Bijdragen en Mededeelingen van het Historisch Genootschap. Deel 15
(1894)– [tijdschrift] Bijdragen en Mededeelingen van het Historisch Genootschap– Gedeeltelijk auteursrechtelijk beschermd
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Constantijn Huygens' journaal van zijne reis naar Venetië in 1620,
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perkamenten band, en beslaat daarin 152 bladzijden. In hetzelfde boek zijn eenige gedichten geschrevenGa naar voetnoot1). Van de brieven, die Huygens gedurende zijne reis schreef, zijn eenige bewaard gebleven, o.a. 8 aan zijne ouders en 3 aan zijn vader; zij bevinden zich bij de Lettres françaises in de verzameling der Koninklijke AkademieGa naar voetnoot2). Voor het meerendeel zijn die brieven niet zeer belangrijk en geven zij in het kort hetzelfde als de reisbeschrijving. Toch vernemen wij er enkele dingen door, die van elders onbekend zijn, o.a. de namen van eenige heeren, die Aerssen vergezelden, nl. één zijner zoons, Woestinghoven, P. Pau, Boelesz, Lintelo en Leewen. Van dat gevolg was Huygens de eenige, die Italiaansch sprak. Dat was dan ook de reden, dat hij door Aerssen tot secretaris van het gezantschap werd gekozen; de gezant heeft van die | |
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keuze geen berouw gehadGa naar voetnoot1). Huygens had gaarne te Padua willen promoveerenGa naar voetnoot2), maar het verblijf in Italië duurde te kort en hij wilde ook zijn ambt niet voor eenige dagen aan een ander afstaan. Toen dacht hij er over, om door Frankrijk terug te reizen en in Orleans te promoveeren, maar Aerssen raadde hem dat af, terwijl hij het ook minder goed vond, dat de jonge man in Venetië eene diplomatieke betrekking zou bekleeden, wat hij gaarne gewild had. Maar er werd hem door Aerssen uitzicht geopend op andere ambten en zoo keerde Huygens, in de vaste overtuiging, ‘que c'est une belle chose d'avoir la main à la paste’, naar het vaderland terug.
J.A.W. | |
Au nom du dieu vivant.
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sa compagne, et demeura avec eux une grosse demie heure; je les saluay depuis en particulier, et me firent l'honneur de me tenir à souper. Ce mesme soir on loua quatre chariots couverts et deux descouverts, pour nous mener jusqu'à Coloigne. Quelques uns des Estats d'Utrecht souperent avec Monsieur l'Ambassadeur. Le 27e du matin à six heures Monsieur le Conte Ernest vint trouver Monsieur l'Ambassadeur pour le mener en son carosse hors de la ville, comme il fit, et l'accompagna jusqu'au Bilt. Nous passames par Doren et Ameronghen etc. et arrivasmes à 11 heures au ponton devant Rhenen, traversames le Rhin, et ayants disné à l'hostellerie la pres, passames outre et arrivasmes vers les 6 heures du soir au ponton devant Nieumeghen; traversames le Wael, soupasmes et couchames à Nieumeghen, ou le Seigneur Gouverneur et quelques uns du magistrat firent compagnie à Monsieur l'Ambassadeur au souper. Le 28e entre 5 et 6 heures nous partismes de Nieumegen, avec le convoy de 20 chevaux de la compagnie de....Ga naar voetnoot1). Passames par Cranenborg et disnames à Cleves, ou le Seigneur Keteler, Baron de Montjoye, vint saluer Monsieur l'Ambassadeur et l'entretint quelque demie heure. Le Seigneur Lubigni, precepteur secretaire etc. de Son Alteze de Brandenbourg, disna avec luy. Apres midi on conseilla à Monsieur l'Ambassadeur de n'aller point coucher à Zanten, à cause de la garnison Espagnole, dont il print le chemin de Sonsbeecke, ou nous arrivasmes vers les 7 heures. A l'entrée il y eut quelque bruit, causé par un yvrogne de portier, qui ne voulut laisser entrer la cavallerie avec les chariots ensemble, tenant la grande porte fermée; de façon que deux des rei- | |
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tres, perdants patience, entrerent par la petite porte. Dont la povre bourgeoisie s'esmeut, et mit la main aux pieres et couteaux, mais soudainement ils cederent, n'ayant rien veu qu'une espee et un pistolet au poing. Nous y couchasmes cette nuit, la cavaillerie se retirant à une heure de chemin de la ville. Le 29e du matin à 5 heures nous partismes de Sonsbeeck; arrivasmes à 10½ à Moeurs et y disnasmes; ayants veu le chasteau et sa belle fortification, nous parlasmes à Yfgien la fille miraculeuse, qu'il y a 23 ans que n'a rien mangé ni beu. Apres disner sur le midi nous partismes de la et arrivasmes ce soir à 7 heures à Neus, et y couchasmes. Le soir apres souper il arriva qu'un gentilhomme des nostres, dechargeant une siene escopette par la fenestre, à plaisir, le peuple s'esmeut tellement à ce bruit, qu'en un instant les ruës furent tapissées de chandelles et lanternes, et nostre hostellerie assiegée d'une grand' presse de bourgeoisie, qui voulut avoir la raison de ce coup d'arquebuse à toute force; nous nous tismes coy dans le logis, faisant tuer toutes les chandelles, pour dissimuler le fait, et le leur fismes nier à plat; mais le feu de l'escopette nous avoit tellement descouverts, qu'ils ne reposerent pas, premier qu'avoir visité nos pistolets et arquebuses, nous venants mesmes mener tout ce bruit devant nos lits, comme desia estions couchez pour donner moins d'apparence: en fin on remit la faute sur le petit page de Monsieur l'Ambassadeur pour leur faire croire qu'il fust arrivé par mesgarde; puis l'hoste du logis, estant du magistrat, aida d'autant plus aisement à accommoder l'affaire, qui ne passa point sans frais, pour le compte du vin que beurent cette nuit les gardes dans le logis. Ces povres inhabitants n'eurent point du tout tort à s'esmouvoir sur si peu de subjet, veu que desia une mauvaise | |
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fois ils avoyent esté saccagez et pillez au signal d'un semblable coup d'arquebuse tiré apres la porte fermee et le guet assiz, comme on nous compta. Monsieur l'Ambassadeur ne sceut rien de cet accident que le lendemain. Le 30e du matin à 6 heures nous partismes de Neus, passames parGa naar voetnoot1), ou y a une dangereuse cheute d'eau, autour de certaines vielles arcades d'un pont ruiné, par ou il faut que necessairement les chariots, charrettes etc. passent à gué, et y a danger s'ils faillent seulement d'un pas; il succeda bien aux nostres, mais nous n'avions garde de demeurer dessus: passames depuis par un petit chetif village bien que fermé à portes, nommé....Ga naar voetnoot2), et arrivasmes deux heures apres midi à Couloigne. Du soir au souper le magistrat de la ville envoya le vin à Monsieur l'Ambassadeur. | |
May.Le lendemain premier jour de May fut la grande feste de Dedicasse à Cologne. Nous vismes toutes les folles solemnitez des ecclesiastiques, en leur procession avec la bourgeoisie en armes, qui dura depuis les 8 heures du matin jusqu'à une grosse heure apres midi; et firent le tour au dehors de toute cette grand' ville, bien mouillez et crottez d'une pluie qui les surprint. Apres disné l'un et l'autre s'amusa à se pourmener. J'allay admirer le grand Dome, qui est un des rares bastiments de l'Europe, et le seroit d'avantage s'il eust esté parachevé. On y monte d'un et d'autre costé par un escalier de 28 degrez. | |
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Je le trouvay long de mes pas 160, large de 90. Au coing d'une ruë on nous monstra la teste d'un lion de marbre, fiché dans la muraille à la memoire d'un vilain acte, que firent par ci devant certains moines, exposants la vie d'un Bourgemaistre, à qui ils vouloyent du mal, à la gueule d'un lion; si que toutefois leur affaire ne reussit pas, le lion ayant esté estranglé par le Bourgemaistre mesmes. Je fus estonné d'entendre que dans la ville de Coulogne, toute pleine de bastiments qu'elle est, il se fait touts les ans plus de 3000 voeder de vin, qui emporte, comme ils nous compterent, 18000 rycxdaeler. Quelques uns des nostres allerent veoir les armes antiques et autre bagage enrouillé, qui se garde dans la tour, comme aussi les fadesses des Onze mille vierges, pendant que je m'amusay à faire grand' partie du tour de la ville, dont l'assiette belle au possible, notamment devers le Rhin, me contenta infiniment. Estants à Cologne les reitres, qu'avions pris à Nimmeghen, furent contremandez de par son Excellence pour convoyer (à ce qu'on croyoit) quelques troupes. Monsieur l'Ambassadeur avait donné ordre pour 23 chevaux, qui nous eussent menez en 2½ jours à Francfort, mais le defaut du convoy luy fit changer d'advis; comme en partie aussi les frais excessifs, qui eussent monté à trop desraisonable somme. On luy demanda 6 rycxdaeler pour chasque cheval, hormis toute nourriture, et puis le retour, les charrettes au bagage etc. Il se resolut doncques de prendre son chemin par eau, et fit louer une des barques ordinaires couvertes, avec une autre petite descouverte, qui furent tirées par un cheval seul contre le cours rapide du Rhin; et ne cousta depuis Cologne jusqu'à Francfort que 34 rycxdaeler. Il se parloit beaucoup à Cologne des excursions et ravages que faisoyent les gens du sudit Seigneur d'Anholt et autres, à la solde de | |
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l'Empereur, notamment devers la coste du Rhin; dont Monsieur l'Ambassadeur fut tres-mari, d'avoir esté privé de ses reitres de Nimmegen; encor à point il trouva le ritmeistre Th. Viller, qui nous bailla le convoy de 7 siens reitres, qu'il avoit emmenéz quant et soy de Juilliers. En cet equipage le 2e de May à 9 heures du matin nous partismes de Cologne, costoyants tousiours la belle coste du Rhin; disnames ce midi dans un povre village, nommé Wesselingh à 2 lieuës de Cologne, ou le sale-sobre traittement nous fit mieux pourveoir à l'advenir. A 4 heures apres midi nous abordames à Bonne, ou l'Electeur de Cologne tient d'ordinaire sa cour. On envoya vitement au peagier, pour luy faire entendre que nous ne portions point de marchandise; et quant et quant le cuisinier se pourveut de quelques viandes, pain, chair, sel etc.; dont je n'eu point loisir à veoir la ville par dedans. Au dehors j'admiray la belle structure de la maison, ou se leve le peage. A six heures nous passames par devant les Seven berghen qu'on appelle, qui sont montagnes estrangement hautes et roides, tellement qu'elles se descouvrent à 6 et 7 lieuës de distance, comme nous vismes depuis en bas de Cologne; sur la plus haute des 7 est bastie une grand forteresse, qui ne semble de loing qu'une cheminée; au pied de la roche est le village Kunningswinter, dont le clocher ne monte point à un quart de la montaigne. Le soir à 8 heures et demie nous abordasmes à Roelandtswerve, qui est un chetif hameau, au bas d'une roche peu moindre que les susdites, ou mesmes se voyent les ruines d'un chateau antique, tout au dessus. On nous asseura que les Jesuïtes l'avoyent fait abatre, pour se servir de la piere à leur bastiments dans Cologne. Le miserable estat de la cabane, ou nous devions coucher, nous apporta plus d'apprehension que de repos; car | |
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outre ce qu'en ces endroits il n'y a rien de plus ordinaire que les voleries et les meurtres, comme en font foy les gibets et rouës qui se voyent par cinquantaines en troupe tout du long de la riviere, nostre frayeur fut augmentée par la trop grande voisinance d'un regiment de Wallons, Espagnols etc., semez es villages d'environ. Tout cela fut cause, que (comme c'est la coustume) tout le bagage demeurant au bateau, toute la nuit nous y fismes sentinelle par tour. Le lendemain 3e nous partimes de la du matin à quatre heures et demie; passames par devant maints beaux villages, assis au pied de ces montaignes, qui enserrent le Rhin, parsemées de vignobles en quantité incroyable, passames pardevant la petite ville de Lintz, et s'envoya au peage. Depuis pardevant le chasteau du Conte d'Ysembruch, dont le pere, estant Electeur de Cologne, quitta l'estat ecclesiastique et se maria. La maison panche au dos d'une roche. A 11 heures pardevant Hammerstein, qui est le premier peage de l'Electeur de Trier, ou on envoya. A 12 heures pardevant la ville d'Andernach à main droite; on alla parler au peagier; j'attrappay ce peu de loisir, et en vis quelques ruës. Au premier abord j'apperceu un jeune marié miserablement gourmandé par sa femme, desia vielle, sale et vilaine; peu s'en fallut qu'ils ne se gourmassent à coups de pots d'estain; je ne m'informay point de leur querelle, mais la seule apparence de mans handt onder me fit mal au coeur. Nous fismes provision de vin et viandes, et poursuivismes nostre chemin. A 2 heures nous passames Den Weissen Torn à main droite, qui separe Cologne d'avec Trier. A 3 nous envoyasmes au peage à Engers, petite ville à senestre. Sur les 5 heures nous arrivasmes à Cobelentz, pour y coucher. La ville est assez | |
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grande et polie, son assiete plaisante au possible, justement ou la Moselle, sortant de Lorraine par Treves, vient se mesler et joindre avec le Rhin. J'admiray le beau pont, qui traverse la Moselle devant la ville. Il a de longueur 404 de mes pas, de largeur 13 au dedans des appuis, au bout un pont levis de bois. Ce qui rend l'aspect de Coblentz plus agreable, est le chasteau Hermanstein, assis au sommet d'une roche, haute tant que nulle autre, garni de gents, artillerie et autres munitions de guerre; et au pied d'icelle roche la maison de plaisance de l'Electeur, Mullen am Dale, ou est le Sauerbron, fontaine, dont les eaux esgallent en vertu et mesmes en goust celles de Spae, comme nous tastames. Le 4 du matin à 5 heures partismes de Coblentz; vismes ce jourdhuy quantité de maisons et chasteaux, bastis sur les pointes des plus hauts rochers; à 6½ heures passames par devant Laenstein, villette qui sembloit assez gentille au dehors; a un bien beau chasteau, plein de logis, à ce que pouvions recognoistre en passant; y a droit de peage, dont y fallut envoyer, comme en plusieurs autres lieux par ci devant et apres. En divers endroits vismes descouler des beaux petits torrents de fontaine d'en haut des montaignes, dont en vismes un que les païsants avoyent fait remonter dans le tronc d'un arbre, par ou l'eau escouloit; ce fut au pied du rocher dont le chasteau dessus se nomme Pella; passames quelque temps apres devant Rees, baronie du Landtgrave de Hessen, à 8 heures par devant Broubach, village et chasteau à main gauche, ou logea la Princesse Elisabeth en montant; à 10 heures et ½ devant Boppart, ou y a peage, et s'y envoya; c'est à 3 lieues de Coblentz; à 12 heures et ½ devant Lievingstein, deux chasteaux sur deux proches cou- | |
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peaux de rochers, ayants autrefois apartenu à deux freres, qui se firent guerre; au bas se void une eglise, que bastit la soeur pour la redemption de leurs ames, comme on compte A deux heures devant Singheweert, à droite, peage du Landtgrave de Hessen; c'est le village, ou touts nouveaux venus se baptisent ou dans le Rhin, ou le col enfermé dans un anneau d'airain qui y pend; la Princesse à present Reine de Boheme mesmes n'ayant voulu vilipender le privilege en son premier voyage vers Heidelberg. Cette apresdinée nous passames entre deux des rochers, qui enferment le Rhin, d'une hauteur et roideur effroyable, au prix desquels ces premiers ne sont que collines. Nous prismes plaisir à faire sonner la trompette de la cavaillerie, pour entendre les admirables resonances de ces pierres, dont l'eccho nous bailloit loisir de distinguer plus de trois mesures apres la derniere cadence de la trompette; quand nous deschargeons nos pistolets le tintamarre en suivit plus creux et long que celuy d'aucun canon. A 4 heures passames devant Wesel, petite ville imperiale, au bas de la quelle se trouve des passages tres dangereux, à cause des rocs cachez en divers endroits de la riviere, qui font bouillir et tournoyer l'eaue d'une façon espouvantable, dont le cheval a toute peine à tirer en contre, le sentier mesme, ou il marche, estant fort estroit, pierreux et coulant; les marchants ont accoustumé d'y sortir du bateau, mais nos batteliers ne nous en avoyent point voulu advertir, comme souvent ils aiment mieux les hazards qu'un peu de peine extraordinaire. Peu dessus Wesel trouvasmes la tour, qu'ils nomment der Pfaltz, que tient le Prince Palatin; c'est un gentil bastiment, posé dans le Rhin; la ville tout aupres se dit Coeff et y a peage. Vers le soir arrivasmes à Baccharach, petite ville au montaignes, ou croissent ces vins (Dele- | |
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wynen) renommez en abondance, tout aux plus hauts sommets, qui ne se void point autrepart. Je montay au chasteau, qui est fort haut sur le rocher; l'Amman s'y tient d'ordinaire, mais il estoit dehors, et n'y trouvay qu'un povre païsan de chastellain, tout estonné de nos visites. Cette nuit nous reposasmes à Baccharach; au souper on envoya le vin de la ville à Monsieur l'Ambassadeur Le lendemain 5e partismes du matin à 3 heures; passames peu apres devant Heimbach, ville assise a droitte; a un chasteau, et appartient à l'Electeur de Mayence; tout le devant disner estoit fort pluvieux, qui m'empecha de beaucoup remarquer. Nostre cheval traversa la riviere et passa à main gauche, pres de Dreckhousen. Vers les 8 heures arrivasmes derechef à des rocs couverts dans la riviere, plus dangereux et rapides que ceux de dessus; dont nous avisames de sortir du bateau et marcher à pied, qui dura environ un gros quart d'heure. Peu apres passames le Muysentoren, ou se dit qu'un Evesque fut devoré par des souris; c'est pres de BrughGa naar voetnoot1), bonne ville vers l'emboucheure de la NerreGa naar voetnoot2), riviere d'où prenent nom les Neurewynen. Sur le midi commencasmes à sortir des roches et entrasmes aux costes plattes, ou croit den Rynchauwer. A 1 heure et ½ possames le bourg d'Elfen, ou est la haute esguille de clocher, d'où un jeune homme tomba à bas, commandé par son pere d'y ficher la girouëtte; le chasteau semble fort et beau. A 3 heures le cheval traversa derechef la riviere à Walloff A 6 heures nous arrivasmes à Mayence. Je vis la ville en haste, et la trouvay grandement solitaire, à petites ruës estroittes, bien qu'en bastiments assez brave, mais à l'ecclesiastique, quasi comme à Utrecht. Le Dom | |
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est ancien et beau, mais nullement comparable en grandeur à celuy de Cologne. Le chasteau, demeure ordinaire de l'Electeur, paroit superbe au dehors et signeurial; mais de le veoir au dedans n'y eut nul moyen; l'Evesque estoit absent, puis on y estoit fort sur ses gardes à raison des troupes ennemies, si qu'à plusieurs coings et carrefours se trouverent des sentinelles. Ils ne se contenterent point d'avoir le nom de Monsieur l'Ambassadeur, comme par tout autrepart, ains le demanderent de toute la suite. Le 6e sur les 7 heures, partants de Mayence, quittasmes le Rhin, et entrasmes dans le Maine, riviere qu'aucuns disent separer la Haute-Alemaigne d'avec la Basse; aussi elle s'estend là du Ponant à l'Orient, n'est en rien si creuse, ne si rapide que le Rhin, ni ne sont ses bords montaigneux, comme ceux la, bien que de loing il se descouvre force belles montaignes au Franckenlandt. A 11 heures passames devant Fleersen, villette, où un jour certains reitres des nostres ouvrirent la prison à 10 tant sorciers que sorcieres, enfermez dans une tour que nous vismes. A 1 heure on nous monstra sur le bord un gros tonneau, ou peu de jours passez un homme avoit esté noyé dedans, en quelque ville au dessus de Francfort, comme en ce païs on a accoustumé de faire mourir des moines criminels. Peu apres passames une belle maison du Landtgrave de Dermstadt, dite Helderbach. A 2 heures nous fallut aborder à Hues à cause du peage, plus privilegié que les autres, où suffisoit d'envoyer un homme. La ville est à l'Electeur de Mayence, qui y a son palais, extremement beau à le veoir au dehors. A 6 heures arrivasmes à Francfort, et y couchames cette nuit. N'avions rien fait ce jourdhuy que 4 lieuës, qui sont tres grandes. Le lendemain 7e le vin fut presenté à Monsieur | |
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l'Ambassadeur au disné. Environ 1 heure nous partismes à 3 coches de 4 chevaux, un chariot de bagage et deux chevaux de selle. Les coches et chariot furent louez jusqu'à Heidelbergh pour....Ga naar voetnoot1) rycxdaeler, les chevaux à....Ga naar voetnoot1), plus cher que l'ordinaire à cause de la foire de Leypsich, où touts les marchants estoyent allez. Le peu de temps, que j'eu devant nostre partement, je l'employay à regarder la ville de Francford; il ne me fut permis de guere particularizer; en gros je remarquay ses belles ruës, qui sont larges et ouvertes plus que celles de Mayence et plusieurs autres villes. Il y avoit fort peu de jours, que la foire fut achevée, dont ces boutiques extraordinaires estoyent toutes closes; pour les ordinaires elles me donnerent fort à cognoistre, combien la ville est marchande et traffiquée, tant vis je toute chose y abonder. Le circuit de la ville est grand, y compris le fauxbourg au de la de la riviere du Maine; un beau pont de 410 de mes pas de longueur, large de 11 à 15 arcades au dessous, les joint par ensemble. Au sortir je trouvay le dehors de ce fauxbourg entierement fortifié de bastions à murailles, avec leurs casamattes entaillées aux espaules. Cette apresdinée nous passames par aucuns petits villages, entre autres par devant Dermstadt, appartenant au Landtgrave de Dermstadt, frere du Landtgrave de Hessen; le chasteau se descouvre de loing et paroist quelque chose de relevé; la plus part du chemin estoyent montagnettes sablonneuses, plus que pierreuses, mais variées à deux costez d'extremement gentiles forests, notamment de....Ga naar voetnoot1) en quantité. Nous arrivasmes pres des 7 heures à Everstadt, village, et y reposames cette nuit. Partismes du matin. Le 8e à six heures passames à Zwingenbergh, | |
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à Bernsheim, disnames à Weinheim, et arrivames vers les 5 heures à Heidelbergh. Il ne se peut rien veoir de plus beau que le chemin depuis Everstadt jusqu'à HeidelberghGa naar voetnoot1), qui se fait continuellement au pied des plus fertiles montagnes de l'Alemagne, de façon, qu'à gauche au sommet d'icelles il ne se void que vignobles, vers le pied que terres labourées et semées, et plus bas, à droite, que prairies fresches, vertes et longues à perte de veuë; au millieu va le chemin des coches, rebordé à deux costez d'une suite continuelle de noisiers et autres arbres fruictiers, qui semblent se rafraichir par l'agreable liqueur d'une infinité de fontaines et torrents, qui vienent gazouïller du haut en bas de ces belles montaignes. Le Seigneur Brederodius agent estoit sorti pour rencontrer Monsieur l'Ambassadeur, mais n'avoit point esté justement informé du chemin, que devions prendre; il vint le saluër dans l'hostellerie et luy fit compagnie au souper, qui fut garni de 8 gros pots de vin d'argent doré, de par la cour. Le 9e environ les 9 heures Monsieur l'Ambassadeur envoya au chasteau vers Madame l'Electrice Palatine Douariere, pour avoir appointé l'heure, quand il pourroit aller baiser les mains à Son Alteze; elle luy envoya tout à l'heure trois carosses à 6 chevaux pour monter; estant arrivé au donjon, y eut quelques gentilshommes, qui le receurent et menerent par un escalier dans la sale d'audience, où Son Alteze l'attendist, accompagnée de Madame sa fille Dame Catherine et quelques filles d'honneur, qui menerent les enfans de Sa Majesté de Boheme, que Monsieur l'Ambassadeur salua apres son discours achevé avec Son Alteze, qui dura environ un gros quart d'heure. Sortant de là, on le mena au quartier de | |
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Monsieur le Duc de Deux Ponts, qui le receut dans son antichambre, et passant le premier par la porte, sans aucunes ceremonies, le mena dans une autre sale, ou ils furent par ensemble une bonne demie heure; on fit sçavoir que le disner estoit prest, dont ils descendirent par une autre montée jusqu'à dans la sale, où les tables estoyent couvertes et la viande portée. Madame la Duchesse de Deux Ponts suivit tost apres avec les filles de son train et le petit Duc son fils, que nous saluasmes, comme peu devant avions fait au pere. Ils disnerent par ensemble, et à mesmes temps on nous fit seoir à l'autre table avec les dames et gentilshommes de la cour. Apres disner Monsieur l'Ambassadeur print congé du Duc, qui ne le mena que jusqu'au millieu de la mesme sale. On le mena pourmener et veoir le logis, qui est ample et magnifique, pendu au millieu de la montaigne à l'opposite de l'autre, qui couvre la ville du Septentrion; le Neccar coule entre deux, et se joignent les deux rives par un pont de bois, couvert au dessus en façon de grange et couché sur des grands piliers de piere, qui supportent le choc de la riviere; il est long de 274 pas, large de 10. A veoir tout cela d'enhaut du chasteau, c'est le plus rare belvedere, qui se puisse imaginer. On nous fist monter à la sale ronde, qu'ils appellent, qui est un des notables bastiments de l'Europe; elle a 35 pas de diametre, si est elle voultée par enhaut et la voulte couverte de plastre figuré et gentiment travaillé. Les paroyes percées en quantité de belles fenestres, qui descouvrent grand espace de païs, vers le Ponent du costé de la Lorraine, et de mesmes vers Orient le long de la riviere; en certains endroits mesmes il se void des tours du Rhin. Il y a dans cette rotonde une reflexion de resonnance entierement admirable: une personne, qui se tourne le | |
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visage contre la muraille et parle si bellement que son voisin ne l'entende point, s'y faict fort clairement entendre à celuy qui se tiend à l'opposite, toute la distance de la sale entre deux, de façon que jugeriez la muraille estre creuse et quelqu'un parler tout haut dedans. Cependant qu'on s'amusoit à ceste rarité, je prins le temps pour aller baiser les mains à Madame l'Electrice, par l'adresse d'un sien gentilhomme qui m'en fit aprocher. Je luy presentay la lettre de Madame la Princesse d'Orange, qu'elle leut, et, sachant qui j'estoye, me rencontra fort amiablement, me demanda cordialement apres mon pere, sa disposition, son mesnage, ses enfants; le faisant remercier de la bonne affection qu'il continuoit de porter aux descendants de feu Monseigneur le Prince son pereGa naar voetnoot1), avec plusieurs asseurances de toutes sortes de bienvueillance et faveur envers touts les nostres. Me dit de plus, que, desia s'estant informée que le fils d'un tel estoit en la suite de Monsieur l'Ambassadeur, son intention estoit de ne le laisser point partir sans le veoir en particulier, me louä d'avoir prins la resolution d'un si beau voyage, pour avoir occasion de veoir ce qu'il y a de plus beau en tant de divers païs, etc. Je prins congé de son Alteze, et baisay quant et quant les mains à Dame Catherine sa fille, qui estoit aupres. Peu apres Monsieur l'Ambassadeur s'en retourna entretenir Madame l'Electrice, et y demeura une grosse heure; durant quoy on nous mena veoir les beaux jardins du palais, d'autant plus admirables qu'il n'y a que quatre ans que le tout n'estoit que rude rocher, comme tout le reste de la montaigne; dont à force il a fallu tailler dedans, pour en faire un terroir fertile, tel qu'à present il | |
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est, portant fleurs, figuiers, orangiers etc. en abondance. Au bout du jardin se monstrent les grottes et fontaines, de l'invention de Salomon de Caus, qui se parangonnent, voire et se preferent à toutes celles de France; tant la capacité en est grande, l'ouvrage mosaïque relevé et bizearre, et les eaux fortes et abondantes. On nous monstra depuis le grand tonneau dans la cave de sa Majesté, qui nous ravit en admiration; les mesures et pourtraits en sont si communs, que je me dispensay d'en tenir note; pour faire croire qu'il est de hauteur excessive, on nous asseura, qu'il n'y avoit que 15 jours qu'un homme, tombé du haut en bas, mourut de la cheute. Nous montasmes touts dessus et beusmes du vin, qui se puisa par en haut; beusmes encor dans la mesme cave du vin, qu'on nous dit estre viel de 300 ans. De là on nous mena veoir l'argenterie de sa Majesté, qui est de valeur incroyable; le principal estoit emporté à Prague; c'est un service d'or massiff pour une table d'environ 26 personnes; de l'escurie aussi je fus moins curieux, pour estre touts les chevaux emmenez en Boheme. Nous partismes de la cour, et soupasmes ce soir avec Monsieur l'Ambassadeur chez Monsieur l'Agent Brederode. J'eus ce bonheur d'y trouver le docte et celebre viellard Dionysius Gothofredus, personage autant courtois et accostable que sçavant; je discourus quelque temps avec luy, mais il desira que le lendemain je vinsse le trouver chez luy. Le 10e qui fut Dimanche, les trois carosses furent envoyez à Monsieur l'Ambassadeur pour aller à l'eglise; le presche fini, ils le menerent disner avec Madame l'Electrice Douäriere, qui le traitta plus magnifiquement que n'avoit fait le Duc de Deuxponts, qui n'y fut point prié, pour considerations. Dans la mesme sale (qui est belle et spacieuse au possible) nous dis- | |
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names avec le maistre et dame d'hostel et les gentilshommes et dames de la court. Il disna à la table de l'Electrice un nepveu et fils adoptif du Prince Bethlen Gabor, appellé apres lui, jeune seigneur mieux endoctriné que façonné à la court de dela; il parloit bien et promptement Latin, avoit fait deux harangues Latines en pleine université, devant peu de jours, avec beaucoup d'honneur. Apres disner Monsieur l'Ambassadeur print congé, premierement de Madame la Douariere et en apres de Monsieur le Duc, qui le mena jusqu'à dans l'antichambre. Nous les saluasmes incontinent apres un à un, lorsque Madame l'Electrice me renouvella encor les asseurances de son affection et faveur, avec beaucoup de souhaits au bon succes de mon voyage. Cette apresdinée j'allay veoir en particulier Monsieur Gothofridus, et fus en communication avec luy dans son estude plus de 2 heures, qui me furent courtes. Ce bon personage me monstra quasi une bibliotheque entiere de livres escrits de sa propre main, tant en droit que principalement en histoire, dont jamais encor rien n'a veu le jour; oeuvres cependant autant profitables à l'advancement des estudes, qu'aucune qui soit veuë par ci devant, si belle methode se trouve en tout. J'allay trouver depuis le Professeur Gruterus, pour avoir moyen de veoir la tant renommée Bibliotheque du Palatinat, qui se louë au delà de celle du Vatican à Rome. Il me receut courtoisement, et me bailla son varlet pour me monstrer le tout. C'est chose incroyable, de la quantité de livres qui s'y void; je me mocquoys d'avoir fait estat de celle d'Oxford. Il y a deux fois la longueur de 50 de mes pas et la largeur d'environ 10 ou 12, remplie de livres depuis le bas jusqu'en haut, et puis tout le dedans rangé en triples poulpitres, à la façon de celle de Leiden. Le plus rare tresor de la | |
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dedans, c'est un amas de livres manuscrits en telle quantité, qu'en fraix il se dit avoir cousté 22000 ducats. Une des belles pieces est la Bible Hebraïque manuscripte, avec les points, seule aujourdhuy au monde, comme on tient, contre la croyance des Juifs, qui en ont offert 4000 ducats, en intention, à ce qu'on pense, de la brusler apres. Il s'y void un Evangile en Grec de la propre main de Saint Paul, quelques livres de Virgile de la main du poëte mesmes, en characteres touts capitaux et tresanciens; je l'ay veu et creu, si fas est. - A ce souper Monsieur l'Ambassadeur receut derechef le vin d'en haut. Les coches de Francfort furent continuez, pour la disette des chevaux par tout le païs. Le 11e à 6 heures et ½ nous prismes le chemin vers Rotenburgh; passames par divers bourgs et villages; eusmes tout ce jour des chemins montaigneux, aspres, roides et estroits avec assez de difficulté pour le chariot du bagage; disnames à Zeinsen, petite ville à 3 lieues de Heidelberg, couchasmes cette nuit à Weinssen, ville imperiale sur le Neccar, bien que petite et foible d'inhabitants, qui sont touts presque Lutheriens et affectionnez à l'union. Il y estoit jour de feste de saint. Sur le soir les filles de la ville firent la dance ronde en pleine ruë avec beaucoup d'honeste gravité, ne chantants rien que pseaumes ou chansons spirituelles, avec attention comme il sembloit; qui me semble chose bien differente des façons de faire de mon païs. Le 12e à 5 heures du matin nous partismes de Weinssen; passames le Neccar au ponton à un demi quart d'heure de la pres de Dalen, petite ville papiste, et le traversames peu apres à gué; eusmes tout ce jour des chemins encor plus difficiles qu'auparavant, qui nous firent souvent marcher à pied, tant pour monter que pour descendre des montaignes; | |
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passames devant midi par Newstadt, villette, appartenant au jeune frere du Duc de Wirtemberg, qui s'y tient. Au sortir de la porte à main gauche, vismes un noisillier de grosseur et largeur monstrueuse; je n'eus point loisir d'en mesurer le circuit; il nous fut dit que telle année cette arbre a porté 10 tonneaux de noisettes, et sont ses branches soustenues de 140 piliers de piere de taille, avec force tables autour. Ce midi nous repeumes à Eringhen, assez gentile villette, appartenant aux Contes de Hohenloe, desquels vismes les superbes tombeaux dans le temple. Celuy du Compte Philippe et sa femme, cogneus au Païs Bas, surpasse touts les autres en beauté de taille. Sa mere, la vielle Comtesse, s'y tient encor à present. Arrivasmes vers les 6 heures à Chunselhauw, petit bourg ressortant sous divers seigneurs, comme sont le Comte d'Hohenloe, le Duc de Wirtemberg et autres; cette place est profondement assise entre des fort hautes montagnes, qui la privent des rayons du soleil beaucoup devant l'Occident; nous y soupasmes et couchames. Il soupa avec Monsieur l'Ambassadeur trois gentilshommes, que luy avoit envoyez Monsieur le Marquis d'Ansbach, avec 15 ou 16 chevaux, pour le prier de vouloir prendre son repos le lendemain dans une certaine maison de son Alteze, mais il ne trouva bon de se destourner de son chemin pour peu d'incommodité. Le 13e nous partismes du matin à 4 heures et ½, trouvasmes des chemins surpassants touts les premiers en incommodité, dont quelques uns des coches verserent plus d'une fois. Disnames à Schrosbergh, povre village du Comte de Hohenloe. L'apresdinée, aprochants à une heure et demie de chemin de Rotenborgh, il vint rencontrer Monsieur l'Ambassadeur le Comte Friderich de Solms, general pour les villes Anseatiques, accompagné des gardes | |
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de Monsieur son beau frere, le Marquis d'Ansbach, chef de l'armée des Princes Unis; il y eut une compagnie de cuirassiers et une autre de carabins, en pleine armure, le casque en teste, qui firent la salve au premier abord, touts braves chevaux et gendarmerie bien montée. Monsieur l'Ambassadeur entra dans le carosse du Marquis avec le Comte, et entrames ainsi dans Rotenborgh, toute la commune estant en ruë et aux fenestres. Le Marquis avoit fait accommoder le meilleur logis de bourgeois qu'il peut trouver, fit faire la salve à sa garde d'infanterie devant la fenestre de Monsieur l'Ambassadeur, et le fit traitter en sa propre vaisselle d'argent, toute la viande accommodée dans sa cuisine. Le dit seigneur Comte luy fit compagnie à souper avec le Seigneur Helmischstetter, commissaire general de l'armée des princes. Le 14 environ 9 heures Monsieur l'Ambassadeur ayant fait desseing d'aller saluër Monsieur le Marquis, fut prevenu par son Alteze mesmes; ils furent parensemble jusqu'à 11 heures, qu'ils s'en allerent disner dans le logis du Marquis, ou estoit Madame la Marquise, soeur du Comte de Solms, dame de beauté renommée, avec quelques autres dames, comme la Comtesse de Solms etc. On nous y traitta avec beaucoup d'honneur et de caresses. J'allay regarder la ville depuis, qui est assez polie, mais solitaire sans guere de traffic. Par ci devant elle appartenoit aux Comtes de Rotenburgh, dont le dernier, par disposition testamentaire, la laissa à l'Empire, suivant quoy le chasteau fut razé. L'assiette est gentile de fait, estant environnée de montagnes, qui font la vallée autour de la montagne, ou la ville est bastie dessus. Cette assiette a esté comparée plusieurs fois à celle de la ville de Jerusalem d'à present; dont ledit dernier Comte, ayant esté luy mesmes à Jerusalem, par devotion se choisit un chemin, par lequel on | |
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sort d'une des portes de la ville jusqu'à dessus une colline pres des murailles, entierement semblable au mont Calvaire et le passage, que fit nostre Sauveur chargé de la croix. Sur cette colline se voit encor le crucifix, qu'à cette intention le Comte y fit eriger, avec plusieurs autres pieres taillées, denotants le chemin vers la montagne, le lieu ou nostre Seigneur receut la croix, où il reposa etc. Au bas de la montagne, qui porte la ville, se void la petite riviere du Touber, dont l'eau, à faute d'autre source, s'envoye au plus haut d'une tour de la ville, ou estant receuë dans un bac, percé à divers tuyaux, s'en va partie en plusieurs fontaines, qui embellissent les ruës; le tout par beaux artifices, sans qu'autre chose s'y employe que le cours de la dite riviere, qui fait tourner la rouë d'un moulin. Nous fusmes logez tout contre la Maison de ville, qui est un bastiment excellemment beau et superbe, bien accommodé au dedans, tant pour le magistrat que pour les Princes, qui s'y assemblent par fois; il s'y void une montée de la façon de celle de Buren, mais de piere de taille, parfaictement bien formée et joincte. Ce soir Monsieur le Marquis vint souper au logis de Monsieur l'Ambassadeur avec le Comte de Solms, de W....Ga naar voetnoot1) et le Collonelle Helmischstetter, comme ils firent encor le lendemain. Le 15e nous partismes de Rotenburgh à 1½ heure, selon l'horologe de la ville à 8 heures. Il y a deux monstres au clocher, dont l'une tient 16 heures et l'autre 12 comme les nostres, ce qu'ils appellent la cloche des païsans. Celle des 16 heures sonne 1 au soleil levant, et acheve tout son tour aux plus longs jours d'esté, puis recommence avec la nuit, et, n'en pouvant achever que 8, on luy fait faire | |
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le saut, pour derechef entamer le jour; cela se redresse selon les saisons, une ou deux fois par mois, et se pratique cet ordre en plusieurs villes imperiales, comme entre autres à Nuremburgh. - Le Comte de Solms accompagna encor Monsieur l'Ambassadeur à une grosse demie heure de chemin, avec la compagnie des carabins, qui firent la salve au depart, dont nos chevaux prindrent l'espouvante, tellement qu'ils bouleverserent l'un de nos coches et firent passer l'autre au dessus d'un petit garçon du cocher, qui en eschappa pourtant miraculeusement. Ce soir nous couchames à Geelbron, village, appartenant au Marquis, ou desia son Alteze avoit fait apprester lits et tables de ses propres meubles, vaisselles, linges etc. A l'entrée du village une compagnie d'infanterie de l'armée des Princes se trouva rangée pour recevoir Monsieur l'Ambassadeur. Je fus tout estonné, estants ces païs à mesme elevation ou plus meridionaulx encore que grande partie du Palatinat, où les meilleurs vins meurissent, d'y trouver un air extraordinairement froid et rude, si avant, que ce jour mesmes il neigea par deux fois bien dru. On m'en bailla la raison, sçavoir, que peu a peu nous estions montez, sans guere nous en appercevoir, pour avoir quelques fois descendu des montagnes; de façon qu'on m'asseura que rapportant ces terres à la rive du Rhin il s'y trouveroit proù à dire. Le 16e nous partismes de Geelbron à l'aube du jour; arrivasmes à 11 heures à Hall, ville imperiale au païs de Schwaben, entierement polie et plaisante; j'y admiray le grand temple, dont la structure est parfaitement belle, tant au dehors qu'au dedans; d'un costé on y monte à 44 beaux degrez arondis en demi cercle, qui en rend l'aspect plus auguste. L'eglise y est Lutherienne, et, selon leur coustume, grandement ornée de peintures; on nous y monstra | |
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le tableau, qu'un homme renommé par delà avoit escrit seulement du pied, estant né sans mains ni bras; chose remarquable pour la beauté de l'escriture. Le magistrat envoya le vin en 50 pots d'estain, arrangez en bataille. Nous partismes apres avoir disné, et entendismes depuis qu'il y avoit plus de 80 maisons infectées de la peste; eusmes tout ce jour, notamment l'apresdisnée, des chemins grandement incommodes, seduits par un guide ignorant, qui nous fit traverser des forests espaisses et longues, où de 100 ans peut estre coche ne passa; les nostres y culbuterent plusieurs fois, bagage et tout, dont n'arrivasmes que fort tard et en brun à Sulsbach, povre village au Duc de Wirtembergh, et eusmes de la peine à trouver logis chez des villaines gents, qui eurent autant peur de nous que nous eusmes d'eux, pour y trouver un mesnage tres-semblable à une sorcellerie; et cependant ils nous prindrent pour cavaillerie, qui ne s'y void pas trop volontiers; fismes cognoissance à la fin, soupasmes maigrement, et paillardions honestement la nuit. Le 17e qui fut Dimanche, nous partismes sur les 5 heures; eusmes tout ce jour des tres beaux chemins, rebordez de vignes à deux costez. Passames par la petite ville Bachingen, disnames à WaiblingenGa naar voetnoot1), passames par Canstadt au Neccar, et arrivasmes à 5 heures à Stutgard, demeure du Duc de Wirtemberg. Estants entrez en l'hostellerie, deux gentilshommes du Duc vindrent requerir Monsieur l'Ambassadeur de vouloir prendre son logis dans la court, mais il s'en excusa pour ce soir; ils demeurerent avec luy à souper. Le 18e le Seigneur Bunninchousen, premier con- | |
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seiller de son Altezze, sous pretexte de mener Monsieur l'Ambassadeur à l'audience, le mena dans la cour en une chambre, où il le pria de vouloir avoir agreable d'y loger; comme il fit. Peu apres il eut audience aupres du Duc dans sa chambre, accompagné de 3 Ducs ses freres et quelques uns de son conseil; on y fut un grand quart d'heure; au sortir les trompettes sonnerent à cadence du keteltrom. Ce midi Monsieur l'Ambassadeur disna avec son Altezze, ses dits freres et un Duc de Saxe, fiancé à la soeur du Duc, dont le festin estoit destiné au Dimanche prochain. Il y avoit plusieurs tables dans cette mesme sale, à la façon du païs. Nous disnames à la seconde, qui est celle du maistre d'hostel, où on est à teste nuë, comme mesmes le prince et touts ceux de sa table; toutes les autres tables se couvrent, au rebours des autres cours d'Alemagne. Au soir Monsieur l'Ambassadeur soupa dans sa chambre, accompagné de 2 gentilshommes du Prince. Le 19e il disna avec Monsieur l'Ambassadeur le Seigneur Bunninchousen et un Conte de lignage du païs d'Elsace. Apres diner le jeune frere du Duc, Herthoch Magnus, vint veoir Monsieur l'Ambassadeur. - Le palais de Son Altezze est grand et beau, plein de logis et retraittes; la Duchesse y a son quartier apart; Monsieur l'Ambassadeur ne la vit pas, comme il fit aux autres cours, où les Princesses disnoyent avec luy; nous la vismes une matinée dans l'église, qui est au chasteau. Cette apresdinée on nous monstra les jardins du Duc, qui sont spatieux et magnifiques, garnis d'orangiers, citroniers etc. On nous louä beaucoup la grotte de la dedans, mais les depeches de Monsieur l'Ambassadeur m'empecherent de la veoir. Il y a au jardin le Lusthaus, qu'ils appellent, bastiment admirable. Par le bas il est vouté tres-magnifiquement, distingué en | |
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3 quareaux, chascun entouré de 9 piliers qui soustienent la voute. Ces quareaux sont creusez et remplis d'eau de fontaine, qui rend le lieu grandement frais et agreable, dont souvent le Prince y mange en esté. Par le dehors on y monte par un bel escalier de 40 degrez, au haut du quel on entre dans une sale, qui tient toute la longueur du bastiment, qui est de 84 pas et la largeur de 32, toute la muraille en chassis de certaine sorte de bois marbré, percée en plusieurs grandes fenestres. Le dessus est vouté de bois, et icelle voute ornée d'extremement belles peintures, dont les figures se voyent, comme en perspective, de dessoubs. La hauteur en est telle, qu'un gentilhomme m'asseura n'avoir jamais peu atteindre la voute d'une pique, jettée en l'air de toute sa force. Nous vismes depuis le jeu de paume de la court, entierement beau, grand et uni, plus que nul autre que j'aye encor veu. Au bout du jardin on sort au jeu du mail, qui a 1200 pas de longueur et de largeur 9, bien uni et rebordé d'arbres, comme le nostre à La Haye. Vers le soir Monsieur l'Ambassadeur fut derechef avec le Duc environ une heure. Le 20e Son Altezze tint table derechef, comme ils disent, et Monsieur l'Ambassadeur disna avec luy. La musique accompagna le disner, comme la premiere fois. Apres diner Son Altezze mena Monsieur l'Ambassadeur dans sa chambre, où il l'avoit logé, et y prismes touts congé de la court, ayants nos coches prestz menez devant le palais. Son Altezze nous bailla escorte de 20 carabines de ses gardes. Nous partismes sur les 1½, passames par des belles grandes forests, qui nourrissent quantité d'ours sauvages, païs au reste montueux et bossu, comme tout ce costé de Wirtemberg. A 6 heures nous arrivasmes à Tubinghe, fameuse université, fondée par Eber- | |
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hart le Barbu, premier Duc de Wirtemberg, de qui la statue se void au chasteau. Nous fumes logez par ordre de son Altezze dans le College du Prince, qui est un bastiment assez beau et propre aux escoliers; il n'y loge jamais que des Ducs, Princes, Comtes, Barons ou grands gentilshommes, comme à cet heure mesmes y avoit un jeune Duc de Saxe et autres jeunes seigneurs en bon nombre. Ils y vivent à 3 florins d'Alemagne par sepmaine, qui font environ 4½ francs des nostres; pour ce mesme argent ils apprenent diverses sortes d'exercices, comme de monter à cheval, de tirer des armes, de jouër du lut etc. par certains maistres, à ce ordonnez et gagez, avec interdiction precise de ne rien prendre de leurs escoliers. Nous y fusmes honestement traittez, le tout en vaisselle d'argent, des meubles du Duc. Le 21e avant le disner, (qu'on avoit fait aprester pour 9 heures et ½) le Grand maistre du college mena pourmener Monsieur l'Ambassadeur et luy monstra les auditoires de l'Academie, qui sont assez gentils, mais n'approchent de loing de ceux de nostre Leiden, non plus que la bibliotheque, où cependant y a bonne quantité de livres, que nous ne vismes qu'à la haste. Entrasmes aussi au temple, pour veoir les sepultures des Ducs y enterrez; je n'y vis rien d'extraordinairement superbe; la pluspart ne soustenoit qu'un personage couché, et puis quelques petits quareaux aux costez de menuë taille, mais fort curieusement elabourée. Il y a entre autres le tombeau d'un jeune Duc de Brunswyc, evesque de Halberstat, frere de celuy qui a la compagnie à cheval au Païs Bas; il y fut enterré, pour estre mort aux estudes, dans ce mesme College du Prince. Nous montasmes depuis au chasteau, qui est assis sur une assez haute montagne et descouvre la campagne d'alentour d'un prospect merveilleusement agreable. C'est un logis | |
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auguste et spatieux, ayant plus de chambres, sales et autres commoditez que celuy de Stutgart, mais l'architecture n'en est pas si solide. Il y a bonne provision de corpceletz, mousquetz et autres armuries, nettement entretenuës; dans les caves nous trouvasmes des tonneaux, plusieurs d'excessive grandeur, comme d'ordinaire il se void dans les courts d'Alemagne. Il y en a un, que se dit guere moindre du vaisseau d'Heidelberg, mais n'estoit nullement si bien fourré que cettuy là. La ville de Tubinghen est de fort belle assiette dans la vallée de hautes montaignes, qui luy bornent la veuë. Le Neccar mouille le pied de la muraille, traversé d'un pont de 2 ou 3 arcades. Environ 11 heures nous partismes, changeants le convoy de Stutgard en autres carabins de là environ, qui nous accompagnerent quelque temps avec toute la compagnie, et depuis nous en laisserent une vingtaine. Au chemin nous vismes la grande maison de Hechingen, et la aupres, dessus le sommet d'une montagne fort haute, l'ancien chasteau de Hoenzollern, d'où portent nom les Comtes. En ces endroits le Neccar n'est qu'un torrent, qui mouïlle les chemins. Nous le traversames à gué, plus de 50 fois en une apresdinée, n'estant sa source gueres loing; arrivasmes environ les 6 heures à Paling, petite ville, où tenoit garnison la compagnie de cavaillerie du Prince Magnus de Wirtemberg, mentionné cy dessus; soupasmes la dedans et y reposames, contraints de faire ces petites journées, tant pour l'amour de la cavallerie, que pour n'y avoir grand' commodité de gistes en chemin. Le 22e à 9 heures du matin, nous partismes de Paling avec le convoy redoublé; passames par les terres de Leopold, païs haut et montueux; eusmes entre autres deux montagnes d'excessive roideur à passer, estants pour la pluspart couvertes de sa- | |
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pins, chesnes et autres arbres fort agreables a veoir, arrivasmes vers le soir à Dutling, villette frontiere du Duché de Wirtemberg, assise dans une vallée dessus le fleuve Danube, qui y est peu creux et large, traversé d'un chetif pont de bois. Il me print bien la mesme envie qu'à l'Empereur Tibere, qui, se trouvant au lac de Constantz, destina un jour pour aller à la source de cette grande riviere; il n'y a que 4 ou 5 heures de chemin de Dutling au Schwarzwald, mais le temps me manqua et me fit mettre apart cette curiosité. Desia cette apresdinée, au haut des montaignes, nous commençames à descouvrir les blanches Alpes, qui ne me semblerent que nuées en l'air, si quelques uns plus experimentez de la compagnie ne m'eussent asseuré, que c'estoyent montagnes. Le 23e à 9 heures et demie nous partismes de Dutling; laissames à main gauche le chasteau Houberg, appartenant à la ville, mais assis tout au haut d'une montagne; nous en montasmes une plus haute de beaucoup, et descouvrimes fort clairement la neige des Alpes, distantes toutefois de nous, comme on m'asseura, de plus de 5 journées de chemin; en bas nous vismes partie du lac de Constantz, qu'ils nomment Bodensee; passames par Engen, petite ville aux terres d'Austriche, ayant son chasteau sur la pointe d'un rocher; le tout appartient au Comte d'Oppenhaim. Vismes depuis plusieurs chasteaux de semblable assiette; les plus notables me semblerent celuy de Voerckesteyn et celuy de Hoetzwiel, au Duc de Wirtembergh pour estre d'une hauteur jugée imprenable. Ce dernier a privilege, que personne n'y peut monter, sans y apporter en hotte une pierre, qui au moins pese 45 livres; apres quoy, se vuide une coupe au chasteau d'environ un pot de vin. Le Duc de Wirtemberg compta à Monsieur l'Am- | |
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bassadeur d'y en avoir porté une de 100 livres, à quoy faire il reposa plus de mille fois, et en vint à bout en tel estat, qu'on jugea qu'il en deut mourir. Je parlay ce jour à un gentilhomme, qui me dit d'y avoir porté 80 livres. Or, selon la pesanteur de la pierre, l'honneur en est plus grand ou moindre. Ce mesme jour Monsieur l'Ambassadeur se jugea hors de danger, et licentia la cavaillerie, n'en tenant que 6 reitres, qui nous menerent jusqu'à Schafhausen, ville et canton de Suisse, où nous arrivasmes à 6 heures. Ceux de la ville envoyerent incontinent le vin à Monsieur l'Ambassadeur, et estants venus le saluër luy firent compagnie à souper avec le seigneur H.C. Cochius, ministre qui avoit esté du Synode en Hollande. Le 24e qui fut Dimanche, du matin à 7 heures, on nous mena pourmener à Nieuwhousen, village à une demie lieuë de la ville, où nous veismes la terrible cataracte du Rhin, qui y fait une cheute, à ce qu'on dit l'avoir mesurée, de plus de 50 toises; la hauteur ne nous sembla pas si grande, aussi croy je qu'il y auroit de la peine à la prendre exactement, n'estant bien possible d'en approcher assez pres à cause de l'impetuosité de l'eaue et les rocs, au travers desquels elle vient ruër avec un bruit, capable d'assourdir une personne; on n'y void rien qu'un verd de mer extremement beau, mais couvert d'escume blanche, qui fait une poussiere mouïllée de si grande violence, qu'il n'y a moyen de se tenir à sec à l'autre bord de la riviere, si le vent pousse aucunement. Le regard en est merveilleusement agreable, et y auroit moyen d'en faire aisément le pourtrait à couleurs, par ce que le cataracte demeure continuellement en mesme façon, sans presque varier d'une goutte, comme je remarquay expressement; puis les montaignes à deux costez couvertes de vig- | |
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nobles, d'ou le Rhin vient à sortir, donneroyent beau lustre à la peinture. Depuis cet endroit le Rhin porte bateau, et s'y en trouve pour descendre à Basle et plus outre, si on veut. Le magistratGa naar voetnoot1) disna derechef avec Monsieur l'Ambassadeur et le mena veoir la ville apres midi. Elle est assise en vallée parmi des montagnes, couvertes de vignes, au reste pierreuses et steriles; dont la pierre de taille n'y couste que le travail, et en tout Schafhausen s'y void fort peu de maisons de bois; toutes sont de pierre, assez gentiment basties et peintes au dehors, qui fait belle monstre aux ruës, estant icelles bien larges et airées. Au pied de la muraille coule le Rhin, qui y est fort creux et clair, plus qu'en aucun endroit que j'aye veu; on le passe par un pont de pierre, massif et seurement fondé à grandes arches; a de longueur 150 de mes pas, de largeur seulement 7. Par ci devant il n'y en avoit qu'un de bois, qu'ils osterent et mirent cettuy ci en place passez quelques 12 ans. Dans cette ville je trouvay le peuple grandement reglé et policé, comme il se void en touts les autres cantons de la religion. Il y a 15 ministres, qui touts les jours de la sepmaine font deux presches, trois les Dimanches, trois les Jeudis; avec cela le monde est tenu et contraint de s'y trouver, sur peine; puis les jeux, les noises, les jurements etc. y sont griefvement mulctéz. En habits ne s'y fait nulle parade; tout s'y void en noir jusques aux principaulx, ayent ils 80000 livres de vaillant, comme y en a plusieurs. On y vid sobrement et à bon marché; tout bourgeois y est obligé de porter l'espée, et ce par toute la Suisse. Nous fusmes estonnez d'entendre, que l'église cathedrale, qu'ils a appel- | |
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lent le Monastere, avoit esté massonnée avec du vin; mais on nous asseura, que plusieurs chasteaux se voyent en Alemagne, dont la chaux a esté trempée de mesme liqueur, qui tient bien plus ferme que l'eau. Le 25e du matin à 4 heures et ½ nous partismes; passames des belles vallées cultivées et des grandes forests; traversames le Rhin à Igelsau, petite ville, sur un pont de bois couvert, appuyé sur des soustiens de piere à la façon de celuy de Heidelbergh; disnames à Cloten, povre village à 2 heures de Zurich, où quelques capitaines, nouvelment arrivez de Venise, vindrent au devant de Monsieur l'Ambassadeur et le conduirent dedans Zurich, où nous arrivasmes à 5 heures et ½, tout le peuple aux ruës et fenestres. Ceux du magistrat envoyerent leur presents ordinaires à Monsieur l'Ambassadeur, qui sont des poissons prins dans le lac, comme truites, brochets, etc., le tout d'admirable grandeur; envoyerent aussi le vin et luy firent compagnie au souper avec le Seigneur De Vicq, Resident de la Republique de Venise par dela. Le 26e on licentia les coches, qui nous avoyent menez depuis Francford jusqu'à Zurich; le bagage fut envoyé par eau sur le lac vers Chur, avec quelques uns de la suite. Le matin apres le presche, qui se fait à 6 heures, quelques uns du magistrat furent deputez pour communiquer avec Monsieur l'Ambassadeur, et le vindrent trouver dans son logis, demeurants en besoigne environ une heure et ½e; luy firent encor compagnie au disner et apres midi le menerent au son des trompettes avec grande presse de peuple par quelques ruës, jusqu'à dedans leur barque de plaisance, couverte d'une tente de leurs couleurs, ou la table estoit couverte et le dessert dressé, au lieu de l'avoir fait porter à table au logis. En cet equipage nous voguames toute l'apres- | |
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dinée sur le beau lac de Zurich, accompagnez de plusieurs autres petits bateaux servants de cuisine, de sommelerie, etc., sans que la musique, tant de trompettes que violons, y manquast. Du costé de la ville le canon respondoit continuellement aux trompettes et ne cessa on presque de le charger et descharger, qui fit belle resonance dessus le lac, entouré de montagnes d'un et d'autre costé. On nous mit à terre sur une pointe de païs estendue dans le lac, ou entre temps estoyt arrivée une petite compagnie d'environ 50 jeunes garçons de 8 à 12 ans, touts mousquettaires, faisants la salve et autres exercices de guerre devant Monsieur l'Ambassadeur, qui ne pût s'empecher de louër grandement la bonne institution, que donne ce peuple guerrier à sa jeunesse. Nous nous r'embarquasmes apres et vismes prendre les truites et autres poissons, qui furent cuits et rostiz tout à l'instant et depechez avec bon appetit. Il y avoit grand plaisir à regarder cette belle eauë du lac, qui est du plus gay verd de mer, qui se puisse imaginer, et claire comme le cristal, dont le fonds se descouvre à grande profondeur. Ce riche lac fait un belvedere incomparable à la ville de Zurich, qui le reçoit à deux bras en forme de port de mer; il commence à couler en riviere tout aupres de la ville, faisant tourner divers moulins, et se desgorge finalement dans le Rhin; la ville au reste est grande et belle, toute de pierre bien taillée et peinte à leur façon; le peuple policé et reglé tant que nul autre, notammant à la religion, qui s'y excerce par....Ga naar voetnoot1) ministres, qui font quantité de preches par sepmaine en 4 divers temples. Ce soir, estants revenus de la pourmenade en mesme arroy que devant et bien | |
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plus de presse, on louä 9 chevaux jusqu'à Chur, ville capitale des Grisons, à....Ga naar voetnoot1) par cheval. Le 27e apres avoir disné environ midi, nous montasmes à cheval, accompagnez du seigneur Resident de Venise et plusieurs autres gentilshommes, qui s'en vindrent jusqu'à une petite heure de chemin et prindrent congé. Toute cette apresdinée nous allions costoyants la belle rive montagneuse du lac de Zurich, passants la plus part au dessoubs de quantité d'arbres fruictiers et treilles de vignobles faisants ombrage continuel au chemin. Vers les 5 heures nous arrivasmes à Rapwijl, petite ville solitaire sur le lac. Je n'y remarquay rien que le pont devant la ville, qui traverse tout le lac d'une estenduë incroyable; j'y trouvay 1970 pas de longueur et de largeur 9, qui approche de celuy à Strasbourg. Le 28e du matin à 4 heures et ½ nous partismes de Rapwijl; cheminames toute la matinée au pied des Alpes, dont les coupeaux couverts de neige approchent ça et là des nuës; disnames à Wesen, petit bourg sur le lac de Walden, changeant de jurisdiction touts les 2 ans et gouverné tantost par ceux de Schwitz, tantost par ceux de Glarus. Apres diner on louä deux barques, dont l'une servit aux chevaux, l'autre aux personnes, à 4 ducatoni chascune; dans icelle nous traversames ledit lac de Walden, entierement environné et clos des montagnes, qui ne luy donnent point de rive, ains enfoncent roide dans le lac, qui en est grandement dangereux à cause des frequents tourbillons, descendants du haut des roches; dont il s'est veu souvent arriver du malheur, pour n'y avoir moyen d'aborder d'aucun costé. Nous eusmes beau temps | |
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et bon vent, qui nous poussa outre en 4 heures; vismes en chemin des terribles cascades des eaux de neige, tombantes, au jugement de nous touts, de plus de deux fois la hauteur du clocher de La Haye et ce avec un bruit espouvantable; entre 4 et 5 nous arrivames à Waldenstatt, povre bourg ressortant soubs 7 divers cantons. Le 29e nous remontames à cheval au soleil levant; cheminames continuellemeut entre deux des Alpes dans des planures assez belles et cultivées; passames par Sarangas, petite ville, et par Ragatz, mediocre village, où on nous avoit advertis de ne point repaistre à cause de quantité de banditi de l'Eveché de Chur, qui s'y tiennent; passames donc outre et traversames deux fois le Rhin dessus deux ponts de bois, mal et lachement bastis; ce fleuve y est extraordinairement violent et rapide, notamment en cette saison que les neiges se fondent et accroissent l'impetuosité de ses eaux, qui sont pasles et troubles; dont je m'estonnay grandement, pour les avoir veuës autrepart si verdes et claires qu'aucune eauë de fontaine, principalement à Schaffhausen à la cataracte; là aupres nous entrasmes au païs des Grisons et sur le midi à Chur ou Coiro, en Latin Curia, leur ville capitaleGa naar voetnoot1), assise au pied des monts, d'où les gros torrents et fontaines viennent à descendre et la traversent de bout à autre, y faisant tourner divers moulins. La ville en soy n'est gueres grande ni belle, mais, selon la qualité du païs, assez marchande et peuplée à cause du passage; la plus part des gens de qualité, et mesmes de mestier, y parle Venitien. L'apresdinée le bagage avec quelques uns des nos- | |
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tres fut envoyé devant, pour gaigner païs. Nous quittames les chevaulx de Zurich et en prismes d'autres mieux asseurez aux precipices. Le 30e nous partismes de Chur à l'aube du jour; costoyasmes pour la pluspart tousjours le Rhin, dont les eaux sont sales, troubles et noires en ces endroits; plusieurs fois aussi le traversames sur des ponts de bois; passames à Furstenauw et autres villages; à 9 heures disnames à Tusis ou Tusano, petit bourg entre les montaignes sur le Rhin; c'est le lieu, où se fit la derniere execution du traistre Zamber et son complice; apres avoir disné remontames à cheval et depuis ce lieu là commençames à monter à bon escient par des tours de montaigne hauts, droits, estroits et pierreux au possible, avec des precipices effroyables, au bas desquels la furie du Rhin meine un bruit estrange parmi les rocs et rochers, qui le font tomber, serpenter et bondir à touts coups; nous le passames encor diverses fois ce mesme jour, mais sur des ponts de pierre, rudement voultez et appuyez sur des rocs, trouvez à propos dans la riviere; trouvames aussi deux ou trois vallées assez cultivées et habitées, qui nous recrea la veuë par fois; arrivames sur le soir à Splugen, petit village de passage au pied du haut Splugenbergh, dont les difficultez nous avoyent esté prognostiquées de si long temps, nostre bagage y arriva quasi à mesme temps, ayant eu de l'incommodité proù par chemin, tesmoing un des chevaux, qui avoit culbuté d'assez haut avec ses cofres. De ce lieu il y a quelques 5 heures de chemin par neige et glace à la source du Rhin, dite Hinderrhyn; la curiosité ne me manqua point d'y aller, mais le temps; car y estants arrivez tard, Monsieur l'Ambassadeur se resolut de partir de grand matin le lendemain. Pensant encor envoyer devant le bagage, | |
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il en fut empeché par le droit du païs, qui ne permet point, que les Dimanches aucuns chevaux de charge passent outre; falloit doncques le laisser en arriere jusqu'à tant qu'on eut esté demander permission au premier officier, qui estoit à 3 heures de là. Parquoy Monsieur l'Ambassadeur outre son fils, le maistre d'hostel et 3 valets, nous print deux de la suite, quant et soy, laissant le reste avec le bagage, pour quand la sortie seroit octroyée. Ainsi le lendemain, dernier de May, Dimanche, nous partismes à 8 chevaux de Splugen avant jour, pour prevenir la fonte des neiges sur le midi; passames la monstrueuse montaigne jusqu'à Campo dolcino, ou on repaist, en peu d'avantage que 7 heures avec les difficultez ordinaires et trop cogneuës, comme sont principalement les cailloux et la neige, qui tourmentent les povres chevaux d'une miserable façon, les faisant broncher et enfoncer à touts moments, et perdroit on courage quasi d'en venir à bout, sans l'aide et conduite des habitants de ces païs, dont en eusmes trois, garnis de pailes à sortir les chevaux enfoncez; outre ce qu'en chemin se trouve encor une hostellerie, ou on paye à un homme, qui va journellement rompere la strada, qu'ils appellent, et marquer de bois les plus asseurez passages par la neige, qui se void fondre continuellement par dessoubs; dont les mieux resolus s'espouvantent de se veoir marcher sur une crouste creuse, et y a tels chevaux qui, voyants ces ouvertures, pour les penser eviter, se jettent soudainement à costé dans la neige non frayée, où necessairementGa naar voetnoot1) | |
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ils s'enfoncent. Sorti qu'on est des neiges, suivent les precipices et chemins pierreux à la descente, où incontinent on recommence à s'appercevoir de la chaleur, ayant par la devant cheminé dans un air froid, comme à la Noë, pour estre les sommets de ces montaignes entierement enveloppez de nuages, qui mouïllent comme le brouïllars. Toutes ces incommoditez s'augmentent par les horreurs des torrents, qui jouënt parmi les precipices en façon de gros fleuves et y font une resonance creuse et terrible. Puis, comme c'est l'ordinaire, eumes nous la facherie des rencontres des cavalli di soma, qui vienent à longues files, embarassants les destroits, si que souvent a on de la peine à se donner place l'un à l'autre. Nous eumes le passetemps d'en veoir glisser un par la neige d'assez bonne hauteur, avec sa charge au dos, mais ce leur est chose si ordinaire, que les muletiers mesmes ne faisoyent que s'en rire et le relever à belle aise. Ces facheuses descentes nous firent cheminer une bonne heure à pied, qui ne se fit point sans souvent employer mains et pieds à se tenir. Il y eut une descente d'environ la hauteur de la Chapelle à la court de La Haye, couverte entierement de neige, par où Monsieur l'Ambassadeur avoit esté mené à la main pas à pas; quelques uns des guides s'assirent tout plat et se laisserent glisser du haut en bas; je survins tost apres avec un autre gentilhomme des nostres; Monsieur l'Ambassadeur nous cria d'en bas, qu'en deussions faire autant Ce gentilhomme alla devant et se laissa couler, faisant tant de droles gambades, que de derriere je jugeay qu'il s'en jouoit; mais, ayant fait le mesme pas, j'apprins bien que c'estoit l'estonnement qui l'avoit tellement esmeu en chemin; car, à la verité, pour ceux qui n'en ont point l'adresse, c'est une roideur terrible, qui vous met à | |
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bas en un clin d'oeil et vous pousse en trait d'arbaleste; dont la veuë me fut esblouïe de vistesse, et me redoublerent la frayeur certains arbres et grosses pierres, que je craignoye d'aller saluër en bas; mais desia Monsieur l'Ambassadeur y avoit donné ordre par les guides, qui nous receurent à propos. En descendant depuis passames tousjours joignant les cascades de la riviere Liro, sortant de la Spluge et menant un bruit gueres moindre à celuy du Rhin de l'autre costé. Elle passe à Campo dolcino susdit, où nous disnames, et de là à Claven, autrement Ciavenna, où nous arrivames apres midi, rencontrez par quelques 8 ou 10 gentilhommes du lieu à cheval, s'excusants de n'avoir point attendu Monsieur l'Ambassadeur si tost. Le seigneur Cavallier Hercole Salice, personage de grand credit et authorité en ces quartiers, le vint incontinent saluër, et demeurerent parensemble une bonne heure; je luy presentay une lettre de Monsieur l'Ambassadeur Carleton, sur laquelle il me fit tres courtoises offres de toute sorte d'adresses et bons offices. Le bourg Ciavenna est assis en une belle vallée et fertile; par où fusmes estonnez, que sortant ce mesme jour de l'hiver parfait, si soudainement retombions dans un esté fort avancé, de sorte que desia fraises, cerises, roses et autres fruits s'y trouvoyent en abondance. D'ici nous commençames à fleurer l'Italie, car à Ciavenna non seulement le langage, ains les bastiments, les habits, les façons de faire et toute autre chose y est à l'Italiene; aussi en 24 heures aisément va on de là à Milan, prenant le passage des lacs. Mais il nous falloit renoncer à ses aises, pour n'entrer point aux territoire d'Espagne, et choisir en lieu la montagne de Morbegno, dont le seul regard nous herissa les cheveux, une si grande partie en estant cachée dans les hautes nuës, avec | |
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ce qu'on nous asseura, qu'elle est de trois fois plus haute et difficile que la Spluge, qu'avions depechée ce jourdhuy, ayants tousjours continuellement descendu jusqu'à dans Ciavenna. | |
Juin.Le premier de Juin j'avoye fait desseing d'aller veoir la miserable metamorphose de Plurio, jadis tres beau et riche village à une petite heure de Ciavenna, et depuis nagueres comblé et abismé soubs une montagne, qui panchoit au dessus et fut rongée d'un torrent par le bas, qui la fit cheoir et couvrir ce beau lieu en un clin d'oeil, dont il n'eschappa ame vivante qu'une ou deux, et en mourut plus de 1600. Mais Monsieur l'Ambassadeur changea de resolution et voulut plustost aller attendre son bagage à Morbegno; dont nous partismes sur les 7 heures du matin, accompagnez du Chevalier Hercole et le seigneur Commissaire Sprecher, qui demeura avec Monsieur l'Ambassadeur jusqu'à Morbegno. Selon l'horologe de Ciavenna nous partismes à XI heures; car depuis là on commence à compter à l'Italiene, et se nomme 1 heure la premiere de la nuit, qui estoit lors celle de 8 à 9 à nostre compte. Aussi à Ciavenna nous sortismes des grandes lieuës d'Alemagne, de Suisse et de la Rhetie, trouvants desormais les miles d'Italie, dont il en va pres de 4 en une heure. Nous costoyames la riviere de Meira, qui passe par Ciavenna et se descharge dans le lac de Ciavenna, autrement Lago di Mezóla, contigu au grand lac de Como; disnames environ à 14/10 heures à Nouà, village sur ledit lac de Mezóla, ou nous vismes la maison ou nacquit Jules Cesar Scaliger, son pere estant refugé d'Italie pour avoir commis un homicide. Apres diné nous envoyames nos chevaux le long de | |
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la rive, ou y a des chemins assez pierreux et incommodes, et nous embarquames sur le lac à 4 rames; passames en 1 heure et 1/2 et reprismes les chevaux; sortismes peu apres du Contado di Chiavenna, guere loing du fort de Fuentes, vulgairement dit la briglia de' Grizoni et la sepoltura de' Spagnuoli, à cause de l'air, qui y est mal sain; il fut basti par le Conte de Fuentes, pour lors Gouverneur de Milan, justement au confins du Milanois et la Rhetie. Nous n'avions garde de beaucoup nous approcher des garnizons Espagnoles, dont je n'eus moyen de le considerer de prez. Tournants à main gauche entrames dans la Val tellina et suivants le cours de la riviere Addua, qui la coupe par le millieu, traversée d'un pont de bois que nous passames, arrivames à 20/4 heures à Morbegno sur le fleuve Bito, assez beau bourg des Grizons, où y a un gentil monastere, dit Saint Antoine. La Val tellina est un païs parfaictement beau, fertile et riche, notamment en vins, qui s'ameinent jusqu'au delà des monts en païs fort loingtains; elle a d'estenduë plus de 2 journées, cultivée par tout et bien habitée; depuis le lac à Morbegno nous ne vismes que bledz, vignes, figuiers, oliviers et chastaigniers à foison; la largeur n'en est guere grande, dont les chaleurs y sont vehementes, bien que journellement antidotées par un certain vent qu'ils nomment breve; iceluy du matin se sent sortir du lac, et passe le long de la vallée, comme du ponent au levant, retourne vers le soir d'orient en occident, et donne loisir aux païsants de travailler soubs sa faveur. Le 2e Monsieur l'Ambassadeur se reposa à Morbegno, pour attendre son bagage et le reste de la suite, qui arriva sur le disné, n'ayant point passé la Spluge sans plusieurs incommoditez; on changea | |
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incontinent les chevaux tant de selle que de charge, et s'envoya derechef le bagage devant; mais nous demeurames touts avec Monsieur l'Ambassadeur, pour estre venu des advertences, que peu au de là de la montaigne y avoit quelque bonne quantité de chevaux, qui nous attendoit. Nous passames le jour à nous pourmener et à considerer les belles qualitez de la Valtelline, qui se renomme, par le consentement des anciens et modernes, pour la plus belle et fertile vallée d'Europe; mais ce vent breve, qu'on nous dit estre fiebvreux, nous fit passer l'envie d'y faire long sejour. Au disner et souper. Monsieur l'Ambassadeur fut accompagné du Podestà de la place et un autre gentilhomme, son beau pere, de la maison de Planta. Ils nous asseurerent, que toute l'année il s'ameine plus de vin hors de cette vallée que pour 1000 escus par jour, et ce jusqu'en Austriche, Boheme, etc. Le 3e nous partismes de Morbegno avant jour, commençames à monter tout au sortir du village et ce par des chemins estroits, des precipices roides et horribles, bien plus qu'à la Spluge, sans comparaison; approchez de la cime trouvames de la neige environ pour une bonne heure de chemin, qu'il falut toute marcher à pied, pour estre les passages estroits, droits et coulants; mais Monsieur l'Ambassadeur fut soulagé par un treneau tiré d'un boeuf, qui le mena jusqu' au sommet de la montaigne; c'est la où commence l'estat des Venitiens et s'y descouvre l'Italie comme dans un tableau, mais ce belvedere nous fut empeché par l'espaisseur des nuës, qui nous envelopperent si drù, que la veuë se borna à moins de 15 pas de longueur; dont il s'ensuivit une froideur vehemente, qui nous eut presques fait renier le parfait esté de là bas; peu au de là, à la descente, nous entrames dans la Casa di San Marco, | |
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hostellerie ou vrayment case, plantée dans la neige et ensevelie dans le brouïllars des nuages, qui l'abandonnent rarement; viff pourtraict de l'habitation de Nova Sembla. Nous y repeusmes sobrement et comme à la sauvagine; partismes depuis et en moins d'une demie heure de descente sortismes des nuës et commençames à nous degeler; mais aussi l'eau succeda à la gelée, et n'eusmes tout le reste du jour rien que pluye et tonnerres; approchants à 2 heures de La Piazza, il vint rencontrer Monsieur l'Ambassadeur le seigneur Moderante Scaramela, secretaire et resident ordinaire à La Piazza, suivi de quelques 50 chevaux, la plus part montez de gentilshommes du Bergamasque, qui nous accompagnerent jusqu'à dans La Piazza, village à ceux de Bergamo, sur la riviere Brembo, où desià, par ordre des signori Rettori de la ville, les logements, le souper et autres commoditez furent apprestées dans le logis d'un particulier, le tout en bon ordre et fort sumptueusement. A demie heure devant qu'arriver à ce village, le seigneur Conte Ludovico Bennaglio, docteur en droit, deputé de par lesdits Rettori di Bergamo à recevoir Monsieur l'Ambassadeur, vint le saluër sur le chemin, accompagné d'aucuns gentilshommes, et le mena dans ledit logis, luy faisant compagnie à souper. Avions esté ce jour plus de 16 heures à cheval. Le 4e nous quittames nostre cavallante de Morbegno à prix raisonnable et prismes les 18 chevaux de selle, que les Recteurs de Bergamo avoyent ordonnez et envoyez; partismes à 11/7 heures en compagnie dudit Conte Ludovico, costoyants la haute rive à main droite du fleuve Brembo, dit il furioso pour sa violente course et fameuses cheutes, donnant nom à la vallée dite Brembana; disnames à Sogno, village sur la riviere, où derechef le repas | |
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se trouva appresté à l'advenant du premier; remontames à cheval apres disner, et à 2 heures de la ville nous rencontrerent deux compagnies de Capelletti, (ce sont des Albanois, Sclavons, Dalmatiens, etc. à cheval, ainsi nommez à cause des petits chappeaux qu'ils portent, et servants d'ordinaire à recevoir les Princes ou Ambassadeurs estrangers), qui baillerent la salve et nous accompagnerent de la en avant; un heure après une troupe d'environ 150 gentilshommes de la ville à cheval, ayant rebordé le chemin, par où Monsieur l'Ambassadeur devoit passer, le suivirent de mesmes. A un ¼ d'heure de la ville le seigneur Horatio del Monte, Gouverneur de Bergamo, nous attendoit avec quelques carosses, où Monsieur l'Ambassadeur entra dedans avec luy et les siens, suivi desdites troupes de chevaux, qui firent un train long et belle parade. Dans la porte y eut les seigneurs Rettori et parmi eux le seigneur Giacomo Suriano Capitan grande, le seigneur Nicolo Gussuni Podestà, et le seigneur Pietro Basadonne Camerlingo, touts nobles Venitiens, qui receurent Monsieur l'Ambassadeur et le mirent dans leur carosse, cependant que le canon jouä drù aux bastions et casamattes, entremeslé des salves de 500 bourgeois, arrangez en divers endroits de la ville; les belles compagnies du Païs Bas, y tenants garnison, firent de mesme et entrelarderent leur salve de mortiers, plantez à la place, dont nous eusmes de la peine à tenir nos chevaux en bride. Les ruës et fenestres furent parsemées de peuple, gentilshommes, dames, etc., comme d'ordinaire à ces solemnitez; Monsieur l'Ambassadeur fut mené au palais du Capitan grande, hostel superbe et magnifique, où lesdits seigneurs le firent passer à flambeaux ardents par 4 grandes sales richement tapissées; dans la seconde la musique d'instruments | |
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le receut, et y avoit la table couverte, où apres quelques entretenements nous soupames touts, fort somptueusement servis et à double dessert, dont le dernier ne se porte qu'apres la nape levée. Le repas se fit publiquement et en veuë de beaucoup de monde y accourant. La musique y fut adjoustée en espinette, tiorbe et voix, dont la beauté ne se peut exprimer. A l'advenant du traittement nous fusmes logez dans des chambres richement accommodées et garnies de tout ce qui se peut requerir à la commodité d'un prince. Le 5e nonobstant les grosses pluyes, ces Messieurs menerent Monsieur l'Ambassadeur veoir la belle situation de leur ville, qui se remarque le mieux en certain endroit pres de la porte San Giacomo, qui mene à Milan, où se descouvre la belle plainure de Lombardie et fait le plus agreable prospect qu'homme du monde puisse imaginer. Luy monstrerent depuis le superbe Temple de Santa Maria Maggiore, où se void le rare ouvrage de certains tableaux de bois rapporté, rapportants les histoires du viel Testament au parangon d'aucune peinture, sans toutefois que jamais pinceau y ait touché; puis la sepulture magnifique de Bartholomeo Coleoni, fondateur de l'eglise, avec sa statue à cheval de bronze au dessus, le tout parfaictement bien ouvréGa naar voetnoot1). Cependant le disné fut apresté à l'esgal du soupér passé, mais à cause du Vendredi en poisson, qui le rendit d'autant plus splendide, à raison des monstrueuses truites et autres rares poissons, qui s'y voyoient. La pluye continuelle n'empecha pas Monsieur l'Ambassadeur de monter à cheval apres disner; | |
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les susdits grands officiers le conduirent jusqu'aux portes en carosse, puis luy laisserent bonne troupe de capelletti pour escorte. Cette apresdinée nous commençames à jouïr des incomparables beautez du païs de Lombardie et ne vismes que campagnes pleines de bléd, de meuriers, de vignes et de tout par ensemble en abondance et fertilité incroyable; traversames plusieurs villages, le fleuve de Serrio à Serriato, village, celuy de Gurlago à Chiero; arrivasmes sur le soir tout baignez à Pallazuolo, villette sur la riviere l'Oio, où le Seigneur Quinto Quarti, gentilhomme D.V.S., envoyé de par les Rettori de Brescia, vint bienvenier Monsieur l'Ambassadeur avec encor une compagnie de capelletti, ayant faillé à nous rencontrer à cause qu'avions prins un chemin moins usité, pour eviter les eaux de la riviere Serrio, engrossie par les pluyes. Nous y trouvames souper et logements accommodez à l'accoustumée grandeur Le 6e nous montames touts en 6 carosses à 4 chevaux, envoyez par ceux de Brescia, qui nous vindrent tres bien à point à cause de la pluye, qui tomba plus grosse ce matin qu'aucun jour auparavant; dont à nostre arrivée à Brescia les ceremonies de la reception furent mises en desordre; outre ce que les signori Rettori furent precipitez, n'ayant attendu Monsieur l'Ambassadeur que vers le soir, qui arriva par la nonchalance d'un capelletto, envoyé devant. A un ¼ d'heure de la ville, le seigneur Collonelle De Roquelaure vint au devant de Monsieur l'Ambassadeur. Dans la porte il fut receu par les signori Michael Foscarino Podestà, Lorenzo Capelli Capitan grande, Beldisera Priuli et Leonardo Lipomano Camerlingi, et Francesco Giustiniani Governatore, fils du grand Pompeio Giustiniani, dit il Braccio di ferro, et quelques | |
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autres, qui le conduirent au palais dudit Capitan grande, bien plus superbe et magnifique que celuy de Bergamo en sales peintes, tapissées, meublées, etc. Aux remparts la salve fut faite par les 3 compagnies de la garnizon, pour autant que le mauvais temps voulut permettre, et fumes suivis de force carosses de gentilshommes. Le disné, pour avoir esté hasté, n'en fut moins splendide, ni mesmes le souper, esgalement garnis de quantité d'admirables poissons. J'apprins la dedans qu'en Pregadi à Venise le traittement de Monsieur l'Ambassadeur avoit esté reglé à....Ga naar voetnoot1) ducats par jour dans toutes les villes, ou il passeroit; je m'en estonnay moins, quand on m'asseura, qu'il se servoit à table des truites de....Ga naar voetnoot1) escus la piece, et le reste du poisson à l'advenant. Le 7e, Dimanche et Pentecoste, fut le premier beau jour que nous vismes en Italie, mais aussi la chaleur nous commença à toucher au vif. La pluspart du devant disner ces seigneurs nobili s'amuserent à la devotion; apres midi ils menerent Monsieur l'Ambassadeur à la citadelle, où il fut receu par la salve des mousquettaires, et du Castellano, le Seigneur Francesco di Mulen, noble Venitien, comme les autres, qui le receut à la porte selon leur ordre, qui ne permet point, qu'ils en sortent d'un pas de deux ans, que continuellement ils y sont, si ce n'est quelquefois pour peu d'heures et avec permission du Capitan grande, qui y met un des camerlinghi en place. Ayants fait quelques deux fois le tour du chasteau par divers remparts, ils firent reposer Monsieur l'Ambassadeur dans une grande sale voutée et ouverte à l'air et luy baillerent la collation dans 5 ou 6 grands bassins dorez, qu'autant de valets presenterent dans la main. Cette forteresse est une des | |
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belles de l'Italie, assise en lieu fort haut et eminent, commandant par ainsi à touts endroits de la ville, qui s'y descouvre ouvertement en sa forme presque quarée; mesmes comme d'un costé la Lombardie est platte et plaine, les villes de Cremona, Mantoua et autres en temps serain s'y voyent aisement. Dans le chasteau y avoit 300 hommes de garnison, force poudre, soulfre, salpetre, charbon, bales, mousquets, cuirasses, froment, millet, huile et autres munitions et provisions de guerre, notament d'artiglerie, qui s'y void en grande quantité; y a double fossé et rempart, l'un au dessus de l'autre; les espaules taillées en casemattes; le tout couvert de pierre de taille et fondé sur le rocher. Les bourgeois mesmes ne sont point admis d'y entrer, dont y eut grand' presse de peuple à cette occasion. Le reste de l'apresdinée Monsieur l'Ambassadeur l'employa à se pourmener en carosse par la ville, qui est grande et bien magnifique, a beaucoup de ruës larges et droittes, pleines à deux costez de belles maisons, mais la plus part en forme de palais, l'entrée large et voultée, cour ample au dedans et circuïe de galeries et portiques, qui y sont fort ordinaires, mesmes aux ruës publiques devant les boutiques des marchants, qui donne beau lustre à la ville. Le 8e apres diner au partir de Monsieur l'Ambassadeur le Seigneur De Roquelaure mit les 3 compagnies de la garnison en bataille, qui firent la salve tant dans la ville qu'aux remparts. Les susdits signori nobili accompagnerent Monsieur l'Ambassadeur jusqu'au dehors de la porte, quelques autres plus avant, et le Seigneur De Roquelaure environ à deux heures de chemin. Il y eut plus de 50 carosses de gentilshommes par chemin et tout le peuple en alarme; il nous demeura 3 carosses de | |
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voitture avec quelques chevaux, qui nous menerent. Au bruit des mousquettades un des carosses fut versé, un cheval renversa son homme et un autre rompit à peu pres la main à un quartiermaistre François. Ceste apresdinée nous eusmes des chemins à peu pres pareils à ceux d'Hollande, droits et ceints de fossez, mais pierreux et incommodes, au reste les terres belles et fertiles au possible; passames le Pont San Marco, village au fleuve ou plustost torrent Cherro, qui est trouble entierement, mais roide; passames depuis le bourg et chasteau de Lunato; a une mile de la nous rencontra le seigneur Cavalier Buonfabio, noble Venitien, deputé de par les recteurs de la ville de Salo à saluer Monsieur l'Ambassadeur; il eut quelques autres chevaliers de Malte avec luy et de plus une compagnie de capelletti, dont se leva une querelle entre leur capitaine et celuy de la compagnie, qui nous fit escorte de depuis Brescia, à qui marcheroit devant, mais fut appaisée par ledit chevalier. Vers le soir nous arrivames à Desenzano, un des beaux bourgs de l'Italie, assis sur le lac de Garde; justement devant souper y arriva le Camerlingo Lipomani avec quelques autres gentilshommes, nous estants suivis en poste depuis Brescia pour souper avec Monsieur l'Ambassadeur. Le Lago di Garda est fort grand, a 35 miles de longueur, de largeur peu d'avantage que 14. C'est celuy, qui ancienement se disoit Benacus lacus. Sur iceluy est la ville Sirmio, patrie de Catullus. Il est riche en poissons extremement, notamment de ceux, qu'ils appellent carpioni, poissons rares et savoureux, qui ne se prenent qu'en certain petit endroit du lac et non autrepart, qui est chose merveilleuse. Il se voit ceint la pluspart des hautes montagnes d'Italie jusqu'à devers Tirol, dont il est dangereux | |
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à naviger pour les tempestes soudaines, qui y naissent. J'y apprins la verité du vers de Virgile, ‘Fluctibus et fremitu surgens Benace marino’; car comme devant souper avions esté nous proumener en gondole avec la musique sur le lac, qui estoit doux et calme autant qu'il se peut, il ne passa que 2 petites heures qu'il se leva la plus effroyable tempeste de tonnerre, esclair, vent et pluye, qu'eumes ouye de longtemps, dont ce beau calme se changea soudainement en vagues orageuses au paragon d'une mer boreale, mais aussi le temps se remit subitement vers la nuit. Le 9e le seigneur Camerlingo s'en retourna à Brescia avec le petit nepveu du castellano, qu'avions veu au chasteau. La tempeste du jour auparavant fit resoudre Monsieur l'Ambassadeur de choisir le chemin par terre plustost que celuy du lac; nous disnasmes de bonne heure et partismes incontinent apres; passames à Rivoltella, village, et depuis là eusmes le villain chemin de la Strada Lugana, qui nous dura jusqu'a Peschera, belle et grande forteresse sur le lac, dont les fossez s'emplissent par le fleuve Minzo, qui l'entoure de touts costez et s'en va jusqu'au lac de Mantouë. Peu devant il nous rencontra le Cavalier Vincenzo Medici, deputé (ou comme ils disent ambassadeur) de par ceux de Verone à bienvenier Monsieur l'Ambassadeur, accompagné de son nepveu Alessandro Medici, du Comte Francesco Giusti, le Comte Hieronimo Canozza, le Seigneur Giovan Baptista Allegro, docteur en droit, et quelques autres gentilshommes avec plusieurs capelletti et autres carosses, que nous prismes au lieu des nostres. A l'entrée de Peschera tout le rempart fut armé de nostre soldatesque du Païs Bas, qui fit la salve; le seigneur Proveditor de la maison de Tiepoli | |
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mena Monsieur l'Ambassadeur de l'une porte à l'autre; peu au de là on fit repaistre les chevaux à Cavalcaselle, village, et fut donné collation là aupres à Monsieur l'Ambassadeur au palais du Capitaine di Monti, fort estimé soldat en ces quartiers. Ayant cheminé une heure, il nous rencontra deux autres compagnies de capelletti et quelques capitaines et officiers des garnisons Hollandaises, qui nous menerent vers la ville. Faisants ce chemin, eumes continuellement les Alpes à gauche et entre icelles il Monte baldo, eminent entre touts autres en hauteur et fertilité; eumes à main droite une campagne rase et descouverte à perte de veuë, qui s'estend jusqu'à Mantouë à 35 miles de païs. Sur ce champ à 2 miles de la ville Monsieur l'Ambassadeur fut receu par le Gouverneur Giovan Paolo Benzoni, accompagné de quantité de carosses et seigneurs; justement devant la porte de Verone les signori Rettori l'attendirent, entourez de plus de trois fois autant de carosses, qu'il ne vint avec nous; ils estoyent les seigneurs Marco Giustiniano de l'aquila d'oro (à la difference d'autres familles du mesme nom) Podestà, Dominico Barbarigo Capitan grande, Francesco Minio et Andrea Martello Camerlinghi. En cette suitte, embarassez d'une infinité de monde, entrames au soleil couchant dans Verone, ou les beaux remparts furent mis en feu plusieurs fois des salves de nos mousquettaires, et le canon deschargé dans la ville au Castello Vecchio; au reste les ruës pleines d'encor autant de carosses, chargez de gentilshommes et dames par douzaines, qui avoyent esté toute l'apresdinée par chemin, pour dire que cette folie n'est pas peculiere à nostre nation. Nous fusmes logez et magnifiquement traittez dans le palais du Capitan grande, jadis basti et habité par ceux de l'Escale, princes de | |
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Verone, dont les tombeaux se voyent la aupres, comme les avons en peinture au Païs Bas. Le palais est auguste et ample, a grand logis et quatre cours quarées; dans l'une d'icelles nous vismes les statuës dressées à l'honneur des cinq Veronnois renommez, Cornelius Nepos, Aemilius Macer, Plinius Historicus, Vitruvius et Fracastorius. Le 10e la pluspart des comptes surnommez vindrentGa naar voetnoot1) trouver Monsieur l'Ambassadeur et le mena veoir le jardin et palais du Conte Giusti, qui s'estime un des beaux lieux de plaisance de l'Italie, pour estre pendu contre un rocher taillé en grottes et cabinets à propos, et planté de cipres, les plus droits et hauts arbres qu'il se puisse veoir. Au sommet de cette colline joignant la muraille de la ville on descouvre ce beau regard de ville de Verone avec sa riviere d'Athesis, qui la coupe par le millieu, à bon droit nommé par le poëte Athesis amoenus. Dans la maison dudit conte nous vismes quantité de pourtraits et peintures de Titian et autres plus fameux peintres d'Italie. La grand sale du logis est toute tapissée de pourtraits de princes et hommes illustres, ou entre autres je trouvay celuy de Monsieur le Prince d'Orange de Noble Memoire, celuy de l'Admiral Coligny, de son Excellence d'à present, des Comtes d'Egmont, Hornes, etc., assez bien representez. Nous passames depuis en carosse les restes de l'arc triomphal, erigé à Caius Marius apres la derniere defaicte des Cimbres et Teutons, qui arriva (selon aucuns) dans les susdites plainures de Verone, lieu celebre par beaucoup de batailles signalées. Cet arc triomphal est encores aucunement entier, a deux portes et est quaré par le haut, mais il ne s'y void rien de parfait de la vielle architecture. Traver- | |
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sames peu apres l'amphiteatre renommé à la place, dite jadis Forum boarium Ce disné Monsieur l'Ambassadeur eut la compagnie de la pluspart des contes et seigneurs qui l'avoyent rencontré. Je ne m'estoye point satisfaict du regard simple de l'arena ou amphiteatre; l'apresdiner, que la chaleur avoit confiné tout le monde au logis, j'allay le considerer de plus prez, pour estre le plus entier, qui se voye aujourdhuy; aussi ceux de la ville y font de la depence continuelle des deniers provenants des biens confisquez, dont à un costé il est comme tout nouveau, de l'autre desià fort avancé; car encor journellement on s'en sert à representer tournois, joustes, courses de bague et autres jeux; quand j'y fus, on estoit après à faucher l'herbe, qui y croit toute longue. La forme en est ovale; a par dedans justement 100 pas de longueur; y adjousté deux fois 47, qui est la grosseur du bastiment, revient à 194; la largeur en a au dedans 60; avec encor deux fois les 47, font 154. J'y contay 45 degrez ou sieges, qui ont chascun environ pied et demy de hauteur. On dit que jadis il tenoit 20000/60000 hommesGa naar voetnoot1), qui me sembla peu estrange, considerant sa hauteur et capacité. Du tour de muraille au dehors il ne se void que fort peu de reste; je montay tout au haut de ces ruines et fus estonné d'y trouver les marbres si gros et puissants, qui d'embas paroissoyent petits et peu capables de resister à la tempeste. De l'autheur de ce beau chef d'oeuvre les habitants, comme les escrivains, en donnent peu d'asseurance; un entre autres tasche de prouver par divers arguments, que c'est le faict d'Auguste, ce que plusieurs nient; quoy qu'il en soit, la fabrique mesmes donne bien à cognoistre, qu'il doit avoir esté fondé environ le plus | |
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florissant de l'empire. Sortant de l'arena j'allay veoir l'admirable arche du pont, qui traverse l'Athesis au Castel Vechio, mais de passer au chasteau, pour le mesurer de pres, je n'eus point loisir, estant en chemin pour aller veoir le seigneur Conte Bevilacqua, qui m'avoit promis à table de me faire veoir son palais et les raritez qu'un sien parent y a amassées. Il me receut avec beaucoup d'honneur et courtoisie, et me donna le contentement du regard d'infinité de statuës antiques, medailles, peintures, etc., qui me firent regretter le peu de sejour qu'avoye à faire en ce beau lieu. Me mena depuis dans sa chambre des Muses, où une fois par sepmaine s'excerce la musique à voix et toutes sortes d'instruments, qui s'y voyent. Je m'esjouïs d'y veoir toute la muraille tapissée des pourtraits des grands musiciens qui ayent jamais esté, tant Italiens que Flaments, etc. Monsieur l'Ambassadeur s'en alla veoir toutes ces gentillesses encor depuis. Vers le soir ilz le menerent dans leur Academia Philarmonica, qui est un bastiment spatieux et haut, dressé par les principaux de la noblesse de Verone, qui y font la musique touts les Jeudis; touts les Samedis y font une assemblée litterale, où il se dispute divers problemes et se discourt de toutes matieres honestes. Ce soir on y avoit fait venir tout ce que la saison d'esté avoit laissé de reste de dames dans la ville, qui apres l'excellente musique de voix, espinettes, tiorbes, etc. se mirent à dancer sur leur pianelle à demie aune et d'avantage de hauteur, au reste richement couvertes de toiles d'or et d'argent, et le tout avec une gravité Italiene que nous appellions desgoustable en François. Ces messieurs remarquants que je prenoye plaisir en leur musique, me firent present des livres nouveaux de leur maistre de chappelle, que je garde à leur memoire. C'est | |
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tout ce que j'eu moyen d'observer en la grande Verone, qui à 7 miles de tour et se dit à bon droit surpasser quasi toutes autres villes d'EuropeGa naar voetnoot1) en commodité d'assiette, en noblesse, en antiquité, en beauté et magnificence, en forteresse, en peuple, en traficq, en lettres et en armes; dont il ne faut s'emerveiller, si plusieurs Princes et Empereurs Romains y ont voulu choisir le lieu de leur residence, comme tesmoignent les histoires; que mesmes d'aucuns des grands y furent nez comme Vespasien, Tite et Domitien. Le 11e les signori Rettori furent levez avec nous de grand matin; accompagnerent Monsieur l'Ambassadeur à un traict d'arbaleste hors de la ville avec bon nombre de carosses, dont il nous demeura 6 à quatre chevaux, comme aussi le seigneur Cavallier Medici et 3 autres gentilshommes, ayants charge de nous mettre dans le Vicentin, à l'escorte d'une bande de capelletti; passames tost apres par San Martino, petit village, ou se fait quantité de papier; vinsmesGa naar voetnoot2) à 14/10 à Villanova, village, et trouvames le disné prest dans le monastere des Benedictins; partismes à 17/1 heures; eumes tout ce jour des bons chemins esgaulx et à peu pres semblables à ceux des venes en Hollande. Environ les confins du Veronois et Vicentin nous rencontra une autre compagnie de capelletti de par ceux de Vicence; incontinent apres l'Ambassadeur ou Deputé, le Conte Scipion Chieregato, Vicentin, gouverneur de la ville, avec plusieurs contes et gentilshommes, en 8 carosses, qu'il nous falut prendre, quittans les nostres; le Cavalier Medici ayant prins congé avec ses capelletti, passames outre, par Montebello, assez | |
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grand village et chef de 6 autres; eumes des belles montaignes à deux costez, parsemées de chasteaux et palais de plaisance, entre autres un des grands et beaux, jadis aux princes de l'Escale, à main droite sur le haut d'une montagne. Arrivants à VicenzaGa naar voetnoot1) vers le soir, Monsieur l'Ambassadeur fut receu aux fauxbourgs par les signori Vincenzo Grimani Podestà, Francesco Michiel Capitaneo grande, et Guido Maria Benzoni Camerlingo; la bourgeoisie estoit en armes, les ruës pleines de peuple et de carosses en grandissime nombre, qui nous suivirent jusqu'au palais dudit signor Capitaine, où on nous logea et traitta au pair des premières receptions. Craignant que Monsieur l'Ambassadeur ne passast outre le lendemain, je desrobay une heure devant souper, pour aller veoir le Theatro olympicque de la noblesse de Vicenze, bastiment moderne, mais à la verité tel qu'en Europe ne se peut veoir chose plus belle. Il tient plus de 3000 personnes à l'aise, les hommes au dessus sur 14 rangs de degrez ou sieges, au bas les femmes sur d'autres bancs, qui achevent le demi cercle tout contre le proscenium, qui tient de diametre au dedans 35 de mes pas, de largeur 9. L'architecture de la scene est ce qu'il y a de plus superbe et artificiel, estant toute ornée de statues antiques d'excessive valeur; sa structure est en forme de palais à costez, enserrant une ruë au millieu, qui a de longueur 26 pas, de largeur à l'entrée 7, au bout 2½, au reste le pavé montant, comme s'il fut deseigné en perspective; dont ceste ruë, pour estre poinctuë, paroist de loing de 20 fois plus longue qu'elle n'est de faict; chose merveilleuse à veoir et qui puisse tromper l'oeil des plus | |
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advisez, notament à la chandelle; car aussi on n'y represente jamais rien que de nuit, lors que ce beau bastiment s'illumine de 6600 tant flambeaux que chandelles, placées chascune au derriere dans leur niches, si que pas une ne s'en void, et rendent cependant une lueur plus claire que le jour. Au front de la scene se lit cette inscription: ‘Olympicorum Academia, Theatrum hoc a fundamentis erexit ao M.D.LXXXIV Andrea Palladio Archit.’ Dans la grand' sale y a les enseignes ou imprese des seigneurs Academiques, avec ces mots sur les portes: ‘Olympicis excitamento. Civibus oblectamento. Patriae ornamento.’ Selon les loix de l'Academie, au modelle des Olympiades ancienes, il faut que touts les 5 ans il s'y represente une piece nouvelle, où alors s'appellent touts les plus signalez esprits de l'Italie, le tout à grandissime despence. Le 12e les susdits signori Rettori menerent Monsieur l'Ambassadeur pourmener par leur ville et mesmes au theatre susmentioné, qu'il ne m'ennuya nullement d'admirer la seconde fois. Luy monstrerent aussi le palais du seigneur Podestà, bastiment superbe, vis à vis de celuy ou nous estions logez, mais bien plus richement meublé, notamment en peintures de grande valeur, qui de 4000, qui de 6000 escus la piece. Apres disner vers les 21/5 heures les signori Rettori avoyent convié au bal dans nostre palais toutes les principales dames de la ville, qui s'en vindrent en bon nombre, magnifiquement equippées en toiles d'or et d'argent, perles, piereries, etc. La danse dura jusqu'au soleil couchant, avec la gravité et pompe ordinaire, qui ne consiste qu'en une parade de pourmenade, qui nous fut facile à imiter, en estants requis par ces dames, comme il arriva plusieurs fois. Cette feste finie, toute la | |
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brigade monta en carosse et s'en alla on veoir le jardin du seigneur Conte Massimiliano Valmarano, qui se repute pour le plus grand, beau et somptueux de l'Italie pour la grande quantité de citroniers, orangiers, cédres et autres arbres, qui s'y voyent de touts costez, y adjousté le rare labyrinthe en hayes de buy espaisses et hautes, dont tout le monde sçait à parler; volieres, viviers, etc n'y manquent nullement, mais nous passames au dessus en haste pour encor nous proumener dans le beau pré, qu'ils nomment Campus Martius, ou jadis la jeunesse se souloit exercer à toutes sortes de travaulx militaires. Nous y fismes plusieurs tours avec touts les carosses, dont ceux qui portoyent les dames estoyent richement doublez de velours et damas, d'aucuns mesme dorez, peints et couverts de velour, au dehors; quelques gentilshommes et jeunes seigneurs, montez sur des tres beaux chevaux, entretenoyent les dames à costé, qui est leur façon ordinaire d'aller prendre le frais de la journée, qui pour lors avoit esté terriblement chaude. Le 13e nous partimes de Vicenza du matin environ les 6 heures; les signori Rettori menerent Monsieur l'Ambassadeur au dehors de la porte avec plusieurs seigneurs de la ville, dont il nous demeura le susdit Conte Scipion Ambassadeur, le Conte Valmarano et quelques autres en 8 carosses, qui nous menerent premierement à Custoza, ou le desjeuné avoit esté appresté, pour faire veoir à Monsieur l'Ambassadeur les admirables cavernes, qui ont rendu le lieu celebre. La plus grande est dans la montaigne, joignant le village; on dit qu'elle a 7 miles de longueur, pour le reste de forme pyramidale. Nous n'y montames pas, pour estre la chaleur trop vehemente, mais fusmes menez dans celle en bas, qui a de longueur 3 miles, appuyée | |
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sur infinité de gros piliers quarez; il s'y trouve mille estranges destours et passages en forme de labyrinthe, dont y en a fort peu ou point, qui jamais se soyent avancez à en trouver le bout; car incontinent on a perdu la clarté de l'entrée, qui est estroitte, et n'y a moyen d'y tenir flambeau allumé à cause de la grande froideur qui les tuë; les païsans allument des gros bouchons de paille, au moyen desquels on y chemine à plus de seureté; à l'entrée y a pluye continuelle d'une eauë, qui tombe à gouttes de la voulte; à nous autres la froideur empecha bien d'y entrer fort avant; sortismes donc et venus en l'air, nous estoit advis d'entrer en une estuve, par ou quelques uns se morfondirent à l'instant. C'est chose merveilleuse de la proprieté de cette grotte, qu'estant dedans au millieu, il ne se sent aucun mouvement d'air et que toutefois à son emboucheure il y a un soufle continuel et roide d'un vent qui en sort. Il y a tout aupres la maison de ceux de Trenti, gentilshommes de bonne maison et riche, qui ont si bien sceu prendre l'occasion de ce vent, que l'ayants fait mener par canaulx sousterrains, ils en rafraichissent chasque chambre du logis, et ce à telle mesure et restriction qu'il leur plait, pouvants ouvrir et reserrer lesdits conduits à leur appetit; or ce qui en esté les refroidit, les eschaufe en hiver, de façon qu'en ce temps là les povres païsanes vienent se mettre à travailler aux emboucheures de ces grottes pour se passer du feu. La maison est voultée par embas, dont les chambres reçoivent la fraicheur, qui par le pavé, qui par la muraille; dans celle où nous desjeunames y a l'inscription du premier inventeur de cet artifice, qui vesquit environ l'an 1400, en cette façon: (‘Ad locum istum hedificandum longum illud tempus quo non ero magis me movet quam exiguum vitae | |
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meae’Ga naar voetnoot1).) Autrepart il se lit: ‘Aeolus incluso ventorum carcere regnat.’ Ayants desjeuné nous passames oultre, et arrivez environ aux confins de Padua et Vicenza eumes la rencontre du Seigneur Giulio Dotti, qui receut Monsieur l'Ambassadeur de par ceux de Padouë, accompagné de quelque noblesse en 8 ou 9 carosses, que nous prismes apres que le Conte Scipion et les siens eurent prins congé. La compagnie des capelletti aussi s'en retourna et en vint une autre de Padouë. Passames depuis la riviere de Marchignone à Tincarona, village, où quelques gentilshommes Alemans de l'estude à Padouë vindrent rencontrer Monsieur l'Ambassadeur en chemin. Les fanges environ Padouë nous baillerent de la peine assez, la riviere ayant esté si haute devant peu de jours, qu'aucun carosse n'y avoit peu passer. Venants devant la ville, trouvames la bourgeoisie en armes et arrangée sur la contrescarpe devant le pont; comme ils firent la salve, tout en un instant trois capelletti furent blessez d'autant de mousquettades, dont l'un mourutGa naar voetnoot2) incontinent apres avec un cheval, que nous vismes estendu sur le chemin, ne suivants qu'à 30 pas loing le carosse de Monsieur l'Ambassadeur, tout devant duquel ce desastre arriva. Nous ne sçavions que juger de ce fait, mais bien pouvions nous imaginer, que sans dessein tant de bales ne s'estoyent suivies en un mesme lieu; songeants aux inimitiez et factions ordinaires de ces païs, le trait nous en sembla moins estrange. Dedans la porte Monsieur l'Ambassadeur fut receu | |
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par les Recteurs de la ville, les seigneurs Antonio Bragadino Podestà, Silvestro Valier Capitaneo grande, le Camerlingo et plusieurs carosses, qui nous suivirent jusqu'au palais dudit Capitan, où le disner estoit splendidement apresté, mais parce que Monsieur l'Ambassadeur avoit fait donner ordre à Venise pour le souper en intention resoluë d'y estre encor ce soir, nous ne repeumes qu'à la haste, estant desia l'heure tarde. Apres disner ces Messieurs accompagnerent Monsieur l'Ambassadeur hors de la porte, où nous nous enbarquames en deux piottes, envoyées de Venise, l'une couverte de tapits et enseignes de San Marco. Voguames ainsi le long de la Brenta, riviere environ de la largeur du canal entre Delft et Rotterdam. Vismes en ce chemin comme un voisinage continuel des plus relevez palais et maisons de plaisance, qu'on se puisse imaginer; le grand nombre me fit perdre courage d'en tenir note; bien vis-je en passant, que celles de Mocenigo, de Foscari, de Grimani et celle de Contarini, où logea jadis Henri 3e au retour de Poulogne, n'estoyent nullement des moindres; passames cette apresdinée 4 escluses, qui font beaucoup perdre de temps aux passagiers; une y en a à Dolo, village à moitié chemin, la derniere à Liza fuzina, petit village à l'emboucheure de la riviere dans le lagune. Desia il estoit noire nuit, quand nous passames là, mais la lune nous favorisa; traversames la mer, qu'ils appellent, en une petite heure et arrivames à Venise environ les 3/11 heures de nuit, sans estre descouverts de personne, qui est l'ordinaire des ambassadeurs en cette ville, où ils ne se reçoivent qu'en un jour ou 2 apres l'arrivée. Fusmes logez dans le palais d'un gentilhomme Venitien, Marcollo, al Campo di San Stephano, gueres loing du grand canal; maison grande, belle | |
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et richement menblée, où le traittement de Monsieur l'Ambassadeur avoit esté reglé à 100 ducats (cela vault peu d'avantage que 200 francs) par jour. reservé quelques autres despences, comme de linge, bois, chandelles, gages de cuisiniers, valets et plusieurs choses semblables, qui montoyent à bon compte. Je louay le bon Dieu du heureux succes d'un si long voyage, et trouvay qu'y avions mis 7 sepmaines, faisants justement 50 jours. Le 14e Dimanche, Monsieur l'Ambassadeur fut salué par quelques uns de la nation et apres disner m'envoya baiser les mains au grand DogeGa naar voetnoot1) ou Prince de la Republique, pour entendre, quand et comment il plairoit à sa Serenité de le faire recevoir et luy donner audience. J'allay le trouver dans son palais de San Marco et luy fis mon message dans sa sale, où il estoit assis dans son siege ducal, relevé à deux marches. Il m'embrassa amiablement à l'abord, remercia Monsieur l'Ambassadeur de l'honneur qu'il luy faisoit, se rejouïssoit de son heureux arrivement en cette ville, ou il devoit s'asseurer d'estre aussi bien venu, que jamais Ambassadeur qui fut, comme celuy qui estoit venu confirmer une si heureuse et souhaittable ligue entre ces deux Republiques, laquelle de son costé il nous osoit asseurer, que seroit sainctement et inviolablement observée pour tout jamais, à la seureté de l'un et l'autre estat et la propulsionGa naar voetnoot2) de leurs communs ennemis. Suivant quoy desia l'ordre avoit esté donné de le recevoir et honorer au pair d'aucun ambassadeur du plus grand roy du monde; faisant toutefois supplier Monsieur l'Ambassadeur, qu'il luy pleust | |
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avoir patience jusqu'à Mardi, pour devoir estre le lendemain, Lundi, empesché aux solemnitez de la feste de Santo Vito. Ayant fait ce rapport à Monsieur l'Ambassadeur, il fut incontinent visité par le Seigneur....Ga naar voetnoot1) Trevisano, destiné Ambassadeur en Hollande. Alla depuis se proumener vers le soir en gondole et à couvert. Le 15e il passa pen de chose de remarque, sinon la procession du Doge s'en allant ouïr messe à Santo Vito en sa suite coustumiere à ces solemnitez de feste; je le vis au sortir de l'eglise, que là aupres il s'embarqua en sa piotte, y estant allé dessus un pont de bois, qui du jour d'auparavant y avoit esté mis à cet effet. Le 16e, qui estoit le jour, que le Prince avoit determiné à la reception, Monsieur l'Ambassadeur s'embarqua avec touts les siens en 5 gondoles et se fit mettre hors de la ville au monastere de San Georgio d'Aliga, par devant où on passe en venant de Liza fusina; la mesmes se trouverent touts les principaulx de la nation avec leurs gondoles; y ayants attendu une bonne heure, vismes partir de la ville 22 gondoles avec autant de senateurs du Pregadi, qui arriverent tost apres au monastere, touts gents d'aage, à la barbe grise, habillez de robes de tafetas rouge à manches grandes et larges. Arrivez qu'ils furent, s'assemblerent touts dans l'eglise du couvent et ayants fait advertir Monsieur l'Ambassadeur de leur venue par un secretaire, qui marchoit par tout devant, vindrent le rencontrer dans une galerie, et le Seigneur....Ga naar voetnoot2) Foscarini, jadis Ambassadeur en France, ayant prins Monsieur l'Ambassadeur à sa droitte, touts les autres suivirent | |
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apres et en prindrent chascun un de nous autres pareillement à la droitte, nous menants ainsi aux gondoles, dans lesquelles nous fismes le traject et abordames à une ruë pres du logis, pour estre le canal devant la porte trop estroit; marchames derechef en pareille façon par les ruës jusqu'à dedans la chambre de Monsieur l'Ambassadeur, qui les ramena jusqu'en bas à la porte, et à la descente leur fut baillée la main droitte, selon la coustume de la republique. Premier que partir, ils assignerent à Monsieur l'Ambassadeur les 11/7 du lendemain matin pour sa premiere audience, ce qu'encor depuis apres souper le Seigneur Foscarini fit confirmer par son secretaire à Monsieur l'Ambassadeur, le priant de se vouloir tenir prest à l'heure ditte, que les mesmes seigneurs le viendroyent prendre dans son logis. Il nous fut dit que 160 de ces Senateurs avoyent esté enrollez, mais que la plus grand part n'avoit osé passer l'eau de peur de quelque tempeste, que l'air sembla menacer. Le 17e les seigneurs Senateurs s'en revindrent à 62 prendre Monsieur l'Ambassadeur dans son logis environ les 11/7 heures du matin, et nous menerent en mesme rang que devant, chascun dans sa gondole; nous abordasmes à San Marco et montames au palais, parmi une presse continuelle du monde accourant, jusqu'à dedans la Sale del Collegio, où il fut permis à un chascun d'entrer. Le Prince y estoit assis en un lieu eslevé à 5 ou 6 degrez dans son siége de 2 marches plus haut que les places des Conseigliers et Savii à costé. Monsieur l'Ambassadeur approchant pour luy faire la reverence, il descendit des 2 marches susdites et, l'ayant embrassé, le fit seoir à sa main droitte et se couvrir incontinent. Tost apres que le bruit de la presse commença à s'appaiser, Monsieur l'Ambassadeur entama de parler | |
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et acheva sa proposition environ en un quart d'heure, à laquelle le Prince respondit en quelque peu moins de paroles; peu de replique et duplique ayant esté donné, Monsieur l'Ambassadeur se leva; Monsieur son fils s'avança à faire la reverence à sa Serenité, et nous le suivimes un à un. Mon tour estant venu, le Prince me recogneut aussitost et en mesme temps (à ce que depuis il a pleu à Monsieur l'Ambassadeur de m'en rapporter) rendit si louäble tesmoignage du message que passé 2 jours j'avoye eu l'honneur de luy faireGa naar voetnoot1), que la modestie ne souffre point que j'en face le recit Cela fait, nous sortismes du college et fumes menez au logis comme devant, ou les trompettes, tambours et violons nous attendirent à l'entrée. L'apresdinée la Seigneurie fit requerir Monsieur l'Ambassadeur de leur vouloir faire tenir sa proposition par escrit, d'autant que le secretaire, ordonné à en tirer memoire, n'avoit peu si promptement concevoir le langage françois; Monsieur l'Ambassadeur leur accorda ce qu'ilz demanderent. Ils luy firent demander, si le lendemain il auroit envie de veoir la procession du Corpus Domini, qu'ilz appellent, mais il s'en excusa. S'en alla visiter le Seigneur Trevisano et m'envoya saluër de sa part le Seigneur Giovan Giacomo Pessino, Ambassadeur de Son Alteze de Savoye, que je ne trouvay au logis, ains le rencontray en gondole et luy fis mon message. Le 18e devant disner nous vismes la procession du Corpus Domini pretendu, où apres touts les ordres et une suite infinie d'argenterie, emmoncelée en diverses figures, suivit le Prince, ayant à droite le Nonce du Pape et à gauche l'Ambassadeur de Savoye; vindrent apres quelques uns des robes-rouges, | |
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ayants chascun un pelerin à droitte, qui est ce que j'observay de singulier en cette pompe. Apres disner Monsieur l'Ambassadeur m'envoya porter sa proposition au college, selon leur requeste; fut visité par trois gentilshommes Venitiens, filz du Seigneur Moresini. Le 19e Monsieur l'Ambassadeur eut sa seconde audience à huis fermez, sans aucune ceremonie, comme c'est la coustume en cette republique; venant devant le college, on le fit asseoir sus un banc tapissé pres de la porte, qui s'ouvrit incontinent apres. Il fut dedans environ une demie heure; descendit et s'embarqua en sa gondole avec sa suite, sans autre escorte. M'envoya porter vers le soir sa proposition par escrit. Le 20e nihil. Le 21e, qui fut Dimanche, Monsieur l'Ambassadeur s'en alla veoir la pleine assemblée du Grand conseil et l'ordre de leurs suffrages en balotteries; fut pris en son logis et ramené par le Seigneur Trevisano. Le 22e nihil. Monsieur l'Ambassadeur alla veoir le Seigneur Trevisano. Le 23e apres disner Monsieur l'Ambassadeur se fit mener à Muran, où nous vismes le celebre mestier des verres, tant à boire qu'à mirouërs; passames de la par Lio et revinsmesGa naar voetnoot1) sur le soir. Le 24e, qui fut la feste Saint Jean Baptiste, on me mena au vespres à l'eglise Saint Jean et Lucie, où j'entendis la plus accomplie musique, que je fay estat d'ouïr en ma vie. Le tant renommé Claudio di Monteverde, maistre de la chappelle à Saint Marc, qui en estoit autheur, la dirigea et modera aussi cette fois, accompagné de 4 tiorbes, 2 cornets, 2 fagottiGa naar voetnoot2), 2 violins, une viole basse de | |
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monstrueuse grandeur, les orgues et autres instruments, qui furent touchez et maniez au parangon les uns des autres, outre 10 ou 12 voix, qui de ravissement me mirent hors de moy. Le 25e de bon heure il vint un des secretaires du college requerir Monsieur l'Ambassadeur de vouloir venir prendre audience le lendemain à 11/7 heures du matin. Apres disner Monsieur l'Ambassadeur fit ramer au port de Malamocco, où nous vismes plusieurs vaisseaux du Païs Bas; montames sur un de Middelbourg et y fismes peu de collation; au partir receumes la salve marine en coups de canon et banderoles desployées. Le 26e Monsieur l'Ambassadeur eut audience au college du matin entre 11/7 et 12/8 heures, et y fut une bonne heure. Apres diner je portay sa proposition au seigneur Secretaire Patavini, le Pregadi se devant assembler. Le 27e nihil. Ceux de la nation à Venise vindrent trouver Monsieur l'Ambassadeur en corps et demanderent son intercession et assistence en diverses difficultez, qu'ilz luy proposerent. Le 28e Dimanche, je fus mené avec quelques autres à l'assemblée du Grand conseil par le Seigneur Marco da Molin, noble Venitien, qui en 5 heures qu'estions la dedans à regarder l'ordre de la balotterie, m'enseigna particulierement tout le cours et la conduite. Le 29e apres disner Monsieur l'Ambassadeur fut visité par le Seigneur Trevisano. Du soir, comme estions à souper, la Seigneurie envoya le requerir, que le lendemain au matin il luy pleust venir à l'audience Le dernier de Juin Monsieur l'Ambassadeur alla au college entre les 11/7 et 12/8 heures; à sa sortie nous entrames tous ensemble et prismes congé du Prince tour à tour; il nous souhaitta bon voyage | |
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et dit avoir bien desiré, que Monsieur l'Ambassadeur eut fait quelque plus long sejour en Venise, mais que peut estre une autre fois aurions moyen et occasion de nous entretenir, etc., avec quelques autres compliments. Apres disner nous allames entendre un concert des plus estimez musiciens de toute Venise au logis d'un honeste marchand de la nation, qui à ma requeste les avoit assemblez de longue main. Il y eut force bonne compagnie, entre autres le Pere Fulgentius, Jesuite, religieux d'eloquence et capacité renommée. Je l'abborday et luy fis mes plaintes de n'avoir peu trouver moyen pour toute diligence de saluër le Pere Paolo, son compagnon, à qui j'avoye fait tenir une lettre d'un sien ami au Païs Bas. Il me fit les excuses, que ledit Pere Paolo m'avoit fait dire auparavant, qu'estant ce Pere journellement employé aux grands affaires de la republique, il n'y avoit pas moyen, qu'il entrast aucunement en conference avec tel, qu'il sçavoit communiquer aux affaires d'un ambassadeur de dehors, sans congé de la Seigneurie, qui difficilement se pouvoit impetrer; que sans cela le Reverend Pere Paolo avoit eu beaucoup d'envie de me veoir en particulier. | |
Juillet.Le premier nihil. Apres disner Monsieur l'Ambassadeur fut mené veoir l'admirable cabinet du Seigneur Daniel Nijs, marchand flamend à Venise, qui par dessus une infinité de peintures et statuës antiques dans le pourpris d'une petite armoire en forme de table d'ebene, nous monstra tant de rares tableaux, de medailles, de coquilles et semblables curiositez, qu'il faudroit trois jours à bien examiner le tout, non qu' à en faire la description. Ce cabinet s'estime à 16000 ducatz. Parmi les grandes statuës dans la | |
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maison se void la vraye antique de Jules Cesar, qu'ils nous asseurerent estre sortie du temple d'Ephese. Le 2e nihil. Le 3e devant disner nous fusmes conduits touts ensemble avec le filz de Monsieur l'Ambassadeur par le seigneur Secretaire Patavini à veoir les sales d'armes du Conseil de X, dont aux assemblées le Prince a d'ordinaire les clefz devant ses pieds, et ne se monstrent point que rarement aux princes et ambassadeurs estrangers. Par dessus un magasin d'armes de pied en cappe, qu'il y a pour environ 1500 hommes, arrangé de sorte, qu' à l'occasion de de la moindre esmeute toute l'assemblée du Grand conseil pourroit estre armée en un moment de toutes pieces, et la mesche allumée sur les mousquetz; il s'y void mille sortes d'antiques armes, engins, effigies de marbre, presents, despouilles et autres souvenances des plus grands princes. Je fus moins soucieux d'en tenir aucune note, me resouvenant d'en avoir au logis la relation speciale de certain Ambassadeur d'Espagne. De là nous fusmes menez au palais de la Procuratie, où on nous monstra autre chose qu'un bel amas des plus entieres statuës antiques, qu'il se puisse trouver en lieu du monde; raritez, auxquelles j'eusse bien desiré d'employer deux jours entiers à les considerer une à une avec quelque statuaire bien expert. Le docteur superintendant de la librairie ne se pût trouver, dont fusmes empechez de veoir ce beau thresor, qui se dit estre fondé par le laixGa naar voetnoot1), que fit Francesco Petrarque de tous ses livres à la republique. Au lieu de cela on nous fit entrer au temple San Marc, où, soubs la faveur du seigneur....Ga naar voetnoot2) Procurateur, à ce deputé | |
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par la Seigneurie, on nous ouvrit le tant renommé qu'inestinable thresor de cette eglise. Les deseriptions en sont communes et divulgées par tout, et mesmes en ay-je la specification exacte dudit ambassadeur, parquoy aussi je me dispensay de cette piece. Apres diner Monsieur l'Ambassadeur alla prendre congé du Seigneur Trevisano, qui s'apprestoit en peu de jours vers Hollande. Le 4e du matin à 11/7 heures il vint de par la Seigneurie un bilancier ou ragionale de la Zecca presenter à Monsieur l'Ambassadeur une chaine d'or de 14 tours, une autre à Monsieur son filz de 6, et une troisiesme à moy de 4, à touts les autres gentilshommes chascun une medaille, portant d'un costé les armes de la Seigneurie, de l'autre celles des Provinces Uniës. Peu apres survint le Seigneur Trevisano avec charge de mener Monsieur l'Ambassadeur à l'arsenal, où apres avoir employé tout le devant midi à nous pourmener parmi cette quantité incroyable d'equippage, tant terrestre que marin, trouvames dans le logis, là aupres, d'un des nobles Patroni del Arsenale le disné splendidement appresté. Apres avoir repeu, Monsieur l'Ambassadeur fut ramené au logis, et depuis visité par le seigneur Ambassadeur de Savoye, qui peu auparavant, comme j'y fus envoyé, m'avoit fait nombre d'excuses d'avoir tant tardé à faire ce debvoir, pour n'avoir peu recevoir premier ordre du Duc son maistre, comment il auroit à se comporter envers un ambassadeur de Messieurs les Estatz, comme il l'en avoit requis. Vers le soir les trois filz de Moresini vindrent prendre congé de Monsieur l'Ambassadeur, et apres eux le Seigneur Vignier, gentilhomme Venetien, qui jusques à ce jour avoit eu la superintendence du deffroyement, ratione officii. Le 5e, qui fut Dimanche, au nom de Dieu nous par- | |
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tismes de Venise du matin entre 9/5 et 10/6 heures; allames en gondole jusqu'à Liza Fuscina et y prismes 3 carosses, ordonnez par la Seigneurie; roulames le long de la Brente jusqu'au palais du Seigneur Gaspar Contarini, où le disner se trouva accoustré à la splendeur ordinaire. C'est le palais, où jadis logea le Roy Henry 3e de France à son retour de Pologne, pour memoire de quoy s'y void dans le frontispice une table de marbre, portant cette inscription: ‘Henricus Valesius Rex, cum e Poloniae Regno, quod eius summae virtuti merito fuerat delatum, in Gallia Carolo fratre, IX Rege vitâ functo, ad patrium et avitum....Ga naar voetnoot1) et hac iter faciens ultro ad has aedes divertit, totâ fere Italia comitante, Anno salutis M.D.LXXIIII. VIo. Cal. Sextil. tantae humanitatis memor Faedericus Contarenus D.M. Proc. fundi dominus M.P.’ Apres avoir disné, les vehementes chaleurs nous contraignirent qui à se reposer, qui à chercher autre passetemps au logis. Vers les 20/4 heures, ayants derechef faict collation, remontames en carosse et arrivames vers le soir à Padouë, rencontrez à un quart de lieuë de la ville d'une bande de capelletti et dans la porte par les signori Rettori, qui menerent Monsieur l'Ambassadeur dans le palais du Capitan grande, l'y traitterent et logerent, comme de coustume. Le 6e du matin Monsieur l'Ambassadeur alla se pourmener par la ville de Padouë, qui est une des grandes de l'ItalieGa naar voetnoot2); sombre au reste et reserrée par une suitte continuelle de portiques, soubs lesquelz on marche tousjours au frais et à couvert; nous y vismes les renommez temples, l'un de Saint An- | |
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thoine, qu'ilz appellent Il santo, l'autre de Santa Giustina, qui est neuve et non du tout achevée, mais surpasse l'autre en beauté et splendeur d'architecture; vismes depuis au coin d'une ruë le sepulchre d'Antenor, lequel, mediis elapsus Achivis, se dit avoir esté le premier fondateur de la ville. C'est une tombe de piere dure, relevée sur quatre piliers, soubs laquelle d'ordinaire il se void des savetiers travaillants à leurs mestiers; l'inscription fort ancienne se lit dessus ‘Inclytus Antenor etc.,’ assez connuë partout. Entrames apres en l'academie, communement appellée Il Bue, pour avoir autrefois esté l'hostellerie à l'enseigne du Boeuf. L'entrée de ce bastiment est une cour quarée, entourée de deux estages de galeries à pilliers; dans icelles, tant en haut qu'en bas, sont les auditoires des facultez, qui sont assez spacieux et beaux, mais, pour ce qui est des bancs et sieges, assez chetivement accommodez et portantz les vives enseignes de l'insolence des escoliers, dont nous furent contées merveilles. Le theatre anatomique aussi n'approche nullement du nostre à Leiden. Monsieur l'Ambassadeur alla saluër le seigneur Podestà dans son palais, où j'admiray la grande sale, voultée sans aucun pilier, et trouvay qu'elle a de longueur 120 de mes pas et de largeur 40; bastiment admirable et duquel la force principale semble consister en quantité de barres de fer, s'entre soustenantes par le haut. Au bout d'iceluy se void l'inscription ancienne, dite le sepulchre de T. Live Patavin, historiographe, avec celle de Speron Speroni et autres. Apres disner j'allay saluër de la part de Monsieur l'Ambassadeur d'Angleterre à La Haye, le Docteur Marta, professeur en droit, personnage jovial et amiable, qui me receut courtoisement. Sur les 19/3 heures nous partismes en 3 carosses, que louämes | |
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nous mesmes, et 2 charrettes à bagage, accompagnez des Recteurs jusqu'à la porte et d'une trouppe de capelletti jusqu'à près de Vicenze, où une autre trouppe succeda et nous mena dans la ville, où Monsieur l'Ambassadeur fut receu par les seigneurs Recteurs et quelques autres carosses de gentilshommes; fusmes traittez ce soir et couchames dans le palais du Podestà; louames ce soir 4 carosses et 2 charrettes. Le 7e nous fusmes levez devant jour pour prendre la fraicheur; partimes sur les 9/5 heures, accompagnez du seigneur Podesta jusqu' au sortir de la ville; trouvames le disner appresté à Villanova dans le monastere; repeumes de bonne heure, mais à cause des vehementes chaleurs ne remontames en carosse qu'apres les 18/2 heures; arrivames vers le soir à Verone, accompagnez jusques la des cappelletti de VicenceGa naar voetnoot1). Devant la porte les seigneurs Recteurs receurent Monsieur l'Ambassadeur avec 6 ou 7 carosses et le menerent loger dans le palais du Podestà, qui le traitta honorablement, à l'accoustumée. Pensant louër des carosses, il nous fut dit que de par les Recteurs y avoit esté pourveu. Ces Messieurs apprindrent depuis, que ceux de VicenzGa naar voetnoot2) nous avoyent laissé la charge des voitures, dont ilz changerent aussi d'avis. Le 8e nous partimes environ les 10/6 heures au matin; le seigneur Podestà avec les autres Messieurs, qui avoyent receu Monsieur l'Ambassadeur, le conduirent à la porte et nous laisserent une esquadre de capelletti; arrivames à 14/10 heures à Castel novo, village, et y fusmes traittez dans le palais | |
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champestre d'un gentilhomme, nommé Giovan Battista Cossale; reposames 2 ou 3 heures et remontames en carosse apres midi; à deux miles de la passames par le fort de Peschera, où le Capitan grande de Verone, le Proveditor, le Gouverneur et autres officiers de la garnison receurent Monsieur l'Ambassadeur à l'une porte et le menerent à l'autre. Peu après devant le village Rivoltella les capelletti prindrent congé, et vindrent des gentilshommes de par ceux de Salo en bonne trouppe à cheval, qui nous firent escorte jusqu' à dedans Desenzano au lac de Garde, où nous arrivames vers les 24/8 heures, logez comme auparavant dans le logis du Seigneur MornaeGa naar voetnoot1), gentilhomme de ce païs. Le 9e nous partimes de Desenzano à 8/4 heures du matin avec l'escorte de quelques cappelletti. A environ 3 miles de Brescia nous rencontra le Seigneur Ottavio Beroldo, gentilhomme Brescian, avec plusieurs autres en 3 carosses, qui nous menerent sur les 14/9 heures dans la ville, où les 2 compagnies du Païs Bas furent en armes. Les seigneurs Rettori menerent Monsieur l'Ambassadeur loger dans le beau palais du Capitan grande, suivis de bonne quantité de carosses. Le 10e du matin à 8/4 heures nous montames sur des chevaux apostez par la Seigneurie et eumes l'escorte d'une troupe de capelletti; disnames à Palazzuolo dans le mesme logis de l'autrefois, appartenant à un gentilhomme de la environ. Ayants passé le chaud de la journée à reposer, partimes à 18/2 heures; eumes à 3 miles de Bergamo la rencontre du seigneur Conte Ludovico Bennaglio avec plusieurs autres gentilshommes et capelletti; | |
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dans la porte de Bergamo les Rettori attendirent Monsieur l'Ambassadeur et avec 6 carosses le conduirent au palais du Grand capitaine, qui le traitta somptueusement. Le 11e au matin, pour avoir esté contraints d'attendre les chevaux de dehors la ville, nous ne partimes qu'à 10/6 heures de Bergamo; les seigneurs Capitaine grand et Camerlingo menerent Monsieur l'Ambassadeur à la porte en carosse; le seigneur Conte Ludovico l'accompagna avec plusieurs gentilshommes à une petite mile dehors; au village Zugno nous trouvames le disner accommodé et y repeumes; remontames à cheval apres midi à 20/4 heures, ayants esté retardez par un bourasque de tonnerre, pluye et gresle, dont les pierres furent plus grosses d'une grande noix; arrivames ce soir à La Piazza et y receumes le dernier defroyement de la Seigneurie. Au souper Monsieur l'Ambassadeur eut la compagnie du seigneur Secretario Scaremela. Le 12e, qui fut Dimanche, de bon matin nous partimes de La Piazza; montames la montaigne de Morbegno jusqu'à la Casa di San Marco en environ 4 heures. En cette case j'eu loisir de remarquer l'inscription, que la republique y a fait mettre au frontispice en ces termes: ‘Via haec ab urbe Bergomi Morbenium tendens, temporis iniuria et montium ruinis interrupta atque penitus interclusa, ad communem usum et commodum non modo aperta fuit et instaurata, sed et iam planior et latior effecta, insuper extructa praesenti rerum vectigalium tabernâ, quae opera ab Aloysio Priolo Praetore inchoata, et a Joanne Quirino Praefecto ex Serenissimi Senatus decreto perfecta fuerunt atque absoluta, Anno CIƆIƆXCIV’. Ayants mangé un povre morceau de pain et fromage et beu un trait | |
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de vin de nostre provision, partimes environ midi et n'arrivames à Morbegno qu'à 23/7 heures. N'eumes nul empechement de neige qui soit; mesmes n'en vismes point qu'en quelques petits endroits reserrez. Toutefois la froideur ordinaire de cette region moyenne de l'air ne laissa de penetrer vivement nos habits, qui dura quelque petite heure au sommet de la montagne; à la descente une furieuse pluye nous accompagna jusqu'à dedans l'hostellerie, où nous entrames baignez à la chemise. Le 13e environ 9/5 heures du matin nous partimes de Morbegno sur des chevaux fraix, ceux du jour auparavant estants las et defaitz par la longueur du chemin et incommoditez de la pluye; passames le long de la Valtoline, où nous trouvames les corps de gardes par tout redoublez, à cause de certaines correspondences entre les banditz et Papistes descouvertes et quelques autres soupeçons; passames toutefois à la veuë du fort de Fuentes sans aucune rencontre ni empechement; envoyames nos chevaux par les cailloux et prismes nostre aise sur le lac de Mezóla jusques à Nouà, où nous disnames; apres midi partimes derechef à cheval; eumes en chemin la rencontre du Capitaine W. Gioulta et peu apres du seigneur Chevalier et Docteur Sprecher, qui accompagnerent Monsieur l'Ambassadeur jusqu'à dedans Chiavenna, où nous arrivames de si bon heure qu'encor devant souper nous passames outre à une demie heure de ce bourg, où nous fut monstrée la terrible cheute de montagne, qui passé deux ans accabla et abisma le superbe bourg Plurio, jadis appellé Genova piccola pour l'extraordinaire beauté et magnificence des palais, jardins et delices, qui l'embellissoyent. Chose à la verité, que je fus contraint de juger plustost miraculeuse que naturelle, voyant si peu d'espace de montaigne avoir couvert et com- | |
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blé cette grand' vallée à plus d'une demie heure de chemin; mesmes avoir jetté si grande quantité de pierres, que le fonds du fleuve Meira (qui jadis en ce lieu estoit traversé d'un tres-superbe pont de pierre, dont aujourdhuy ne se void la moindre relique) s'en trouve rehaussé de plus de 4 ou 5 piques; voire que, par remarque de certains bastiments, on a trouvé des grosses pierres portées de près de la ruine jusques au costé opposite de la vallée, et (ce qui sans beaucoup de sinceres asseurances me sembla du tout incroyable) plusieurs grosses masses de ce costé opposite arrachées et retirées vers la ruine. Le seigneur Chevalier Sprecher, qui nous fit l'honneur de nous y mener, eut de la peine à tenir les larmes à ce triste spectacle, pour avoir cogneu en ce lieu tant de personnes de qualité et moyens. Au retour vers Chiavenna, pour nous faire considerer, quelle avoit esté la magnificence de ces inhabitants, ilz nous menerent dans un des palais de plaisance des Franchi, autrefois une des riches familles dudit lieu; palais parfaictement beau et superbe, basti à l'Italienne et tres-accompli en jardins, grottes, fontaines et toutes autres sortes de delices; si nous asseura-on, que ce n'estoit qu'un lieu mesprisé, où parfois ces Messieurs venoyent à passer leur temps, et du tout rien en comparaison de ce qu'ilz possedoyent dans Plurio. Le 14e Monsieur l'Ambassadeur trouva bon de reposer à Chiavenna; apres midi envoya le bagage vers Campodolcino au pied de la montagne, et fit louër des chevaux fraiz pour le lendemain. Le 15e nous partimes de Chiavenna à l'aube du jour; arrivames environ les 7 heures à Campodolcino, d'où peu devant le bagage estoit parti, et apres y avoir repeu et fait donner l'avoine aux chevaux, commençames sur les 10 heures la facheuse | |
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montée de la Splughe et en vinsmesGa naar voetnoot1) à bout en 6 bonnes heures. Trouvames moins de froid et bien plus de neige que dessus la Morbegne, non pas tant toutefois qu'en eussions aucune incommodité, car nos chevaux n'en toucherent que pour 20 ou 30 pas. Arrivames à 4 heures apres midi à Splugen. Peu apres le bagage partit de là avec quelques uns de la suitte, qui allerent coucher à Chams, village à 3 heures de Splughe. Le 16e devant jour nous montames à cheval et cheminames 6 bonnes heures le long de la vallée du Rhin, dont les precipices et incommoditez cedent fort peu à celles de la Spluge; rencontrames plusieurs esquadrons d'infanterie, dont il passa ce jour la pres de 1000 hommes vers Mesauco contre les irruptions des bandits, qu'on disoit desia avoir quitté la montaigne et s'estre retirez vers Milan. Arrivames à 10 heures à Tusis et ayants disné partimes ensemble avec le bagage vers Chur, où nous entrames sur les 6 heures du soir, assez mal accommodez d'une pluye, qui nous avoit fait compagnie avec des esclairs et tonnerres la plus part de l'apresdinée. Le 17e Monsieur l'Ambassadeur trouva bon de reposer à Chur; eut la compagnie du Seigneur Vic, Resident ordinaire pour le republique de Venise à Zurich, et du seigneur Chevalier Salice, qui me renouvella en particulier les offres et asseurances de son amitié. Apres disné nous louämes 16 chevaux nouvaux et une charrette au bagage pour le lendemain Le 18e du matin à 5 heures nous montames à cheval; partimes de Chur et disnames à Ragatz, village en Suisse, habité la pluspart de banditi des Grisons. Arrivames environ 4 heures à Walenstat, trempez de la continuelle pluye, qui avoit entiere- | |
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ment gasté les chemins. Louämes ce soir un bateau pour le lendemain. Le 19e, Dimanche, quittames nos chevaux et environ 5 heures nous embarquames sur le lac de Walenstat, quoy que fort esmeu et troublé de la grande tempeste, qu'il avoit fait la nuit. Eumes un vent rude, pluvieux par bourasques et entierement contraire, dont avec assez d'incommodité n'arrivames à Wesen que vers midi. Ayants disné la dedans, relouämes encor le mesme bateau à fraix excessifs, qui nous mena ce soir à Rapswyl sur le lac de Zurich, continuellement chargez de grosses pluyes, qui touts ces jours avoyent si fort rehaussé les eaux, que peu s'en fallut que n'eussions peu passer au dessoubs du pont pres de Wesen, où la terrible impetuosité de ce destroit, qui accouple les deux lacs, nous donna un peu bien d'apprehension. Le 20e nous ne nous embarquames que vers les 11 heures à Rapswyl, esperants de pouvoir eviter l'incommodité des pluyes, qui toutefois nous surprindrent sur le lac, aussi druës que jamais. Mais apres midi un vent gagliard, venant du zud, nous fit passer assez promptement; dont vers les 5 heures arrivames à Zurich, entierement engourdiz de froid. Le 21e nous nous arrestames à Zurich; louämes 16 chevaux et une charrette. Vers le soir le magistrat envoya le vin à Monsieur l'Ambassadeur et luy fit compagnie à souper. Le 22e montames à cheval peu devant 6 heures du matin, et nous acheminames vers Basle; passames plusieurs beaux villages, le païs aucunement collineux et bossu, mais grandement agreable; passames ce matin à Baden, ressortant soubs divers cantons, fort jolie villette assise à la riviere Limmet, que nous y traversames sur un pont, et peu apres celle de Rues à Windisch, où il fallut se servir du pon- | |
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ton; la aupres se void le tres-beau monastere Kunningsfeld, que je ne vis qu'au dehors. Aucuns des nostres, ayants passé au ponton apres nous, y entrerent et y trouverent la sepulture et reliques du jeune Duc Leopoldus et de 500 autres gentilshommes, qui perirent quant et luyGa naar voetnoot1) à la bataille de Semblach; aujourdhuy ce cloistre est gardé par un chastellain, mais n'y a plus ne froc ne moine. Nous arrivames sur les 11 heures à Bruck, villette soubs le canton de Berne sur le fleuve Arre, qui est fort rapide et peu au de la se partit en deux cornes, dont la gauche porte nom Limmet, la droitte Rues. Ayants disné à Bruck, remontames à cheval et traversames l'Arre sur le pont de pierre devant la ville; laissames à main gauche la maison ou chasteau de Habsburg, vraye source de la maison d'Austriche. Passames une montagnette la aupres et force beaux villages toute l'apresdinée. Vers le soir gaignames le bord du Rhin et de là la riviere; vismes la villette Seckinghen à l'Archiduc Leopoldus, où y a un pont de bois; arrivames à 6½ à Momph, povre village dudit Archiduc, et y couchames cette nuit. Le 23e nous partimes de Momph à bon heure avec une pluye, qui de tout ce devant disner ne nous quitta pas; traversames une belle forest et là aupres la villette Rhynfeld, de la jurisdiction encor de l'Archiduc, qui estend ses limites jusqu'à un quart d'heure près de Basle, où ilz se terminent par une pierre. Ici nous passames le Rhin sur un pont, moitié de bois et moitié de pierre; le cours de ce fleuve y est si violent, que je m'esbahis, comment | |
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le pied de la muraille le puisse soustenir. Ayants cheminé quelque temps à main droitte de la riviere et passé plusieurs villages, arrivames environ 10 heures à Basle, où le bagage n'arriva que sur le soir. Le 24e de bonne heure Monsieur l'Ambassadeur m'envoya saluër le premier Bourgemaistre de la ville et le requerir de vouloir donner ordre, que deux du college du magistrat peussent estre deputez à communiquer avec luy. Il me promit de le faire promptement; dont une heure apres ilz vindrent trouver Monsieur l'Ambassadeur dans son logis à deux, luy firent compagnie au disner à quattre et luy presenterent 12 potz de vin de grandeur excessive. Apres disner le voulurent mener pourmener, mais il s'en excusa et y envoya Monsieur son fils avec quelques uns de nous autres. Ilz nous menerent au beau regard sur le coing de muraille vers le Rhin, derriere l'eglise Cathedrale, et nous asseurerent, que le Duc de Mantouë l'avoit preferé autrefois au belvedere de Rome; comme à la verité, à cause de ce beau fleuve, la petite ville sur l'autre bord et plus avant les fertiles montagnes du marquisat de Baden, il est tres-agreable à veoir. Dans l'eglise depuis nous vismes le tombeau de nostre Erasme, où n'y a qu'une inscription à fonds d'or sur un pilier quaré devant le choeur; elle est si cogneuë par le monde, que j'estimoye superflu d'en tirer copie. Les sepultures de Grynaeus, de Franciscus Hottomannus, d'Oecolampadius se voyent au dehors du temple dans les galeries, qui le circuïssent. Entrames aussi dans la cour de l'hostel de ville, qui est gentiment orné de peintures sur la muraille au dehors, et par apres nous fut monstré l'arsenal, qui à proportion de la ville est assez ample et richement pourveu d'armes et ammunitions de guerre. Dans le monastere des freres Predicateurs, où à present est l'eglise Fran- | |
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çoise, nous admirames le tant estimé bal de la mort, peint sur la muraille d'une galerie, à ce faicte et couverte, de la main du renommé Hans Holbeen, natif de cette ville; par l'injure du temps ce bel ouvrage avoit esté tellement rongé, qu'il a fallu le renouveller du tout, par où, à mon advis, il est demonté d'un degré de sa pristine valeur. Pour le general de l'assiette de Basle, elle est grandement belle et gentile; s'estend sur le Rhin du midi au septentrion, retirée en demi cercle par le millieu, presques comme Cologne; ceinte au reste de touts costez d'une bonne muraille dentelée et un fossé sans eau, le tout bien entretenu. Au dehors tout est plein de jardinages, dont la pluspart ne consiste qu'en vignobles. La Petite ville, qu'ilz appellent, de l'autre bord, pareillement est belle, spacieuse et entourée de muraille; elle se joint à la grand' ville par un pont, à l'une moitié soustenu de gros pilastres de pierre, à l'autre de moindres de bois; par ici il est large de 20 pas, par delà à moins environ de la moitié; contient de longueur en tout près de 300 pas. Les auditoires de l'université sont espars par la ville; nous en vismes quelques uns, mais n'y trouvames rien d'eminent; de la librairie aussi ilz ne firent guere de comte, dont nous nous passames de la veoir. Cependant l'academie tient 18 professeurs gagez, qui n'est peu de chose. On m'estonna d'avantage au nombre des ministres de cette ville, qui sont plus de 50. Le traffic, à ce qu'on nous dit, y est assez grand, mais selon le grand passage, qu'il y a de toutes partz, je trouvay la ville assez povrement peuplée. De Basle à Strasbourg il n'y a qu'une journée par eau, mais Monsieur l'Ambassadeur fut adverti, qu'au passage de Brissac il pourroit estre detenu par beaucoup de facheries sur la visitation de son bagage et autres encombres; avec | |
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cela la riviere estoit fort grosse à cause de toutes ces pluyes, par où les arbres, couchez ça et là dans icelle et maintenant tout couvertz, en rendoyent la descente plus dangereuse; dont il se resolut de choisir le chemin par terre et fit louër 4 carosses, ce jour mesme venus à point de Strasbourg, et 3 chevaux de selle pour nous mener à Strasbourg en 2 jours. Le 25e nous estions levez à l'aube du jour, mais les lanterneries des cochers nous arresterent jusques aux 6 heures, que sortimes de Basle; cheminames le long d'une levée ou digue à 2 fois la portée d'un mousquet de la riviere; à une demie heure de Basle sortimes de la Suisse et entrames en Elsace, païs plain et uni, grandement cultivé et semé, borné à droitte du Rhin et des montagnes du marquisat de Baden et du duché de Wirtembergh, à gauche de celles de Bourgogne et Lorraine; traversames ce matin une bien grande forest, nommée De Hart, et quelques villages; disnames environ 10 heures à Oetmarsen, village de l'Archiduc Leopold; apres disner eumes encor quantité de bons villages en chemin; passames vers le soir à la veuë de Brissac et couchames à Marclissen, villette encor de l'Archiduc. Le 26e, Dimanche, à la pointe du jour nous remontames en coche; eumes des chemins marescageux par des forests inhabitées, la pluspart communautez, où y eut force jeunes chevaux et autre bestail à l'herbe; disnames à Geersten, petit village et chasteau d'un gentilhomme du païs; traversames encor quelque peu de villages apres midi et vers les 5 heures arrivames à Strasburgh. A l'abord ceux des gardes fermerent la porte, mais sans beaucoup parlementer la r'ouvrirent. Le 27e de bonne heure quelques deputez du magistrat vindrent saluër Monsieur l'Ambassadeur et | |
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encor devant disner le menerent veoir leur ville, qui est une des plus belles, riches et magnifiques de l'Alemagne, voire des plus grandes et mieux airées; a force belles ruës larges et droittes, qui par la suite de quantité de grandes maisons de gentilshommes, riches marchants et autres, se rendent aucunement pareilles à celles d'Anvers. Le trafic y est tres-bon, le peuple dru et diligent, courtois au reste et fort accostable aux estrangers; les femmes la plus part blondes et belles et de beaucoup plus gentilement habillées qu'en d'autres endroits de ce païs. Nous entrames dedans le superbe temple Munsterkirch qu'ils appellent, où apres avoir admiré et visité par dehors et dedans la tant renommée horologe qui s'y void, nous vinsmesGa naar voetnoot1) justement à point pour regarder les ceremonies de leur celebration de mariage, y ayant 4 paires de fiancez à espouser, accompagnez de bonne suite d'hommes et femmes mariées de leur qualité, outre un assez grand train de filles et femmes nobles, toutes habillées à la Françoise, qui honorerent de leur assistence l'execution de ces povres condamnez. Midi approchoit et l'heure de disner; ces Messieurs menerent Monsieur l'Ambassadeur dans leur hostellerie publique, qu'ilz appellent Herren-Stube, où le disné se trouva accommodé selon le stile de là dedans, qui est assez passable selon le peu d'argent, qu'on y despend. Nous y trouvames quelques uns de noz nouveaux mariez avec toutes leur damoiselles, placées chascunes selon leur qualité à tables diverses de 8 à 10 personnes. On y beût sec en leur quartier sans que le bruit des violons y manquast. Apres disner ces gents de nopces se retirerent en une autre logis, Der Mauren-Stuben, où nous passames le temps | |
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à danser avec ces filles, qui ne se meinent qu'autour d'un gros pilier et perpetuellement à mesme mesure et cadence, qui est le plus souvent le grand trot ou le petit galop. Pour n'omettre le principal de ce qui se void de beau à Strasbourg, je me fis mener sur le clocher du Munster, bastiment superbe et artificiel, autant qu'il se peut imaginer. De hauteur il a 660 degrez, quatre divers escaliers aux costez jusques la, où l'ouvrage se plie en pointe, où il en a 8 tout à l'entour, petits et estroits, ainsi que sa forme requiert, mais estrangement bien bastiz, percez à jour d'un et d'autre costé et cependant fort asseurez à monter, si ce n'est tant au haut de la pointe, où ilz terminent, dont plusieurs perdent courage d'y aller; le Roy de Boheme d'à present eut la curiosité de monter au sommet, où je trouvay sa jartiere, qu'il y pendit pour memoire, que ceux de la ville eurent si agreable, qu'ilz la firent couvrir d'une retz de cuivre. Ce soir on relouä les mesmes carosses pour nous mener à Speir, etc., car depuis là jusqu'à Mayence on avance fort peu par la riviere, qui est large, lente, et fait mille destours en ces endroits. Le 28e à 6 heures du matin nous partimes de Straesbourg; à un gros quart d'heure passames le Rhin sur le grand pont bois, qui s'y tient; je le trouvay long de 1957 pas, qui est presque la mesme chose avec celuy de Raperswyl en Suisse; mais y a bien à dire, que cettuy-ci de Straesbourg est plus solide et plus large, veu que deux coches s'y cedent aisement, joint qu'il y a plusieurs autres pieces de ponts de 100 à 200 pas, qui semblent estre de la mesme suitte. Depuis là presques tout ce jour nous eumes des chemins fort beaux et unis à costé des prairies, et force chanvre, quasi à l'Hollandoise; disnames à Haghenaw, villette et chas- | |
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teau d'un Conte de Hanaw; apres midi passames au travers de Tolhausen, petit lieu fortifié du Marquis de Baden, qui y tient garnison; de là en avant vismes fort peu de monde ni villages; eumes des chemins fort sablonneux et traversames quelques coins de forestz, parties de la Sylva Hercynia, aujourdhuy Schwartzwald; couchames cette nuit à Raschstatt, petit bourg au mesme marquis. Le 29e nous montames en coche devant jour pour esquiver les incommoditez du midi; traversames derechef des forests espoisses et disnames de bonne heure à Lincken, village tout sur le bord de la riviere, encor au Marquis de Tourlach; apres midi passames entre autres à Graben, où ledit marquis a une tres-belle et grande maison; les gardes nous firent difficulté à la sortie premier que leur eussions baillé par escrit la qualité de Monsieur l'Ambassadeur; nous costoyames cette apresdinée des grandes forests, la pluspart de chesnes-verds, espece de sapins. Ce mesme jour un des valets de Monsieur l'Ambassadeur, endormi dans le coche, tomba par dessoubs hors de la portiere et eut le bras droit rompu d'une des rouës, qui passa dessus. Vers les 5 heures nous traversames le Rhin au ponton à Rhynhausen et une heure apres arrivames à Speyer, eveché et ville imperiale. Tandis que le souper s'apprestoit, je desrobay une heure et me fis ouvrir la Chambre Imperiale, bastiment que je trouvay peu splendide ni auguste, selon que les arrestz et ordonnances de cette cour sont en estime partout. Le grand Dome de cette ville est assez beau et magnifique, mais fort sombre et obscur au dedans et aucunement basti à l'antique; sur tout le logis de l'Evesque là aupres est un des magnifiques bastiments, qui se puissent veoir; si ne le contemplay-je que par dehors, mais jugeay bien | |
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que le dedans devoit estre du tout seigneurial. Derriere la grande eglise dans une cour quarée et close de galeries se voit la representation de la montaigne des oliviers et la trahison de Judas, piece de marbre, assez antique, mais admirable en toute façon, tant les diverses actions et postures des personnes, intervenantes à cette tragedie, y sont naïfvement exprimées. A la grand' place devant ladite eglise je remarquay un grand vase rond de pierre dure, relevé en piedestal, qui se remplit de vin au rejouïssement de la populace, au temps qu'un evesque nouvellement inauguré fait son entrée, selon que j'apprins par l'inscription, qu'il porte en vers latins. Pour l'assiette de cette ville, elle n'est point des plus agreables, pour estre son terroir bas et marescageux, dont peut estre les inhabitants tienent plus de seurté que de plaisir. J'eu trop peu de loisir pour la considerer au dedans; bien pû-je juger, qu'en beauté, magnificence et trafficq elle cede beaucoup à Strasbourg, de la quelle j'avoye la memoire trop fraiche, pour pouvoir rien admirer en cette-ci; la voyant solitaire et coye, j'en fis comparaison à par moy à la ville de Zutphen au Païs Bas. Le 30e nous partimes de Speyer à 4 heures du matin; passames par....Ga naar voetnoot1) petite ville, et à une heure de la par Franckental, bien gentile villette en forme quadrangulaire, avec des ruës larges et droittes depuis quasi l'un bout à l'autre. Ses inhabitants presque tout sont natifs des Provinces Uniës du Païs Bas et gents de la religion; dont la forme des bastiments, mesme des habits, est comme du tout Hollandoise ou Flamende; c'est ce que j'y peûs remarquer, n'ayant eu loisir | |
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d'y mettre pied à terre. A la porte devers le septentrion, par où nous sortimes, on estoit après a flanquer ce costé de deux bastions, qui desia estoyent fort avancez. Nous passames outre et n'eumes depuis là qu'un beau chemin droit comme la ligne, qui nous mena jusqu'à Worms, eveché et ville imperiale, où nous arrivames à 10 heures et y repeumes. Cette ville est plus grande de beaucoup que n'est Spier, y comprins le grand, vaste tour de la ville neuve, qui luy sert comme de fauxbourg. Le peuple aussi y est plus drù et le traffic plus florissant. Je n'y vis rien que la grande eglise, qui est toute pareille à celle de Spier, comme aussi le palais de l'evesque semble ceder de fort peu à l'autre. Apres disner au sortir de la porte nous rencontra le seigneur Conte de Hohenloe avec quelques chevaux; il mit pied à terre et salua Monsieur l'Ambassadeur en peu de paroles. Nous poursuivimes depuis nostre chemin et sur les 7 heures arrivames à Oppenhaim, villette sur le Rhin au penchant d'une colline. La autour Monsieur le Marquis d'Ansbach avoit son armée de 12000 à 13000 hommes. Son Alteze avoit ses gardes dans la ville et envoya incontinent saluër Monsieur l'Ambassadeur, qui fut avec luy une demie heure devant souper. Le 31e de ce mois nous nous embarquames sur le Rhin à 5 heures du matin, preferants les aises de la riviere aux plaisirs du chemin par terre, qui est assez pierreux. Arrivames 3 heures après a Mayence et, y ayants disné, louämes un bateau couvert de toile avec un autre moindre à costé pour les valets et le bagage, qui encor ce soir nous mena à Baccharach, où nous couchames et fimes provision de vivres pour le lendemain. | |
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AoustLe premier du mois nous partimes de Baccharach à l'aube; voguames heureusement le long du Rhin, dont, à ce retour, la belle rive montagneuse nous recrea au double, pour avoir vestu la robe verde des vignobles, desia fort avancées, et couchames cette nuit à Bonn. Le 2e, qui fut Dimanche, à la porte ouverte nous nous r'embarquames et vers les 8 heures soubs la messe, que les portes estoyent fermées, arrivames à Cologne. Au souper le magistrat envoya le vin. Le 3e nous louämes un bateau pour Nieumeghen et nous embarquames sur le midi; peu apres passames par devant Mullem; à 3 heures nous arrestames au peage à Zoens, où on estoit apres à rebastir la pluspart de la ville, qui devant 6 sepmaines avoit failli à estre entierement emportée par le feu; arrivames sur les 6½ à Dusseldorp, peage en intention d'y coucher, mais comme encor il estoit grand jour, passames outre et entrames sur le soir à Keysersweerdt, peage, et y couchames. Le 4e à la porte ouverte nous nous r'embarquames dans un quart d'heure de là, passames devant Oerdinghen, à 7 heures devant Roeroort, peage, vers midi à Rhynberck, peage, où Monsieur l'Ambassadeur nous envoya touts vers le Gouverneur, qui nous fit depecher promptement; passames à une heure de la à Burich et Wesel, à 2 heures Aen de Beeck, près de Zanten, où nostre navire de guerre fit jouër toute son artiglierie, croyant que ce fut l'Ambassadeur de Venise qui passa; de mesme à Rhees, peage, où le seigneur Gouverneur sur les mesmes advertences avoit vistement mis la garnison en armes, mais, cognoissant l'abus, ne laissa pourtant de continuër les salves dessus les bastions; nous y passames | |
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à 4 heures, à 5 par devant Griet et à 7 heures arrivames à Emmerick, peage. Le 5e nous partimes d'Emmerick au soleil levant, passames à 6½ heures devant Schenckeschans, peage, et arrivames à 9½ à Nieumeghen, où le seigneur Gouverneur et Messieurs du magistrat accompagnerent Monsieur l'Ambassadeur au disner et de mesme au souper. Le bagage fut envoyé par eau. Le 6e nous partimes de Nimmeghen devant jour; le seigneur Gouverneur arrangea touts les mousquettaires de la garnison le long de la riviere, et comme estions dans le bac à traverser la riviere, fit faire la salve par trois fois; à Knodsenburg nous trouvames deux chariots, qui nous menerent vers Utrecht; passames à 8 heures le Rhin devant Rhenen; disnames à Wyck te Duerstede et vers les 6 heures entrames à Utrecht, où quelques uns de Messieurs les Estats de la province furent avec Monsieur l'Ambassadeur à souper. Le 7e à la porte ouverte nous sortimes d'Utrecht, passames par Woerden, repeumes à 8 heures à Bodegrave, à 1 heure estions à Leiden et vers les 5 heures arrivames à La Haye, touts sains, saufs et disposts, comme s'il n'y eut eu qu'un jour qu'en estions sortis, moy entre autres, le moindre de la suite, sans jamais avoir eu rencontre d'aucun inconvenient de maladie ou malheur qui soit. Et tout pour avoir dit à Dieu: Tu es la garde miene. A iceluy Pere, Fils et Saint Esprit, tout sage, tout bon, tout puissant, soit honneur et gloire des siecles es siecles. Constanter. CIƆIƆCXX.
Meminisse juvabit. |
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