La légende de la sacristine Beatrix
(1930)–Anoniem Beatrijs– Auteursrecht onbekend
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Je dirai d'une moniale
Que Dieu veuille bien m'octroyer
Que le fasse comme il convient,
Et qu'à bonne fin je le mène
Selon l'exacte vérité
Que m'a dite frère Gisbert,
Le très accompli Guillemite.
Homme vénérable et ancien,
Il l'avait prise dans ses livres. -
La nonne était, dont je vous parle,
Courtoise et de belles manières.
On n'en trouve plus aujourd'hui
Qui la vaille, je le présume,
Tant pour les moeurs que pour l'aspect.
Qu'ici je vante ses beaux membres,
En célèbre toute beauté,
Voilà qui ne conviendrait point.
Je vous dirai quel est l'office
Qu'elle remplit pendant longtemps
Au cloître dont portait l'habit.
Elle en était soeur sacristine.
Je vous le dis en vérité:
Point n'était lente ni tardive
Jamais ni de nuit, ni de jour.
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Elle était rapide au travail,
Sonnait les cloches en l'église,
Soignait lampes et ornements,
Réveillait la communauté.
La damoiselle n'était point
Libre de l'amour demeurée,
Qui fait sur terre grand merveille.
Parfois, il en vient de la honte,
Maux et chagrins et amertume;
Mais parfois, la joie et le bien.
Du sage, amour fait un nigaud
Qui doit conclure à son dommage,
Qu'il le veuille ou ne veuille pas.
Qui l'amour dompte, ne sait plus
S'il doit parler ou bien se taire
Pour obtenir ce qu'il désire.
Amour en foule aux pieds bien d'autres,
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Qui sans lui ne se lèveront.
Amour rend celui-là prodigue,
Qui garderait tous ses présents
S'il ne suivait conseils d'amour.
On trouve des gens si constants
Que, peu ou prou, tout ce qu'ils ont
Leur est commun, que l'amour donne:
Richesse, joie et même deuil;
Je nomme tel amour fidèle.
Je ne pourrais dire la masse
Tant de bonheurs que d'infortunes
Que les ruisseaux de l'Amour roulent.
Qu'on ne blâme donc pas la nonne
De n'avoir pu se dérober
A l'amour qui l'avait captive
Car le diable toujours désire
L'homme tenter et point ne cesse,
De nuit, de jour, et tard ou tôt,
De sa puissance y employer.
De males ruses, où est expert,
Selon la chair il la tenta.
La pauvre nonne en crut mourir;
Dieu pria et le conjura
De la conforter de sa grâce.
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Elle dit: ‘Suis appesantie
De lourd amour et suis navrée.
Il le sait bien - lui qui sait tout
Et pour qui chose ne se cache, -
Que m'égarera ma faiblesse.
Il me faut mener autre vie.
Cet habit déposer il faut.
Or donc oyez ce qu'il advint:
Bien humblement, par une lettre,
A ce jeune homme elle manda,
Qu'elle tenait en grand amour,
De s'en venir vite auprès d'elle,
Car il y trouverait profit.
Le courrier s'en fut au jeune homme,
Qui prit la lettre, et il la lut,
Que lui mandait sa douce amie.
S'en éjouit dedans son coeur;
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Il se hâta de l'aller joindre.
Depuis qu'ils eurent douze années,
Amour dominait ces deux-là,
Qui en souffirirent maint tourment.
Il chevaucha par le plus court
Vers le couvent où la chercher.
Devant le guichet se posta,
Demandant que, s'il se pouvait,
Lui put parler et la put voir.
Point ne tarda longtemps alors;
Elle vint et le visita
Par le guichet barré de fer
En croisillons bien rapprochés.
Souventes fois firent soupirs,
Elle dedans et lui dehors,
D'être points d'un si fort amour.
Ainsi furent tout un moment,
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Dont je ne puis dire combien
Souvent lui a le teint mué.
‘Lasse chétive, haï, dit-elle,
Beau doux ami, j'ai grande peine.
Dites-moi donc un mot ou deux
Qui me réconforte le coeur!
Je cherche en vous qui me console!
Le dard d'amour au cceur me navre,
Dont je souffire grande douleur;
Plus je n'aurai de joie aucune,
Cher, que vous ne l'ayez tiré!’
Il répondit bien tendrement:
‘Vous le savez, ma douce amie,
Que nous avons longtemps porté
Amour pesant à chaque jour.
Jamais n'avons trouvé loisir
De nous pouvoir entrebaiser.
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Que Dame Vénus la déesse,
Qui mit cela dans notre sang,
Soit maudite de Sire Dieu
D'avoir flétri deux fleurs si belles,
Et de les avoir corrompues.
Que ne puis-je obtenir de vous
Que vous déposiez votre habit
Et me disiez à quel moment
Je pourrais vous mener dehors.
Je m'encourrais vous préparer
De beaux habits de chère laine;
Les ferais doubler de fourrure,
Robe, manteau et puis surcot.
Ne vous quitterai par détresse;
Avec vous je veux affronter
Amour, chagrin, l'aigre et le doux.
Je vous en donne ici ma foi.’
- ‘Ami aimé, dit la pucelle,
Je la reçois bien volontiers,
Et avec vous irai si loin
Que nul de ceux de ce couvent
Ne saura où fui nous aurons.
Venez à la huitième nuit
Et faites le guet à m'attendre
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Dans le verger, là-bas, dehors,
Sous un bel églantier en fleur,
Vous m'attendrez, je sortirai.
Et je veux être votre épouse
Qui vous suivra, à votre guise.
A moins que souffrant maladie
Ou quelqu'obstacle insurmontable,
Assurément je serai là;
Et je désire avec ardeur
Que vous n'y manquiez point, beau sire.’
Ainsi se promirent tous deux.
Il prit congé, puis s'en alla
Où son cheval était lié.
En grand hâte monta dessus
Et se rendit, faisant bon train,
A travers champs, jusqu'à la ville.
Point n'oublia sa bien-aimée.
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S'en fut en ville, lendemain,
Acheta bleu et écarlate,
Dont commanda que l'on taillât
Manteau séant, chaperon grand
Et le surcot et puis Ia robe.
Le tout fourré mieux qu'il ne faut.
Nul ne vit plus belle fourrure
Porter, sous vêtements de femme.
Chacun les prisa qui les vit.
Couteau, ceinture et aumônière
Lui acheta et chers et bons;
Chaperons et bagues en or
Et parures de toutes sortes.
De tous les atours il s'enquit,
Qu'il faudrait à toute épousée.
Il prit avec lui cinq cents livres;
Puis, au soir dit, il s'en alla
Secrètement hors de la ville.
Emportant toutes ses richesses
Pesant bien lourd sur son cheval,
Se dirigea vers le couvent.
Dans le verger, qu'elle avait dit,
Sous le bel églantier en fleur,
Il s'assit par terre dans l'herbe
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Jusqu'au sortir de son aimée.
Du chevalier se tait l'histoire,
Et dit de la très douce belle.
Avant minuit sonna matines.
Amour lui causait grand tourment.
Quand matines furent chantées
Tant par les vieilles que les jeunes
Qui dans le couvent se trouvaient,
Et qu'elles furent revenues
Dans le dortoir toutes ensemble,
Elle resta dans le choeur, seule,
Et récita ses oraisons
Comme souvent auparavant.
S'agenouilla devant l'autel
Et dit alors, tout éperdue:
‘Marie, ô mère, bien doux nom,
Maintenant plus ne peut mon corps
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Encore souffirir sous l'habit.
Vous voyez bien en tout instant
Le coeur humain et sa nature.
J'ai tant jeûné, j'ai tant prié
Et me suis donné discipline;
C'est en vain que j'endure tout.
Amour me foule sous sa botte:
Il faut que je serve le siècle.
Aussi vrai que Vous, mon doux Sire,
Fûtes pendu entre larrons
Et sur la croix écartelé;
Que Lazare ressuscitâtes,
Qui gisait mort en son tombeau,
Il faut que vous sachiez ma peine;
De mon méfait ayez merci:
Broncher me faut dans le péché.’
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Alors elle quitta le choeur;
Alla devant l'image sainte;
A deux genoux dit sa prière
A notre Dame devant elle.
Hardiment lui cria: ‘Marie!
Nuit et jour à vous me suis plainte
De ma pitoyable misère.
Je n'y ai profit d'une paille.
J'en aurais tout le sens perdu,
Si cet habit je conservaisl’
Le voile alors elle enleva,
Le mit sur l'autel de la Vierge.
Et puis elle ôta ses souliers.
Or donc oyez que fera-t-ellel!
Pendit ses clefs de sacristine
Devant l'image de Marie.
Je vous le dis, en vérité,
Pourquoi les pendit-elle là:
A prime, si on les cherchait,
On pourrait bien les y trouver.
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Car il est juste qu'en tout temps,
Tel qui passe devant l'image,
Avant que plus loin ne s'en aille,
La regarde en disant ‘ave’
‘Ave Maria’: pensa-t-elle,
Lorsque les clefs suspendit là.
Lors donc lui fallut s'encourir,
De son seul peliçon vétue,
Vers la porte, que savait bien
Et qu'elle ouvrit adroitement.
Et puis sortit en grand secret,
Silencieuse et sans un bruit.
Tremblante s'en fut au verger,
L'amant sentit qu'elle était là,
Et dit: ‘Chère, n'ayez de crainte:
C'est votre ami que voyez ci.’
Quand ils furent venus ensemble,
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Elle se prit à vergogner
De se trouver en peliçon,
La tête nue et les pieds nus.
Alors il dit: ‘Bel et gent corps,
Combien vous siérait-il donc mieux
Beaux vêtements et beaux atours!
Il ne faut donc pas m'en vouloir
Si je vous les donne à l'instant.’
Lors s'en furent sous l'églantier;
Et tout ce dont était besoin,
Il lui offrit tant qu'il fallait.
D'habits il lui donna deux paires.
Le bleu fut qu'elle revêtit,
Qui lui séait parfaitement.
Gentiment l'ami souriait;
Il dit: ‘Chère, ce bleu de ciel
Vous sied mieux que le gris jadis.’
Paire de bas elle enfila
Et des souliers de cordouan,
Qui lui allaient autrement bien
Que ceux qu'il lui fallait nouer.
Un chaperon de blanche soie
Il lui tendit à eet instant,
Qu'elle se mit dessus la tête.
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Lors la baisa le jouvenceau
Gracieusement sur la bouche.
Il lui sembla, comme elle était
Devant lui, que naissait le jour.
Vers son cheval il se hâta,
La prit en selle devant lui.
Ainsi s'en furent tous les deux
Si loin que, le jour allant poindre,
Ils ne voyaient nul poursuivant.
Le levant vint à clarifier.
Elle dit: ‘Dieu, confort du monde,
Protégez-nous dès maintenantl!
Je vois déjà poindre le jour!
Si n'étais sortie avec vous,
J'aurais déjà sonné pour prime,
Comme j'avais coutume alors
Dans mon cloître religieux.
J'ai peur que de fuir ne me deuille:
Le monde est de si peu de foi,
Vers lequel je me suis tournée.
Il ressemble au fourbe marchand
Qui vend anneaux de clinquant vil
Pour anneaux d'or et du plus pur.’
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Hé! que dites-vous, chaste amie?
Si jamais je vous abandonne,
Dieu me fasse damnation!
Où que nous puissions nous trouver,
Nous séparer rien ne pourra,
Si ce n'est la cruelle mort.
Comment pouvez douter de moi?
Vous n'avez à me reprocher
Mauvaiseté ni félonie.
Depuis le jour que je vous aime,
Il n'est plus de place en mon coeur
Même pour une impératrice.
Même serais-je digne d'elle,
Pour elle ne vous quitterais-je;
Chère, soyez en bien certaine.
J'emporte avec nous bien pesées
Cinq cents livres de bon argent;
Belle vous en serez maîtresse.
Voyageant en terre étrangère,
Nous n'aurons à donner de gage
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Pour vivre pendant sept années!’
Ainsi vinrent, allant au pas,
Le matin près d'une forêt,
Où les oiselets faisaient fête.
Ils y menaient si grande noise
Qu'on les entendait de partout.
Chacun chantait selon son mode.
Il y avait fines fleurettes
Sur le pré vert épanouies,
Belles à voir, douces d'odeur.
L'air était pur et clair et beau.
Y avait beaucoup d'arbres droits
Et richement feuillus de feuilles.
Le jouveneeau regarda celle
A qui portait fidêle amour.
II dit: ‘Belle, s'il vous plaisait,
Descendrions tresser des fleurs.
Il fait bon se trouver ici.
Belle, jouons le jeu d'amour.’
- ‘Qu'est-ce à dire, manant félon,
En plein champ je me coucherais?
Comme femme qui fait argent
Communément avec sa chair!
Pour sûr, j'aurais bien peu de honte!.
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Vous n'auriez pas eu telle idée,
Si ne fussiez vilain de race!
Je puis me dire malheureuse.
Haï de Dieu qui le voulûtes!...
Laissez désormais ce langage.
Oyez les oiseaux dans le val:
Comme ils chantent et s'éjouissent;
L'attente vous pèsera moins.
Quand contre vous je serai nue
Sur une couche bien dressée,
Vous ferez tout votre plaisir
Et tant que le coeur vous dira...
Mais l'amertume est dans mon coeur
De vos propos de ce jour d'hui.’
IL dit: ‘Chère, ne vous fâchez:
Ce fit Vénus me conseillant;
Dieu m'en donne tourment et honte
Si jamais plus je vous en parle.’
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Elle dit: ‘Lors, je vous pardonne.
De tous les hommes sous les cieux
Vous êtes mon refuge élu.
Quand vivrait le bel Absalon
Et que j'aurais la certitude
D'être avec lui pour mille années
Dans la richesse et le repos,
Cela ne me satisferait.
Cher, je vous ai ainsi choisi
Qu'on ne pourrait me dire chose
Qui me donnât l'oubli de vous.
En paradis même trônant,
Et vous ici bas sur la terre,
Je viendrais à vous, c'est certain!
Hé, que Dieu n'en prenne vengeance,
Si c'est là trop folle parole.
La moindre joie en paradis
N'a point sa pareille sur terre;
Là-bas, la moindre est si parfaite
Que l'âme ne peut y goûter
Que d'aimer Dieu sans nulle fin!
Tout ici bas n'est que misère
Et ne vaut pas même un cheveu
En regard d'un rien de là-bas.
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Sages, qui ont pour ce peiné!
Et ce pendant il faut que j'erre
Et me tourne à des péchés grands
Pour vous, sire, beau doux ami.’
Ainsi avaient verbe et réponse.
Par monts et par vaux chevauchèrent.
Je ne puis bien vous détailler
Tout ce qu'entre eux deux il advinti
Ainsi allèrent devant eux,
Jusqu'arrivés dedans un bourg
Bien situé dans un vallon.
Cet endroit leur plut tellement
Qu'ils y vécurent sept années
Dans le luxe et dans la richesse.
Par les jouissances charnelles
Eurent ensemble deux enfants.-
Après ces dites sept années,
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Quand dépensé leur argent eurent,
Ils durent déposer en gage
Ce qu'emportèrent du pays.
Vêtements, parures, chevaux,
A moitié prix le tout vendirent.
Eurent bientôt tout épuisé.
Alors ne surent qu'entreprendre:
Ne savait point filer quenouille
Dont elle eût pu gagner argent.
Dans le pays le temps se fit
Cher pour viande, pour bière ou vin,
Pour tout ce que manger on peut.
Tristes et abattus en furent.
Auraient préféré en mourir
Plutôt que mendier leur pain.
La misère les divisa.
Bien à regret et à souffrance,
L'homme, premier, sa foi rompit;
La planta là dans son grand deuil
Et au pays s'en retourna.
Ne se revirent de leurs yeux. -
Auprès d'elle, là-bas restèrent
Ses deux très beaux enfantelets.
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Elle dit: ‘Il m'est advenu
Ce que craignais pour tôt ou tard.
Je suis quittée en grande peine:
Celui-là. m'a abandonnée
En qui j'avais mis confiance.
S'il vous plaît, ma Dame Marie,
Priez pour moi et mes enfants,
Que nous ne mourrions pas de faim!
Que ferai-je, chiétive femme!...
Il me faut âme et corps ensemble
Maculer d'oeuvres pécheresses.
Secourez-moi, dame Marie!
Quand je saurais filer quenouille,
Je n'y trouverais à. gagner
En deux semaines un seul pain.
Par le besoin il faut que j'aille
Hors de la ville et en plein champ,
Et gagne argent avec mon corps
Pour acheter ma nourriture.
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Je ne puis, en nulle façon
Mes enfançons abandonner.’
Ainsi s'en fut en péché vivre,
En vérité nous l'a-t-on-dit.
Pendant sept ans elle s'en fut,
Femme commune par le monde,
Et subit mainte fois péché,
(Et c'était bien à contre coeur),
Qu'elle faisait avec son corps,
Dont avait piètre jouissance.
Elle y trouvait un maigre gain
Dont ses enfants entretenait.
A quoi bon raconter ici
Les péchés honteux et mortels
Où elle vécut quatorze ans!
Mais jamais elle ne laissa,
(Eût-elle deuil ou bien chagrin,)
De dire chaque jour, fidèle,
Les sept heures de Notre-Dame.
En sa louange et son honneur,
Priant qu'elle la délivrât
De ses oeuvres de pécheresse,
Dont elle avait pris lourde charge
Le long de ces quatorze années.
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C'est vérité que je vous conte.
Pendant sept ans fut avec l'homme
Qui lui fit deux enfantelets
Et la laissa dans la misère,
Dont elle souffrit grand détresse.
Avez ouï ces sept années;
Sachez comment continua.
Or ces quatorze ans révolus,
Dieu lui mit soudain dans le coeur
Repentance tellement grande,
Qu'elle eût préféré que d'un glaive
Quelqu'un lui eût le chef tranché,
Plutôt que de pécher encore
De sa chair comme avait coutume.
Elle pleurait nuit comme jour,
Que jamais ses yeux ne séchaient.
Elle dit: ‘Vous, qui Dieu nourrîtes,
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Source passant toutes les femmes,
Dans le besoin ne me laissez!
Dame, je vous prends à témoin
Que me deuillent bien fort mes fautes
Et me causent dure douleur.
Il en est tant que je ne sais
Où ni avec qui les commis.
Hélas! qu'adviendra-t-il de moi!
Je dois songer au jugement,
(L'oeil de Dieu voit ce que l'on cèle)
Car tous péchés apparaîtront,
Et ceux du pauvre et ceux du riche;
Et tout méfait sera châtié,
Qu'on n'aura point dit à confesse
Ni expié par pénitence.
Je le sais bien sans aucun doute.
Aussi j'en suis en grande crainte.
Quand porterais toujours la haire,
De terre en terre ramperais
Sur pieds et mains, à quatre pattes,
En bure, nus pieds, sans souliers,
Encore faire ne pourrais-je
Que de péché je sois exempte,
Si ne me confortez, Madame.
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Source passant toute vertu,
Vous avez réjoui plus d'un
Comme Théophile jadis.
Il était le pire pécheur;
Il avait fait offerande au diable
De son âme et sa vie ensemble,
Et s'était fait son homme lige;
Pourtant vous l'avez sauvé, Dame.
Bien que femelle polluée
Et sans soulas, pauvre chétive,
Dans quelque état que je vécusse,
Madame, pensez que j'ai dit
En votre honneur une prière!
Montrez votre compassion!
Je suis une bien affligée
Qui a grand besoin de votre aide.
Ceci me force à m'enhardir:
Jamais ne fut sans récompense,
Qui vous salua, Vierge pure,
Chaque jour, d'un ave-Marie.
Qui volontiers dit vos prières,
Celui-là peut être certain
Que lui en adviendra profit:
Cela vous est tant agréable.
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Dame, épouse que choisit Dieu,
Votre fils vous manda salut
A Nazareth, où vous cherchait,
Qui vous porta ce beau message
Jamais ouï de messager.
Voilà pourquoi vous sont ces mots
Certainement tant agréables
Qu'êtes reconnaissante à qui
Aime vous invoquer par eux.
Même empêtré dedans ses fautes,
Merci vous lui feriez tenir
Et l'acquit devant votre fils.’
Ces prières comme ces plaintes
Fit chaque jour la pécheresse.
Prit un enfant à chaque main;
Et les mena par le pays,
En pauvreté, de ville en ville;
Et vécut de mendicité.
Si longtemps erra par la terre
Que son cloître elle retrouva,
Où elle avait été nonnain.
Y vint de soir, après soleil
Tard, à la maison d'une veuve,
Où demanda par charité
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Un gite pour passer la nuit.
‘Je ne puis bien vous éconduire,
Dit la veuve, avec vos enfants.
Ils me semblent bien fatigués.
Reposez-vous. Asseyez-vous.
Entre vous je ferai partage
De ce que le Seigneur m'octroie
En l'honneur de sa douce Mère.’
Demeura là, avec ses fils;
Aurait voulu être au courant
De ce qui se passait au cloître.
‘Dites-moi donc, ma bonne femme,
Est-ce un couvent de demoiselles?’
- ‘Oui, ainsi est-ce, par ma foi.
Il est fort beau et aussi riche.
On ne connait point son égal.
Des nonnes qui en ont l'habit,
Jamais je n'entendis conter
Mauvais propos d'aucune sorte
Dont pussent mériter un blâme.’
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L'autre, assise auprès de ses fils,
Dit: ‘Pourquoi ditesvous cela?
J'ai entendu ces derniers temps
Beaucoup jaser d'une des nonnes.
Si j'ai compris sans me tromper,
C'était d'ici la sacristine.
Qui me le dit, n'était menteur.
Il y a de ça quatorze ans
Elle s'enfuit hors. de son cloître.
Jamais on ne sut où alla,
Ni en quel lieu elle finit.’
Alors se courrouça la veuve,
Et dit: ‘Vous croyez m'assoter!
Vous cesserez pareil langage
Au sujet de la sacristine,
Ou vous sortirez de céans!
De sacristine elle a l'office
Depuis quatorze ans, d'un seul bail,
Sans que jamais elle ait manqué
A nos yeux même un seul instant,
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A moins qu'elle ne fût malade.
Il serait pire qu'un roquet,
Qui chose autre en dirait que bien.
Elle porte âme la plus pure
Que porta jamais une nonne.
Qui visiterait tous les cloîtres
Sis entre l'Elbe et la Gironde,
Je crois qu'il n'en pourrait trouver
De vie aussi religieuse.’
Lui avait bronché si longtemps,
S'émerveillait de ces paroles;
Elle dit: ‘Femme, dites-moi:
Comment ses père et mère ont nom?
Lors furent-ils nommés tous deux.
Lors sut bien qu'il s'agissait d'elle.
Hé Dieu! comme la nuit pleura
Secrètement devant son lit!
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Elle dit: ‘Je n'ai d'autre gage
Que le repentir dans mon coeur,
Venez à mon aide, ma Dame!
Mes péchés me sont douleur telle:
Si je voyais un four ardent,
Incandescent d'un feu très vif,
Flammes lui sortant de la bouche,
J'y ramperais avec délices
Pour de mes fautes être quitte.
Vous maudîtes le désespoir,
Sire, à ce veux-je me fier!
Toujours j'espère votre grâce,
Même si l'angoisse me point
Et me conduit à la terreur.
Jamais n'y eut pécheur si grand,
Depuis qu'êtes venu sur terre
Et avez pris la forme humaine
Et voulûtes mourir en croix,
Que vous ayez laissé périr.
Qui repentant cherche sa grâce,
La trouve, même s'il vient tard.
Vous l'avez bien manifesté
Pour celui-là des deux larrons
Que l'on pendit à. votre droite.
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Ce nous est chose consolante
Qu'il fut reçu sans châtiment
Bon repentir surmonte tout;
Ce larron-là m'en est témoin.
Vous dîtes: ‘Ami, tu seras
Aujourd'hui même en mon royaume
Auprès de moi, en vérité.’
Encore, Sire, est-il connu
Que le meurtrier Gisemast
Demanda merci en mourant
Sans vous donner or ni trésor,
Mais repentir de ses péchés.
Votre clémence est insondable:
De même que l'on ne pourrait
Vider la mer en un seul jour
Et l'assêcher jusques au fond,
Ainsi point n'est faute si grande
Que votre bonté ne dépasse.
Dame, comment serais-je exclue
De votre grand'miséricorde,
Si mes fautes me font tel deuil!’
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Comme elle était en ces prières,
La fatigue entra dans ses membres:
Elle s'endormit doucement.
En vision, il lui sembla
Voix qui l'interpellait, ouïr,
Là. où dormant elle gisait:
‘Femme, tu as assez gémi;
Marie a pris pitié de toi
Et a ton pardon obtenu.
Va-t-en au cloître en grande hâte;
Tu trouveras portes ouvertes,
Par où tu fuis en même temps
Que ton amant, le jouvenceau
Qui te quitta dans la misère.
Tout ton habit tu trouveras
Gisant étendu sur l'autel:
Voile, mante, souliers aussi,
Tu peux les mettre hardiment;
Dis en merci à Notre-Dame.
Toutes tes clefs de sacristine
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Que tu pendis devant l'image
La nuit lorsque tu t'en allas,
Elle les fit ainsi garder
Que, pendant tous ces quatorze ans,
Nul n'a remarqué ton absence
Et que personne n'en sait rien.
Marie est si bien ton amie
Qu'elle a toujours servi pour toi,
Ni plus ni moins, à ta semblance.
Ainsi fit la Dame du ciel
A ton profit, ô pécheresse!
Elle te dit d'aller au cloître;
Nul ne trouveras sur ton lit.
C'est de par Dieu que je te parle.’
Alors point ne lui fut longtemps
Que ne s'éveillât de son somme.
Elle dit: ‘Dieu, ô puissant Sire,
Que l'ennemi ne puisse plus
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Me mener en nouveau chagrin
Après tous ceux que j'ai subis!
Si maintenant j'allais au cloître,
Et qu'on m'y prenne pour voleuse,
Je serais plus salie encore
Que lorsque je fuis le couvent.
Je vous en supplie, ô Dieu bon,
Par votre sang très précieux
Qui de votre flanc s'écoula:
Si cette voix qui me parlait,
M'a pour mon salut visitée,
Que point elle ne se rebutte,
Mais vienne une autre fois encore,
Et s'entende une tierce fois,
Pour que je puisse sans doutance
A mon moutier m'en retourner.
Pour cela, je saurai bénir
Et louer a jamais Marie.’
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La nuit suivante, écoutez bien,
Une voix fut qui vint à. elle
Et l'appela, et qui lui dit:
‘Femme, tu tardes trop longtemps!
Retourne-t-en dans ton moutier;
Dieu t'y sera un doux soulas.
Fais ce que Notre-Dame ordonne.
D'elle venons, n'en doute point.’
Ainsi entendit-elle encore
Cette voix qui lui parvenait
Lui enjoignant d'aller au cloître.
Et pourtant elle n'osait pas.
La tierce nuit attendit-elle,
Et dit: ‘Si c'est là menterie
De l'ennemi qui se présente,
Il faut qu'au plus tôt je déjoue
Force et violence du Mauvais.
S'il revenait ici ce soir,
Sire, faites-le si confus
Qu'il s'en aille hors la maison.
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Qu'il ne puisse aucun mal me faire.
Venez à mon secours, ma Dame,
Qui m'avez mandé cette voix
Et ordonné d'aller au cloître.
Par votre fils, je vous supplie
Que tierce fois me soit mandée.’
La tierce nuit, elle veilla.
Une voix lui vint de par Dieu,
Dans une lueur souveraine,
Et lui parla: ‘C'est par grand mal
Que point ne fais ce que je mande,
Dont Notre-Dame a donné l'ordre.
Si tu allais par trop tarder!...
Va-t-en au cloître, point n'hésite.
Tu trouveras portes ouvertes:
Où tu voudras, tu passeras.
Retrouveras ton vêtement
Gisant étendu sur l'autel.’
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Lors que la voix eut ainsi dit,
La pécheresse gisant là
Put de ses yeux la clarté voir.
Elle dit: ‘Ne puis différer:
Cette voix de Dieu m'est venue,
Messagère de Notre-Dame;
Je le sais bien et sans erreur.
Elle vient en belle lumière.
Je ne puis plus m'en abstenir:
Je rentrerai dans le moutier;
Le ferai en grand' confiance
Dans le soutien de Notre-Dame;
Je confierai mes deux enfants
A la garde de Notre Père;
C'est lui qui les protégera.’
Lors enleva sans barguigner
Ses vêtements, dont les couvrit
Sans bruit, de peur qu'ils ne s'éveillent.
Les baisa tous deux sur la bouche,
Et dit: ‘Enfants, portez vous bien.
Dans la garde de Notre Dame,
Vous laisse en bonne confiance.
Si point ne l'ordonnait Marie,
Je ne vous abandonnerais
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Pour tous les biens qui sont dans Rome.’
Oyez comment elle fera.
Elle s'en va par grand' douleur
Vers son couvent, et solitaire.
Dès qu'elle vint dans le verger,
Elle trouva la porte ouverte.
Sans hésiter, elle y entra.
‘Marie, à vous en soit merci:
Entre ces murs j'ai pu entrer.
Me donne Dieu bonne aventure!’
Où qu'elle allât, trouva les portes
Ouvertes grand par devant elle.
Lors à l'église se rendit,
Et murmura secrètement:
‘Sire Dieu, je vous en conjure:
M'aidez à mon habit reprendre,
Que laissai, quatorze ans y a,
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Dessus l'autel de Notre-Dame,
La nuit que je m'en suis allée.’
Ce n'est mensonge aucunement:
Je vous le dis sans tromperie:
Souliers et mante, ainsi que voile
Elle a trouvés en même place
Où elle les a déposés.
Elle s'en vêt en grande hâte,
Et dit: ‘O Dieu du Ciel et Vous,
Madame, pucelle sans tache,
Bénis soyez-vous à jamais.
Vous, fleur de toutes les vertus!
Votre nette virginité
Un enfant porta sans douleur,
Qui sera Sire pour toujours.
Vous êtes un gage de choix.
Votre enfant fit le ciel, la terre;
La puissance, de Dieu venue,
Demeure toujours à vos ordres.
A notre Seigneur, notre frère,
Comme mère vous commandez;
Et lui ‘chère fille’ vous nomme.
Pour ce, puis-je vivre tranquille.
Qui prés de vous cherche sa grâce,
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La trouvera, s'il vient tard même:
Souverain est votre secours.
Bien qu'ayant douleur et misère,
Auprès de vous tout change tant
Que je puis bien être joyeuse.
A raison je peux vous bénir!’
Or les clefs de la sacristie
Vit-elle en vérité devant
L'image où les avait pendues.
Elle reprit ces clefs sur elle,
S'en fut au choeur où vit brillantes
Lampes brûler dans chaque coin.
Puis s'en alla près des bréviaires,
Et les mit chacun à sa place,
Comme souvent elle avait fait.
Et pria la vierge Marie
De la délivrer de tout mal
Et ses enfants qu'elle a laissés
Avec chagrin chez cette veuve. -
Ce pendant, la nuit avançait;
L'horloge se mit à sonner,
Indiquant qu'il était minuit.
Elle prit le bout de la corde,
Et sonna matines si bien
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Qu'on l'entendit de tout côté.
Celles qui étaient au dortoir,
Sans nul retard s'en vinrent toutes
De cet endroit toutes ensemble.
Ne surent rien de tout cela. -
Dans ce couvent vécut son âge,
Sans reproche ni moquerie:
Marie avait servi pour elle
Comme si elle y eût été.
Ainsi, pécheresse revint.
Gloire à celle que l'on révère,
La sainte Pucelle du Ciel,
Qui toujours et fidèlement
Son ami secourt à propos,
Lorsque l'écrase le besoin.
La damoiselle dont je dis,
Est nonne comme fut devant.
Mais je ne veux point oublier
Ses deux enfants qu'abandonna
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En grand besoin chez cette veuve.
Ils n'avaient pain, ni sou, ni maille.
Je ne puis dire en vérité
Quel trop grand deuil menèrent lors,
Quand leur mère ne virent pas.
La veuve alla s'asseoir près d'eux;
Elle était prise de pitié;
Elle dit: ‘Je veux à l'abbesse
Aller avec ces deux enfants.
Dieu lui mettra dedans le coeur
La volonté de leur bien faire.’
Ils vêtirent habits, chaussures;
Elle les mena au couvent;
Elle dit: ‘Dame, reconnaissez
Le besoin de ces orphelins
Que la mère a laissés chez moi,
Cette nuit, sans nulle ressource;
Et son chemin s'en est allée,
Est-ce vers l'est ou vers l'ouest?
Dont sont les enfants sans appui.
Les aiderais bien, mais comment?’
Dame abbesse lui répliqua:
‘Garde-les, je te le vaudrai,
Si bien que regret n'auras point
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Qu'on les ait laissés la chez tol.
Que charité on leur prodigue,
Chaque jour, pour l'amour de Dieu.
Que quelqu'un vienne, chaque jour,
Quérir pour eux viande et boisson.
Si chose manque, qu'on la dise.’
La veuve était toute joyeuse
Qu'il lui soit ainsi advenu.
Elle prit les enfants chez elle
Et leur donna ses meilleurs soins.
La mère, qui, pour les nourrir,
Avait souffert nombreuses peines,
En conçut un bien grand courage,
Lorsqu'elle sut en bonne garde
Ses enfants qu'elle avait laissés
En grand besoin lorsque s'en fut.
Elle n'eut crainte ni souci
Désormais plus pour les enfants.
Vécut très saintement dès lors.
Dans les soupirs et dans les transes,
Elle passa nuits et journées,
Car bien grand deuil avait au coeur
Pour son passé de lourdes fautes
Qu'elle n'osait dire à nul homme,
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Et qu'elle n'osait dévoiler
Ni relater même en écrit.
Mais plus tard vint, à certain jour,
L'abbé, qui visitait le cloître
Une fois par an, d'habitude,
Pour apprendre s'il y avait
Quelque rumeur déshonorante
Qui lui méritât quelque blâme.
Le jour même de sa venue,
La pécheresse récitait,
Dedans le choeur, ses oraisons
En grand abattement de coeur.
Le diable la tenta de honte,
Afin qu'elle ne portât point
Tous ses péchés devant l'abbé.
Tandis qu'elle réfléchissait,
Elle vit qu'était auprès d'elle
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Un jeune homme vêtu de blanc.
Dans ses bras il portait, tout nu,
Un enfant qu'elle jugea mort.
Ce jeune homme lançait en l'air,
Et puis rattrapait une pomme,
Pour cet enfant jouant ce jeu.
La nonne voyait tout cela
Comme elle était en ses prières.
Elle dit: ‘S'il se peut, ami,
Et si de Dieu êtes venu,
Je vous conjure par sa loi
Que me disiez sans rien celer
Pourquoi vous jouez pour l'enfant,
Avec la belle pomme rouge,
Tandis qu'il gît mort dans vos bras?
Ce jeu ne lui chaut un cheveu.’
- ‘Pour sûr, nonne, tu parles vrai:
De mon jeu, point il ne se doute
En rien vraiment ni peu ni prou.
II est mort, n'entend ni ne voit.
De même que lui, Dieu n'a cure
De tes prières et tes jeûnes.
Ça ne t'aide plus qu'une cosse.
C'est peine dépensée en vain
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Que te donner la discipline.
Tu es noyée en tes péchés
Si fort que Dieu n'entend ta voix
Au ciel là-haut dans son royaume.
Je te donne avis: va bientôt
Près de l'abbé, près de ton père,
Et raconte lui, tous ensemble,
Tous tes péchés, et sans mentir.
Que le Mauvais point ne t'abuse.
Cet abbé même va t'absoudre
De tant de fautes qui t'encombrent.
Mais si tu ne les lui veux dire,
Dieu se vengera gravement!’
Le jeune homme alors disparut,
N'ayant plus rien à révéler.
Ce qu'il a dit, elle a compris.
Et dès l'aube elle s'approcha
De l'abbé, le pria d'ouïr
Sa confession mot à. mot.
L'abbé était sage et prudent;
Il dit: ‘Fille, ma chère amie,
Ceci, je n'y veux point manquer.
Examine bien, considère
Parfaitement toutes tes fautes.’
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A cet instant même, elle alla
Se mettre à côté de l'abbé;
Lui dévoila sa vie entière,
Et depuis le commencement:
Comment subit, par fol amour,
Telle tentation extrème
Qu'il lui fallut abandonner,
En grande crainte, son habit,
La nuit, sur l'autel de la Vierge,
Et fuir le cloître avec un homme
Qui lui fit deux beaux enfançons.
De tout ce qui lui arriva,
Elle n'omit aucune chose;
Tout ce qu'avait au fond du coeur,
Au saint abbé le fit connaître.
Quand elle eut bien tout confessé,
L'abbé, le bon père, lui dit:
‘Ma fille, je m'en vais t'absoudre
De tes péchés qui tant te pèsent
Et dont tu viens de t'accuser.
Louange et bénédiction
A la sainte Mère de Dieu!’
Lors lui imposa sur le chef
La main, et merci octroya.
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Il dit: ‘Je vais, en un sermon,
Publier toute ton histoire;
Et le ferai de telle sorte
Que toi pas plus que tes enfants,
Jamais ni en aucun endroit,
N'en recevrez nulle risée.
Ce serait mal si l'on taisait
Ce miracle que notre Sire
Fit à la gloire de sa Mère.
Je veux le répandre partout.
J'espère qu'il convertira
Nombreux pécheurs à repentance,
Tout à l'honneur de Notre-Dame.’
Il fit entendre à ce couvent,
Avant de s'en aller chez lui,
Ce qu'il advint à cette nonne.
Mais point ne surent qui c'était;
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Cela demeura bien caché.
L'abbé s'en fut, béni de tous;
Prit les deux enfants de la nonne;
Les mena en sa compagnie;
Les vêtit de la robe grise;
Et ils devinrent deux bons moines. -
Leur mère avait nom Beatrix. -
Gloire à Dieu, et gloire à Marie
Qui nourrit Dieu, Notre Seigneur,
Et accomplit ce beau miracle,
Sauvant la nonne de détresse. -
Or prions tous, petits et grands,
Qui entendîmes réciter
Ce miracle, que soit Marie
Notre avocate en ce doux val
Où Dieu viendra juger le monde.
AMEN |
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