'Beatrice'
(1949)–Anoniem Beatrijs– Auteursrecht onbekend
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Rimer mést de mince profit. On me conseille d'y renoncer et de ne plus me torturer lésprit. Pourtant, à la gloire de celle qui, mère, demeura vierge, je me suis mis à rédiger un beau miracle, que Dieu sans aucun doute accomplit en l'honneur de celle qui l'avait nourri de son sein. Cést d'une moniale que dira mon poème; Dieu m'accorde de le mener à bonne fin et de relater comme il convient la prodigieuse aventure, selon léxacte vérité telle que me la narra frère Gisbert, Guillemite de parfaite observance, homme d'âge vénérable, qui l'avait trouvée dans ses livres. La nonne dont je me suis proposé de vous dire l'histoire était de moeurs courtoises et distinguées. On ne trouverait plus, aujourd'hui, je crois, femme qui l'égalât en vertu et en beauté. Que je vante sa tournure, que je célèbre sa vénusté, ce ne serait pas de mise ici. Je vous dirai seulement l'office quélle remplit longtemps dans le couvent où elle portait l'habit: Elle y était soeur sacristine. Je vous le dis en vérité, point n'était lente ni lambine, ni de nuit ni de jour; elle était agile au travail; elle sonnait les cloches de l'église, elle s'occupait des cierges et des ornements, et réveillait toute la communauté. La damoiselle n'avait point échappé à l'amour, qui ne cesse d'accomplir sur terre merveilles grandes. Parfois, il en vient honte, tourment, amertume, chagrin; parfois, aussi, joie et bonheur. Du | |
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sage même, Amour fait un tel nigaud qu'il nén éprouve que dommage, bon gré mal gré. Tel est si bien dompté par Amour qu'il ne sait s'il doit parler ou se taire pour obtenir ce qu'il désire. Par Amour plus d'un se voit foulé aux pieds, qui ne se relève que lorsqu'il le veut bien. Amour rend libéral tel autre, qui retiendrait ses présents par devers lui s'il ne suivait conseils d'Amour. On trouve aussi gens d'une telle constance qu'Amour leur fait partager tout ce qu'ils possèdent, que ce soit peu ou prou, félicité, joie et tristesse; cést ce que j'appelle l'amour fidèle. Je ne pourrais vous dire tout le bonheur et toute l'infortune que roulent les ruisseaux d'Amour. Aussi, il ne faut pas blâmer la nonne de n'avoir pu se soustraire à l'amour qui la retenait captive. Car toujours le diable cherche à tenter l'homme, ne lui laissant pas de répit; jour et nuit, tard et tôt, il s'y emploie de toutes ses forces. Par ruses malicieuses, auxquelles il séntend bien, il tenta si bien la chair de cette moniale quélle pensa en mourir. Elle pria Dieu, elle L'adjura de la réconforter dans Sa miséricorde, disant: ‘Un amour violent pèse sur moi; il me meurtrit si fort - Il le sait bien, Celui qui sait tout, à qui rien nést caché - quéxténuée, jén perdrai lésprit. Il me faut mener une autre vie; il me faut quitter cet habit.’ Ecoutez donc ce qu'il advint ensuite. Au jouvenceau quélle tenait en grand amour, elle manda gentiment par lettre de sén venir vite auprès délle; il y allait de son propre bonheur. Le courrier sén fut auprès du jouvenceau et lui remit la lettre que lui envoyait sa mie. L'ayant lue, il se réjouit en son coeur, et se hâta de se rendre auprès délle. Depuis qu'ils avaient douze ans, Amour avait maîtrise sur ces deux coeurs, leur faisant souffrir maint tourment. Dès qu'il le put, le jouvenceau galopa donc vers le couvent, où il savait la trouver. Il alla s'asseoir devant le guichet, et demanda s'il n'y avait pas moyen de voir sa bien-aimée et de lui parler. Elle ne tarda guère à venir le trouver devant le guichet, bardé de fer en long et en large. Ils poussèrent de profonds soupirs, à maintes | |
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reprises, lui au dehors et elle à l'intérieur, étreints qu'ils étaient par leur violent amour. Ainsi demeurèrent-ils un bon moment, et je ne pourrais dire combien de fois leur visage changea de couleur. ‘Hélas!’ dit-elle, ‘hélas! mon bien-aimé, j'ai grande tristesse; dites-moi donc un mot ou deux, que mon coeur en soit réconforté: j'ai besoin que vous me consoliez. Le dard de l'amour sést si bien enfoncé dans mon coeur que jén ressens grande douleur. Jamais plus je ne serai joyeuse, mon bien-aimé, que vous ne lén ayez retiré.’ Il répondit avec tendresse: ‘Vous le savez, très douce amie, depuis longtemps nous portons comme un fardeau l'amour qui nous lie l'un à l'autre. Jamais il ne nous fut accordé de nous donner un seul baiser. Dame Vénus, la déesse qui a éveillé nos coeurs à cet amour, que Dieu, Notre Seigneur, la punisse d'avoir laissé se flétrir et périr deux fleurs aussi belles! Si je pouvais obtenir de vous que vous déposiez votre habit et que vous me fixiez un moment pour vous emmener d'ici, je mén irais vous préparer de beaux vêtements de laine précieuse et les ferais doubler de fourrure: manteau, robe et surcot. Je ne vous abandonnerai dans aucune difficulté; avec vous je veux partager peines et joies, le doux et l'amer; je vous en donne ma foi en gage.’ ‘Bien-aimé,’ repartit la damoiselle, ‘j'accepte très volontiers, et je veux partir avec vous, si loin que personne en ce couvent ne saura jamais où nous sommes allés. Venez la huitième nuit à partir de ce soir, et guettez mon approche; là dehors, dans le verger, attendez-moi sous l'églantier: j'y viendrai vous retrouver pour devenir votre épouse et vous suivre où vous voudrez. A moins que la maladie ne mén empêche, ou des obstacles insurmontables, vous pouvez être sur que j'y viendrai; et cést mon ardent désir que vous y soyez aussi, beau sire.’ Ils se le promirent l'un à l'autre. Lui prit congé et se rendit à léndroit où sa monture était restée sellée. En hâte, il lénfourcha et chevaucha bon train à travers champs jusqu'à la ville. Point n'oublia sa bien-aimée. Le lendemain, il sén fut en ville; il acheta | |
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du drap bleu et écarlate, dont il fit tailler manteau et chaperon de bonne longueur, robe et surcot, le tout fourré de bonne façon. Nul ne vit jamais vêtements de femme doublés de plus belle fourrure, une fourrure qui fut admirée par tous ceux qui la virent. Il lui acheta aussi canif, ceinture et aumônière de belle qualité et de prix, chapels, bagues en or et parures de toute sorte. Il s'enquit de tous les atours qu'il fallait à une épousée. Il se munit de cinq cents livres et sortit un soir, en secret, de la ville. Il emportait toutes ces merveilles, chargées avec soin sur son cheval; il se dirigea vers le couvent, vers l'endroit convenu, dans le verger, sous un églantier. Là il s'assit dans l'herbe, attendant que sortît son amie. Laissant à présent le chevalier, je veux vous parler de la charmante belle. Dès avant minuit, elle sonna matines, tant l'amour la tourmentait. Quand matines furent chantées par les moniales, jeunes et vieilles, qui vivaient dans ce couvent, et qu'elles furent toutes retournées au dortoir, elle resta seule dans le choeur, s'attardant à prier, comme elle avait coutume de le faire. A genoux, devant l'autel, elle s'écria, pleine d'angoisse: ‘Marie, ô bonne mère, je ne puis porter plus longtemps l'habit de religieuse. Vous savez bien, à tout instant, comment est le coeur et la nature de l'homme. J'ai jeûné, j'ai prié, je me suis donné la discipline; tout ce que je souffre est en vain: l'amour me subjugue tant et si bien qu'il me faut suivre le siècle. Aussi vrai que Vous, mon doux Seigneur, Vous fûtes suspendu entre deux larrons, les membres étirés sur la croix, aussi vrai que Vous avez ressuscité Lazare alors qu'il gisait mort dans son lombeau, Vous devez connaître ma détresse et, la connaissant, Vous daignerez me pardonner mon crime: je ne puis faire autrement: je m'en vais sombrer dans une vie de péché.’ Ensuite, elle quitta le choeur et alla s'agenouiller et prier devant une statue de Notre-Dame. Hardiment, elle s'écria: ‘Marie, nuit et jour je Vous ai adressé des plaintes navrantes au sujet de ma détresse; et cela ne m'a pas servi un brin. J'en perdrai tout à fait la raison si je garde plus longtemps eet habit.’ Elle enleva alors | |
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sa robe et la déposa sur l'autel de la Vierge; puis, elle ôta ses souliers. Ecoutez donc ce qu'elle fit ensuite. Elle suspendit devant l'image de Marie les clefs de la sacristie; et je m'en vais vous dire en vérité pourquoi elle les suspendit en eet endroit: si on les cherchait à prime, on pourrait facilement les y trouver; car il convient qu'en tout temps, tel qui passe devant l'image de Marie lève les yeux vers elle, disant ‘Ave’, avant de passer outre, ‘Ave Maria’: c'est en pensant à cette pratique pieuse qu'elle suspendit les clefs à cette place. Sous la contrainte de l'amour, elle s'en alla de là, vêtue de son seul peliçon, vers une porte qu'elle savait; elle l'ouvrit avec précaution, et se glissa dehors en tapinois, doucement et sans bruit. Tiemblant de peur, elle se rendit dans le verger. Le jouvenceau l'entendit venir; il lui dit: ‘Ma bien-aimée, n'ayez crainte; c'est votre ami que vous voyez ici.’ Quand ils furent l'un près de l'autre, elle eut honte de se trouver en peliçon, nu-tête et pieds nus. Il dit alors: ‘Ma toute belle, bons vêtements et beaux atours vous siéront mieux. Je vais vous en donner à l'instant, vous m'en saurez gré sans doute.’ Ils se rendirent sous l'églantier; et il lui donna à suffisance tout ce dont elle avait besoin. Il lui donna deux jeux de robes; elle était bleue, celle qu'elle revêtit, bien taillée et bien ajustée. La considérant avec un sourire affectueux, il lui dit: ‘Ma bien-aimée, ce bleu de ciel vous sied bien mieux que le gris de jadis.’ Elle enfila une paire de bas et mit des souliers de cordouan, qui lui allaient beaucoup mieux que chaussures à cordons. Il lui tendit alors un chaperon de soie blanche, dont elle se couvrit la tête. Alors le jouvenceau la baisa affectueusement sur la bouche. A la voir ainsi parée, il lui semblait voir se lever le jour. Il courut à son cheval et la mit en selle devant lui. Ainsi ils s'en furent tous deux si loin que le jour allait poindre sans qu'ils eussent vu personne les poursuivre. Comme le levant s'illuminait, elle dit: ‘Dieu, Consolateur du monde, daignez nous garder à présent! Je vois le jour se lever. Si je n'étais venue avec vous, je sonnerais prime, à | |
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l'heure qu'il est, comme j'en avais l'habitude, autrefois, dans mon couvent de moniales. Je crains d'avoir à regretter ma fuite; le monde connaît si peu la loyauté, je le sais, bien que je me sois donnée à lui: il ressemble au marchand malhonnête qui vous vend pour de l'or des bagues de laiton.’
‘Oh! que dites-vous, ma belle? Que Dieu me damne si jamais je vous délaisse! Dans quelque ennui que nous tombions, jamais je ne vous abandonnerai; seule la mort cruelle pourrait nous séparer. Comment pouvez-vous douter de moi? M'avez-vous jamais trouvé inconstant ou perfide? Depuis que mon coeur vous a élue, une impératrice même n'eût pu captiver mes esprits; fussé-je digne d'elle, ma mie, je ne vous quitterais pas pour elle, vous pouvez en être assurée. J'emporte avec nous cinq cents livres dargent fin, de bon aloi; vous en disposerez, ma mie, à votre guise. Bien que nous allions vivre à l'étranger, nous n'aurons point besoin, pendant les sept années qui viennent, de mettre en gage quoi que ce soit.’ Allant au pas, ils arrivèrent ainsi, à l'aube, à l'orée d'une forêt où les oiseaux faisaient si grand tapage qu'on l'entendait de partout. Chacun chantait selon son bon plaisir. Il y avait là de jolies fleurettes épanouies dans le pré vert, aux couleurs vives et au parfum suave. Lo ciel était clair et serein. Altiers, les arbres sans nombre se dressaient dans leur feuillage dru. Le jouvenceau regarda la belle enfant à qui il portait un amour si fidèle. Il dit: ‘Ma mie, s'il vous plaisait, nous mettrions pied à terre ici et cueillerions des fleurs; je trouve l'endroit charmant. Livrons-nous au jeu d'amour.’ ‘Que dites-vous là?’ repartit-elle, ‘Méchant manant! Me coucher dans un champ, comme une femme qui honteusement fait argent de son corps? En vérité, il faudrait que j'eusse bien peu de pudeur! Jamais pareille pensée ne vous fût venue si vous n'étiez manant dans l'âme. J'ai bien sujet d'avoir regrets amers. Que Dieu vous punisse d'avoir de telles pensées! Laissez désormais ce langage. Ecoutez plutôt les oiseaux dans la vallée, comme ils chantent et se réjouissent: l'attente vous paraîtra moins longue! Quand, auprès | |
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de vous, je serai couchée nue dans un lit bien fait, vous ferez tout votre plaisir, tout ce que votre coeur voudra. Je vous en veux au profond de moi-même de m'avoir fait dès à présent pareille proposition.’ Lui répondit: ‘Ma mie, n'ayez point de courroux: ce fut Vénus qui m'y instigua. Dieu m'en donne honte et tourment si jamais je vous en parle encore.’ Elle répondit: ‘Je veux donc bien vous pardonner; parmi tous les hommes sous les cieux, vous êtes ma seule consolation. Le bel Absalon fût-il encore en vie, et eussé-je la certitude de vivre avec lui pendant mille ans dans la félicité et la paix, je n'y trouverais point de douceur. Mon bien-aimé, c'est vous qu'entre tous j'ai choisi; on ne pourrait rien me proposer qui me fasse vous oublier jamais. Si je trônais au ciel et que vous fussiez ici-bas sur la terre, nul doute que je ne vinsse vous retrouver. Ah! mon Dieu, ne me punissez pas d'avoir sottement parlé! La moindre joie de paradis n'a pas sa pareille ici-bas. Là-haut, la moindre joie est si parfaite que rien ne peut plus plaire à l'âme, sinon d'aimer Dieu à tout jamais. Tout bonheur terrestre est misère, et ne vaut pas un cheveu, comparé au moindre bonheur de là-haut. Ceux qui recherchent la félicité céleste sont bien avisés. Malgré moi, je me sens forcée de me détourner du droit chemin et de m'engager dans la voie du péché, par amour pour vous, sire, mon bel ami.’
Conversant à l'envi de la sorte, ils chevauchaient par monts et par vaux. Je ne puis vous dire en détail tout ce qui se passa entre eux. Ils poursuivirent ainsi leur route jusqu'à ce qu'ils parvinssent à un bourg bien situé dans un vallon. Ils s'y plurent si bien qu'ils y demeurèrent sept années, y menant une vie de luxe et de volupté; et ils eurent ensemble deux enfants. Après ces sept années, ayant dépensé tout leur argent, ils durent vivre sur ce qu'ils avaient emporté du pays. Vêtements, parures et chevaux furent vendus à moitié prix; et bientôt ils eurent tout dissipé. Alors ils ne surent que faire. Elle ne savait pas filer la quenouille, métier dont elle | |
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eût pu faire quelque argent. De plus, la disette régnait alors dans ce pays, et tout était devenu cher: la nourriture, le win et la bière, et tout ce dont on a besoin pour subsister. Ils devinrent très malheureux; ils eussent mieux aimé mourir que de mendier leur pain. La misère les sépara bien malgré eux. Le premier, l'homme rompit sa foi; il abandonna son amie dans la détresse et s'en retourna dans son pays. Depuis, jamais plus ils ne se revirent. Auprès d'elle restèrent là-bas ses deux enfants, d'une rare beauté. Elle se dit alors: ‘Il m'est advenu ce que j'appréhendais pour tôt ou tard. Me voici seule, en grande peine; il m'a quittée, celui en qui j'avais mis toute ma confiance. Marie, gente Dame, si Vous le voulez bien, intercédez pour moi et pour mes deux petits garçons: afin que nous ne mourions pas de faim! Que vais-je faire, chétive femme? Il va falloir que je souille mon corps et mon âme par des oeuvres pécheresses. Marie, gente Dame, venez à mon secours! Quand je saurais filer la quenouille, je n'y gagnerais pas même un pain en deux semaines. Il faudra bien que, par besoin, j'aille hors ville, en pleins champs, gagner de l'argent avec mon corps: de quoi acheter quelque nourriture; je ne puis en aucune façon délaisser mes enfants.’ Ainsi elle s'en fut vivre dans le péché; car on nous a assuré qu'elle fut femme publique sept années durant, et qu'elle livra souvent, bien malgré elle, son corps au péché; ce dont elle avait piètre jouissance. Elle le faisait pour un maigre profit, dont elle entretenait ses enfants. Mais à quoi bon parler davantage de ces péchés honteux et mortels qu'elle commit pendant quatorze ans? Pourtant, jamais elle n'omit, qu'elle ait peine ou chagrin, de réciter tous les jours, fidèlement, les sept heures de Notre-Dame. Elle les récitait en son honneur et à sa gloire, pour qu'elle l'aidât à se libérer des péchés dont elle s'était rendue coupable tout au long de ces quatorze années. C'est pure vérité que je vous conte: pendant sept ans, elle avait vécu avec l'homme qui lui donna deux enfants et qui finit par l'abandonner dans une misère dont elle souffrit grande détresse. | |
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Vous savez déjà comment elle vécut les sept premières années; sachez donc aussi comme elle vécut dans la suite. Or, ces quatorze années révolues, Dieu lui mit soudain au coeur un repentir si profond qu'elle eût préféré que, d'un glaive nu, on lui eût tranché la tête, plutôt que de continuer à commettre le péché de chair, comme elle en avait pris l'habitude. Elle pleurait nuit et jour, si bien que ses yeux étaient rarement secs. Elle ne cessait de prier: ‘Marie, Vous qui avez nourri Dieu de Vos seins, source de grâces entre toutes les femmes, ne m'abandonnez pas dans cette détresse! Gente Dame, je Vous prends à témoin que de mes péchés j'ai grande repentance, et qu'ils me causent douleur poignante. Ils sont tant que je ne sais ni où ni avec qui je les ai commis. Hélas! qu'adviendra-t-il de moi? J'ai bien sujet de craindre le jugement de Dieu; l'oeil de Dieu voit mes fautes secrètes. Le jour viendra où tous les péchés apparaîtront au grand jour, ceux du pauvre comme ceux du riche, et où tout méfait sera châtié, s'ils n'ont point été avoués en confession, et expiés par pénitence; je le sais sans nul doute; aussi, j'en suis en grande crainte. Quand bien même je porterais tous les jours la haire, si même je me traînais sur les mains et les genoux de pays en pays, en robe de bure, pieds nus, sans souliers, je ne pourrais obtenir la rémission de mes péchés, si Vous, Dame Marie, ne venez à mon secours. Source vive de toute vertu, Vous en avez sauvé plus d'un, comme le prouve bien l'exemple de Théophile. Il était parmi les pires pécheurs; il s'était vendu au diable corps et âme, et s'était fait son homme lige: gente Dame, pourtant, Vous l'avez sauvé. Bien que je sois une femme chargée de péchés et une misérable sans espérance, quelle que soit la vie que j'ai menée, gente Dame, souvenez-vous qu'en Votre honneur, je n'ai cessé de réciter mes prières! Témoignez-moi Votre miséricorde. Je suis une femme affligée qui a grand besoin de Votre assistance. Et voici qui m'enhardit: Vierge pure, Vous n'avez jamais laissé sans récompense celui qui Vous saluait chaque jour avec respect d'un ‘Ave Maria’. Ceux qui aiment à dire des prières en Votre | |
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honneur peuvent être assurés qu'il leur en adviendra profit. Gente Dame, cela Vous est fort agréable. Vous, que Dieu choisit pour épouse, Votre Fils Vous envcya sa salutation à Nazareth, où vint Vous trouvez l'ange qui Vous apporta un message tel qu'on n'en ouït jamais. Voilà sans aucun doute pourquoi ces paroles Vous sont si agréables que Vous savez gré à tout qui aime de Vous saluer par elles; fût-il empêtré dans ses péchés, Vous obtiendriez grâce pour lui et le feriez acquitter au tribunal de Votre Fils.’ Cette prière et cette plainte, chaque jour la pécheresse les répétait. Prenant ses enfants par la main, elle se mit à parcourir le pays, en pauvresse, de ville en ville, vivant de mendicité. Longtemps elle erra par tout le pays jusqu'à ce qu'elle finît par retrouver le couvent où elle avait été moniale. Un soir, après le coucher du soleil, à une heure tardive, elle arriva devant la maison d'une veuve, où elle demanda, par charité, un gîte pour y passer la nuit. ‘Je serais malvenue,’ dit la veuve, ‘de vous éconduire, vous et vos petits enfants; ils me paraissent bien fatigués; asseyez-vous et reposez-vous. Ce que m'accorde le Seigneur, avec vous je veux le partager en l'honneur de Sa douce Mère.’ La pécheresse demeura donc là avec ses enfants. Or elle aurait bien voulu avoir des nouvelles du couvent. ‘Dites-moi,’ demanda-t-elle, ‘ma bonne dame, est-ce là un couvent pour damoiselles?’ ‘Oui,’ répondit celle-ci; ‘par ma foi, il est fort beau, et riche aussi; on ne connaît nulle part son pareil. Des nonnes qui y portent l'habit, je n'ai jamais entendu propos d'aucune sorte qui fût à leur honte.’
La mère, assise auprès de ses enfants, répliqua: ‘Comment pouvez-vous parler ainsi? Ces derniers jours, j'ai justement beaucoup entendu parler d'une de ces nonnes; à ce que j'ai cru comprendre, elle était sacristine, ici. Celui qui m'en paria n'était pas un menteur. Il y a quaiorze ans qu'elle aurait quitté ce couvent. Jamais on n'a su où elle aurait pu s'enfuir, ni dans quel pays elle mourut.’ La veuve, alors, se mit en colère et dit: ‘Je crois que vous divaguez! Cessez de tenir pareil langage au sujet de la sacristine: ou bien | |
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vous sortirez d'ici! Elle remplit son office depuis quatorze ans révolus sans que, pendant tout ce temps, elle ait manqué une seule fois matines, à moins qu'elle ne fût malade. Il faudrait être pire qu'un chien pour dire d'elle autre chose que du bien. Elle a l'âme aussi pure que jamais moniale pût avoir. Celui qui visiterait tous les couvents entre l'Elbe et la Gironde n'en trouverait pas, je crois, qui menât une vie plus dévote.’
Celle qui avait si longtemps vécu dans le péché s'émerveilla de ces propos et dit: ‘Ma bonne femme, dites-m'en davantage; comment s'appelaient ses père et mère?’ La veuve les lui nomma tous deux. Alors elle sut qu'il s'agissait bien d'elle. Ah! Dieu, comme elle pleura cette nuit, en secret, devant sa couche! Elle se disait: ‘Je n'ai rien d'autre à offrir que la grande repentance qui me vient du fond du coeur. Venez à mon aide, Marie, Notre-Dame! De mes péchés j'ai tant de regret que, si je voyais un four ardent, embrasé à tel point que les flammes jaillissent de sa gueule, je m'y glisserais de grand coeur, si je pouvais être débarrassée par ce moyen de mes péchés. Seigneur, Vous avez condamné le désespoir; je m'en rapporte à Vos paroles. Toujours j'espère en Votre miséricorde, quand bien même l'angoisse me tourmente et me fait grande terreur. Depuis que Vous êtes venu sur la terre et que Vous avez pris forme humaine, depuis que Vous êtes mort sur la croix, jamais il n'y eut si grand pécheur que Vous l'eussiez laissé périr; celui qui, repentant, rechercha Votre miséricorde, la trouva, lors même qu'il s'y prit tard; Vous l'avez montré par l'exemple de celui des deux larrons qui fut suspendu à Votre droite; c'est pour nous infiniment consolant que Vous l'ayez recueilli au paradis sans lui infliger châtiment. Le repentir sincère rachète tout; l'histoire de ce larron me le démontre. Vous lui dîtes: ‘Ainsi, tu seras aujourd'hui même, avec Moi dans Mon royaume, je te le dis en vérité.’ Cette mansuétude fut manifeste aussi lorsque Gisemast, l'homicide, implora Votre miséricorde au dernier moment, lui qui n'avait à Vous offrir ni or ni richesses: rien que le repentir de ses péchés. | |
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Votre clémence est insondable. Tout comme on ne peut vider la mer en un seul jour et l'assécher jusqu'en son fond, ainsi il ne fut jamais péché si grand, gente Dame, que Votre clémence ne le dépasse. Comment donc serais-je exclue de Votre miséricorde, moi que mes péchés affligent si fort!’ Comme elle était ainsi en prière, le sommeil envahit tous ses membres, et elle s'endormit doucement. Dans une vision, il lui sembla qu'une voix l'appelait, comme elle gisait là, endormie: ‘Femme, tu as tant gémi que Marie a eu pitié de toi; et son intermission a obtenu ton pardon. Cours donc vite au couvent; tu trouveras grandes ouvertes les portes par où tu t'es enfuie avec ton amant, ce jouvenceau qui t'abandonna dans le besoin. Tu retrouveras ton habit posé sur l'autel: voile, mante et souliers, tu peux les remettre hardiment. Dis-en grand merci à Marie. Les clefs de la sacristie que tu suspendis devant son image, la nuit où tu t'en allas, Elle les fit garder de telle sorte que, pendant quatorze ans, nul n'a remarqué ton absence, si bien que personne n'en sait rien. Marie s'est montrée si bienveillante pour toi qu'elle a, pendant tout ce temps, rempli ton office, ni plus ni moins qu'à ta semblance. Voilà, pécheresse, ce qu'a fait pour toi la reine des cieux! Elle te commande de rentrer au couvent; tu ne trouveras personne dans ton lit. C'est sur l'ordre de Dieu que je te parle.’ Après cela, la pécheresse ne fut pas longue à sortir de son somme. Elle dit: ‘Dieu, Seigneur tout-puissant, ne permettez jamais plus au démon de me plonger dans une honte nouvelle après toutes celles que j'ai déjà subies! Si je rentrais maintenant au couvent et qu'on me prît pour une voleuse, j'en serais bien plus honnie encore, que lorsque je le quittai. Je Vous en supplie, Dieu de bonté, par le sang précieux qui s'écoula de Votre flanc, si la voix qui m'a parlé s'est fait entendre pour mon salut, qu'elle ne manque pas de revenir une nouvelle fois encore, et qu'elle se fasse même entendre une troisième fois, pour que je puisse sans hésiter retourner dans mon couvent. J'en bénirai et louerai à tout jamais la Vierge Marie.’ | |
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La nuit suivante, écoutez bien, une voix se fit entendre qui l'appela et lui dit: ‘Femme, tu tardes trop! Retourne à ton couvent, Dieu sera ton consolateur. Fais ce que Marie t'ordonne. Je suis son messager, n'en doute point.’ Ainsi, pour la deuxième fois, elle a entendu la voix l'interpeller et lui commander d'aller au couvent. Pourtant, elle n'osait pas encore s'y risquer. Elle attendit la troisième nuit, se disant: ‘Si ce sont là impostures d'esprits malins qui prétendent m'en imposer, il faut qu'au plus tôt je brise la puissance du diable et que je déjoue ses ruses. Et s'il revient ici ce soir, Seigneur, rendez-le confus qu'il s'enfuie de cette maison et ne puisse me faire aucun mal. O Marie, venez à mon secours, Vous qui m'avez envoyé une voix et qui m'avez enjoint de rentrer au couvent; je Vous en supplie, ma Dame, par Votre Fils, envoyez-moi cette voix une troisième fois.’ La troisième nuit, elle veillait. Une voix lui vint de Dieu, dans une lumière aveuglante, et lui dit: ‘Tu as tort de ne pas faire ce que je t'ai commandé, car c'est Marie qui te l'ordonne par ma voix; tu pourrais tarder trop longtemps. Retourne au couvent sans hésiter; tu trouveras toutes les portes larges ouvertes; où tu voudras, tu passeras. Tu trouveras ton habit posé sur l'autel.’ Lorsque la voix eut parlé de la sorte, la pécheresse, étendue sur sa couche, était à peine capable de supporter la grande clarté. Elle dit alors: ‘Je ne puis plus en douter: cette voix me vient de Dieu, et c'est la messagère de la Vierge Marie; je le sais maintenant, sans erreur possible; elle vient, environnée d'une lumière si belle. Je ne veux plus résister: je rentrerai au couvent. Je le ferai en grande confiance, me reposant sur l'aide de Notre-Dame; et je confierai mes deux enfants à Dieu, notre Père: il saura bien en prendre soin.’ Sans tarder, elle se débarrassa de ses vêtements et en couvrit les enfants avec précaution, pour ne pas les éveiller. Elle les baisa tous deux sur la bouche en disant: ‘Mes enfants, portez-vous bien. Je vous laisse tous deux en confiance sous la garde de Notre-Dame; | |
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si Marie ne me l'avait ordonné, je ne vous abandonnerais pas pour toutes les richesses que renferme Rome.’ Ecoutez ce qu'elle va faire, à présent. En grande tristesse, voici qu'elle se dirige vers le couvent, toute seule. Quand elle arriva dans le verger, elle trouva la porte déjà ouverte. Elle entra sans hésiter. ‘Marie, je Vous rends grâces: me voici rentrée dans ces murs; Dieu me donne bonne aventure!’ Où qu'elle allât, elle trouvait les portes larges ouvertes devant elle. Elle se rendit alors à l'église, murmurant tout bas cette oraison: ‘Seigneur Dieu, je Vous en conjure ardemment, aidez-moi à reprendre l'habit que j'ai abandonné, il y a quatorze ans, sur l'autel de Notre-Dame, la nuit où je m'enfuis d'ici.’ Ne croyez pas à menterie, je vous le dis en toute vérité: souliers, mante et voile, elle les retrouva à la place même où elle les avait déposés. Elle s'en revêtit en hâte et dit: ‘O Dieu du ciel, et Vous, Marie, Vierge sans tache, soyez bénis à tout jamais! Vous êtes la fleur de toutes les vertus. Dans Votre virginité immaculée, Vous avez porté, sans douleur, un enfant qui sera Notre-Seigneur pour toute l'éternité; Vous êtes un trésor d'élection. C'est Votre Fils qui créa le ciel et la terre; cette puissance, venue de Dieu, demeure toujours à Votre disposition. A Notre Seigneur, qui est notre frère, Vous pouvez, Vous, commander comme sa mère, et Lui Vous appelle sa fille chérie. C'est pourquoi je puis vivre sans inquiétude: celui qui auprès de Vous cherche miséricorde la trouve, même s'il vient à Vous tardivement; Votre secours est souverain. Bien que j'aie encore souffrance et affliction, tout est tellement changé, grâce à Vous, que je puis être joyeuse à présent. J'ai bien sujet de Vous bénir!’ Elle vit, en vérité, les clefs de la sacristie devant l'image de Marie, là où elle les avait suspendues. Ces clefs, elle les attacha à sa robe, et elle se rendit dans le choeur, où elle vit brûler dans tous les coins des lampes brillantes; puis elle s'en alla chercher les livres d'Heures et les posa chacun à sa place, comme elle avait si souvent fait; et elle pria la Vierge Marie de la préserver du mal, | |
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elle et ses enfants qu'elle avait laissés, non sans chagrin, dans la maison de la veuve. Cependant, la nuit s'était avancée, l'horloge se mit à sonner, annonçant l'heure de minuit. Saisissant le bout de la corde, elle sonna si bien matines que la cloche retentit dans tous les coins du dortoir où étaient couchées les moniales. Sans tarder, elles descendirent du dortoir toutes ensemble. Elles ne se doutaient en rien de ce qui s'était passé. La sacristine demeura au couvent jusqu'à la fin de sa vie, sans avoir à essuyer ni honte ni reproche: Marie avait rempli son office comme s'il se fût agi d'elle-même. Ainsi la pécheresse repentante revint à la vie dévote pour la gloire de la vénérable Vierge Marie, la reine du ciel, qui toujours vient fidèlement en aide à ses amis lorsqu'ils sont accablés de peines. La damoiselle dont je vous ai conté l'histoire est nonne, aujourd'hui, comme elle l'avait été jadis.
Mais je ne veux point oublier ses deux enfants, qu'elle avait abandonnés en grand besoin chez la veuve; ils n'avaient ni argent ni moyens de subsistance. Je ne puis vous décrire en détail la grande douleur qu'ils manifestèrent lorsqu'ils ne retrouvèrent point leur mère. La veuve alla s'asseoir auprès d'eux; elle en avait compassion. Elle se dit: ‘Je vais aller chez l'abbesse avec ces deux enfants; Dieu lui inspirera d'être bonne envers eux.’ Elle leur mit leurs vêtements et leurs chaussures; avec eux, elle se rendit au monastère. Elle dit: ‘Madame, sachez la misère de ces deux orphelins; leur mère les a abandonnés chez moi, sans ressources cette nuit, et s'en est allée son chemin, je ne sais si c'est vers l'ouest ou vers l'est. Aussi ces enfants sont-ils dans la désolation. Je les aiderais volontiers si je savais comment.’ L'abbesse lui répondit: ‘Gardez-les; je vous en récompenserai si bien que vous n'aurez pas à regretter qu'on les ait laissés à votre charge. On leur fera des aumônes tous les jours, pour l'amour de Dieu. Envoyez ici chaque jour quelqu'un chercher pour eux boisson et nourriture; s'ils manquent de quelque chose, faites-le-moi savoir.’ La veuve fut toute joyeuse de voir | |
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ainsi les choses s'arranger. Elle garda les enfants chez elle et leur donna les meilleurs soins. La mère, qui les avait nourris avec tant de peine, fut bien heureuse lorsqu'elle sut en bonne garde, ses enfants qu'elle avait délaissés en grand besoin. Désormais elle n'eut plus ni crainte ni souci pour ses enfants. Dès lors, elle mena une vie de sainteté. Elle poussait bien des soupirs et passait dans les transes nuits et jours, car elle se repentait vivement en son coeur de ses grands péchés, qu'elle n'osait avouer à personne, ni dévoiler, ni même relater par écrit. Plus tard, vint, un jour, un abbé qui, chaque année, visitait le couvent pour s'informer s'il ne circulait point de rumeur déshonorante qui lui méritât quelque blâme. Le jour même de son arrivée, la pécheresse était en prières dans le choeur, en proie à une violente lutte intérieure. Le diable l'induisit en tentation pour qu'elle hésitât, par fausse honte, à confesser ses péchés à l'abbé. Tandis qu'elle priait, elle vit passer à ses côtés un jeune homme, vêtu de blanc, et portant sur les bras un enfant nu qui lui paraissait mort. Le jouvenceau jetait en l'air et rattrapait une pomme devant l'enfant, en manière de jeu. La nonne voyait tout cela, tandis qu'elle était en prière. Elle dit: ‘S'il se peut, ami, et si vous êtes envoyé par Dieu, je vous conjure par Sa loi de ine dire et de ne point me cacher pourquoi vous jouez devant cet enfant avec une belle pomme vermeille, alors qu'il gît mort dans vos bras. Votre jeu ne lui sert de rien.’ ‘Pour sûr, nonne, tu dis vrai: de mon jeu il ne se doute en rien; il est mort, et il n'entend ni ne voit! Tout comme lui, Dieu ne sait pas que tu pries et que tu jeûnes; cela ne te sert de rien; c'est peine perdue de te donner la discipline; tu es tellement embourbée dans le péché que Dieu n'entend pas tes prières, là-haut, dans son royaume. Ecoute mon conseil: va vite trouver l'abbé, ton père, et raconte-lui tous tes péchés, sans rien lui cacher. Ne te laisse pas tromper par le diable. L'abbé t'absoudra des péchés qui t'affligent. Mais si tu ne veux pas en faire l'aveu, Dieu te châtiera durement.’ Le jouvenceau disparut à ses yeux; il ne voulait point | |
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l'admonester davantage. Ce qu'il lui a dit, elle l'a compris. Dès l'aube, elle se rendit donc auprès de l'abbé et le pria d'écouter sa confession, mot pour mot. L'abbé était un homme sage. Il lui dit: ‘Ma chère enfant, je n'y veux point manquer; examinez-vous bien et recherchez soigneusement toutes vos fautes.’ A l'instant même, elle alla se placer à côté du saint abbé et lui dévoila toute sa vie et ses aventures, depuis le commencement: comment un fol amour la séduisit au point qu'il lui fallut abandonner l'habit, en grande angoisse, une nuit, sur l'autel de la Vierge; et comment elle s'enfuit du couvent avec un homme, à qui elle donna deux enfants. De tout ce qui lui était arrivé elle n'omit pas le moindre détail; tout ce qu'elle avait sur le coeur, elle le fit connaître à l'abbé. Lorsqu'elle eut bien tout confessé, l'abbé, le bon père, lui dit: ‘Ma fille, je m'en vais vous absoudre des péchés qui vous pèsent tant et dont vous venez de vous accuser. Louée et bénie soit la Mère de Dieu!’ Ce disant, il lui imposa la main sur la tête et lui accorda le pardon de ses fautes. Puis il ajouta: ‘Dans un sermon, je publierai votre confession; mais je le ferai si prudemment que vous, pas plus que vos enfants, jamais ni en aucun endroit, n'en subirez d'ignominie. Ce ne serait pas juste qu'on tût un beau miracle que Dieu a fait à la gloire de sa Mère. Je le proclamerai en tout lieu. J'espère qu'il amènera plus d'un pécheur à se convertir et à honorer Notre-Dame.’ Avant de s'en retourner chez lui, l'abbé exposa à ce couvent ce qui était arrivé à la nonne; mais les religieuses ne surent qui c'était; cela demeura caché. L'abbé s'en fut, accompagné des voeux de toutes. Il emmena avec lui les deux enfants de la moniale et les prit sous sa protection. Leur mère s'appelait Béatrice. Gloire à Dieu et louange à Marie, qui nourrit Dieu de son sein et accomplit ce beau miracle, en sauvant la nonne de sa détresse! Et, maintenant, prions tous, petits et grands, qui avons entendu | |
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conter ce miracle, afin que Marie soit notre avocate dans la Vallée de Délices où Dieu viendra juger le monde.
Ainsi soit-il! |
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