Aen de Belgen. Aux Belges
(1818)–J.F. Willems– Auteursrechtvrij
[pagina 33]
| |
Notes.(No 1.) On sait que la Révolution des Pays-bas contre l'Espagne, a commencé dans les Provinces méridionales; on peut même dire, à Anvers.
(2.) Je ne prétends pas dire que la langue française ait été introduite en Belgique par notre dernier Gouvernement. Bien avant 1794, elle y avait pris racine et était devenue l'idole de la classe élévée du peuple, qui, par-là, cherchait à plaire aux Princes étrangers qui ont toujours régné sur ces Provinces: mais le Gouvernement français nous l'a définitivement imposée.
Il n'est pas nécessaire de faire remarquer à mes lecteurs qu'en général je ne parle, en cet endroit de mon Poëme, que des français de la première période Révolutionnaire.
(3.) Certains sectateurs du français, n'ont pas cessé depuis 4 ans de jetter les hauts cris contre l'introduction de la langue flamande, ou hollandaise dans les administrations de ces Provinces. Quelques uns se sont bornés à en défendre les Provinces Walonnes seulement, et ils ont très bien fait, car il est notoire que les habitans de cette partie de la Belgique n'entendent pas le hollandais, quoiqu'à dire vrai, ils parlent un patois que les français n'entendent pas, non plus. D'autres ont prétendu que toute la Belgique est française, ou que, tout-au-plus, une partie de sa population parle flamand, à son corps défendant.Ga naar voetnoot(*) Mais les Rédacteurs français de quelques uns de nos journaux attaquerent notre pauvre langue avec le plus d'acharnement. Voici, entre mille, un échantillon de leur manière | |
[pagina 34]
| |
de raisonner: il est extrait du No 110, année 1817, du constitutionnel d'Anvers, et peut servir de modèle aux confrères, car c'est un chef-d'oeuvre du genre. Lisons:
‘Des malveillans répandent le bruit que l'idée annoncée depuis long-tems de faire disparaître la langue française des plaidoieries et des actes publics, va se réaliser. Pour l'honneur du Gouvernement il faut croire que c'est une calomnie, puisque ce serait un crime de Lèse-nation. Quel est le génie infernal assez ennemi de la prospérité de ce Pays, qui oserait concevoir un dessein aussi absurde, et tenter de l'exécuter? il y aurait dans cet acte désastreux encore plus de scélératesse que de stupidité. Cela cacherait le projet d'abrutir la population de cette terre libre, de la faire rétrograder jusqu'à la plus affreuse barbarie. - Non, il n'existe pas un ministre assez vil, assez ignorant, pour donner au monarque instruit et éclairé qui nous gouverne un Conseil aussi pernicieux, aussi peu en harmonie avec les lumières du siècle où nous vivons. L'auteur de ce conseil se flatterait en vain de mettre son nom deshonoré à l'abri de la sanction royale. Le mépris général le proscrirait et le désignerait à l'indignation publique, à celle non des seuls Belges mais de l'Europe ou plutôt du monde entier. Cet homme, s'il pouvait exister, serait regardé avec raison comme l'ennemi du genre humain; comme le plus terrible fléau dont le ciel ou l'enfer puisse affliger la terre.
Dans ce moment, où tant de causes semblent conspirer à ruiner, à détruire ces contrées jadis florissantes, où le Peuple en masse est menacé de périr de misère, il ne manquerait plus que ce dernier trait pour nous plonger dans un abîme de maux qui révoltent l'imagination.
A quoi donc servent les leçons de l'histoire, si l'on ne voit pas l'absurdité, l'inconséquence barbare de ce projet destructeur? Quel est donc l'imbécille ou l'insensé qui croirait qu'il pût recevoir son exécution sans ébranler la société jusque dans ses bases? La partie saint de la nation, même parmi ceux qui ignorent la langue française, a souri de pitié à la première nouvelle de ces excès de déraison: les hommes éclairés ont été indignés.’ &c. on voit que l'auteur a étudié la Phraséologie des Démagogues de la révolution française. | |
[pagina 35]
| |
Quelques Belges, M.M. Tarte, Barafin, Plasschaert et Donny se sont aussi distingués dans la lice, mais j'ose affirmer que tous ils ont plaidé sans connaissance de cause. Je m'explique: -
Monsieur Tarte a voulu démontrer dans ses lettres adressées à l'Oracle de Bruxelles en Octobre 1815, que la langue française est et a toujours été nationale dans la Belgique. Qui le croirait? Je trouve dans la préface d'un ouvrage, publié par Mr. Tarte en 1811, ces paroles remarquables: ‘Dans toutes ces provinces ou fractions de provinces (il parle du pays Wallon) la classe illétrée de la société ne parlait pas une langue proprement dite; (avant l'entrée des français dans ce pays) son langage presque toujours en opposition avec les règles et le bel usage, tant dans la prononciation, que dans les terminaisons et même dans la contexture des mots, n'était qu'un patois grossier variant de province à province, et quelquesfois dans la même province. Qui le croirait? (continue Mr. Tarte) La partie flamande était à cet égard plus heureuse: ses habitans ont un idiome dérivé de l'allemand (le contraire est démontré, voyez note 13) dont leur langue est un dialecte. S'il y a quelque différence dans la prononciation des peuples qui habitent les contrées de la Flandre et du Brabant-flamand, du moins les terminaisons et la Syntaxe sont les mêmes: Les uns et les autres peuvent se flatter d'avoir une langue.’ Ainsi, en 1811 nous avions une langue et en 1815 nous ne l'avions plus! poursuivons: ‘Telle était relativement à la communication des pensées, la position des peuples des treize Départemens réunis, lorsqu'ils furent incorporés à la France. Dans tout ce territoire, la langue française était connue, mais d'un certain nombre de personnes seulement: nulle part elle n'était la langue nationale. Le Patois, le Flamand et l'Allemand se partageaient la grande majorité des habitans.’Ga naar voetnoot(*)
Quant à l'ouvrage de Mr. Barafin, je renvoye mon lecteur à la réfutation qu'en a faite Mr. De Foere, dans son Spectateur Belge, | |
[pagina 36]
| |
vol: 3. f.o 321. Toute-fois, je ferai remarquer que son titre porte entre autres: Les idiomes Hollandois et Flamand forment-ils la même langue? Que l'auteur-avocat conclut à la négative et que, cependant, il avoue sa parfaite ignorance à l'égard de ces deux idiomes. ‘Quant â moi (dit il) qui parle le flamand très mal, je vous jure que j'éprouve les plus grandes difficultés lorsque je me trouve dans la nécessité de discourir avec un Hollandais, et que dans l'ignorance où je suis des termes propres,’ &c.Ga naar voetnoot(*) risum teneatis.
Passons à l'Esquisse de Mr. Plasschaert qui contient les plus forts arguments en faveur du français: C'est pourquoi j'en extrairai les principaux passages et j'y repondrai successivement.
‘Cicéron, qu'on ne peut soupçonner d'une partialité défavorable à la langue latine, ou à sa patrie, avoue noblement dans son discours pour le poëte Archias: Que le grec était répandu dans tout le monde et que le latin était renfermé dans les limites de l'empire Romain seulement. Groeca loquuntur in omnibus fere gentibus: latina suis finibus, exiguis sané, continentur.’ = Eh bien! faisons connaître à l'Europe entiere notre langue maternelle, maintenant circonscrite dans les étroites limites (exiguis sané) du Royaume des Pays-Bas! Suivons l'exemple des Romains que vous citez!
‘On nous permettra, sans doute, une legère digression sur les faits historiques qui démontrent que la langue française est vraiment nationale dans cette contrée.... Lorsque Charles V, aecablé d'infirmités et reconnaissant enfin le néant de la gloire et des grandeurs humaines, abdiqua la Couronne en 1555, dans l'assemblée des états réunis à Bruxelles, il fit son discours d'abdication en français.’
Le motif pour lequel Charles-quint ne fit pas son discours en flamand s'explique aisément. L'assemblée se composait d'un grand nombre de Princes étrangers: Les Rois d'Angleterre, de Bohème; | |
[pagina 37]
| |
le Duc de Savoye; les Reines de France, de Hongrie, de Bohême; Christierne fille du Roi de Danemarc, la Duchesse de Loraine, les chevaliers de la toison d'or et autres étrangers de distinction étaient presents à la cérémonie- Charles devait se faire entendre dans l'idiome le plus généralement connu de ces personnages illustres. Si l'on pouvait inférer de ce discours que la langue française était la langue nationale des Belges, l'on pourrait également dire que cette même langue doit être celle des Suédois, puisque S.M. Charles-Jean a prononcé des discours français, à la cour de Stockholm. J'ajoûterai que les Belges n'ont eu que des Souverains étrangers, qui, par conséquent, ne connaissaient pas la langue du pays, mais que, ce non-obstant, la langue flamande a toujours été considerée comme celle du Pays en général, et je vais le prouver:
Toutes les joyeuses-entrées qui sont les pactes des Souverains et du peuple de la Belgique, sont originairement écrites en flamand.Ga naar voetnoot(*) La charte de 1312, n'a peut-être été redigée dans les deux langues que parceque le fils du roi de France y est intervenu.
Le Chancelier et les membres du Conseil de Brabant devaient savoir les deux langues et un article particulier des Joyeuses entrées portrait: Que les lettres patentes ou closes qui s'expédieront en Brabant, devront être conçues dans la langue que l'on parle aux lieux pour lesquels elles seront destinées.
‘La puissance est ostée au prince de donner aucun office, ny état à pas un estranger; sauf qu'en cecy y a quelques petites exceptions, d'autant qu'en la Chancelerie de Brabant il peut mettre deux Conseillers estrangers; mais il faut que soyent de la langue flamande.’Ga naar voetnoot(**)
A l'inauguration du Souverain comme Duc de Brabant, on lui lisait en flamand le serment qu'il devait prêter au peuple, de maintenir sa Constitution et ses Priviléges, que le prince répétait ensuite en latin. | |
[pagina 38]
| |
‘De Hertooch van Brabant willende ontfangen worden van zyne onderzaten voor Heere is gewoon hem te transporteren tot Loven in sekere Cloostere genaempt Ter Banck.’
‘Ende voirts comende, triumphantelyck binnen Louen in presentie van de dry Staten van Brabant wordt hem door de voirs. Staten aldaer voorgelesen den Eedt die de voirs. Heer doen soude nopende die onderhoudenisse van de Blyde Incompste, dit gedaen synde soo leest die voirs. Heer dien selven eedt op't H. Evangelie in latyn’....
‘Die voirs. Hertooch voirts sceydende van Loven compt daer naer tot Bruessele alwaer de selve triumphantelyck wordt innegehaelt ende comende tot voer den Stathuyse op sekere stellagie daer toe geprepareert, soo compareren aldaer Borgermeesteren, Scepen, Rentm. Raedt en gemeyne innesetene, en wordt voirgelesen den Eedt die den Hertooch der stadt van Bruessel doen zal, in duytscher tale, welcken Eedt de voirs. Hertooch daer naer doet in latyn, ende dat gesciet zynde soo wordt den Borgermeesteren, Scepenen, Rentmeesters, Raedt en gemeyne innegesetene van Bruessele voirgelesen in duyts den Eedt die sy doen aen den Hertooch van getrouwicheyt.’Ga naar voetnoot(*) La même chose avait lieu à l'inauguration du Souverain à Anvers et ailleurs.
Toutes les Coutumes écrites de la Flandre et du Brabant le sont en flamand, celles des villes de la Flandre française telles que Tournay, Lessignes &c., et en Brabant celles de Nivelle, Jodoigne et Hanut seules exceptées. La Coutume d'Anvers portait entre autres que toutes les publications du Magistrat devaient se faire en flamand, ainsi que les écritures et plaidoyers dans les tribunaux, quand-même les parties n'y auraient rien entendu. - ‘Item en moghen gheen mandamenten oft publicatien met placcaert-brieven ter puyen af oft elders t'Antwerpen ghedaen worden, dan in duytscher tale geschreven.’ | |
[pagina 39]
| |
Alle saecken 't zy civile of criminele moeten bedingt, ende alle judiciele acten ghehouden worden, in Nederlantsche duytsche tale, niet teghenstaende dat partyen die niet en verstaen.Ga naar voetnoot(*)
Si tout cela ne suffisait pas pour admettre que la langue flamande était celle du Pays en général, je citerais encore deux auteurs étrangers, qui ont écrit à deux époques très éloignées l'une de l'autre.
‘Leur parler naturel (des hommes et femmes des Pays-Bas, dit Guicchiardin,) sauf en quelques endroictz où l'on parle François et Allemand, est nommé flamand. Et tient on pour tout asseuré et le affirme lon par plusieurs raisons, memoires et passages que cette langue est la mesme qu'on parloit en ce pays du temps de Cesar: si bien que le mesme Cesar au comencement de ses comentaires, faisant la Gaule estre divisée en trois parties, a sçavoir Belgique, celtique et Aquitanique, il dit ces mots: tous ceux cy sont differents entre eux en langage, loix et façons de vivre: tellement que ceux-cy s'estans iusqu'à présent maintenus en cette diversité de langage à l'endroit des autres Gaulois, il semble qu'ils se soyent conservée leur premiere et ancienne langue. Car estans plus esloignez de la conversation et hantise des Romains, ils ne pouvoyent facilement alterer et corrompre leur langue: ce qui se voit evidemment en l'alteration des langues de France, Espaigne et Italie; lesquelles sont en effect tirées (mais corrompuement) du latin.- Lequel flamand est vrayment un parler ample et copieux de vocables et mots propres et significatifs et tresidoine a recevoir et former quelque parole que ce soit....’
‘Partout le Pays de Brabant et autre à luy ioint et par nous descrit on parle communement flamand et y plaide ton en celle langue mesme; sauf en celle petite région où sont principalement assises les villes de Nivelle et Genape.’Ga naar voetnoot(**)
L'autre autorité sur la quelle je m'appuierais serait celle d'un français même: - | |
[pagina 40]
| |
‘La langue du Pays (dit Mr. D'Herbouville, cidevant Prefet du Département des deux-Nêthes) ‘est la flamande. C'est la même qu'on parle en Batavie, avec quelque différence dans la prononciation et dans la tournure des phrases. Les gens qui ont reçu de l'éducation sont presque les seuls qui entendent et parlent le français. Dans les villes et sur-tout dans les villages, une grande partie des habitans n'entend et ne parle que le flamand.’Ga naar voetnoot(*)
‘Nous releverons encore quelques faits (poursuit Mr. Plasschaert,) pour prouver invinciblement aux étrangers qui pourraient en douter encore que cet idiome (le français) est devenu dans la Belgique vraiment national. Nous disons aux étrangers, car, quel est l'habitant des Pays-Bas, sous quelque latitude qu'il se trouve, qui avec de la bonne foi et du sens commun, puisse manifester une opinion contraire?.... Quand le Duc d'Albe nous décimait au nom de Philippe, avec la froide indifférence de ses bourreaux, de quelle langue nos pères se servaient-ils pour porter jusqu'au trône de leur impitoyable maître, les gémissemens de la douleur et les accens du désespoir? N'êtait-ce pas du français?’ = Tout naturellement, puisqu'à la cour on n'entendait pas le flamand et que dans des conjonctures pareilles, on aime assez à se faire comprendre. Cépendant, en 1568, les états de Brabant refusèrent d'admettre les lettres-closes du même Duc d'Albe, parcequ'elles étaient rédigées en langue française, (voyez la note 4 ci-après.)
‘N'était-ce pas aussi en français que Guillaume d'Orange si justement surnommé le grand par la postérité reconnaissante plaidait avec toute l'éloquence de sa grande ame la cause des Belges opprimés? N'employa-t-il pas cette langue pour défendre son honneur et sa vie, dans cet acte fameux, oû il confondit et voua à l'exécration des siècles l'infâme tyran pui ne sur lui repondre que par le poignard des assassins?’ = Tous les historiens rapportent que le Prince d'Orange publia sa défense, surnommée apologie, en flamand et en français.
‘Et sans remonter si haut, rappellons-nous un instant cette déplorable lutte qui s'est engagée de nos jours entre les états des Provinces de la Belgique et les Princes de la maison d'Autriche successeurs de Marie Therèse. Non-seulement les écrits les plus remarquables, qui parurent à cette épo- | |
[pagina 41]
| |
que, étaient rédigés en français, mais encore les états écrivaient dans la même langue leurs adresses, leurs réclamations et leurs doléances.’ = Parce-que leurs réprésentations étaient faites à un Souverain qui n'entendait pas le flamand; cependant les affaires des états de Brabant, en tant qu'elles concernaient le peuple, se traitaient comme anciennement, c'est-à-dire, au voeu de la constitution. Mais, voyons un peu de quelle manière on écrivait le français. C'est le célèbre voyageur Forster qui parle:
‘Un français reconnaitrait à peine sa langue à travers le torrent de Barbarismes qui constituent le vocabulaire de ces misérables écrivains. Certes, si j'en exceptais quelques uns de cette proscription ce ne serait pas le manifeste des états du Hainaut, et encore moins les innombrables adresses au peuple, les lettres de plusieurs démagogues, les manifestes, enfin les écrits ministeriels du congrès des états ou de leurs agens.’Ga naar voetnoot(*)
‘C'est donc avec raison que le savant Académicien Des Roches, obligé d'écrire notre histoire en latin pour l'utilité particulière des Collèges, s'est publiquement excusé de ne pas l'avoir écrite en français. “Nous savons, dit-il, qu'une histoire Belgique en langue française eût été plus agréable aux Belges” &e. Ce dernier trait historique est décisif. Des Roches écrivait sous le successeur immédiat de Marie-Therèse, par ordre exprès du Gouvernement, Lecteur impartial, pesez les raisons et prononcez!’
On concoit qu'un gouvernement étranger ait donné la préférence au latin et que Mr. Des Roches ait dû écrire en cette langue, par ordre exprès du Gouvernement; mais ce trait historique a-t-il définitivement etabli que la langue française était alors celle des Belges? Il est malheureusement vrai que le peu d'amateurs de littérature existants à cette époque en Belgique ont préféré de lire et d'écrire le français, aulieu de se donner la peine d'examiner leur propre idiome; mais cela ne résout pas la question relativement au peuple en général. Il decoulerait du principe de Mr. P. que le latin et le grèc ont dû être les langue nationales de tous les peuples de l'Europe dans les 15 et 16 siècles. D'un autre côté, nous | |
[pagina 42]
| |
ne sommes pas les seuls qui ayons été injustes envers notre langue: le grand Frédéric a méprisé la sienne, jusqu'à ce que Mr. Gelleri lui eût fait connaître les beautés de l'Allemand. Ce grand Roi est revenu de son erreur, et les Allemands ont aujourd'hui une littérature comparable à toute autre.
On sait aussi que le chantre de la divina Commedia, voyant que, de son tems, il n'existait aucun ouvrage d'importance en Italien, eut envie d'écrire tous ses ouvrages en latin; (comme nous avons la manie de vouloir tout écrire en français,) et en effet, le Dante en a écrit quelques uns dans cette langue. Son Enfer était déjà ébauché et commencait par ce vers: Inferna regna canam, mediumque, imumque tribunal. Mais, encouragé par ses amis, il eut honte d'abandonner sa langue. (ici je transcris une note de Mr. De Rivarol sur les causes de l'universalité de la langue française,Ga naar voetnoot(*)) ‘Il se mit a chercher dans chaque patois de son Pays ce qu'il y sentait de bon et de grammatical, et c'est de ce choix qu'il se fit une langage regulier.’ Nous sommes bien loin d'être dans la position de ce grand poëte, et cependant nous négligeons notre langue!
Puisque Mr. Plasschaert à cite Des Roches, le même Académicien, nous fera connaitre les causes de l'indifférence de nos pères, pour la langue flamande: -
‘Grace à l'îndifférence que nous avons pour notre langue, les Pays-Bas (je veux dire les Pays-Bas autrichiens) depuis longtems ne produisent plus de poëtes Les étrangers, ceux-là surtout qui n'entendent pas un mot de flamand, nous assurent que la langue n'y est point propre, et qu outre cela la nature avare n'a point mis dans les têtes Belgiques, ce feu celeste qui est l'ame des beaux vers. On trouve cependant ce feu, et même avec profusion dans les poë sies latines de Jean Second, de Sidonius Hoscius, Grotius et Barleus, que nous appellons Van Baerle. Peut-on croire que ces beaux génies n'avaient de l'esprit que quand ils parlaient latin; er que tout leur feu les eût abandonnés, du moment qu'ils eussent voulu se servir de leur langue maternelle? Ce ne sera donc pas l'influence du cli- | |
[pagina 43]
| |
mat, mais uniquement la pesanteur de la langue, qui nous empêche d'avoir des Poëtes, Elle est dure, dit-on, et toute hérissee de consonnes; mais l'Anglois en a-t-il moins; et les syllabes allemandes sont-elles moins rudes que les nôtres? Malgré ce caractère de langue, dira-t-on que Pope soit dur et que Gessner manque d'agrémens? Il est des duretés qui ne se font sentir qu'à des oreilles étrangères; il en est que l'habile poëte sait éviter: l'un et l'autre cas pourroit avoir lieu dans la poësie flamande. Pour moi, je croirai toujours que le défaut d'encouragement et l'espèce de mépris que nous témoignons pour notre langue sont les seules causes qui nous empêchent d'avoir des poëtes; et que si la poësie était ici, comme chez nos voisins, le chemin pour parvenir à la plus haute considération, et le moyen de se faire un nom immortel Apollon auroit des favoris en Flandre comme ailleurs. La langue mieux cultivée, n'y mettrait plus tant d'obstacles; et même pourroit fournir dans des sujets grands et serieux des facilités que le françois n'a pas, et qu'il ne peut avoir.’Ga naar voetnoot(*)
Le Lecteur me permettra encore de joindre au témoignage de Mr. Des Roches, celui d'un auteur étranger à ce Pays:
‘Quelques pièces anciennes écrites en langage flamand (dit Mr. Shaw dans son Essai sur les Pays-Bas autrichiens) passent pour avoir un grand mérite poëtique. L'éloignement dans lequel ces Provinces ont été depuis plusieurs siècles de la résidence de leurs Souverains, a été surtout préjudiciable aux Beaux-arts qui ont besoin d'être encouragés par le sourire du Prince. La langue flamande, le langage général des Pays-Bas, est ainsi que la langue Anglaise, à la quelle elle ressemble beaucoup, une branche de l'ancienne langue teutonique. La langue flamande est abondante, hardie, énergique &c. ce qui l'a surtout empêchée de se perfectionner c'est que dépuis plusieurs siècles que ces Provinces ont passé sous la Domination de la maison d'autriche, le langage du peuple n'a jamais été celui de la Cour.’Ga naar voetnoot(**)
Voilà les véritables causes de l'attachement exclusif qu'ont eu quelques Belges pour la langue française. Ces causes ayant cessé | |
[pagina 44]
| |
d'exister depuis la création de notre Gouvernement actuel, il est tems que nous suivions l'exemple des Romains cité par Mr. Plasschaert. ‘Mais les occupations agréables des Romains (repète-il, après Mr. Gibbon) n'avaient rien de commun avec les maximes profondes de leur Politique. Quoique séduits par les chefs-d'oeuvre de la grèce (comme nous pouvons l'être par ceux des français) ils surent conserver la dignité de leur langue, qui seule était en usage dans tout ce qui regardait l'administration civile et le Gouvernement militaire.’Ga naar voetnoot(*) = Adoptons l'axiome politique des Romains et nous pourrons transcrire en faveur de la langue flamande, tout le reste de l'ouvrage de Mr. Plasschaert.
C'est ici le lieu d'avertir mes lecteurs, que daus tout cet ouvrage je n'ai pour but que de défendre la langue et les moeurs des Belges, et qu'en m'adressant à ceux-ci, je n'entends y comprendre, que ceux d'entre eux qui habitenr les parties de la Belgique où l'idiome flamand est en usage. On sent bien qu'à tout moment je ne pouvais pas dire: Flamands! Brabançons! mais qu'il me fallait un nom générique. Enfin, pour completter la discussion, nous entendrons parler Mr. Donny, et Mr. l'Abbé De Foere, que, certainement, l'on ne peut accuser de Neêrlandisme: -
‘1o Mr. Donny avoue que le flamand est connu des cinq sixièmes des Belges, mais il doute que sur mille il y en ait deux qui soient capables de l'écrire.’ En supposant (répond Mr. De Foere) que cette dernière assertion ne fut point énormément exagérée, il n'en resulteroit rien en faveur des partisans du français. Les Buralistes, et Mr. Donny lui-même, n'écrivent pas mieux cette langue, qu'ils n'écriroient le flamand. Des faits centuplés sont déposés dans toutes les archives de l'administration. Tous les flamands qui savent écrire le français écriroient également leur propre langue; ils la parlent, ils n'auroient donc qu'à exprimer les articulations de la voix par les caractères déterminés par l'écriture. Il existe d'ailleurs dans la Syntaxe des langues une telle affinité de principes qu'il est impossible de les méconnoître.’
‘2o Aurons-nous, se demande Mr. Donny, la vanité de croire qu'à nos commandemens les grands voisins apprendront le flamand? Pour que | |
[pagina 45]
| |
le flamand soit la langue de nos lois, de notre administration et de nos tribunaux, est-il besoin que les grands et les petits voisins l'apprennent? Que nous importent leurs connoissances en fait de langues?’
‘3o Devons-nous donc, continue-t-il nous isoler, et repousser une langue que toutes les cours et tous les cabinets ont adoptée? ‘Nous isoler parceque nous aurions un code en flamand! Parcequ'un arrêté du Souverain seroit donné en flamand! Parcequ'un sentence seroit prononcée en flamand! Se trouvent-il dans l'isolement ces fiers anglais, ces espagnols, ces italiens, ces allemands, ces autrichiens, ces russes, ces prussiens, parce que les intérêts de leurs pays sont traités et administrés dans la langue qui leur est propre? Que notre cour, que notre cabinet adopte aussi, s'il le faut, la langue française dans ses relations extérieures; c'est là une toute autre question.’
‘4o Les Hollandais s'en serviront comme d'un moyen d'accaparer les places dans nos Provinces.’ ‘Ce dessein, s'il existe est coupable. Mais ce but peut être atteint indépendamment de la langue; car il n'est point de hollandais, comme il n'est point de Belge, capable de remplir une place, qui ne sache le français.’
‘5o Le Prince voit l'impérieuse raison d'êtat qui ordonne d'effacer du coeur des Belges les Souvenirs, les traces, les liaisons, les grands rapports qui existent encore peut-être entre les Belges et les français, et cette politique est etroite.’ ‘Eh bien! n'est-ce pas là une bonne raison politique que les circonstances commandent, et qui ne porte préjudice à personne?’
‘6o Mais rompre toute liaison avec la france, ne sait-on pas que c'est anéantir toutes nos propriêtés? Que le seul commerce qui nous reste est celui des français? Voulez-vous qu'on abandonne nos champs, nos grains, nos lins, nos bestiaux, nos fabriques de toile...?’ ‘Le flamand seroit la langue de notre Gouvernement, de nos lois, de nos tribunaux, que nos relation: commerciales avec la France seroient les mêmes: rien n'empêche que nous vendions nos grains, nos lins, nos bestiaux et nos toiles en français.’Ga naar voetnoot(*) | |
[pagina 46]
| |
(4) Comme j'ai pris pour systême, dans ces notes, de ne rien avancer par moi-même, je transcrirai encore ici quelques passages d'historiens, qui feront voir combien nos pères tenaient à leur langue: c'est le meilleur moyen d'être impartial.
‘Philippe le hardi, roi de France (en 1286) envoye aux Gantois des commissaires pour examiner leurs différends; il veur qu'on obéisse aveuglément à ces délégués dans tout ce qu'ils exigeront pour remplir l'objet de leur mission, et même que les Gantois ne leur parlent que la langue française. C'est ce qui choqua le plus les Gantois: tant les peuples sont attachés à leur langue!’Ga naar voetnoot(*)
‘Après le trespas du ducq Philippe les quatre membres de Flandre se trouverent à Gand devers Monsieur le Duc Jean (sans peur) à sa joyeuse entrée, et entre aultres choses luy requirent qu'il voulsist entretenir le pais et les villes et chastelenies en leurs droicts, privilèges et coustumes, ainsi que toujours avoyent faict ses très-victorieux predecesseurs, mesmes le conte Louys son grand père, et qu'il fit traiter les matières du pais, des loix, ensemble des courts feodales dedans le pais de Flandre flamengant, sans les souffrir tirer hors du pais saulf si son plaisir etoit, tenir chambre pour cas de ses souverainetez ou aultres, dont les loix ne peuvent cognoistre, qu'il le fit en son audience, et par sa court en langaige flameng, et decha le lys, comme avoyent faict ses predecesseurs à quoy leur fut respondu par la bouche de messire Henry Van den Zype, Gouverneur de Lille, que mon dict Seigneur vouloir entretenir les privileges et franchises du pais et des villes et chastelenies, saulf sa seigneuerie et souveraineté. Et que desormais il tiendroit l'audience et Court accoustumée en Flandre flamengant, dechà le lys et en langaige flameng.’Ga naar voetnoot(**)
En août 1568, le Duc d'Albe adressa aux états de Brabant des lettres-closes écrites en français, mais les députés de Bruxelles et d'Anvers s'opposerent formellement à leur admission en voulurent qu'il les leur donnât en langue flamande. - ‘Brussel 30 Augusty 1568. Eerw. wy gebieden ons enz. de selven adverterende hoe dat die van Brussel | |
[pagina 47]
| |
hebben ontfangen zekere beslotene brieven met zekere copy van brieven van Zyn Excell. aen den Raedt van Brabant gescreven ten eynde dat men die selve souden publiceren in Brabant, tenderende ten fyne dat allen die geconfedereerde die nyet gebannen absent oft latiterende zyn maer syn gebleven ende noch zyn soude binnen xxx dagen naer publicatie voer Zyn Excell. oft synen raedt compareren oft by Procureur ende te kennen geven heur feyt en misdaet ende om pardon en gracie te verwerven op pene van dat men rigoureu selyck tegen hen sal procedeeren als teghen rebellen, ende midsdyen die brieven van Zyne Excell. aen den voors. Raedt syn in François oft Walsch gescreven, hebben die van Brussel aen Myn Heere den Cancellier swaerigheyt gemaeckt, ende wy mede, hebbende verstaen dat men aen uwer Eerw. zulcke Cop. oyck soude seynden ende heeft geseght dat men die mocht translateren ende alsoe publiceren, daer op die van Brussel hebben swaricheydt gemaect dat den Raedt hen die translatie behoert te doen, maer Myn Heer den Cancell. maect daerinne oyck swarich. sulcx dat ons goedt gedocht heeft uwer Eerw. daeraff te adverteren, ende midsdyen dat wy verstaen dat den Raedt van den Hertoghe t'Antwerpen is oft heden syn sal, waere niet quaet versocht dat yemant van de Secretarissen van den selven Raedt de voors. brieven translateerde en publiceerde.’ enz.Ga naar voetnoot(*)
Je pourrais multiplier mes citations, mais il suffira de faire observer que quelques autres parties de la Belgique n'ont pas moins protesté, contre l'introduction de la langue française ‘Le Luxembourg (entre autres) était divisé en 2 cantons appellés le quartier Allemand et le quartier Wallon; le comte Jean l'aveugle, pour faite cesser les difficultés et les mécontentemens que la différence des langues occasionnait souvent, créa en 1340. deux Gouvernemens, l'un pour la partie Allemande, l'autre pour la partie Wallonne .... Les Luxembourgeois avaient en horreur la nation Bourguignonne. Ils étaient au contraire très attachés à la nation Saxonne, parcequ'elle parlait comme eux la langue Allemande et la cause principale de cette aversion qu'ils portaient aux Bourguignons, provenait de ce que le Duc de Bourgogne (en 1441) voulait les forcer de parler la | |
[pagina 48]
| |
langue française: tant les peuples, dans tous les tems, ont tenu à leur langue! Ils prirent donc les armes.’ &c.Ga naar voetnoot(*)
(5) Il parait qu'au tems de Jules Cesar les Belges parlaient un idiome différent de ceux en usage dans le reste de la Gaule. ‘La Gaule (dit ce conquerant,) est divisée en trois parties, dont l'une est habitée par les Belges, l'autre par les Aquitains et la troisième par les Celtes. Tous différent entre eux de langue, de Coutumes et de Loix: Gallia est omnis divisa in partes tres, quarum unam incolunt Belgae, aliam Aquitani, tertiam qui ipsorum linguâ Celtae appellantur.’Ga naar voetnoot(**)
A cette différence de langue et au peu de fréquentation qu'ils eurent avec les nations circonvoisines, les Belges furent en partie rédévables de la pureté de leurs moeurs:’ Quorum (nerviorum) de naturâ moribusque Caesar cùm quaereret, sic reperiebat: nullum aditum esse ad eos mercatoribus: nihil pati vini, reliquarumque rerum ad luxuriam pertinentium, inferri, quòd his rebus relanguescere animos, eorumque remitti virtutem existimarent.’Ga naar voetnoot(***)
Nous trouvons dans les auteurs latins de ces tems-là un grand nombre de mots qui sont évidemment flamands: omnemque aciem suam (dit le même Cesar) Rhedis et Carris (reyders of reywagens en karren) circumdederunt.Ga naar voetnoot(****) Pline nous apprend qu'un gros poisson vorace de la mer qui baigne nos côtes était appellé Physéter (Visch-éter): ‘maximum animal in indico mari, pristis et baloena est; in Gallico oceano Phys-éter’ &c.Ga naar voetnoot(*****) Dans un autre endroit de son histoire naturelle, le même auteur dit que les Morins nommaient Ganzae (Ganzen) les oies blanches: ‘Candidi ibi, verum minores Ganzae vocantur.’Ga naar voetnoot(******) Le poëte Aüsone fait mention d'un poisson appellé Platissa (Platdysse):
Domus omnis abundat
littoreis dives spoliis: referuntur ab unda
carroco; letalis trygon, mollesque Platessae.Ga naar voetnoot(*******)
| |
[pagina 49]
| |
Wodan ou Godan est le dieu des germains de qui l'on tient, dit-on, la dénomination de Wodensdag, Woensdag, en Anglais Wednesday.
On sait que les anciens poëtes des Belges s'appellaient Bardes, Venance Fortunat, auteur du 6. siècle a fait des vers en l'honneur d'un Capitaine nommé Lupus, où l'on trouve que les chants des bardes de son tems se nommaient: Liedi (lieden, liederen)
Nos tibi versiculos, dent barbara carmina Liedos
Sic variante tropo laus sonet una viro.Ga naar voetnoot(*)
(6) Les cris et chants des animaux et des oiseaux s'expriment en flamand par des mots généralement imitatifs: den leeuw brult, den os bulkt, de slang sist, enz.
Wat slaatge, ô pluimgedierte! een mengling van geluid!
Gy zingt, of fluit, of kraait, of roept, of schreeuwt, of schatert,
Of piept, of tylpt, of kirt, of krast, of kwaakt, of snatert,
Of zucht, of bromt, of huilt.Ga naar voetnoot(**)
(7) ‘L'examen des langues peut donner matière à des observations utiles et à des conjectures plus intéressantes peut-être qu'on ne le croit, sur le génie et les moeurs des peuples qui les parlent.’Ga naar voetnoot(***) Nous prouverons ailleurs que la seule langue flamande peint exactement le caractère et le génie des Belges. On peut consulter à cet égard la belle dissertation de Mr. Siegenbeek, intitulée: Verhandeling over het verband tusschen de Taal en het volkskarakter der Nederlanderen.Ga naar voetnoot(****) L'auteur y cite plusieurs mots tels que coquetterie, complimens, &c. que nous n'avons pas en flamand, parceque leur signification n'est pas dans les véritables moeurs des Belges. Au contraire, la langue française fourmille de termes, propres à donner des couleurs au vice et à l'immoralité. Un seul exemple justifiera mon assertion. Nous pouvons dire en flamand dat meysje is een hoer. Ce mot ne choque pas l'oreille; il exprime le mépris. Un français n'oserait pas le traduire; il dira{?}t: c'est une courtisanne, une fille de joie, une fille publique, ou même, c'est une fille, car, déjà le mot fille commence à ne plus être honnête. | |
[pagina 50]
| |
‘La langue française est, dit-on, la plus chaste des langues; je la crois, moi, la plus obscène; (c'est J.J. qui le dit,) car il me semble que la chasteté d'une langue ne consiste pas à éviter avec soin les tours dèshonnêtes, mais à ne les pas avoir. En effet, pour les éviter il faut qu'on y pense; il n'y a point de langue où il soit plus difficile de parler purement, en tous sens, que la française. Le lecteur, toujours plus habile à trouver des sens obscènes, que l'auteur a les écarter, se scandalise et s'effarouche de tout. Comment, ce qui passe par des oreilles impures ne contracterait-il pas leur souillure?.... Au contraire, un peuple de bonnes moeurs a des termes propres pour toutes choses et ces termes sont toujours honnêtes parcequ'ils sont toujours employés honnêtement. Il est impossible d'imaginer un langage plus modeste que celui de la bible précisement parceque tout y est dit avec naïveté. Pour rendre immodeste les mêmes choses il suffit de les traduire en français.’Ga naar voetnoot(*)
D'un autre coté, il est sûr que lorsque la morale d'un peuple commence à se relacher, les mots de sa langue changent aussi d'acception; vérité qui s'apperçoit le plus particulièrement chez une nation dont le vocabulaire se compose en grande partie de mots sans valeur intrinsèque ou termes de convention, tels que la langue française nous en offre. Je conseille à mes lecteurs de lire une dissertion inserée dans le deuxième volume des Archives-littéraires, intitulée: Idées sur la corruption morale de la langue française, dans la quelle l'auteur fait voir que les choses morales commencent à avoir d'autres noms en France, moins vrais mais plus conformes aux idées qu'ont actuellement les français des différents sentimens de vertu.
En voilà assez pour établir que la langue d'un peuple peut opérer une révolution dans les moeurs d'un autre peuple qui l'adopte, et que l'idiome flamand est plus conforme à la candeur et à la simplicité des moeurs de nos pères que tout autre. Quant aux beautés de notre langue, nous en parlerons un peu plus au long dans la note 13.
(8) Nous avons vu dans la note 4 que nos anciens Gouvernements ont, plus d'une fois, tenté d'introduire la langue française dans nos administrations et on a pu facilement deviner leur but. Les | |
[pagina 51]
| |
Chambres de Rhétorique souffrirent également quelques persécutions, comme je le ferai voir en son tems. Quant aux entraves mises à la langue flamande par les français, c'est d'hier.
(9) Jean IV. Duc de Brabant, mort en 1427, fut membre de la Chambre de Rhétorique de Bruxelles den Boeck et assista souvent à ses séances; le Roi Philippe, fils de Maximilien, le fur de celle de Gand (den Gendschen Balzem) à la quelle il fit présent d'un blazon, comme Charles-quint en a dépuis donné un à la chambre d'Amsterdam in Liefde bloeyende. On prétend aussi que le Prince d'Orange, Guillaume premier, a été Prince de la Chambre de Rhétorique d'Anvers nommée de Violiere.Ga naar voetnoot(*)
Les Chambres de Rhétorique avaient pour but de s'exercer dans l'Art de la Poësie et de la déclamation. Toutes les villes et mêmes quelques villages de la Belgique en eurent dans les 16 e siècle. Les encouragemens et privilèges qu'elles reçurent successivement de quelques-uns de nos Princes, comme on vient de voir, portèrent les fêtes qu'elles se donnaient réciproquement (appellées joyaux du Pays) jusqu'au plus haut degré de splendeur et de munificence, au point qu'on les a comparées aux jeux olimpiques de l'ancienne Grèce.Ga naar voetnoot(**)
(10) L'institution des Chambres de Rhétorique en ce pays est antérieure même à celle des jeux floraux en France. Il existait déjà une de ces chambres à Diest en l'an 1302.Ga naar voetnoot(***) Mais c'est principalement à la fin du 16. et au commencement du 17. siècle que les écrivains flamands et hollandais commencetent à se distinguer.
L'un des plus anciens Poëtes de l'Allemagne a été inspiré par les nôtres: ‘Ihr Heinsius (il était d'Anvers,) ihr Phönix unsrer zeiten,
Ihr, Shon der ewigkeit, begunstet auszubreiten,
Die flûgel der vernunft.....
| |
[pagina 52]
| |
Ich auch, weil ihr mir seid in schreiben vorgegangen,
Was ich fur ehr und rhum durch hochdeutsch werd erlangen,
Will meinen Vaterland erôffnen rund und frei,
Das eure Poësie der meinen mutter sey.’Ga naar voetnoot(*)
Ce qui revient en substance à ce que Mr. Leibnits exprime en ces termes: ‘Les hollandais ont même déjà très bien cultivé leur langue. Opitz s'est avantageusement servi de Heinsius, de Cats, de Grotius et autres bons écrivains hollandois. Vondel l'a perfectionné encore davantage, ensorte qu'aujourd'hui il règne une grande pureté dans cette langue; et les hollandais y expriment leurs pensées avec beaucoup de délicatesse et d'énergie: quelle raison y aurait-il de ne pas mettre à profit leurs écrits et leurs perfections?’Ga naar voetnoot(**)
(11) ‘HOOFT, CATS et VONDEL étaient contemporains de Ronsard, de Baif, de Du Bartas, mais combien ils leur étaient supérieurs pour la pensée et pour l'expression poëtique! Le Palmède de Vondel, où à coté de quelques défauts de goût, on trouve des beautés de premier ordre, et des vers qui serviront toujours de modèle, précéda de longtems les chefs-d'oeuvre de P. Corneille et même le Wenceslas de Rotrou. On ne connait pas assez en France la littérature hollandaise’ &c.Ga naar voetnoot(***)
Que l'on compare la Jephta de Vondel avec la tragédie du même nom de Buchanan et on aura une idée des grands progrès qu'a faits le premier. Son Lucifer, pour l'invention poëtique, est comparable au poëme de Milton.
HOOFT s'est également illustré dans la Tragédie; mais ce grand homme, ce fondateur de la littérature hollandaise doit plus particulièrement son immortalité a ses poësies amoureuses, à son style épistolaire et à ses histoires. -’ On peut même avancer que les histoires écrites en hollandais sont comparables à ce que la langue française fournit de meilleur dans ce genre. Hooft a ramassé dans ses histoires tout ce que le hollandais a de nerveux, de concis, de grand, de sentencieux: il ne cède ni à Saluste, ni à Tacite, et peut-être que | |
[pagina 53]
| |
la seule chose qu'on pourrait réprendre en lui, c'est qu'il leur ressemble en tout.’ ‘CATS. - Grand Jurisconsulte, habile politique, excellent Poëte, il soutint ces trois caractères avec une égale gloire. Ses vers sont aisés, coulans, bien cadancés; sa diction est pure et naturelle, ses pensées fines et délicates, ses déscriptions exactes er agréables. Ce Poëte a de plus particulièrement bien touché les passions: il intéresse, il attache ceux qui le lisent, pour peu que leur esprit, libre de prévention, n'impose pas silence aux sentimens de leur coeur. Il mérite a certains égards, d'être comparé à notre Lafontaine. Il est aussi original, aussi coulant, aussi aisé, aussi négligé; se permettant sans scrupule l'usage des chevilles pour la mésure des vers. Il est aussi moral, mais plus chaste que La Fontaine.’Ga naar voetnoot(*) Ses ouvrages ont tous été traduits en Allemand, et en partie en Anglais. Mr. Feutry a traduit en français le petit poëme de Cats intitulé: Les jeux des enfans.
GROTIUS, que nous appellons DE GROOT, n'a pas negligé sa langue maternelle. Le poëme dont il est question ici, porte le titre de: Bewys van den waeren Godsdienst. Grotius l'a lui-même traduit en latin. Il en existe en outre des traductions en français, en anglais, en allemand, en italien, en danois, en portugais et même en grec er en persan.
(12) Mr. BILDERDYK a la réputation d'être, en ce moment, le premier poëte de la hollande. Il y a peu de genres en prose et en vers, dans lesquels il n'ait excellé: c'est ce qui l'a fait comparer à Voltaire dans la Gallerie historique des contemporains ou Biographie, que l'on publie à Bruxelles (voyez art. Bilderdyk). On tient pour assuré que dans sa traduction de l'homme des champs de Delille, il a surpassé son modèle. Mad. Bilderdyk est pour les femmes-poëtes de la hollande ce que son mari y est à l'égard des hommes.
MM. FEITH et TOLLENS approchent plus dans leurs poësies du goût et de la correction des français que les Helmers, les Bilderdyk et les Loots. Je crois que pour les Belges qui veulent connaître la poësie hollandaise de nos jours, ces deux premiers poëtes méritent d'être lûs avant les autres, parce qu'on les entend plus facilement. | |
[pagina 54]
| |
Mr. LOOTS a plus d'une fois été comparé à Vondel; c'est assez faire son éloge. M.M. Van Hal, H.H. et B. Klyn, sont aussi d'un mérite supérieur- J'aurais dû nommer également M.M. A. Simons, Spandaw, Van s'Gravenweert, Meyer, Westerman, Van Lochem, Immerseel & tant d'autres, qui se distinguent actuellement sur le Parnasse hollandais. Quant aux prosateurs Van der Palm, Siegenbeek et Stuart, leurs ouvrages sont dans les mains de tous ceux qui cultivent la littérature des Pays-bas.
L'on me reprochera peut-être de n'avoir pas fait mention de Huygens, Antonides, Poot, Hoogvliet, Van Haren, Mr. et Mad. De Winter, Nieuwland, Bellamy, Loosjes et de ce HELMERS que les Muses pleurent encore, non plus que des historiens et orateurs Brandt, Wagenaer, Styl, Hulshoff, Scheltema et autres. Mais, le cadre de mon poëme ne me premettant pas de m'étendre sur le mérite de chacun d'eux en particulier, j'ai mieux aimé les omettre que de ne chanter que des noms.
Le seul poëte flamand D'HULSTER m'a paru digne d'occuper une place auprès des poëtes vivants de la Hollande.
(13) ‘Loisqu'on écrit dans sa propre langue on forme des tableaux qui ont toutes les graces d'un original, qui n'ont rien de gêné et de louche, qui ont toute la fraicheur possible; parce que ce sont en effet des originaux, puisqu'ils ne sont point différens du tableau intérieur qu'on s'en était fait, qu'ils en sont la vive réprésentation. Il n'en est pas de même lorsqu'on écrit dans une langue différente: car le tableau intérieur que nous nous formons, se fait dans la nôtre, et nous sommes obligé de le transformer ensuite, peu-à-peu et avec peine en une langue étrangère.’Ga naar voetnoot(*) Delà les innombrables fautes que nous commettons en parlant ou en écrivant le français. L'Auteur des Flandricismes et Wallonnismes, dont j'ai parlé plus haut, en a rassemblé par milliers. On a dit plus d'une fois que pour écrire en français il faut habiter Paris. Les français, qui d'ordinaire n'apprennent que leur propre langue, ont eux-mêmes toutes les peines du monde à l'écrire purement et les savants Des Roches et Paquot, presque les seuls Belges, qui l'aient | |
[pagina 55]
| |
écrite correctement avant 1794, ont avec raison reclamé l'indulgence des français, dans les préfaces de leurs ouvrages. En effet, nous ne pouvons bien nous exprimer que dans la langue qui, la première a servi à dévélopper nos facultés intellectuelles. Nos idées ont pour ainsi dire les couleurs et le caractère de cette langue maternelle dans la quelle nous sommes toujours obligés de les créer: aussi, lorsque nous voulons approfondir le génie de la langue française, nous rencontrons mille et mille choses dont nous ne pouvons bien nous rendre compte. Il ne suffit pas d'avoir étudié la grammaire, de connaître la signification des mots, il faut encore pour avoir le style et l'expression des français, bien retenir l'emploi et l'arrangement des mots et des phrases, tels qu'ils ont été fixés par l'autorité de l'usage, des auteurs, de la mode ou de ces sociétés, dites de bon ton, que nous n'avons pas en ce pays-ci; car malheur à vous si vous les employiez différemment, quoiqu'en ne faisant pas de fautes de grammaire! D'un autre côté l'on ne peut nier que de toutes les langues de l'Europe la française est, pour l'orateur et le poëte, la plus stérile en expressions nobles et énergiques. ‘La langue française, a dit Voltaire, est très féconde en expressions burlesques et naïves et très stérile en termes nobles. Dans les Dictionnaires des Rimes on trouve 20 termes convenables à la poësie comique, pour un terme d'un usage plus relevé’Ga naar voetnoot(*) Aussi la Poësie française ne se distingue-t-elle point de la prose,Ga naar voetnoot(**) et les Racine, les Corneille, les Crebillon, les Voltaire n'ont-ils pu mettre de la dignité dans la tragédie que par des efforts incroyables de leur génie et ce qu'on appelle des alliances de mots. Si l'on ajoute à toutes ces difficultés, celles de vaincre une infinité d'obstacles contre l'Euphonie, d'éviter les Amphibologies qui lui sont si communes, &c. &c. l'on ne se dissimulera plus qu'il nous faudrait encore des siècles pour avoir l'air véritablement français. | |
[pagina 56]
| |
Il y a très peu d'ouvrages français écrits par des Belges qui ne pèchent par là,Ga naar voetnoot(*) et encore est-on, fondé à croire que quelque français aura eu la complaisance de faire les corrections nécessaires, car je sais de bonne part que cela se pratique.
La langue flamande, au contraire, offre peu de difficultés inutiles. ‘Il n'y a point de langue vivante plus favorable au poëte et à l'orateur. Elle est riche non seulement en mots et en rimes, mais encore en onomatopées; les mots composés qui donnent tant de beautés et d'énergie aux vers grecs, par la précision et la rapidité qu'ils mettent dans la diction lui sont très familiers: elle a le secours des inversions; les syncopes y sont aussi fréquentes que dans la langue italienne et dans l'anglaise même. Le diminutif y est propre à tous les, substantifs, qui tous aussi peuvent être rendus négatifs par la particule loos, placée à la fin du mot. Cette même qualité négative peut pareillement être donnée aux adjectifs, en les faisant précéder par la particule on.’Ga naar voetnoot(**) Notre langue, aussi bien que l'anglaise, permet de changer la plupart des substantifs en adjectifs et en verbes, qui sont à leur tour modifiés et rendus actifs ou passifs par les prépositions ver, be &c. Ces prépositions verbales ont infiniment plus de signification de puissance et d'étendue que les françaises. ‘Prénons le mot regarder, pour exprimer les différentes mànières de regardér il faut avoir recours, en français, aux phrases adverbiales en haut, en bas, dedans, derrière soi, autour de soi,’ &c.Ga naar voetnoot(***) au lieu qu'en flamand comme en latin tout cela se dit par un seul mot: opzien, neêrzien, inzien, omzien, rondzien.(***) ‘Quel avantage de pouvoir offrir à l'imagination un tableau entier avec deux ou trois mots, comme P.E. fugam circumpicere (tot vlugten rondzien) en français: régarder autour de soi de quel côté l'on fuirait!’(***)
On peut m'objecter que les mots flamands sont généralement plus longs que les français: je l'avoue. Mais le grec, la plus belle des langues connues, en a-t-elle moins? et malgré nos sesquipedalia verba où est l'écrivain français qui traduirait un ouvrage de Hooft | |
[pagina 57]
| |
sans employer le double de mots de cet historien? en flamand comme en grec presque tous les mots portent l'explication de leur valeur avec eux. Ainsi voorbeéld, exemple, signifie une image qui vous est réprésentée (een voórgesteld beéld), Denkbeéld, idée, veut dire une image de la pensée, &c. Ils doivent donc être plus longs que des mots qui ne disent rien d'eux-mêmes.
Toutes nos brèves er nos longues sont fortement marquées, parcequ'il est de règle générale dans la prononciation de s'appuyer sur cette partie du mot à la quelle on attache le plus particulièrement son idée, ou qui est la racine du mot. P.E. Wellevendheyd, aengeboórenheyd, blygeestig, versmaeding, onbestaenbaer, welgemoedigd, onbespraekzaemheyd, &c. La quantité du flamand nous mer à même d'imiter le Rythme mètriqúe des anciens, ce que les français ont tenté en vain. Pour exprimer en français la ressemblance qui existe entre divers objets, il faut faire une circonlocution, excepté pour les couleurs où l'on a bleuâtre, rougeâtre, &c. ce qui veut dire tirant sur le bleu, &c. au contraire nous pouvons établir ces nuances entre tous nos substantifs et adjectifs: een torenagtig gebouw, een wolkagtige kleur, eenen franschagtigen belg, een vischschelpagtig dier, &c. pour un bâtiment construit en forme àe tour, une couleur ressemblante à celle des nuages, &c.
‘Quant à la rudesse qu'on reproche à la langue hollandaise, on ne peut nier que le grand nombre de sons gutturaux (la prononciation flamande en a moins,) et le concours fréquent et accumulé des consonnes ne blessent une oreille peu faite à des syllabes fortement articulées. Mais il faut se rappeller que la langue anglaise parut offrir ces désagremens et ces difficultés avant que M. De Voltaire en eût fait connaître les beautés en france, et que l'Allemand, n'est pas plus flexible que le hollandais, sans être aussi riche, ni aussi harmonieux.’Ga naar voetnoot(*) D'ailleurs une langue n'est jamais rude pour le peuple qui la parle.
Je terminerai cette note en ajoutant que le flamand donné aux autres nations presque tous les termes de Marine,Ga naar voetnoot(**) et qu'il n'est nullement dérivé de l'Allemand comme on a prétendu. Dans les | |
[pagina 58]
| |
fragmens d'anciennes langues, Celtique, Mésogothique, Francothéotique, &c. publiés par Junius, Hickesius et autres,Ga naar voetnoot(*) on trouve à tout moment des mots flamands, tels que thit, that, ik, etan, fretan, brikan, &c, ce qui est en Allemand: Dies, das, ich, essen, fressen, brechen, &c. Au reste, le Niebelungen Lied, récemment imprimé en Allemagne, prouve assez que notre langue seule a conservé une infinité de termes que l'on ne trouve plus dans une autre.
(14) Nous avons vu plus haut qu'une langue étrangère peut excercer assez d'influence sur un peuple pour lui faire perdre son caractère moral. Il ne serait pas difficile de démontrer que la langue française et ensuite les français nous ont fait perdre en partie ces moeurs, cette droiture, cette noble simplicité qui distinguaient nos ancêtres. Mr. Forster a été plus loin. Il a crû remarquer une modification dans les organes des Bruxellois, opérée par l'usage de cette langue. Quoique l'opinion de ce célèbre voyageur me paraisse étrange, je ne puis négliger d'en faire mention et de rapporter ici ses propres paroles afin qu'on éclaircisse la question si on croit qu'elle le mérite: ‘Es scheint als hâtte auf dem niederlândischen grunde der franzôsische Firniss die zûge nur mehr verwischt, nicht charakteristischer gemacht. Dies kan vielleicht paradox vielleicht gar unrichtig klingen; allein ich bin fûr mein theil ûberzeugt; dass auch ohne wirkliche vermisschung der Racen, bloss durch das allgemeinwerden einer andern als der Landessprache, durch die vermittelst derselhen in umlauf gekommenen vorstellungsarten und ideenverbindungen, endlich durch den Einfluss den diese auf die handlungen und auf die ganze wirksamkeit der menschen âussern, eine modifikation der organe bewirkt werden kann. Rechnen wir hinzu, dass von alten zeiten her auslânder ûber Brabant herrschten; dass Brüssel lange der sitz einer grossen, glânzenden hofstatt war; dass auch mancher auslândische Blutstropfe sich in die volksmasse misschte; dass der luxus und die ausschweifungen, die von demselben unzertrennlich sind, hier in einem hohen grade, unter einem reichen, ûppigen und mûssigen volke seit mehreren jahrhunderten im schwange gingen: so kann die besondere abspannung, die wir hier bemerken sich gar wohl aus naturlichen ursachen erklâren lassen.’Ga naar voetnoot(**) Je ne fais pas usage de la traduction de Mr. Charles Pougens, parce qu'elle est infidèle en cet endroit. Que l'on ne croye pas que je veuille inspirer de la haine ou de l'aversion pour la nation française, ou pour ses moeurs; qu'ennemi de toute idée libérale, je sois un de ces hommes qui voudraient faire | |
[pagina 59]
| |
rétrograder les Belges au barbarisme, au fanatisme des siècles passés, &c. &c. - Je plains ceux qui se méprendront sur le but de mon ouvrage.
Plus que tout aútre j'estime la nation et la langue françaises. Que l'on profite de tout ce qu'elles nous offrent de bon, d'avantageux; que cette langue soit cultivée en Belgique; qu'elle y ait la préférence, si l'on veut, à tout autre idiome étranger, d'accord. Mais qu'on ne néglige, qu'on ne méprise pas ce qu'il y a de bon chez nous: que l'on cesse de vouloir imiter en tout les français, et des manières qui contrastent évidemment avec les nôtres: voilà ce que je désire et ce que doit desirer tout homme raisonnable, ami de son pays. Les bonnes moeurs de nos pères peuvent très bien se concilier avec la civilisation actuelle. Travaillons à devenir une nation d'accord avec elle-même, mais pouvons nous l'être aussi longtems que nous nous dépouillons de notre véritable caractère pour emprunter celui d'une autre? Nous ne devons parler que la langue qui nous est la plus naturelle, parceque ce qui est naturel est toujours ce qui convient le mieux.Ga naar voetnoot(*) S'il est national de ne porter que des étoffes du pays, pourquoi ne le serait-il pas d'en parler la langue? J'aime le peuple de Thlascala, qui ne veut pas même du sel de la grande nation qui l'avoisine, crainte d'en être subjugué. Eh! lorsque nous avons tous les élémens de notre bonheur chez nous, pourquoi chercher ailleurs et ne tourner nos regards que vers la France? Enfin, pourquoi ne pas nous appercevoir que les français rient de bon coeur de toutes nos singeries? Ce qui est étranger leur parait toujours ridicule, a dit Montesquieu.Ga naar voetnoot(**) Rappellons nous que le Marquis d'Argens a écrit sur les Brabançons la plaisanterie suivante: ‘Les Brabançons, qui sont riches, envoyent leurs enfans passer quelque tems à Paris où ils achèvent de se gâter entièrement. Ils y perdent le bon de leur pays et prennent le mauvais des français. Ils veulent imiter les manières des petits-Maîtres et leurs façons de s'ènoncer. Mais, ils ont un air si gauche, que ces airs badins et légers leur siéent aussi peu que les allûres de Manège à un cheval de Frise. Un Brabançon qui folâtre me rappelle l'âne de la fable qui veut imiter le petit chien: je crois voir maître Baudet porter | |
[pagina 60]
| |
amoureusement ses deux longs pieds sur les épaules de son maître. La Fontaine a bien raison de dire: Ne forçons point notre talent. On devient ridicule, dès qu'on veut sortir de sa sphère: l'envie d'imiter les manières françoises a perdu plusieurs étrangers.’Ga naar voetnoot(*) (15) Je crois avoir démontré dans les notes précédentes qu'il est urgent que nous nous occupions de notre langue si nous voulons devenir quelque chose. Je laisse à d'autres le soin d'examiner en outre: si dans nos tribunaux nous ne pourrions nous passer d'interprètes? Si une traduction instantanée peut avoir la valeur de la déposition même? Si les Avocats ne pourraient plaider en flamand, lorsque les Notaires instrumentent dans cette langue;Ga naar voetnoot(**) ou bien si les tribunaux existeraient plus spécialement pour les Avocats que pour les parties? - Je demande encore si, dans nos Athenées, on ne devrait pas apprendre aux enfans la langue latine au moyen de l'idiome qu'ils entendent le plus facilement et qu'ils parlent chez eux? S'il n'est pas vrai que pour concevoir il faut aller du connu à l'inconnu, et que pour s'approprier une langue, il la faut comparer au génie de celle dans la quelle on s'exprime le mieux? S'il est juste de contraindre un habitant du pays à faire enseigner à ses enfans la langue d'un autre pays, avant de les admettre aux classes du latin? S'il est juste de sommer, de contraindre, de saisir et d'exécuter en français des malheureux pay-sans, qui souvent doivent encore payer des frais pour etre instruits de ce qu'on exige d'eux?Ga naar voetnoot(***) &c. &c.
Je le répète: une nation semble se mépriser elle-même en ne faisant pas usage de son idiome. Pourquoi douter plus longtems de ce que nous avons à faire? nos doutes sont des traitres qui nous font perdre les biens que nous pourrions acquérir si nous étions moins timides à entreprendre. -
Our doubts are traitors
And make us lose the goods we might win,
By fearing to attempt.
Shakespeare, Measure for measure.
FIN DES NOTES. |
|