Affaitadi’, ou ... ‘sotto Formento’, un correspondant romain qui distribuait les lettres destinées à ses confrères. Tantôt ils remettaient tout simplement une ou des missives à un marchand en partance. La plus puissante des sociétés commerciales de la fin du XVe et du début du XVIe siècle, la Grosse Ravensburger Gesellschaft, employait couramment l'un et l'autre procédé. Les correspondants de Van Adrichem y recouraient encore.
Les marchands étaient aussi, sans aucun doute, les principaux clients des messagers de profession. Le métier de ceux-ci était exercé depuis le Moyen Age dans les centres les plus divers. Au XVIe comme aux siècles antérieurs, ils se partageaient encore en ‘messagers à cheval’ et ‘messagers de pié’. C'était à eux que l'on appliquait habituellement le nom de ‘messagers des marchands’. A l'occasion, ils sollicitaient euxmêmes leurs clients, rassemblaient lettres et paquets: ordinairement bijoux et objets précieux, monnaie - d'or surtout -; en 1580, d'Anvers à Paris, l'un d'eux emportait un orgue. Artisans mobiles, bon nombre d'entre eux travaillaient à leur gré. Leur métier était toujours pratiqué à la fin du XVIe siècle: en 1585-86, un messager portait du courrier entre Anvers et Rouen; en 1595, un autre, Ligueur venu avec des réfugiés, habitué d'abord à faire la navette entre Rouen et Calais, faisait depuis trois ans le service entre Rouen et Anvers et déclarait vouloir continuer, ‘s'il plaisait à Sa Majesté’. | |
IILe transport du courrier des marchands pouvait être assuré, à côté de ces moyens de caractère privé, par des services collectifs, les uns semi-publics, les autres dépendant directement des autorités publiques. Les plus anciens étaient les messageries des Universités. La plupart de ces dernières avaient organisé la transmission des lettres et envois de leurs étudiants. L'Alma Mater parisienne disposa de l'administration la plus développée. C'était la Faculté des Arts qui la gérait. Les charges de messagers jouis- | |
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saient de nombreuses et profitables immunités et exemptions, qui leur attirèrent au cours du XVIe siècle des contestations et procès à peu près incessants, mais qui assuraient leur persistance. Elles constituaient de petites entreprises qui se transmettaient comme des offices et qui pouvaient être aux mains de gens de métiers divers, de marchands: un drapier parisien, messager sur Anvers, appartenait à une catégorie diverse et fort large. En 1558, un décret de l'Université obligea les messagers à résider à Paris; mais, en 1573, l'un d'eux qui desservait Anvers était signalé comme ‘woonende tot Brugge’. Ils travaillaient dans les mêmes conditions que les autres messagers et avaient droit au transport des voyageurs: ou ils leur fournissaient des cheveux ou ils les emmenaient en voiture. Les messagers de l'Université de Paris venaient encore couramment aux Pays-Bas au XVIe siècle: au hasard d'une documentation très dispersée, certains apparaissent à Anvers en 1490, en 1567, en 1571, deux en 1573. Encore au milieu du XVIIe siècle, leur activité persistait au service des marchands.
Les messageries urbaines ouvrent pour nous la catégorie des postes officielles. Les villes avaient employé de tout temps des messagers, soit professionnels, soit d'occasion. Même les plus évoluées envoyaient encore certains de ces derniers au loin à une époque tardive: en 1531, le magistrat de Toulouse, chez qui un service municipal pourrait avoir été mis en train avant la fin du XIVe siècle, chargeait un peintre de porter à Anvers ‘unum paccetum litterarum’ (il devait faire le voyage d'aller en quinze jours et rapporter les réponses le plus tôt possible). Depuis le Moyen Age, l'économie s'organisait partout d'une façon plus ou moins systématique dans les cadres urbains. Les messageries s'y engagèrent aussi progressivement: les autorités municipales les prirent partout en main. Beaucoup de villes les avaient inaugurées, parfois bien constituées au XVe siècle: d'autres ne les avaient pas encore mises en forme au XVIe siècle. En France, un progrès caractéristique fut marqué à Toulouse en 1549. Accordant à la ville la faveur d'une juridiction consulaire, Henri II, suivant une méthode familière à la royauté, lui imposa une charge de caractère national: Toulouse devait chaque semaine assurer le départ d'un courrier vers Paris, vers Bordeaux et vers Lyon. Le service allait être amélioré en 1573. Aux Pays-Bas, toutes les villes envoyaient et recevaient des | |
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messagers. Anvers disposait d'un corps d'agents, qui réclamaient en 1562 une augmentation de leur salaire. En 1580, un messager ‘ordinaire’ allait à Nuremberg (d'où il en était déjà venu un au moins dès 1512); en 1581, ils étaient six qui assuraient la liaison avec Dantzig, avec un départ toutes les trois semaines. Il en venait de tous les horizons: de nombreuses villes allemandes tout au long du XVIe siècle, d'Angleterre en 1567; de Paris, il en est signalé six de 1567 à 1578, mais nous ignorons s'il s'agissait de travailleurs indépendants ou d'agents du magistrat. Partout, les messageries urbaines devaient continuer à se développer au cours du XVIIe siècle, malgré les attributions de monopoles par les gouvernements aux postes d'Etat.
C'est à celles-ci qu'appartenait l'avenir. Elles commencèrent de s'organiser dans la plupart des pays de l'Ouest européen au cours du XVe siècle. Les ducs de Bourgogne les avaient ébauchées dans la première moitié de cette époque; Charles le Téméraire les améliora dans le même temps où Louis XI créait en France des services cohérents. Dès 1451, les Habsbourgs avaient établi une liaison entre le Tyrol et la Styrie et en avaient confié l'entreprise aux Turn und Taxis. En 1501, l'un de ceux-ci était nommé ‘capitaine et maître des postes’ aux Pays-Bas. Les progrès de l'organisation furent marqués par les dates de 1505 (attribution aux Turn und Taxis, spécialement au départ de Bruxelles, de la poste vers l'Allemagne, la France et l'Espagne), 1516 (précision de l'administration), 1547 et 1551 (précisions nouvelles des services et liaison plus étroite avec les organes du gouvernement). En 1586-87, Farnèse voulait leur donner la forme d'une administration moderne. Destinées d'abord au service de l'Etat, elles lui furent réservées assez longtemps. Mais dès la première moitié du XVIe siècle, les particuliers avaient commencé d'en user. Quand, en 1528, le magistrat d'Anvers parlait des ‘posten, boden ofte coureurs’ qui emportaient les lettres des marchands, il ne fait aucun doute qu'il comprenait dans leur ensemble les agents des Turn et Taxis. A partir de la décennie suivante, leur poste est mentionnée à diverses reprises dans les textes qui concernent les marchands. Vers 1560, Plantin avait l'habitude d'envoyer des paquets par leur intermédiaire et Léonard de Taxis était un de ses fidèles clients. En 1556, le gouvernement de Bruxelles leur accordait le monopole - théorique - du | |
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transport des lettres et interdisait à tous autres d'emporter lettres ou paquets à l'étranger sans autorisation. La poste mettait aussi des véhicules à la disposition des particuliers: à plusieurs reprises, des marchands d'Anvers en usèrent vers la France ou pour en revenir; l'un d'eux, en 1569, allait ‘en hâte’ au Portugal ‘à la poste’. En France comme partout, la poste du prince fut d'abord chargée spécialement du courrier officiel. Louis XI avait institué un organisme ambulant: il créa des ‘routes’ de chevaucheurs sur divers parcours, limités en nombre, variables, et il installa des postes de chevaux de place en place. Des actes nombreux de François Ier instituèrent peu à peu des services plus précis. La poste royale se mit insensiblement au service du public, les courriers se procurant plus ou moins ouvertement des ressources complémentaires de leurs gages. Dès 1507, les marchands avaient pu louer des chevaux aux maîtres des postes. En 1550, le lieutenant-général du roi en Languedoc déplorait ‘les abus qui se commettent journellement sur le port des paquets et lettres des particuliers qu'aucuns des chevaucheurs et ceux qui tiennent poste audit gouvernement reçoivent et font courre en grand nombre pour leur plaisir et pour se gratifier’. Dans la deuxième moitié du siècle, la poste française, à l'occasion, assurait la liaison avec des messagers aux Pays-Bas. En 1576, les messagers royaux, nouvellement institués par le roi, se virent attribuer le monopole du transport des lettres. | |
IIILe tableau qui précède répartit dans une relative clarté les modes divers des ‘transmissions’ au XVIe siècle. Il expliquerait assez bien l'idée favorable que nous nous faisons sommairement de leur fonctionnement. A vrai dire, tel quel, il simplifie des réalités fort complexes qui ne s'inscrivaient pas toujours docilement dans ce schéma et dont les incertitudes se sont trahies çà et là dans notre exposé même. Entre les messagers indépendants et leurs confrères engagés au service des villes, même messagers ‘ordinaires’ ou ‘jurés’, la distinction est souvent, pour nous, difficilement perceptible. D'autre part, beaucoup de messagers urbains faisaient des affaires pour leur compte. Quelle était la situation économique | |
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de ces hommes? - L'évolution des postes urbaines au XVIe siècle pose encore bien des petits problèmes. La distribution de leurs services était aussi floue que la condition de leur personnel. Après l'institution des courriers hebdomadaires à Toulouse en 1549, les messagers nommés par le magistrat opéraient chacun pour son compte dans le rayon qui lui était attribué. En 1568, un ‘messager ordinaire’ d'Anvers sur Rouen se trouvait à Saumur, où il proposait à un marchand rouennais de lui confier des lettres pour la capitale de la Normandie; en 1569, un ‘messager ordinaire’ d'Anvers vers Lille était ‘aulcune fois extraordinairement messaigier [d'Anvers] vers France’ et devait aller ‘plusieurs fois... en France pour les affaires des marchandises des marchans’. De même des messagers forains pouvaient desservir une autre ville que la leur: en 1572, un messager de Bruges était à l'hôtel à Anvers, se préparant à partir vers Paris. Les services d'appartenance juridique ou administrative différente travaillèrent parallèlement et parfois collaborèrent. En 1571, un ‘serviteur du maître des postes’ de France remettait à un messager de Cambrai un pli destiné à un marchand d'Anvers. Aussi bien aux Pays-Bas qu'en France, les monopoles de transport des correspondances particulières, accordés aux postes d'Etat, respectivement en 1556 et en 1576, n'empêchèrent la continuation ni des messageries privées, ni de celles des Universités et des villes. La coexistence et le développement certain des unes et des autres ne laisse aucun doute sur le progrès des échanges de courrier. Ainsi d'Anvers vers l'Italie, ces deux pôles de la vie commerciale: en 1538, il partait un courrier environ toutes les trois semaines: 12 en 8 mois; en mars 1539, il fut décidé entre les marchands - sans aucun doute les Italiens (‘novo ordine fato fra merchanti non si scrivera per Italia che una volta per mese, ogni 4 settemane una volta’) de ne plus en envoyer un que toutes les quatre semaines. Et c'était là une ligne particulièrement favorisée. Ce service semble bien avoir été maintenu avec régularité de 1542 à 1544, alors que la guerre fermait les routes de France. Les archives particulières et publiques révèlent un nombre de plus en plus grand des copies de lettres, des liasses de missives commerciales. Ce n'est ni par hasard, ni parce que l'époque tardive nous a laissé déjà beaucoup de documents. C'est bien davantage le signe d'une large extension et l'expression d'une intensité croissante du mouvement économique. | |
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Ce mouvement a été favorisé par une distribution partout plus active de la correspondance. Nulle part, aucune indication ne signale ni un arrêt, ni un ralentissement marqué de l' activité commerciale par la carence des transmissions d'ordres ou de règlements. Ce serait pourtant une illusion de croire que les messageries ont fonctionné généralement avec une sûreté et une régularité que nous sommes portés à transposer de notre époque à ce siècle déjà lointain. La relative cohésion des réseaux d'informateurs commandés par de grands marchands, les débuts d'administrations d'Etat dissimulent les tâtonnements de leurs services. Bien des aléas pouvaient retarder les lettres; bien des imprévus - mais n'étaient-ils pas plus ou moins escomptés en ce temps? - retardaient les messagers. Il faut retenir aussi les risques inhérents à l'acheminement des lettres par des confrères-concurrents. Même si l'on se défend de se poser en ‘laudator temporis acti’, on peut et on doit retenir les nombreux témoignages qui prouvent l'existence d'un climat général de bonne foi entre marchands; mais retenir également, avec les ordonnances et édits répétés contre les banqueroutiers, ce conseil impératif donné à l'un de ses facteurs par le chef d'une maison à filiales: si, en même temps que des lettres de son maître, il en recevait d'autres destinées à des marchands, il devait d'abord exécuter les ordres qu'il recevait et distribuer leur courrier à ses collègues ensuite, de peur qu'ils n'eussent reçu les mêmes instructions que lui. La confiance des Van der Molen dans les serviteurs des Affaitadi leur apporta aussi quelques déboires en 1539. Les abus des courriers signalés à Toulouse en 1549 furent sans doute des exceptions. La concurrence entre eux ne permettait guère leur extension. Mais l'inégalité des messagers, la variété de leurs modes de travail, longtemps aussi leur dispersion devaient fatalement agir sur la distribution de la correspondance. La diversité même de leur condition contredisait à une hâte générale. Un messager ordinaire d'Anvers, qui passait sept jours en Lorraine ‘dans les forêts’ en 1553 pour acheter de la verrerie, un messager de Paris, qui était à Anvers depuis ‘huit jours passez’ en 1578, le messager des Italiens qui, en 1577, accompagnait en Piémont un jeune garçon de bonne famille, un Grimaldi, ne travaillaient pas comme les cavaliers qui portaient des nouvelles urgentes. | |
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Leur irrégularité devait être générale, s'intégrer dans les habitudes du temps. Quand on regarde, pour le XVe siècle, la correspondance de la filiale des Medici à Bruges, les écarts des dates entre les lettres sont frappants. Partout, les informateurs restaient juges de la cadence de leurs envois et ils ne disposaient qu'en peu d'endroits de services réguliers. Au XVIe, la situation changeait sans doute, mais non d'une façon radicaleGa naar voetnoot1. En 1535, entre les deux capitales du commerce dans l'Europe de l'Ouest, le départ des lettres d'Anvers dépendait de l'incertaine ‘opportunité des courriers et postes prêts pour partir vers Lyon’. A la fin du XVIe siècle, le courrier envoyé de Dantzig aux Van Adrichem était loin de former une suite régulière. C'est là un des aspects sous lesquels devraient être examinés les ensembles de correspondance dont nous pouvons disposer. Un autre caractère important des services de messageries consiste dans les lacunes qui pouvaient exister entre eux, même dans des régions particulièrement actives et pour des centres importants. En 1538, Middelbourg se voyait disputer par Bergen-op-Zoom l'étape du commerce de la Rochelle. Il est inutile d'insister sur l'importance, à l'époque, du port de la Zélande et de celui de l'Aunis. Deux députés du premier arrivèrent à la Rochelle le 1er septembre. Il n'y avait pas dans la ville assez d'échevins pour constituer un collège, - contretemps caractéristique des moeurs, même commerciales, de ce temps, mais qui n'importe pas à notre propos. Les députés écrivirent leur première lettre le 11. Dans un post-scriptum, ils déclarent qu'ils n'ont pas pu l'envoyer ‘by faulte van een bode’. Ils devaient, enfin, être reçus en audience par le sousmaire le 22. Or, sans attendre l'issue de ce premier contact, ils envoyèrent leur lettre la veille, le 21, sans doute pour profiter d'une occasion de courrier ou de porteur. Ces faits parlent d'eux-mêmes. (Manifestement, les deux députés étaient surpris du manque de tout messager à la Rochelle: dans les Pays-Bas du Nord, pays d'économie relativement jeune, et surtout dans le complexe des embouchures des trois fleuves, il est probable que déjà les transmissions de correspondance étaient mieux organisées). - En 1551, le magistrat d'Armentières avait | |
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besoin de connaître les ordonnances urbaines sur le marché des laines à Rouen. La ville flamande, qui fabriquait encore quelques années auparavant environ 25.000 draps par an, était un centre industriel, sinon commercial, d'une importance économique très appréciable et ses habitants témoignaient d'une certaine initiative. Rouen n'était pas tellement loin de la Flandre et était constamment en contact, même par des courriers, et avec Lille, et avec Anvers: or, le magistrat d'Armentières trouva expédient d'écrire plusieurs fois à Calais et de payer, par moitié avec celui d'Ypres, intéressé par la même question, un marchand calaisien qui alla chercher à Rouen les documents désirés. En 1560, le courrier de Lyon à Anvers paraît avoir encore été exposé à bien des incertitudes, à en juger par le début de la lettre qui suit, écrite par un marchand à un confrère: ‘Sire Jehan, très cher amy, Sachez que votre frère Me Franchois m'a icy depuis peu de temps envoyé ses siennes lettres pour les vous fere tenir en poste, mais la commodité ne s'est pas offerte plus tôt. Ung peu après, j'en ay receu une aultre de Me Charles, laquelle je vous envoye aussy...’ - Même entre les deux centres essentiels d'Anvers et Amsterdam, si les routes étaient parfois parcourues par des courriers rapides pour le service des plus grands marchands, il est pour le moins curieux de voir comment les magistrats se renseignaient. En septembre 1565, l'insuffisance désastreuse de la récolte rendait fatale la disette, endémique depuis bientôt dix ans. Rentré depuis la veille d'une exploration décourageante dans les marchés de l'Artois, fournisseurs habituels d'Anvers, l'amman écrivait qu'il faudrait envoyer quelqu'un en secret à Amsterdam pour savoir comment greniers et épiers étaient pourvus et quels prix étaient pratiqués dans le port hollandais et en Oostland: ‘dat men yemandt zoude moegen schicken onbekendt zynde tot Amstelredamme oft voirdere om aldaer in 't secreet te vernemen hoe de solders ende spyckers gefurneert zyn, ende wat het coren aldaer gelt ende ogen wat in Oostlant gelt, ende oft men noch eenige mercwerdige quantiteyt van coren vuyt Oostlande is verwachtende’. D'Anvers à Amsterdam, la magistrat envoyer quelqu'un en secret, - même pour s'informer sur des prix et des approvisionnements existants! D'autres exemples donnent une semblable impression d'à peu près. Même dans les services officiels. En novembre 1582, des courriers allaient couramment des Pays-Bas à Lyon; d'autres de Lyon en Espagne: mais leurs services n'étaient pas | |
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coordonnés. Le vide qui les séparait était une survivance: il s'effaçait, mais lentement. Au total, il ne fait aucun doute que les messageries laissées à leur liberté traditionnelle, les institutions postales encore en plein devenir n'ont cessé de faire régner au XVIe dans la transmission des courriers commerciaux des aléas qui exigeaient un déploiement constant de l'initiative individuelle. Il n'est pas moins douteux que cette initiative a suppléé à l'imperfection de leurs moyens et de leurs méthodes. En 1568, un facteur de Simon Ruiz envoyait de Rouen à Medina del Campo trois textes d'une même lettre, par Nantes, par Paris et par mer. Le nombre des services s'est certainement accru, leur activité s'est intensifiée. S'il fallait indiquer un moment où ce mouvement s'est développé, où, en particulier le recours aux postes urbaines, puis nationales est devenu plus habituel, plus normal, on pourrait le placer, sans plus de précision, vers le milieu du siècle, sans doute même un peu auparavant. Les retards, l'irrégularité des courriers correspondaient à un rythme encore lent de toute l'activité commerciale et contribuaient à le maintenir. Ce rythme s'accordait au mouvement de toute la vie collective. L'accélération des ordres et règlements commerciaux devait transformer peu à peu, de façon radicale, les conditions des échanges de tous ordres.
Dans l'évolution des messageries s'inscrit le mouvement et des choses et de l'esprit. Les sociologues pouvent distinguer, du Moyen Age à la fin des Temps Modernes, la succession du travail libre, de la profession plus ou moins nettement organisée, du métier pris en main par les pouvoirs publics, - de la ville d'abord, de l'Etat ensuite. Les historiens des idées percevraient le passage progressif des esprits et des consiences d'un individualisme inspiré par des obligations et des disciplines essentiellement morales à l'encadrement dans des institutions plus formelles, plus contraignantes du dehors. De ce point de vue, un petit évenement de 1528 est éminemment caractéristique. L'empereur s'était élevé à plusieurs reprises contre l'espionnage au cours de ses guerres contre François Ier (qui en faisait autant de son côté) et il avait plusieurs fois mis en cause les marchands. Le 6 juin de cette année, les bourgmestres, échevins et conseil de la ville d'Anvers, assemblés dans la salle de leur conseil, prirent la délibération suivante: désormais, aucun marchand ou facteur d'aucun pays ou nation n'enverrait | |
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vers la France vers Venise, vers l'Italie (en Lombardie) aucune lettre ou missive par quelques ‘postes, messagers ou coureurs’ avant d'être venu à l'hôtel-de-ville et y avoir juré que ces lettres ou missives ne contiendraient aucun renseignement concernant en quelque manière la guerre ou les affaires du pays de notre très gracieux seigneur l'Empereur’ (egheene saken gescreven staen nopende oft angaende in eenige manieren der oorloghen oft secreten van den landen onsen aldergenadichsten heeren den Keysers). Les hommes qui gouvernaient le grand port n'étaient pas des moralistes, ils traitaient chaque jour des réalités de leur temps. Leur délibération et des ordonnances du prince qui l'avaient provoquée attestaient que les pouvoirs publics, en même temps qu'ils commençaient à régler les transmissions, en assumaient le contrôle. Mais l'usage du serment dans cette organisation et cette police s'apparentait à une atmosphère qui se transformait. Dans une évolution qui mena, en fait, du XIVe siècle à la fin de l'ancien régime, les services de messageries du labeur artisanal aux administrations impersonnelles, pourvues d'un monopole, le XVIe siècle avait marqué un tournant sans rupture.
Van de na de rede van Prof. Coornaert geboden gelegenheid tot discussie wordt het eerst gebruik gemaakt door Prof. Jansma, die informeert naar de rol in het briefverkeer gespeeld door de waarden, waarbij hij met name wijst op ‘les aubergistes de Dordrecht’. Prof. Coornaert antwoordt, dat ook elders, m.n. te Antwerpen, de waarden bij het briefverkeer betrokken zijn. Zij spelen er echter slechts een bescheiden rol in. Prof. Posthumus zou onderscheid willen maken tussen koopmansboden van land- en van zeesteden. Vanuit Amsterdam zullen op grote schaal brieven over de zeeweg vervoerd zijn. Prof. Coornaert acht Amsterdam een bijzonder geval. Antwerpen, de economische hoofdstad van de Nederlanden, heeft vooral landverkeer gekend. De ‘économie morcelée’ bracht het bestaan van verschillende systemen naast elkaar met zich mee. Dr. ten Brink zou een minder groot onderscheid tussen ‘officiële’ en ‘particuliere’ boden gemaakt wensen te zien. De concurrentiefactor moet men z.i. niet overdrijven. De zeeweg acht hij belangrijk, terwijl hij voorts nog de aandacht vestigt op het briefvervoer als ‘koopmanszaak’: er werd aan | |
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verdiend! In zijn antwoord wijst Prof. Coornaert op de bode van Antwerpen op Parijs, die koopman was te 's-Hertogenbosch. Op een vraag van Dr. Boerendonk over het onderscheid in rhythme tussen de verschillende handelswegen, verklaart Prof. Coornaert, dat de rivier een meer zekere verbinding vormde. Prof. Verlinden stelt, dat terwille van de snelheid de verschillende wegen tegelijk gebruikt zijn, hetgeen Prof. Coornaert bevestigt, er nog op wijzend, dat over het geheel het rhythme niet hoog is geweest. De Voorzitter dankt na afloop der discussie de spreker hartelijk voor zijn voordracht en schorst daarop de vergadering.
Te kwart over twee wordt de vergadering heropend en ontvangt Dr. L. de Jong gelegenheid tot het houden van zijn voordracht over: De verslagen van de parlementaire enquêtecommissie ‘Regeringsbeleid 1940-1945’ en hun waarde als historische bron. |
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