'Beatrice'
(1949)–Anoniem Beatrijs– Auteursrecht onbekend
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IntroductionOn ne possède guère, de la littérature belge d'expression néerlandaiseGa naar eind1), de documents, qui datent des origines. Et pourtant, à côté des lettres latines, il a bien dû exister une littérature en langue populaire, transmise par la tradition orale, tout au moins: chansons populaires, fabliaux, fables avec des, animaux pour personnages, chansons religieuses, chansons épiques. De ces dernières seraient nés ces longs récits en vers: les romans de chevalerie. Aussi bien, les oeuvres les plus importaijtes de 1'époque héroïque des Germains furent probablement connues dans les ‘pays bas au bord de la mer’, puisque l'on y a chanté les chansons qui leur donnèrent naissance. Nous pouvons, en tout cas, affirmer avec certitude que c'est vers 1170 que la littérature flamande prit son véritable essor. Cet essor coïncidait avec le développement des villes flamandes et avec leur rayonnement. En ce temps-là, si la langue populaire se substitue de plus en plus au latin dans les textes officiels, le patriciat des Pays-Bas méridionaux, très francisé, considère avec mépris le parler populaire; et l'on peut rechercher dans ce fait l'explication de certains caractères particuliers de la littérature thioise: esprit démocratique et critique, goût didactique, rudesse et humour parfois plébéiens. Caractères d'une littérature qui fut, semble-t-il, l'oeuvre de clercs, s'adressant à la bourgeoisie naissante, dont ils cherchaient à entretenir les qualités naturelles et le senti- | |
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ment religieux, sans cesser de donner libre cours à un esprit frondeur, de s'attaquer avec bonne humeur aux grands de la terre. Le plus ancien document de valeur remonte à la fin du XIIe siècle; il est l'oeuvre du trouvère limbourgeois Heynric van Veldeke, ce premier lyrique flamand qui, sur la littérature allemande, exerça une certaine influence, l'auteur d'un roman courtois, Aeneïs et d'une trentaine de chansons d'amour dans le genre provençal: il s'agit de la Sint Servatius' Legende (Légende de Saint Servais)... Contrairement à l'opinion qui prévalut longtemps, les oeuvres épiques du moyen âge flamand ne sont pas toutes de simples traductions ou des adaptations d'oeuvres françaises ou latines. Il est prouvé, anjourd'hui, que certains textes sont incontestablement originaux et de qualité. La plus ancienne de ces oeuvres épiques est le Karel ende Elegast (Charles et Elegast)Ga naar eind2), un récit bref et pourtant suggestif, qui conte avec verve comment Charlemagne, exhorté par un ange à commettre un vol, apprend, au cours de son inavouable expédition, qu'un complot est tramé contre sa vie. C'est une longue chanson épique, très différente des chansons françaises, et dans laquelle on retrouve des éléments proprement germaniques: noms, épisodes, sens du merveillueux, fidélité au suzerain. La tendance chrétienne et didactique transparaît à chaque tournant de l'intrigue. Composition simple, solide, grâce au respect de l'unité d'action. Style vivant, concis, précis. L'auteur fait preuve d'un sens psychologique relativement développé. Les caractères sont peut-être élémentaires, mais ils sont dessinés d'un trait net, qualité rare à l'époque; ils sont, d'autre part, conçus avec une liberté d'esprit remarquable, qui suffirait à distinguer Karel ende Elegast de la plupart des romans carolingiens. En effet, si notre récit donne à Charles la place prépondérante, et s'il le présente sous des apparences sympathiques, il ne lui accorde pas toujours le beau rôle: l'empereur est réduit à la taille humaine. Autres manifestations d'indépendance d'esprit: l'auteur ne craint pas de dénoncer les prê- | |
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tres oisifs comme des individus méprisables, ni d'affirmer que ce n'est pas pécher que voler les riches; enfin, il admire, chez Elegast, non pas tant ses prouesses de chevalier que sa valeur morale, trait exceptionnel dans la littérature chevaleresque. L'idée sera reprise au siècle suivant, à l'époque de la littérature bourgeoise, comme sera exploité, d'ailleurs, le ‘mysticisme’ d'Elegast. OEuvre de transition entre les chansons, dont nous supposons qu'elles ont existé avant le XIIe siècle, et les monuments de la littérature d'inspiration chevaleresque, Karel ende Elegast annonce, par son indépendance d'esprit, par son bon sens ironique, par la haine des riches et des puissants, par cette verve narquoise et l'humeur frondeuse, le chef-d'oeuvre de la littérature d'inspiration bourgeoise, en moyen néerlandais, l'épopée de Renart. Les épopées franques ou romans carolingiens qui reprennent les sujets de l'épopée mérovingienne et de l'épopée carolingienne: Roelantslied, Floovent, Roman der Lorreinen, Ogier van Ardennen, Gwidekijn (Wittekind) van Sassen, Willem van Oringen (Orange), Fierabras, Aiol, Geraert van Viane, etc., et enfin la plus populaire et la plus célèbre de toutes: Reinout van Montalbaen of de Vier Heemskinderen (Les Quatre Fils Aymond) relèvent de la littérature d'inspiration chevaleresque. Ces romans carolingiens se caractérisent par la prédilection de l'auteur pour les figures puissances, héroïques, pleines du sentiment de la ‘fidélité germanique’; la femme y joue un rôle de second plan. Aucune de ces oeuvres ne nous a été conservée en entier; il n'en subsiste guère que des fragments. Les textes originaux sont, d'ailleurs, rares; les uns sont adaptés de textes latins, les autres de textes français. Leur valeur est inférieure à celle des romans français de la même époque. Ils ignorent la sentimentalité, et affirment une tendance moralisatrice. Deux fragments semblent remonter à une source allemande, Van den Bere Wisselau, et une traduction de la Niebelungenlied. Les épopées courtoises datent du XIIe et du XIIIe siècle; la civi- | |
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lisation s'était affinée au contact de l'esprit provençal. Elles témoignent d'un sens psychologique plus profond, d'un sentiment du luxe et du raffinement, d'une tendance au merveilleux et au mystérieux, du culte de la femme, du sens de l'aristocratie, d'une sorte de curiosité pour les civilisations étrangères: autant de traits qui faisaient défaut dans les romans carolingiens. Il faut faire une place aux romans bretons ou celtiques, dont les thèmes sont empruntés aux légendes du Roi Arthur et à la quête du Saint Graal. L'auteur s'y montre plus soucieux du sensationnel que d'esthétique ou de vérité: ce ne sont pas, en général, des oeuvres d'art. Les plus célèbres sont: Percefal, Historie vanden Grale et Torec (Jacob van Maerlant), Lancelot van Lac, Moriaen, et, enfin, les deux plus célèbres: le Walewein de Penninc et Vostaert et le Ferguut. Walewein, jusqu' à un certain point original, est un long récit, de 11.000 vers, non exempt de longueurs et de naïveté, mais vivant, et d'une noble élévation de sentiments; il est écrit dans une langue remarquable pour l'époque, harmonieuse et rythmée; les caractères sont franchement dessinés, les descriptions pittoresques et colorées. Le Ferguut adapté du français Guillaume Le Clerc, apparaît plus réaliste, d'une fantaisie assez naïve et d'un humour parfois cruel; si le style souffre de négligences, il lui arrivé d'être excellent. Les romans classiques s'inspirent, d'une part, de sujets tirés de l'antiquité gréco-latine, comme l'Aeneïs de Heynric van Veldeke, Historie van Troyen de Jacob van Maerlant, ou les Alexanders Yeesten du même, d'autre part, de traductions latines d'oeuvres appartenant aux littératures anciennes et modernes de l'Orient: vies de saints, épopées à personnages d'animaux, romans courtois. Citons Floris ende Blancefloer, adaptation par Didderik van Assenede du roman français, où sont analysés avec un certain art les sentiments - joies et tristesses - qui bouleversent l'âme des jeunes amoureux. Ce dernier roman mérite une mention spéciale, non | |
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seulement à titre de document historique, mais aussi pour cette imagination, et pour cette vive sensibilité dont il rend témoignage. Récit émouvant, écrit dans une langue harmonieuse. Tous ces romans sont l'oeuvre de ménestrels qui écrivent pour les classes aisées ignorant le français. Les plus anciens marquent une tendance chrétienne; mais, parfois, un certain esprit plébéien se fait jour, et même une certaine pauvreté de procédés, sans qu'ils soient dépourvus, cependant, de valeur littéraire. Si la littérature d'inspiration chevaleresque des XIIe et XIIIe siècles connut une période de prospérité, la littérature d'inspiration religieuse ne devait lui céder en rien; au contraire. A ce genre se rattachent quelques-unes des oeuvres les plus connues. D'abord, rappelons-le, le plus ancien document littéraire en langue thioise: Sint Servatius' Legende (La Légende de Saint Servais), dont nous avons déjà dit qu'elle fut écrite par le trouvère limbourgeois Heynric van Veldeke. Un recueil de Limburgse Sermoenen (Sermons limbourgeois) date, selon toute vraisemblance, du XIIe siècle. Citons encore une Leven van Lutgart (Vie de Sainte Lutgarde), dont l'auteur est vraisemblablement Willem van Affligem; prêtre brabançon qui séjourna quelques années a Saint-Trond. On a cru longtemps que l'original avait été écrit en limbourgeois; on suppose, aujourd'hui, qu'il fut écrit en un brabançon mêlé de limbourgeois. L'oeuvre s'inspire d'une Vita latine de Thomas de Cantimpré; l'auteur n'a pas hésité à allonger son modèle de quelques centaines de vers, tant il prend plaisir à sa narration. Nous épinglerons, enfin, un long poème populaire Vanden Levene ons Heren (Vie de Notre Seigneur, ± 1275, vraisemblablement de Martijn van Torhout), une vie de Jésus, haute en couleur, suggestive tant pour le sujet que par le ton. Mais les oeuvres plus purement poétiques se trouvent parmi les pieuses légendes de Marie, comme la Theophilus' Legende (Légende de Théophile), et surtout Beatrijs (Beatrice)Ga naar eind3). Beatrijs passe, à bon droit, pour une des productions les plus | |
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remarquables de toute la littérature néerlandaise. Fine psychologie, sentiment profond exprimé avec sobriété, langue pure et raffinée: tels sont les traits caractéristiques de ce chef-d'oeuvre de la poésie religieuse. Parmi les très nombreuses adaptations, nous relevons celles de Maurice Maeterlinck, du bon poète hollandais P.C. Boutens, et du romancier et dramaturge flamand Herman Teirlinck. C'est l'histoire d'une moniale qui, trop faible pour résister aux tentations du monde, malgré sa sincère dévotion à la Vierge, vit 14 ans dans le péché, revient au couvent, repentante, et constate que sa patronne a tenu sa place par pitié pour la pécheresse. Bien que le sujet de Beatrijs s'inspire, de l'aveu même de l'auteur, des récits d'un certain frère Gijsbrecht, de l'ordre des Wilheimues, personne ne conteste l'originalité de l'oeuvre. Elle est écrite dans la langue qu'on parlait à cette époque en Flandre. C'est l'un des rares textes de la littérature du moyen âge qui soit encore pleinement apprécié de nos jours. La subtilité de sa psychologie, son sain réalisme, son sens dramatique, la maîtrise des dialogues, le sentiment de la nature dont s'imprègnent maints passages, sa profonde piété, contribuent à lui assurer un charme impérissable. Béatrice n'est pas un fantoche: c'est un personnage humain, vivement et finement nuancé. Elle se laisse tenter paree qu'eile est faible; paree qu'elle aime, et non par perversité. Les personnages secondaires eux-mêmes sont évoqués avec justesse. L'auteur marque, grâce à un sens dramatique aigu, la différence entre la sensualité de l'amant et l'amour éthéré, bien qu'humain, de la moniale, l'opposition entre le désir qu'éprouve celle-ci de quitter sa vie de sacristine pour les joies de la terre et la conscience en elle de ce que pareil désir a de monstrueux. Si l'auteur cultive moins que celui qui signa le Theophilus le souci du détail extérieur, il témoigne, par contre, d'une sobriété étonnante; il sait suggérer au lieu de décrire. Le récit demeure mesuré; l'analyse des conflits intérieurs ne s'étale pas. Tout concourt à l'équilibre. | |
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Les descriptions sont simples, la langue directe, le style naturel, le vers nombreux. A côté de ce chef-d'oeuvre d'inspiration religieuse, en voici un autre, qui relève de la littérature d'inspiration bourgeoise: Vanden Vos Reynaerde (le roman de Renart)Ga naar eind4), l'épopée animale étincelante d'esprit et de satire. Il s'agit de retracer la geste héroïcomique de ce goupil Renart, au milieu d'animaux bien connus. Le document est remarquable, où revit toute la société de l'époque. Satire de la chevalerie avide, badinage parfois cynique sur les ecclésiastiques et les bourgeois parvenus, nous lisons là une épopée essentiellement flamande par son réalisme sain et par son ironie sans pitié. La première partie du Renart flamand est adaptée d'un poème moyen-français, Le Plaid, datant de la fin du XIIe siècle. Mais l'auteur ne s'est pas borné à traduire le modèle. Il l'a refondu complètement. Il lui a donné une originalité nouvelle. Il a éliminé les détails d'une satire trop grossière, il y a ajouté des éléments spécifiquement flamands. Dans une série de scènes divertissantes, remarquables par leur fine observation, pleines de vie, habilement enchaînées, dans un style sobre, précis, étonnamment expressif et aisé, il conte les péripéties du jugement de Renart. Celui-ci éconduit d'abord deux délégués du roi, venus le quérir pour l'amener à la cour de justice, puis marri, semble-t-il, de ses fautes se laisse convaincre, à la troisième sommation, selon la coutume germanique, et il accompagne son neveu Grimbert, le blaireau, devant le tribunal royal. Condamné à mort, il va enfin expier. Mais le rusé compère imagine de faire croire au roi et à la reine que son père a découvert un trésor destiné à financer une conjuration contre la couronne, et il accuse des animaux présents et puissants d'avoir trempé dans le complot. Son neveu Grimbert pour cacher son jeu, et ses pires ennemisi Brun l'ours et Isengrin le loup... Le roi lui accorde la vie, fait arrêter les conspirateurs. Et Renart partita en pèlerinage pour racheter ses péchés. Mais, en route, il tuera le | |
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lièvre son compagnon, et enverra sa tête au roi. Celui-ci s'irrite, et Renart se met à l'abri. On a discuté sur la personnalité de l'auteur ou des auteurs de ce roman, sur la composition, sur les origines. Les spécialistes les plus avertis eux-mêmes ont parfois dû revenir sur leurs conclusions. Willem, l'auteur présumé, a parfaitement réussi à harmoniser l'élément humain et le monde animal. Sans faire une seule allusion directe aux événements du XIIIe siècle, il a brossé une vivante fresque des faiblesses de la nature humaine. Il fait triompher l'intelligence sur la bêtise, l'esprit sur la force physique, dans un monde borné et cupide. Tantôt joyeux, tantôt mordant, il se moque des représentants de l'Eglise et de la Féodalité. Avec un souverain mépris de l'autorité constituée et de l'intrigue, il se rit des grands, des prêtres, et des ingénus. Son Renart est un coquin sympathique; car il a l'esprit de son cynisme. Renart n'est pas pire que ses semblables, puisqu'il est conscient de ses faiblesses; mais il connaît aussi les faiblesses d'autrui, et il sait les utiliser avec d'autant plus de facilité qu'autrui se refuse à les avouer. Pareille épopée est bien de son époque: de l'époque qui vit la révolte des villes flamandes, des bourgeois contre les classes dirigeantes fiancisées, de l'époque des franchises et des libertés communales. Mais c'est à sa valeur artistique que le Vanden Vos Reynaerde doit son succès. Style vivant, sobre et précis; humour fait d'ironie légère; satire du meilleur aloi. L'auteur sait intervenir avec adresse dans le récit, qu'il truffe d'interventions directes ou indirectes, de comparaisons frappantes, de proverbes qui viennent opportunément conclure tel ou tel épisode. Le Vanden Vos Reynaerde possède des qualités incomparables. Plus moderne et plus vivant que les autres, il est une fière expression du génie flamand d'avant la Renaissance. Il fut traduit en basallemand, en français, en anglais, en danois, en islandais, en latin, et en divers dialectes. Goethe en assura le succès en allemand moderne. | |
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Dans le domaine de la littérature lyrique, peu de textes sont parvenus jusqu' à nous; et uniquement dans des recueils postérieurs; aussi est-il difficile de les dater avec précision. La poésie profane s'inspire de la poésie amoureuse de Provence. Elle est peu importante, en comparaison de la poésie d'inspiration religieuse de la même époque. Nous connaissons, une trentaine de poèmes lyriques originaux, attribués à Heynric van Veldeke, poèmes d'une strophe, non dépourvus de valeur artistique et de bon sens social; neuf chansons un peu conventionnelles, mais fraîches et harmonieuses, attribuées au duc Jean Ier de Brabant (1253-1294); et seize chansons d'amour, écrites en limbourgeois ou en brabançon, composées de trois strophes (la première strophe, généralement courte, commencée par un dict; vient ensuite un dizain; une strophe qui commence de nouveau par un dict termine la chanson). Alors qu'en France, à la même époque, la poésie est encore écrite en vers latins, la poésie flamande s'accommode déjà de la langue populaire. Faut-il y voir un reflet de l'individualisme flamand qui aurait ainsi cherché à se libérer de l'influence française? La poésie amoureuse et religieuse en flamand est un des plus beaux titres de gloire de la littérature des Pays-Bas méridionaux. Elle trouvera son expression la plus pure et la plus ardente dans l'oeuvre de HadewychGa naar eind5). On connaît peu de choses de la vie de cette poétesse; mais son oeuvre est parvenue jusqu' à nous, et c'est ce qui compte. Les Strophische Gedichten (les poèmes strophiques) groupent quarantecinq poèmes de plusieurs strophes; ils expriment le drame de cette âme crucifiée, la violence de sa passion pour l'Amant céleste, la fierté que lui donne sa lutte pour l'Amour divin qui finira par la vaincre. Hadewych célèbre en des vers ardents la passion ascétique; car ‘ceux à qui l'Amour divin impose ses douces violences débordent de gratitude’, et si l'Aimé prend quelquefois ‘un cruel plaisir à percer le coeur de ceux qui (1e) couvrent sans cesse de leurs baisers’, il est oependant ‘digne de toutes les louanges’. A travers ses | |
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prières, ses méditations, on sent battre le coeur d'une femme qui se défend contre les tentations terrestres. Elle évoque les félicités du ciel et se prosterne humblement devant la Trinité. Elle est humble souvent, parfois exaltée. Ses vers dénotent une forte personnalité; ils sont riches de sentiment, d'une forme parfaite, bien rythmés, mélodieux. Par son verbe et par le mouvement de la phrase lyrique, Hadewych diffère peu des poètes profanes. Ses Visioenen, ses visions traduisent peut-être d'une façon plus complète encore l'ascension de l'esprit et son accueil par Dieu qui est Amour. Bien qu'écrites en prose, elles dépassent en intensité les Gedichten. Les Brieven, les lettres de Hadewych traitent de différents sujets de la vie mystique. Elles se distinguent par la profondeur de la pensée er par la richesse étonnante du style. Elles s'inspirent d'un mysticisme assez empirique, sans bannir tout élément métaphysique. Hadewych représente un des plus parfaits moments de l'art thiois. Son oeuvre, écrite dans une langue qui n'est pas loin d'atteindre à la perfection, reflète sa grandeur d'âme, sa compréhension de l'univers et du divin, la complexité d'une vie intérieure qui s'alimente à l'ame et aux sens, à la raison et au sentiment, à la joie et à la tristesse, au ciel et à la terre, pour s'épanouir en une parfaite et vivante unité. D'autres écrivains illustrèrent la littérature d'inspiration religieuse, à la même époque. Beatrijs van Nazareth (1200-1268) est l'auteur du plus ancien morceau de prose que l'on ait pu dater avec quelque précision: Van seven manieren van heiligher minnen, (le traité des Sept Espèces d'Amour)Ga naar eind5). Gheraert Appelmans a fait une Glose op het Pater Noster (glose sur le Pater Noster). Leven van Jezus, une vie de Jésus, du XIIIe siècle, a joui d'un grand renom; elle est adaptée du Diatessaron de Tatianus. Le XIIIe siècle avait trouvé son inspiration la meilleure dans la religion et dans la chevalerie. La décadence de cet Ordre sonne le glas de la littérature chevaleresque. La bourgeoisie prend con- | |
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science d'elle-même, ses idéaux influencent l'inspiration et le développement des oeuvres littéraires. Jacob van Maerlant (± 1230-±1300) marque la transition entre les deux époques. Si ses premières oeuvres (Historie van Troyen, Alexanders. Yeesten) s'inspirent encore de la littérature chevaleresque, il dénoncera la puérilité de ce genre périmé dans son Sint Franciscus (Vie de Saint François), d'inspiration religieuse. Soucieux de vérité avant tout, il s'élève contre les oeuvres d'imagination. Elles relèvent, selon lui, de la fantaisie; elles méconnaissent délibérément les aspirations du peuple et de la bourgeoisie, dont elles n'obtiennent point l'audience, d'ailleurs. Maerlant veut plaire à ceux qui ne parient que le thiois; il prétend entrer en contact avec le peuple, lequel réclame du vrai et de l'utile. Il veut devenir l'éducateur de la bourgeoisie naissante. Bien plus, il se fait écrivain social. Se fondant sur les principes qu'enseigne le christianisme, il s'en prend avec force aux institutions et privilèges dont bénéficie une classe, aux dépens des autres. Son oeuvre maîtresse, le Wapene Martijn (Hélas Martin!), dénonce les injustices sociales et prêche le mépris de l'argent. Elle est écrite sous forme de dialogues strophiques, concus selon la forme des hymnes latins. Wapene MartijnGa naar eind6), le premier dialogue entre Jacques et son ami Martin, est une méditation sur l'humilité et la pauvreté. L'auteur y passe en revue toutes les misères du monde: vices, indignité des seigneurs temporels et spirituels, injustices sociales. Il dépeint les trois sortes d'amour que sont la charité divine, le désir de possession des biens terrestres et l'affection conjugale. Il s'élève contre le servage, se pose en défenseur de la femme, et affirme que la naissance ne fait pas le gentilhomme: celui-là seul est noble qui est pur et vertueux, puisque Dieu a créé tous les hommes du même limon. Maerlant soumet à une critique sévère les problèmes sociaux de l'heure; il s'en prend, en particulier, à la propriété privée, et rêve d'un monde où l'on pourrait supprimer ces deux | |
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mots funestes: ‘le mien’ et ‘le tien’. Partout, affirme-t-il, régneraient la paix et la concorde, si l'on pouvait détruire le venin de la convoitise et mettre en commun toutes les ressources. Martijn ii of Dander Martijn, le second Martin, le second dialogue, comporte vingt-six strophes qui traitent de l'amour courtois et de l'amour divin. Martijn iii of Vander Drievoudichede, le troisième dialogue, comporte trente-neuf strophes; cést une démonstration théologique du dogme et des enseignements de léglise. Vanden Verkeerden Martijn (Le Martin renversé), le quatrième dialogue, une parodie du premier, est sarcastique et amer. Jacques et Martin s'y promettent de pratiquer le mensonge, puisque aussi bien le mensonge règne partout en maître et que les seigneurs préfèrent la flatterie à la vérité. Maerlant part de ce principe que les tares sodales sont nées d'une fausse interprétation des Evangiles et des Actes des Apôtres. Il ne prêche pas un mysticisme ascétique, ni le mépris du monde, mais l'amour du prochain et le droit de chacun à la vie. Par le sens politique qui s'y affirme, le Martin demeure l'oeuvre la plus caractéristique de Maerlant; mais ses autres productions sont loin d'être sans importance. On songe, en particulier, à deux oeuvres de la vieillesse, deux oeuvres de combat: Der Kerkhen Claghe (Complainte de léglise), où est prônée avec violence une foi active, agissante, et la Vanden Lande van Oversee (Complainte du Pays d'au-delà de la Mer), un appel véhément à la croisade. Résolu et âpre, l'auteur se montre parfois terre à terre; mais dans son désir d'instruire, d'éduquer et de convaincre, et parce qu'il se sait l'interprète d'une aspiration collective, il gagne en chaleur et en autorité. Son oeuvre didactique apparaît surtout intéressante par la bonne volonté dont elle témoigne, et aussi par la tendance qu'on peut y déceler vers une science rationnelle. Dans cet ordre d'idées, Maerlant est l'auteur d'une oeuvre variée et volumineuse, qui se compose | |
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surtout de traductions et d'adaptations d'ouvrages français ou latins, destinés à l'instruction et à l'éducation; production monotone, naïve même, versifiée bien plus par habitude que par souci d'art. Dans Der Naturen Bloeme (Les Merveilles de la Nature), Maerlant s'attache à enseigner à ses contemporains les sciences naturelles; dans une oeuvre inachevée: Spieghel Historiael (Miroir Historique), mais qui ne compte pas moins de quatre-vingt-deux livres ou chapitres, il expose l'histoire du monde; dans sa Rijmbijbel (Bible rimée), il traduit une histoire de l'Ancien et du Nouveau Testament, et plus d'un récit se termine par une application satirique. Maerlant eut des continuateurs. Entre autres, Jan van Boendaele, qui, sur un ton moins âpre et moins fougueux que son maître, cherche, lui aussi, à diriger et à éclairer la bourgeoisie: dans ses Brabantsce Yeesten (Gestes Brabançonnes), histoire du pays vécue par l'aristocratie communale, et dans son Der Leken Spieghel (Miroir des Laïques), le chef-d'oeuvre de la poésie morale et sociale de l'époque. Lodewijk van Velthem et Jan van Heelu subirent tellement l'influence du maître que, bien que Brabançons, ils écrivirent le même dialecte que Maerlant, à savoir, le flamand. Au XIVe siècle, les romans tendent vers une formule plus concise, le récit se fait plus court. Cést l'époque des contes sérieux (sproken) et des récits plaisants (boerden). Des vies de saints en prose et en vers. De la prose mystique, de la dévotion moderne. Des récits historiques et de voyages. Des légendes et des ‘exempelen’, en prose. Une renaissance du lyrisme se prépare. La poésie religieuse produit quelques oeuvres. La chanson populaire, elle, compte des chefs-d'oeuvre: romances, ballades, chansons d'amour, chants de victoire, de haine, de pitié, à tendance didactique, religieuse, même sociale. Ces chansons populaires sont rimées comme l'ancienne chanson épique, dialoguées aussi, ce qui rend le récit plus vivant. Parmi les plus connues, citons Here Halewijn (Sire Halewijn), Twee Coninckskinderen | |
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(Les deux Enfants de Roi), Ik stond op Hoghen Berghen (Je me tenais sur une haute montagne), Het Daghet in den Oosten (Le Soleil se lève à l'Orient), la plus émouvante peut-être, la plus originale à coup sûr dans sa sobriété. Mais l'élément nouveau de cette période, cést la naissance du théâtre profane. Son apparition est d'autant plus surprenante que l'on ne trouve nulle trace, dans l'histoire des lettres thioises, de léxistence d'un théâtre religieux, qui aurait préexisté. Mais la maturité même des pièces profanes, de ces abele spelen (jeux d'art), semble indiquer quélles auront été précédées, comme ailleurs, par le drame religieux. Les abele spelen sont d'origine brabançonne. Ils ont été conservés dans un même manuscrit, et l'on est tenté de penser qu'ils sont l'oeuvre d'un même auteur. La question de leur origine a suscité bien des controverses. D'après les uns, ils seraient des récitations dialoguées de sproken, récitations faites par des sprokensprekers, qui dialoguaient sur la scène, par groupes de deux ou trois. Ainsi seraient nées les compagnies de trois ou quatre comédiens professionnels (alors que c'étaient des amateurs qui se produisaient dans les pièces religieuses) qui, sous le nom de Ghesellen van Spele (Compagnons du Théâtre), parcouraient le pays pour donner des représentations. D'après les autres, ces spelen ne seraient pas autre chose que des imitations de pièces religieuses: le théâtre profane aurait dramatisé les récits romantiques du moyen âge, tout comme le théâtre religieux dramatisait les mystères de la religion. Cette hypothèse paraît mieux fondée, d'autant plus que l'on retrouve, dans les abele spelen, des vestiges d'habitudes religieuses: ils commençaient par une prière et finissaient par amen. Il semble bien aussi que les récits romantiques aient servi de modèle quant aux dialogues et quant à léxpression de l'action. Ces spelen semblent s'adresser à un public bourgeois. Ce sont des jeux nobles et sérieux, des drames symboliques dans lesquels l'auteur fait intervenir les forces surnaturelles. Leur caractère laïque | |
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est plus marqué que dans le théâtre médiéval des autres littératures. Deux thèmes reviennent continuellement: l'amour et lésprit de caste; mais le thème dominant doit être l'amour dans le mariage. On y retrouve donc les idées-forces de la littérature didactique bourgeoise. La psychologie des abele spelen est peu profonde. Guère de conflits intérieurs; les caractères sont à peine nuancés; les sentiments sont décrits de léxtérieur. L'auteur semble, cependant, doté d'un certain sens de l'humain. Cést à leur caractère direct et à leur sobriété que ces drames doivent leur charme, au sentiment fort et sain qui les anime, à la fraîcheur des descriptions, à la saveur du langage populaire. La technique en est assez moderne; le rythme souple, la versification vive. Le meilleur abelspel est, à mon avis, Lanceloet van DenemarkenGa naar eind7), un drame symbolique qui repose sur le conflit entre l'amour et lésprit de caste. Lancelot, prince du Danemark, est épris de la belle Sandrine, une suivante de sa mère. Celle-ci ne prétend pas que son fils s'acoquine avec une fille qui nést pas de sa condition. Celui-ci ne veut rien entendre. Une fois de plus il avoue son amour à Sandrine. Si elle ne veut point de lui, il en perdra vie et éternité. Sandrine ne cède point devant ce romantisme: finement elle lui déclare ne pouvoir être sa maîtresse. Intelligente Sandrine l'éconduit encore quand plus réaliste, Lancelot lui parle mariage, lui promet une bague si elle veut le suivre au château. Et elle s'éloigne enfin quand lyrique il veut léntraîner dans les bois, pour y admirer la nature, y écouter le chant des oiseaux... Mais la mère entend les regrets exprimés par Lancelot après le départ de la jeune fille. Elle morigène alors son fils. Puis effrayée de sa passion (du moins elle le croit), elle lui promet que Sandrine ira le trouver dans sa chambre, s'il veut bien promettre de la repousser après avoir obtenu délle tout ce qu'il désire. Lancelot se révolte un peu devant le cynisme de sa mère, mais prudent il accepte ses conditions. Et le lendemain Sandrine quitte | |
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la chambre de Lancelot, l'âme ulcérée. Elle souffre surtout de l'attitude de celui-ci... Elle sénfuit. En chemin elle fait la connaissance d'un chevalier. Celui-ci lui propose de l'épouser. Sandrine accepte. Avec pudeur elle lui parle de son passé en se servant de la parabole du faucon cruel qui arracha un bourgeon à un arbre en fleurs (l'âme ornée des vertus). Le chevalier se rend compte que la pureté de la dame n'a pas souffert; la violence ne peut soullier l'âme... Lancelot, de son côté, est de plus en plus épris de Sandrine. La ruse maternelle a eu léffet contraire. Il veut à tout prix épouser la jeune fille. Son confident Renaud en apporte le message à celleci, grâce à léntremise de son garde-chasse (le personnage comique de la pièce). Mais Sandrine n'éprouve plus qu'indifférence pour Lancelot. Elle est heureuse de son sort. Elle raconte à Renaud l'histoire du faucon cruel. Celle-ci la racontera à son tour à Lancelot, comme gage de la rencontre, en ajoutant que la jeune fille est ‘morte’... Lancelot maudit alors sa mère, meurt de douleur, en émettant léspoir de revoir Sandrine dans une autre vie. Pièce d'un réalisme décent, avec double intrigue, et d'une haute pensée morale. La langue en est simple; le vers court, exempt de ces enjambements qui pourraient prêter aux répliques un ton déclamatoire. Gaucherie et naïveté du dialogue s'harmonisent le mieux du monde avec la simplicité lyrique de certaines tirades. EsmoreitGa naar eind8) est peut-être le plus connu; mais je le trouve moins original. Il vaut pourtant par la qualité du récit, par son action captivante, par un dialogue généralement naturel et varié, par cette simplicité touchante avec laquelle séxpriment l'amour de Damiette pour Esmoreit lénfant adopté par son père, et le désir désmoreit de retrouver sa familie avant de pouvoir aimer Damiette. Gloriant est aussi un jeu d'art et d'amour, mais le conflit de caste n'y tient nulle place. Peut-être est-ce pour cela qu'il manque de force dramatique. L'allégorie Vanden Winter en Vanden Somer (De l'Hiver et | |
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de lété), qu'on peut lire dans le manuscrit, ne manque pas de fraîcheur. Les abele spelen dénotent, en général, un caractère profond et sacré. Ils s'attachent à exprimer les conflits, les croyances, les sentiments et les passions de l'époque. La peinture qu'ils en donnent manque peut-être de maturité dans léxpression, mais elle est très colorée, et sa gaucherie a bien son charme. Les abele spelen étaient toujours suivis d'une sotternie (sotie), pièce franchement comique, dépourvue de valeur artistique, mais empreinte de gaîté et d'une truculente bonhomie. Comme la cluyte (farce), la sotternie est issue des boerden; elle se rapproche plus encore de la caricature. Parmi les plus célèbres citons: Nu noch (Encore)Ga naar eind9), Buskenblaser (Le souffleur), Drie Daghe Here (Trois jours Seigneur). La prose prolonge la tradition de Hadewych; mais le mysticisme sentimental a fait place à un mysticisme spéculatif. Le ton des oeuvres se fait plus simple, plus direct. Johahnes Ruusbroec (1293-1381) [5 etGa naar eind10)), théologien et philosophe brabançon, est le personnage le plus représentatif de la mystique flamande. Il commence par payer son tribut à la poésie, et son Boec vanden twaelf Beghinen (Livre des douze Béguines) compte huit chapitres en vers; mais il s'aperçoit vite qu'il vaut mieux ‘cesser de rimer pour parler clairement de la contemplation’. Ses écrits font songer aux peintures des primitifs flamands. C'ést le sens aigu de la réalité, joint à un mysticisme profond, qui frappe chez lui comme chez Van Eyck, chez Memlinc, chez Dieric Bouts. Il se laisse guider par la raison et l'intelligence autant que par le coeur. Il traite la matière de façon systématique. Il distingue, dans la vie surnaturelle, trois degrés: la vie extérieure, active (l'homme accomplit la tâche que Dieu lui réserve); la vie intérieure (par amour pour Dieu et afin de s'unir à Lui, l'homme se détache de ses semblables); la vie contemplative (l'union avec Dieu, l'union mystique se réalise). En procédant toujours par ces | |
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trois degrés Ruusbroec commente lévangile, dont il fait l'inventaire. Cet examen, à force de raisonnement logique, est parfois très sec; mais quand le sentiment lémporte, Ruusbroec atteint à un lyrisme mesuré et poignant. Il décrit avec des couleurs saisissantes la violence des angoisses et des extases mystiques. Sa conception morale et même mystique nést pas nouvelle, puis-qu'elle reflète l'esprit de l'Eglise catholique; mais Ruusbroec a été le premier à en concevoir la synthèse métaphysique et à mettre de si hauts enseignements à la portée du peuple. Il sait aussi vivre dans la réalité; il n'ignore rien des erreurs de son époque; il s'élève contre les vices du clergé, en particulier contre ces prélats qui, tournant le dos au Christ, s'entourent d'un luxe révoltant, contre l'inégalité qui sévit jusque dans les couvents, et contre certaines tendances (béguioisme) qui menaçaient la vie religieuse et mystique. Il ne fait pas de polémique; mais son âme de croyant s'irrite au spectacle de pratiques dangereuses pour le sens métaphysique de la vie. Son Die Chierheit der Gheesteliker Brulocht (Ornement des Noces Spirituelles), est bien plus qu'une oeuvre importante de la littérature flamande, c'est un des joyaux de la littérature européenne. Elle relie intellectuellement léurope du moyen âge à la culture hellénique et à la sagesse des Indes. Ruusbroec nést pas un écrivain parfait. Son art est trop spontané, sa phrase, parfois alambiquée, foisonne d'images inutiles et peu évocatrices; sa langue n'est pas toujours harmonieusè. Il est moins artiste que Hadewych, laquelle a des visions plus puissantes, une langue plus riche, plus nuancée; mais il est plus rationnel, plus sincère aussi, et, dans lénsemble, plus émouvant. Son oeuvre est plus solidement charpentée; et sa beauté réside dans son humanité. Son influence sur la littérature européenne a été considérable. En particulier, sur Johannes Tauler, de Strasbourg, qui aurait copié, s'il faut en croire Bossuet, jusqu'aux mots mêmes de Ruusbroec. Son action se fit sentir en Allemagne, en Italie, en France, en Espagne, et dans les Pays-Bas: sur les Frères de la Vie Commune auxquels | |
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appartiennent Geert Grotius et Thomas à Kempis. La prose tend de plus en plus à s'annexer tous les genres littéraires. On trouve, à cette époque, des légendes en prose comme la Tondalus' Visioen (Vision de Tondale), Sint Patricius' Vagevuur (Purgatoire de Saint Patrice); des romans de chevalerie, des légendes et des ‘exempelen’, des récits historiques, des relations de voyage et même des ouvrages scientifiques, comme la Chirurgie de Jan Yperman, médecin à Ypres.
Humanisme et Renaissance ne viendraient pas immédiatement renouveler la vie intellectuelle et littéraire des Pays-Bas, mars nous reviendrons sur ce sujet plus tard. |
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