Chronique Flamande 1571-1584
(1869)–Willem Weydts– Auteursrechtvrij
[pagina V]
| |||||||
Introduction.La chronique que nous publions ici est extrêmement originale et fort intéressante au point de vue du récit. Elle est inédite, ainsi que nous avons tenu à nous en assurer, et renferme des détails que nous n'avons trouvé nulle part ailleurs. La période qui en fait le sujet, est du reste bien digne d'attention: les années 1571 à 1584 forment une partie de cette époque si mouvementée et si tourmentée des troubles de Flandre pendant le terrible XVIe siècle; période néfaste où il a été difficile de faire un peu de lumière parmi le chaos, et dont un des résultats les plus déplorables au milieu de tant de malheurs, a été la dislocation de l'union de cette belle contrée, qui formait les XIX provinces des Pays-Bas. La plupart des anciens chroniqueurs étaient ou des magistrats ou des nobles, ou du moms des hommes occupant une certaine position, et faisant quelque figure dans | |||||||
[pagina VI]
| |||||||
le monde. Il ne pouvait en être autrement; l'instruction, moins répandue qu'aujourd'hui, laissait une partie de la population dans l'ignorance, et il était rare qu'un homme de condition médiocre fût à même de rédiger des mémoires. Les écrits de ces auteurs devaient naturellement se ressentir du milieu où ils vivaient, des préjugés de caste, ou de l'influence du pouvoir. Ici, nous n'avons pas affaire à un homme de haute naissance; Guillaume Weydts était sorti du peuple et appartenait aux métiers de Bruges; il était un ambachtsman, ainsi qu'il a soin de nous l'apprendre lui-même. Sa condition, qui le rapprochait davantage du pauvre, le mettait, mieux que tout autre, à même de comprendre les souffrances et les peines dont l'écho s'étcint le plus souvent, avant de parvenir à ceux qui pourraient y porter remède, s'ils le voulaient; cette circonstance ajoute donc encore à l'intérêt de son récit. C'est le peuple qui souffre toujours le premier des commotions politiques; il n'a, lui, son pain sur la planche que quand le travail donne, et comment le travail pourrait-il donner au milieu des agitations de la guerre civile, quand chacun ne trouve rien de mieux à faire, à l'approche du danger, que de se draper dans son égoïsme? Toutes les industries sont solidaires les unes des autres, et dès que l'une d'elles, l'agriculture par exemple, la plus exposée de toutes, vient à péricliter, les autres en reçoivent infailliblement le contre-coup. | |||||||
[pagina VII]
| |||||||
Dans cette partie du XVIe siècle, toutes les branches étaient malades; l'arbre de la prospérité nationale recevait trop de coups de cognées dévastatrices pour pouvoir résister longtemps. Aussi est-ce de cette malheureuse époque que date la décadence de la Flandre, si puissante pendant tout le moyen âge. L'industrie et le commerce qui y faisaient affluer la richesse, émigrèrent, ne pouvant vivre et prospérer qu'au sein du repos; ils allèrent chercher ailleurs ce que notre pays leur refusait, et les contrées voisines, mieux avisées, accueillirent les transfuges. C'était un triste temps que celui où vivait Guillaume Weydts; les bandes de toutes les couleurs, cavaliers verts ou jaunes, couraient la campagne, pillant par ici, égorgeant par là, faisant partout du butin, réduisant à la misère l'ouvrier et le laboureur. Tantôt, c'étaient les Gueux, ou bien les Wallons malcontents, qui malgré leur drapeau sacré et leurs patenôtres, ne se faisaient pas faute d'agir comme des gueux; ou c'étaient les Anglais, les Écossais, les Français, tous étrangers qui vivaient aux dépens du peuple; ou bien encore, les compagnies franches de pillards (vrybuiters)Ga naar voetnoot(1), vrais brigands, qui profitaient du désarroi général, pour organiser le meurtre et le pillage. | |||||||
[pagina VIII]
| |||||||
Et au milieu de ce tohubohu politique, où était l'autorité, y en avait-il une? Le pays en était parfois à se demander qui était roi, et même s'il y en avait un? Du roi d'Espagne, à peine en était-il encore question. Il est vrai que de temps à autre on montrait au peuple un fantôme de souverain, mais qui, vrai fantôme, s'évanouissait bientôt. D'Alençon, Mathias ne firent que paraître, pour disparaître aussitôt après. Nos provinces étaient brocantées par tous les partis, et les magistrats, dont le devoir était de protéger ceux dont les destinées leur étaient confiées, n'en avaient nul souci, les écrasaient par des impôts exagérés, au milieu de la stagnation des affaires et de la cherté des subsistances, leur ôtant le peu que les pillages leur avaient laissé. Oh, oui, ‘het was gru om zyene,’ comme le dit Guillaume Wyedts; c'était horrible à voir! Mais ce n'était pas assez de la guerre: il fallait que la peste et la famine vinssent se mettre de la partie, et faire leur lugubre moisson. A cette époque (1583), dit Guillaume Weydts, dans l'espace de huit mois il mourut à Bruges, de la peste et autres maladies contagieuses, bien quatre-vingt mille personnes, sans compter les enfants. Un tombereau, auquel était attachée une clochette, faisait le tour de la ville; on entassait vingt ou vingt-cinq cadavres les uns sur les autres, et on les conduisait au cimetière, où de grandes fosses creusées à cet effet, en recevaient trente ou quarante. Les pillages forcèrent les habitants des campagnes envi- | |||||||
[pagina IX]
| |||||||
ronnantes à émigrer, un grand nombre se réfugièrent à Bruges, où beaucoup manquèrent d'abri et moururent de faim et de misère. Quelques personnes charitables firent élever au Marché du VendrediGa naar voetnoot(1) une baraque en bois pour les malades, dont le nombre devenait tellement grand que ce refuge fut bientôt trop étroit. Ce surcroît de population, dans un moment où l'agriculture était presque ruinée, provoqna la disette. L'année suivante, une livre de beurre coûtait 21 sousGa naar voetnoot(2); une mesure de froment, 3 livres de gros; l'orge, 20 escalins; les oeufs, 28 sous les vingt-cinq. Les pauvres allèrent jusqu'à manger les débris des poissons, les peaux et les intestins; beaucoup succombèrent à la faim. La peste, la famine et la guerre, ces trois grands fléaux de l'humanité, établis ici à demeure pendant la seconde moitié du XVIe siècle, se sont partagés tout ce qu'il y avait en Flandre de forces vives et de richesses. La peste est venue enlever ce que la guerre et les proscriptions avaient oublié, et la famine attaqua les deux chevilles ouvrières de la société, le cultivateur et l'ouvrier. La Flandre, si puissante et si riche avant cette époque, vit en quelques | |||||||
[pagina X]
| |||||||
années se perdre pour elle toute cette prospérité, dont d'autres avaient hâte de s'emparer. Et tandis qu'ici on se débattait dans ces étreintes multiples, les provinces du Nord voyaient leur population s'augmenter, leur puissance s'accroître; leur marine née comme par enchantement, à peine lancée sur les flots, les faisait en quelque sorte obéir à sa voix; secouant ses langes, la Hollande refusa d'être plus longtemps tributaire de l'Espagne pour les produits des Indes; les flots soumis, portèrent ses vaisseaux d'un pôle à l'autre: peu à peu la puissance de l'Espagne tomba, et la compagnie hollandaise des Indes acheva sa ruineGa naar voetnoot(1). Les provinces du Midi subirent le contrecoup de ces pertes et déclinèrent à mesure que leurs soeurs du Nord s'élevaient. Notre chroniqueur a raconté les événements dont il a été témoin, dans un style simple et naïf, et a jugé les hommes et les choses avec ce bon sens du peuple, qui va droit devant lui, ne capitule pas avec sa conscience, et voit tout sous un autre jour que ceux qui sont placés plus haut. Il est catholique dévoué, ennemi des Gueux qui pillent les églises, mais il ne pardonne pas non plus aux Wallons, qui se livrent à des excès tout aussi grands. Partout il blâme la violence, ne voit pas dans la guerre la gloire qu'elle procure quelquefois, mais le cortége de malheurs qu'elle | |||||||
[pagina XI]
| |||||||
entraîne toujours. Ce qu'il désire, c'est la paix, c'est le repos, afin que le peuple puisse vivre dans l'abondance, que le négociant ne doive pas fermer sa boutique, et que le magistrat ne vote pas, à tort ou à raison, de nouveaux impôts. Quant à la politique, son opinion est celle du peuple à cette époque, fidèle au roi d'Espagne, mais ennemi des Espagnols. Ces idées-là, nous les avons retrouvées souvent ailleurs. Il est en général fort modéré, et voit avant tout et partout, le côté pratique et utile. Comme il n'a pas la prétention de se poser en juge, il ne s'est fait l'écho des déclamations d'aucun parti. La naïveté du style est une grande qualité, malheureusement elle expose à tomber dans le défaut même de cette qualité, qui est la trivialité; ainsi le lecteur rencontrera de temps en temps de ces expressions énergiques, intraduisibles, mais qui sentent un peu trop leur origine, et qu'il faut pardonner, tout en les trouvant exemptes de décorum. Guillaume Weydts était loin d'avoir fait son éducation à la cour, et l'instruction dont il fait preuve, il ne l'avait pas à coup sûr empruntée aux lumières d'un maître en renom. Qui sait même si ce n'est pas à force de patience, dans des moments dérobés à l'atelier, qu'il a réussi à acquérir le peu de connaissances qu'il possédait. Son écriture est fort nette, mais comme il écrit de la même façon qu'il parle, et qu'il parle le dialecte brugeois, on est obligé, en le lisant, de se familiariser un peu avec sa manière avant de le bien comprendre. Il ne faut pas non plus | |||||||
[pagina XII]
| |||||||
aller chercher dans la grammaire les règles de l'orthographe dont il fait usage: elle est fort irrégulière, suit la prononciation des mots, les élisions et autres licences extra grammaticales, usitées chez le peuple. Il emploie constamment l'y pour l'i, presque toujours le v pour le w, parfois aussi le w pour le v. Il faut considérer, à ce sujet, qu'à Bruges et dans toute la Flandre occidentale, l'y se prononce comme i, et que le v est souvent employé pour le w. Parfois aussi il y a élision du verbe. Cette façon d'écrire ne manque pas d'originalité, et nous n'avons pas voulu redresser cette orthographe, de peur d'ôter à la chronique de Weydts son cachet spécial, en lui donnant un faux air de récit moderne. Les notes explicatives que nous avons jointes au texte, en faciliteront du reste considérablement l'intelligence, et au bout d'une ou deux pages, il arrivera sans aucun doute au lecteur, ce qui nous est arrivé à nous-mêmes: il lira d'un bout à l'autre la chronique, comme s'il avait devant les yeux un ouvrage irrépréhensible sous le rapport de l'orthographe. Nous n'avons pas hésité à croire que le manuscrit est original, pour plusieurs raisons. Un homme du peuple, quand il lui arrive d'écrire, ne le fait pas pour le public. Si Weydts avait pu supposer qu'un jour ses tablettes seraient reproduites par la presse, il aurait, nous en sommes persuadé, un peu mieux soigné son style, ou bien détruit son oeuvre. Ensuite, ce volume renferme des détails qui | |||||||
[pagina XIII]
| |||||||
ne regardent que l'auteur, et qui ont par conséquent un caractère tout-à-fait intime. Il a donc, à notre avis, prétendu faire simplement un mémorial, un livre de famille, dans lequel, à mesure que les événements se passaient, il inscrivait l'impression soit bonne, soit mauvaise, qu'ils avaient laissée dans son esprit. Cette chronique, quoique inédite, n'est cependant pas tout-à-fait inconnue; nous l'avons trouvée citée dans deux écrivains: le curé J.P. van MaleGa naar voetnoot(1) et Beaucourt de NoortveldeGa naar voetnoot(2). Le premier raconte les démêlés de notre auteur avec la justice, pendant le séjour du duc d'Alençon à Bruges, et il ajoute qu'il n'aurait pas rapporté ce detail, de peu d'importance en lui-même, s'il n'avait eu pour héros Guillaume Weydts, qui a si bien raconté les événements de son temps. Quant à Beaucourt, il a emprunté çà et là quelques traits à notre chronique, qu'il a vue en manuscrit, tout comme il en a emprunté à Segher van Male, à Bor et à d'autres. Mais il eut beaucoup mieux fait, à notre avis, de la reproduire en entier. Par quelles pérégrinations ce malheureux écrit a-t-il passé, avant de paraître au vieux marché de Bruges, parmi les chiffons, où son propriétaire actuel en a fait l'acquisitionGa naar voetnoot(3)? A-t-il appartenu à van Male, Beaucourt l'a-t-il | |||||||
[pagina XIV]
| |||||||
possédé? et après sa mort a-t-il passé dans quelque main ignorante, qui l'a laissé s'égarer sur l'échoppe du brocanteur? Qui le sait? Nous ne pouvons toutefois que rendre grâce à l'heureux concours de circonstances qui nous a mis à même de la publier. On pourrait nous faire un reproche d'avoir préféré la langue française pour l'Introduction et les Notes. Le parti que nous avons pris à ce sujet, demande une explication. Nous n'avons pas prétendu adresser cette publication à un public restreint, mais au plus grand nombre possible de lecteurs, et surtout d'hommes d'études, qui aiment à consulter les anciens documents de notre histoire. La plupart de ceux qui s'occupent de ces travaux, ici et ailleurs, savent le français; beaucoup ignorent le flamand ou le savent d'une manière insuffisante. En donnant tout en flamand, nous empêcherions les seconds de consulter cet ouvrage, tandis que maintenant, avec les notes en français, notes explicatives d'une part, notes historiques de l'autre, que nous avons tenu à faire nombreuses, nous osons espérer qu'il sera possible au grand nombre de retirer quelque fruit de ce livre. Nous savons fort peu de chose sur notre auteur; les seules données biographiques que nous possédons, sont tirées de son manuscrit même. Dans le cours de sa chronique (p. 66), lorsqu'il raconte ses démêlés avec la police, il dit qu'il appartenait aux métiers (een ambochtsman), et plus loin, qu'il était bourgeois | |||||||
[pagina XV]
| |||||||
et exerçait la profession de tailleur (desen ghevanghenden man vas een poertere en eet vas een cleermaekere). Dans le récit de son voyage en Espagne, il prit de l'ouvrage à Séville, et travailla, dit-il, ‘op eenen scippers wynckel,’ dans la boutique d'un batelier, avec d'autres Flamands; ce batelier était, sans doute, un constructeur de bateaux, où Weydts fut apparemment obligé de faire un autre métier que le sien. Au troisième feuillet de son manuscrit, il rapporte son état civil et celui de sa femme et de ses eufants. Nous préférons reproduire ici le document en entier, plutôt que d'en donner un extrait. ‘Guillaeme Weydts vas gheboeren op maendach iii maerte, tusschen den vyven en den zessen voer den noene, anno 1547; myn vaedere hyedt Lauwereyns Weydts, myne moeder Catelyne van den Blocke. Margaryete Noppe vas gheboeren op...dach van hoerst, ten tween hueren naer noene, op eenen voensdach anno 1544; haer vaedere, Wyllem Noppe, ende haer moedere, Margryete Verbeest. Ende wy huudenGa naar voetnoot(1) te saemen op den 19 dach van april, te wetene, Guillaeme met Margheryete, anno 1573. De gheboerte van de kynderen: Goerrys Weydts vyerdt gheboeren op den eersten dach van hoerst, snaech tusschen den aleven en den twaelven, anno 1575. | |||||||
[pagina XVI]
| |||||||
Catelyne vas gheboeren op den dertychsten dach van novembere, snavens tusschen den zessen aelf en den zeevenen, op Synte Andryes dach, anno 157... BabekenGa naar voetnoot(1) vyert gheboeren op den zestyensten dach van februaryus, snavens tusschen den zessen en zevenen, anno 1577. .....Weydts wyerdt gheboeren op den vychtyensten van augustus, snaechs [tusschen] den alevenen ende den twaeleven, anno 1578. ...ken wyerdt gheboren op den eersten dach van meyhe, snach tusschen den tween ende den dryen, anno 1580. Jorys Weydts vyerdt gheboeren op den achtyensten dach van decembere, tusschen den aleven ende den twaelfven by daghe, 1581. Pyeter Weydts vyerdt gheboeren op den eersten dach van octobere, snach tusschen den eenen aelf ende den tween, anno 1583.’
Le manuscrit ne renfermait pas seulement notre chronique, mais encore d'autres écrits, dont Weydts donne la nomenclature dans une table qui forme le second feuillet. Nous disons: renfermait, car plusieurs feuillets manquent, ne laissant adhérer au reste du volume que des lambeaux informes. Le temps qui détruit tout, n'a pas respecté l'oeuvre du modeste ouvrier. | |||||||
[pagina XVII]
| |||||||
‘Hyer in desen bouck zult ghylyeden..... de gheboerte van ons tween, man ende vrauwe, ende van als ons kynders; Ghy zult vynden hyer in den eersten; Ghylyeden zult oock vynden in desen bouck een cleen memorihe van een voiagie van Spaenhe ende de gheneghenteden van duversche steden ende gheberghte, ende van eet landt och; van het eerste an beghunnende. Ghylyeden zuldt och in desen bouck vynden een memoryhe int corte van een orloeghe die onzen ghenadeghen coenynch Dom Philippus hadde teghen de wyedte Moeren van Granaete, vaer of Don Jan de Austrya vas van.... begunnende tusschen xxix ende xxxGa naar voetnoot(1). Ghylyeden zult hyer in och vynden in corte duversche gheschiedenessen van deze orloeghe van deser stadt van Brugghe ende daer ontrentGa naar voetnoot(2). Hyer indt laste zult ghy vynden zommeghe..... ofte balaeden ofte lyedekens.’
Sur le premier feuillet se trouvent quelques vers et quelques sentences, dont plusieurs sont à moitié effacées; nous reproduisons ce qui est encore entièrement lisible. ‘Lyden verdracht es God behaecht.’
‘Es lyden verblyden, zo treuryck zelden.’
‘Ick vas eens rycke, ende dat vas myn,
Maer nu moet eet eens anders zyn:
| |||||||
[pagina XVIII]
| |||||||
My en es niet ghebleven,
Dan dat ic om Godts wille hebbe ghegheven.’
‘Vrest Godts ordel en zyn stranhe sentencyhe,
Verdracht melcandere met goede pacencyhe.
‘Hemye, es een wordt van groete smerte,
Hemey en quam noeydt hudt blyder herte,
Dye Hemey zecht ende anders niet.
Dye light in zyn groet verdryet.’
La poésie de Weydts n'est peut-être pas irréprochable sous le rapport de la forme, mais elle a une tournure tout-à-fait originale, une grande simplicité dans l'expression et une grande naïveté, qui n'a pas été usée par le frottement d'un monde trop civilisé. Voici une petite pièce qu'il adresse à son amie: ‘Een Venes dyerken heb ic uutvercoeren,
Gheen schoender en weet ic nu terstondt,
Om haer so willye vruecht orboeren,
Int anschyn van hueren lagghenden mont.
Haer keelken vyt, haer borstens ront,
Macken my vroeylych van synnen;
Schoender en vas noeyt van moeder gheboeren,
'Tes recht dat ic se bemynne.’
‘Ghelych goudt is haer haerken van coluerc,
Twee hoeskens der amoruesheyt snel,
Twee borsten rondt, soet van natuere,
Zoe es myn lyef, ic weettet vel,
Sedych van gherste ende nyet rebel,
Tes mynder herte een keyserinne;
Ie en weedt bynnen zweerlys gheen schoender creature,
T'es recht dat ic se bemynne.’
| |||||||
[pagina XIX]
| |||||||
‘Noch heeft son een oechmoedyghe coraghye,
Ende daertoe een fyeren ganch,
Int tryompheren bedryeft sou rage,
Ie en hoerde myn daghen noch soeter sanck,
Dan zy bedryeft met hueren voysen gheelanck.
Eet dynck my synde puer een goddyne
Gheassonnert es zoe als een ymaghye,
T'es recht dat ic se bemynne.’
‘Ick en can vergheten myn lyefs manyeren,
Haer vryendelych wesen, haer fyer ghelaet.
Crych ic gheen troest duer haer bestyeren,
Zo woert myn herte gheel dysperaet;
Moch ic troest myn toeverlaet,
Zoe vaere ic alzo blyde van synnen,
Vruecht en solaes soude ic hantyeren
T'es recht dat ic se bemynne.’
‘Pryneesse, reyn, dye myn vruecht doet breyden,
Al mocht ic hebben van goude zwaer
Tghewychte van myn lyef, ic en zal van hu nyet scheyden,
Wandt ghy zyt myn lyefste vederpaer,
Wandt an hu en weet ic gheenen maer,
Dan alle vruecht ende ghevynne,
Haer wesen ren ten mach mach my nyet verblyden,
T'es recht dat ic se bemynne.’
Nous comptons publier, bientôt sans doute, le voyage de Weydts en Espagne, qui est fort curieux tant au point de vue de la peinture des moeurs du peuple espagnol à cette époque, jugé par un Flamand, que du récit de la guerre des Maures, et y joindre les morceaux détachés qui n'auront pas pu trouver place ici. Cette publication, qui sera | |||||||
[pagina XX]
| |||||||
le complément de celle-ci, formera le second volume des oeuvres de notre chroniqueur. Nous osons espérer que ces ouvrages seront accueillis avec la faveur que le public a jusqu'ici accordée à tous ceux qui concernent cette fameuse époque, où notre pays a été si cruellement éprouvé. Les témoignages flatteurs qui nous ont été déjà adressés tant de la part des autorités des Pays-Bas que du pays, nous en donnent en quelque sorte l'assurance.
Gand, janvier 1869. |
|