de l'un heurte souvent la liberté de l'autre. Des discussions aux Chambres apparut bien vite qu'il convenait, spécialement en matière administrative et judiciaire, de garantir, pour l'avenir, les droits des nationaux - Belges et Congolais - et de donner aux Belges non pas les mêmes mais des garanties ‘semblables’ à celles qui leur sont assurées en Belgique.
En plus, il apparut nécessaire d'apaiser la méfiance de certains représentants flamands - tel M. Delbeke cité par le juge de 1er degré, p. 8 in fine - qui avaient exprimé leur crainte de voir le provisoire devenir du définitif.
De là: les promesses formelles contenues dans la deuxième phrase du premier alinéa de l'article 3 de la Charte et l'engagement pris que des décrets interviendraient ‘à cet effet au plus tard dans les cinq ans...’
Malheureusement - on est bien obligé de le constater - la crainte de voir renvoyées aux calendes grecques les garanties promises s'est avérée fondée. A l'heure présente les décrets annoncés en 1908 n'existent toujours pas.
Dans ces conditions, quelle est la situation en ce qui concerne l'emploi des langues en justice actuellement au Congo?
Seul le principe de la liberté linguistique en toutes matières et sans restrictions a gardé toute sa valeur. La règlementation, exception au principe, prévue pour l'avenir et en matières administrative et judiciaire seulement, n'a, en effet, jamais été prise et imposée.
Il saute pourtant aux yeux que l'application de ce principe par les Cours et tribunaux n'est pas toujours possible.
Certains ont cru trouver une solution par l'application de l'Ordonnance de l'Administrateur Général du 14 mai 1886 édictant le recours aux coutumes locales, aux principes généraux du droit et à l'équité pour suppléer aux lacunes de la loi, et en sont arrivés ainsi à prétendre que seule la langue française, qui n'a cessé, sauf de rares exceptions, d'être la langue de la justice congolaise depuis 1877, peut être employée devant les juridictions européennes au Congo.
Cette théorie ne peut être admise. En effet:
1) La dite ordonnance n'est d'application qu'en matière civile et commerciale et nullement en matière constitutionnelle. (Voir le préambule même de la dite ordonnance qui est explicite. Voir aussi: Trib. de parquet de Stanleyville du 22-6-45 et la note d'observations qui suit ce jugement dans R.J.C.B. 1947 p. 74-79).
2) La solution obtenue par l'application de cette ordonnance va directement à l'encontre de la volonté des auteurs de la Charte qui ont proclamé la liberté dans l'emploi des langues, en toutes matières, sauf règlementation par décrets pour l'avenir ‘de manière à garantir les droits des belges et des congolais’. Elle est donc anticonstitutionnelle.
3) Elle est en plus injuste et inéquitable à l'égard d'une majorité de Belges ce que les auteurs de la Charte ont précisément voulu éviter.
Comment, alors, à défaut de la règlementation promise, résoudre le problème qui se pose à la Cour dans la présente affaire?
En ce qui concerne la procédure suivie au premier degré, il ne me paraît pas y avoir de difficultés. En autorisant le défendeur, à sa demande et de l'accord de son adversaire, à s'exprimer en langue flamande pour présenter sa défense et en prononçant lui-même son jugement en cette langue le premier juge n'a violé aucune disposition légale et n'a lésé les droits de personne. Il s'est, au contraire, conformé à la volonté des auteurs de la Charte telle qu'elle résulte du texte de l'article 3 éclairé par les travaux préparatoires qui y ont donné lieu.